Chapitre 1
Il descendit les marches principales de l'Ecole des Beaux-Arts précipitamment. Il venait enfin de prendre sa décision : les études n'étaient pas faites pour lui. Il respira profondément, un sourire plaqué aux lèvres. Il était libre ! Libre de faire ce qu'il voulait de sa vie, et c'était la meilleure des sensations selon lui. Il savait qu'il était destiné à de grandes choses.
Rentrant dans sa chambre universitaire, Paul croisa un de ses amis, Marc.
— Tu n'es pas en cours ? Je croyais que tu devais rendre un dossier hyper important ?
— Je me casse, ça y est. Tout me soûle ici, j'avance à rien dans ma vie, répondit Paul avec un sourire en coin.
Marc fronça les sourcils puisque la veille, Paul travaillait d'arrache-pied sur ses croquis et avait fait le tour des chambres de son logement pour montrer fièrement son travail, se déclarant « Le nouveau génie du monde entier ».
— Alors qu'il ne nous reste que deux mois avant de décrocher notre diplôme ? Tu vas faire quoi, du coup ? demanda Marc en se grattant l'arrière du crâne.
— Vivre de ma passion. Je vais montrer au monde entier ma vraie valeur !
Paul se dirigeait déjà dans sa chambre pour débarrasser ses affaires. Cette vie de pauvreté ne lui convenait pas, il voulait plus que ça. Une fois qu'il eut tout chargé dans sa voiture, il s'assit à la place du conducteur et jeta un œil dans son rétroviseur interne. Il sourit, il savait qu'il était beau. Ses cheveux bouclés noir ébène et ses yeux vert clair l'avaient aidé à passer l'oral d'admission à l'Ecole des Beaux-Arts, en plus de son incroyable répartie ajoutée à son intelligence naturelle. Il savait déjà qu'il serait pris dans n'importe quel job qu'il souhaiterait.
Il ne prit pas la peine de dire au revoir à son dortoir, il n'avait jamais vraiment lié d'amitié exceptionnelle avec qui que ce soit et de toute façon, il s'en fichait. Il était persuadé qu'il commettrait une grossière erreur s'il se mettait à compter sur les autres. Démarrant son moteur, il jeta son chewing-gum par-dessus sa fenêtre ouverte.
— Eh ! l'interpela un étudiant sur le parking. Il y a des poubelles pas loin, pense à la planète.
— Rien à battre, gros naze, répliqua Paul en faisant crisser ses pneus sur la route.
Démarrant en trombe, il sortit précipitamment du parking. Il lui en fallait peu pour être en rogne, surtout quand des inconnus se permettaient de lui faire la morale. Il roula à toute vitesse dans la ville, manquant de renverser un cycliste, qui lui cria évidemment dessus. « Allez tous vous faire foutre », hurla à son tour Paul en serrant impulsivement le volant de ses mains fines. Il décida d'allumer la radio et lorsqu'il tomba sur une chanson qu'il aimait, il augmenta le volume presque à son maximum. Puis il roula. Il engloutissait les kilomètres sans s'en rendre compte. Des milliers d'arbres défilaient, des dizaines de villes aussi. Son pied quittait rarement la pédale d'accélération, mais ses yeux virevoltaient entre les différents rétroviseurs : il était peut-être énervé, mais il adorait conduire et savait bien le faire.
Au fond de lui, Paul était perdu. Il se rendait enfin compte qu'il venait de tout plaquer. Petit, il s'imaginait pop star à vingt-deux ans, pensant qu'il aurait déjà fait le tour du monde trois fois. A part être sorti avec les plus belles filles du lycée et de la Fac, ainsi qu'avoir obtenu tous ses diplômes avec mention Très bien, il n'avait rien. Il n'était rien. Et il détestait ça. Il savait très bien qu'il était une personne fière, il avait toujours les derniers vêtements à la mode, était suivi par des milliers de personnes sur Instagram. Mais là, maintenant, il se sentait comme un moins que rien.
A la tombée de la nuit, son ventre se manifesta. Paul repéra un fast-food grâce aux néons extravagants qui surplombaient la petite ville dans laquelle il venait d'entrer. Il passa par le drive, se commanda un menu un peu trop copieux et se gara sur le parking. Tout en prenant soin de ne pas tâcher son Levi's acheté avec l'argent de ses bourses étudiantes, il observait les gens entrer et sortir du fast-food. Tous étaient des couples ou des bandes de potes, s'esclaffant et se prenant dans les bras. Paul se renfrogna encore plus, prenant plaisir à les détester et critiquer leurs goûts vestimentaires. « Pff, les jeans taille basse c'est passé de mode il y a longtemps » ou encore « On n'associe pas deux motifs ensemble, c'est une faute de goût monumentale ». Il finit néanmoins par s'ennuyer, alors il reprit le volant pour s'éloigner de la ville et de la pollution visuelle des lampadaires. L'entrée d'un champ nu lui parut être la meilleure solution. Il s'y gara et monta sur le toit de sa voiture. Là, il avait une vue imprenable sur les étoiles et se perdit dans leur contemplation. Qu'allait-il devenir ? Est-ce que ses dessins allaient vraiment bien se vendre ? Ou alors devrait-il s'abaisser à trouver un petit boulot pour avoir de quoi vivre avant que la célébrité ne lui tombe dessus ? Est-ce que Milo allait un jour lui reparler... ?
***
— Milo, attends-moi ! s'époumona Paul. Attends-moi, bordel !
— Qu'est-ce que tu me veux ? rétorqua l'homme aux yeux bleus perçants, le fusillant du regard.
— Je vais tout t'expliquer, ce que tu as entendu c'est... c'est pas la vérité.
Milo leva les yeux au ciel, sûrement pour avaler les sanglots qui lui montaient à la gorge.
— Ecoute Paul, laisse tomber OK ? Vis ta vie et oublie-moi. Tu fous tout en l'air alors que ça se passait tellement bien. Je ne veux plus te parler.
Il continua sa route, laissant un homme qui ne tarda pas à tomber à genou.
— Milo, je ne peux pas vivre sans toi... murmura Paul, qui avait trop de fierté pour le dire à voix haute.
***
Paul consulta l'écran de son Iphone dernier cri : 00h02, du 6 janvier. Milo venait d'avoir trente-et-un ans. Un soupir digne des plus grands acteurs de cinéma lui échappa, se transformant en buée au contact de l'air frais. Son cœur commença à s'emballer alors qu'il commençait à écrire un message : « Hey ! Joyeux anniversaire ! ». Message qu'il effaça très rapidement. Il ne pouvait pas se rabaisser à ça. Il avait fait tellement de concessions auprès de Milo pour se faire pardonner, mais avait essuyé des refus à chaque fois. Paul avait décidé à partir de ce jour que plus rien ne l'atteindrait.
Il secoua vivement la tête puis alla fouiller dans la galerie de son téléphone. Tous ses dessins y étaient. Il les posta alors un à un sur son Instagram, indiquant qu'il les vendait et qu'il acceptait même les demandes personnelles. Il en posta quelques-uns sur Twitter en ajoutant le lien de son Instagram et laissa faire les choses. Paul n'entendit même pas les multiples sons des notifications puisque ses yeux se fermaient déjà. Il s'endormit ainsi, allongé sur le toit de sa voiture, la radio encore allumée.
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