Chapitre 13


                Deux jours passèrent. Paul était rentré travailler auprès de Barry et c'est comme si tout revenait dans l'ordre. Le jeune homme s'adaptait facilement aux situations auxquelles il faisait face, alors il ne s'étonnait pas de s'être si bien intégré auprès des Peaky Blinders. Il gardait précieusement à portée de main la casquette que lui avait offerte Tommy. Il l'avait même montrée à son patron avec un enthousiasme que Barry ne lui connaissait pas. Paul en était fier, et il ne comptait pas le garder uniquement pour lui. De plus, avec tout l'argent qu'il commençait à accumuler, il songea à se prendre un appartement afin d'avoir de l'autonomie et ne pas toujours être aux dépends de Barry. Ce dernier l'avait même encouragé et lui avait proposé son aide dans ses recherches.

     Paul améliorait un de ses dessins dans l'arrière-salle de la boutique lorsque le tintement de la sonnette se fit entendre. Le bouclé resta sur sa chaise, sachant d'avance que Barry allait s'occuper du client.

— Oh, bonjour M. Shelby. Je ne vous attendais pas pour aujourd'hui.

— Où est-il ?

     La voix renfrognée de Tommy fit lever le nez à Paul. Il sut que quelque chose n'allait pas. Il eut à peine le temps de se lever de sa chaise que le leader des Peaky Blinders apparut dans l'encadrement de la porte. Leurs regards se croisèrent, mais Tommy semblait tracassé.

— Suis-moi, lui ordonna-t-il avant de faire demi-tour.

     Paul attrapa en vitesse sa veste ainsi que sa casquette, qu'il enfonça sur sa tête, et courut pour le rejoindre dehors.

— Je reviens dès que je le peux Barry, j'espère ne pas être très long, lui dit-il avec une moue désolée.

— Bah, ce n'est rien. Vis ta vie, répondit l'homme.

     Il se doutait bien qu'il verrait de moins en moins celui qu'il avait recueilli sous son aile. Parfois, il en venait à regretter de lui avoir fait croiser la route de la famille Shelby. Tout le monde appréciait Paul, malgré son caractère imbuvable. C'était comme si l'attraction que les gens éprouvaient pour lui était irrésistible. La preuve, même les Shelby ne pouvaient rester plus d'une semaine loin de lui. Barry n'était ni possessif, ni jaloux, mais il aimait travailler avec ce jeune homme et ça l'ennuyait de penser qu'au bout d'un moment, il ne le verrait plus que comme un client au lieu de le voir comme un associé. Paradoxalement, il était heureux pour lui. Ce jeune homme qui avait tout perdu avait le droit de vivre épanoui et c'est ce que Barry voyait sur son visage dès que Thomas Shelby entrait dans son champ de vision.

     Paul monta dans la voiture, à côté de Tommy qui démarra en trombe. Il le laissa parler en premier.

— La situation se révèle plus tendue que ce que j'avais envisagé. C'est pourquoi j'ai demandé une réunion de famille.

— Tu sors de ta rencontre avec le catholique ?

— Père John Hugues, oui.

     Les traits de Tommy se crispèrent en disant ces mots. Il agrippait très fort le volant et regardait droit devant lui. L'atmosphère était pesante. Paul soupira et en vint à penser : « Qu'est-ce que j'ai bien pu faire pour me retrouver aux côtés d'un mec qui s'attire toutes les emmerdes du monde ? ».


***

Je te l'ai déjà dit et répété un milliard de fois : cette soirée est très importante pour moi. C'est mon plus gros vernissage. Alors tais-toi, ne bois pas trop de champagne et fais honneur à mes peintures.

     Milo était stressé. Ce soir à la galerie, il y avait déjà plein de journalistes, plein d'illustres personnes. Tous les influenceurs émergeants sur les réseaux s'étaient précipités pour venir contempler les nouvelles œuvres d'art de Milo le magnifique, surnom sarcastique qu'aimait lui donner Paul lorsque les adolescentes gloussaient à tout ce qu'il pouvait leur dire.

Et arrête de m'appeler « Milo le magnifique » !

Oh ça va, c'est pour rire...

Ça ne fait rire personne à part toi.

     Paul fronçait les sourcils. C'est bon, il était majeur et vacciné, inutile de le gronder comme s'il avait 10 ans. S'il était là, c'était pour soutenir son copain, pas pour être puni au coin.

Je vais être sage ce soir, promis.

Merci.

     Le ton sec de Milo piquait à vif le jeune homme, qui préféra se réfugier auprès du buffet. Vu la quantité exorbitante de nourriture, il pouvait bien se goinfrer pour décourager les gens de venir lui parler. Il ne perdait pas son copain des yeux, toujours entouré de beaux garçons qui n'attendaient que ses faveurs.

Vous permettez que je prenne des cookies salés, avant que vous ne mangiez tout ?

     Paul se tourna vers la jeune femme qui venait de lui adresser la parole. Elle affichait un sourire éclatant et une étrange lueur brillait dans ses iris vertes. Cette personne rayonnait du contraste qu'elle opposait au jeune homme, renfermé sur lui-même et bougon. Il bafoua quelque chose d'incompréhensible en se décalant d'un pas et avala sa bouchée avec du champagne.

Je remplis votre verre, si vous voulez, ajouta-t-elle, toujours souriante.

     Elle était ravissante, mais semblait irréelle. Il la laissa faire sans trop savoir quoi dire. Il ne savait pas s'il devait se présenter ou l'ignorer. Dans tous les cas, il n'était pas d'humeur à être avenant avec qui que ce soit.

C'est votre petit ami, là-bas ?

     Elle désigna Milo, toujours entouré d'une foule grouillante. Il semblait plus heureux que jamais.

Oui. On est en couple depuis plus d'un an.

Il a beaucoup de succès, commenta-t-elle.

     Un blanc s'installa entre eux. Il ne savait pas où elle voulait en venir. Soudain, quelqu'un le bouscula de l'épaule.

Oh, je ne t'avais pas vu, se moqua ouvertement Jérémy.

     Ce collègue de Milo exaspérait le jeune homme. Il était toujours dans les parages, comme un parasite qui cherchait le moment opportun pour voler le cœur de Milo. Ce dernier ne semblait pas particulièrement intéressé, mais il l'admirait énormément. Ça ne plaisait pas du tout à Paul.

Continue de bouder dans ton coin, bientôt tu ne seras même plus invité à ce genre de soirée, reprit Jérémy.

Tu veux dire quoi, par là ?

En un battement de cil, je te remplacerai, cracha-t-il en le regardant avec dégout.

     Non. Paul ne rentrerait pas dans son jeu. Il avait promis à Milo de ne pas faire de scandale. Il ferma les yeux et inspira profondément, encore et encore jusqu'à ce que Jérémy soit parti. Il essaya de se remémorer de joyeux souvenirs où le visage parfait de Milo apparaissait, afin de se calmer. L'inconnue, elle, était toujours là.

Je m'appelle May, au fait.

Paul, répondit-il sèchement.

     Elle était bien gentille cette fille, mais pour le moment Paul avait d'autre chose à faire que d'être agréable avec une personne qu'il ne connaissait pas.

Vous l'aimez à ce point, ce Milo ? demanda-t-elle innocemment.

Plus que tout, soupira Paul en basculant la tête en arrière.

     Elle rit d'une petite voix, puis colla un bisou sur la joue de Paul. Ce dernier la regarda, déboussolé, alors qu'elle s'en allait en souriant. Elle se tourna vers lui une ultime fois et il lut sur ses lèvres : « J'espère que vous ne m'oublierez pas ». Il ne comprenait absolument rien à ce qu'il venait de se passer, mais il haussa les épaules et se retourna de nouveau vers le buffet. A peine eut-il englouti un assortiment de mini-tartelettes au thon, que Milo vint l'assaillir.

C'était qui, elle ?

« Elle » ? répéta le bouclé sans lever les yeux.

     Milo le poussa d'une main.

Ne joue pas à ça avec moi, Paul.

     Un regard autour d'eux et il se rendit compte que la scène de son copain attirait le regard de la foule.

Je vais t'expliquer tout ce que tu veux savoir, mais pas ici. Il y a trop de monde.

Tu vas encore te défiler. Comme d'habitude.

Je t'arrête tout de suite. Cette fille-là, je viens de la rencontrer. C'est elle qui est venue me parler. Elle a même remarqué que je t'aimais plus que tout.

     Les yeux de Milo lançaient des éclairs. Paul le voyait douter tout au fond de lui, mais il voyait aussi Jérémy les observer avec un sourire pervers. C'est lui qui était allé lui raconter des conneries.

Je ne sais pas ce que t'as dit Jérémy mais...

Arrête de tout le temps l'accuser !

Milo... Je suis à deux doigts de péter un plomb, lança le jeune homme du bout des lèvres. Ne me pousse pas à bout. Tu sais ce qu'il peut se passer.

     Mais Milo n'écoutait pas, contrairement aux personnes qui faisaient mine de s'occuper de leurs oignons. Ils ne perdaient pas une miette de la dispute. Les journalistes ordonnaient même silencieusement à leurs photographes d'immortaliser le moment. Paul n'avait vraiment pas envie de se donner en spectacle. Il ne voulait pas rendre ce service à Jérémy. Puis, il entendit les derniers mots de Milo.

... J'aurai sûrement dû l'écouter. Lui au moins ne me décevra jamais.

     A ce moment-là, tout vrilla dans la tête de Paul. Il enleva délicatement sa veste, qu'il balança dans les bras de la première personne qui passait près de lui. Il fit craquer les phalanges de ses doigts et lança un regard des plus ardents à son copain.

Regarde bien ce que je vais faire. La prochaine fois que tu me redis ce genre de chose, ce sera dix fois pire.

     Et sur ce, il posa ses mains sous les tables du buffet pour les faire valser les unes après les autres. Il attrapa le premier extincteur de fumée qui lui tomba sous le nez et l'alluma avant d'asperger toute le public avec la mousse.

- Ce soir, c'est soirée mousse ! déclara-t-il sous le regard effaré de Milo et de Jérémy.

     Les gens hurlèrent et coururent dans tous les sens. La mousse accumulée faisait glisser n'importe qui portant des talons. Les tableaux n'étaient pas épargnés, leur peinture s'étirant vers le sol. Profitant de l'agitation, Paul disparut dans la foule. Il ne se retourna pas une seule fois vers son copain, sachant pertinemment qu'il pouvait le perdre à tout jamais.

***


     Le jeune homme entra après Tommy, dans une petite maison située à l'autre bout de la ville. Dans le salon, étaient déjà réunis tous les membres importants de la famille : Arthur, John, Ada et Polly. Il y avait en plus Johnny Dogs et Charlie, l'oncle de la fratrie Shelby. Ils avaient tous une mine renfrognée : Tommy réunissait rarement sa famille de manière si urgente. John fit signe à Paul de venir se poster dans le coin de la pièce et d'observer. Sous la lueur d'une seule ampoule et d'un feu crépitant dans la cheminée, les cernes de chacun ressortissaient sur leur mine concentrée.

— On t'écoute, Tommy, lança Arthur.

     L'intéressé se servit d'abord un verre et s'alluma une cigarette. Il laissa son regard passer sur chaque personne présente, Paul y compris.

— Comme vous le savez, j'ai été contacté par Hugues, mais aussi Churchill. Dans l'intérêt des Géorgiens, qui sont des russes, nous devons organiser un vol de véhicules dans une usine pour contrer les bolchéviques.

     Les membres présents se regardèrent les uns les autres, ils semblèrent surpris.

— Pourquoi ? demanda simplement Ada.

— Je fais des affaires avec les russes depuis quelques mois. Nous allons gagner énormément d'argent.

— Je ne te serai pas d'une grande utilité, ajouta Ada en rassemblant ses affaires.

— Tu es une communiste Ada, évidemment que tu seras utile.

      Une fois la réunion terminée, le clan se dispersa. Mais Thomas attrapa furtivement les bras de ses frères.

— Je vais avoir besoin de vous pour une autre affaire.

     Arthur et John suivirent Tommy dans la pièce vide d'à côté. Paul les rejoignit à la demande de ce dernier.

— J'ai une mission supplémentaire pour vous. Il faut abattre cet homme, dit Tommy en tendant à ses frères une feuille renseignant les informations sur l'homme en question.

     Ils étudièrent la feuille, puis firent un signe de tête à Tommy.

— By order of the Peaky Blinders, récitèrent Arthur et John avant de sortir d'un pas ferme de la pièce.

     Paul ne savait pas trop ce qu'il devait faire. Il ne comprenait pas vraiment le rôle qu'il allait avoir mais il se sentait privilégié d'avoir été présent à la réunion familiale. Tommy semblait très préoccupé, il faisait les cents pas.

— On est dans la sauce ?

     Tommy leva les yeux vers Paul, comme s'il avait oublié sa présence.

— Je... C'est une drôle d'expression, mais ça résume bien la situation, répondit-il.

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