Lula

Elle s'appelait Lula.

Elle portait du rouge carmin sur ses mains, du rose bonbon ou du bleu électrique. Elle s'appelait Lula, et je l'ai aimée. Ses boucles denses jaillissaient comme une cascade rousse coulant dans ses reins. Lula était belle ; belle et dangereuse, c'était une plante vénéneuse, piquante et voluptueuse comme une rose rouge ; mystérieuse aussi comme une longue éclosion. Oh Lula, comme tu étais belle au matin dans ta tenue transparente, l'onctuosité de ta peau brillait comme une pâle lune, et moi, anonyme rêveuse et folle, je t'aimais ; je voulais graver dans ta chair mon odeur, mes blessures, t'imprégner de ma chaleur et de mes doutes. Je te voulais pour moi seule, et j'ai brulé au contact de ta chevelure enflammée.

La première fois que je t'ai vue, Lula, j'ai péris dans ton regard, je suis morte dans ta lueur dorée ; à présent je gis au fond de tes yeux comme une fleur au fond d'un lac. Lula, tu vois comme tu me rends ridiculement romantique.

Quand je t'ai vu, lointaine et éthérée, telle une sylphide sauvage, je suis morte.

Morte d'amour.

***

J'ai toujours été fascinée par le blanc, surtout par la blancheur d'une peau laiteuse. Lula était de porcelaine, et au fond de moi je l'enviais ; ses courbes, ses rondeurs, sa douceur, ses pommettes bien dessinées, son nez délicat parsemé de taches de rousseur, et puis son corps, son corps inviolé... ce corps de femme que je n'aurais jamais pensé aimer... et pourtant...

La toute première fois que je t'ai vue, tu étais dans le métro et tu lisais Alcool d'Apollinaire, moi je t'observais à la dérobée, interdite par ta beauté. Tu avais croisé les jambes, laissant apparaître ton genou blanc dans le trou de ton jean. Je devinais tes yeux vert tendre, bien que je ne les voyais pas, tes cheveux sauvages te tombaient dans les yeux ; j'étais séduite par leur longueur naturelle, leur fraicheur, leur légèreté, comme si tu ne t'étais pas coiffée et que tu avais laissé cela à l'œuvre du vent. « J'aurais pu tomber amoureuse d'une fille aussi belle » pensais-je plus tard. Car jusqu'au soir, elle ne s'était pas échappée de ma mémoire - ni aujourd'hui d'ailleurs - je retenais son image fascinante prisonnière.

Nous descendions au même arrêt et à ma grande surprise nous nous dirigions vers la même fac, derrière toi j'observais tes courbes parfaites, tes hanches que je devinais si blanches...

Il y avait chez toi quelque chose d'envoutant, je ne saurais dire quoi, mais je te suivais, toujours, j'aurai pu t'observer toute ma vie. Et puis, miraculeusement, nous nous sommes retrouvées dans la même classe. C'est là que nos regards se sont croisés pour la première fois... Et là, tout fut ravagé. Il n'y avait plus que tes yeux d'un noir de pétrole (je m'étais trompée, ils n'étaient pas vert) dont l'éclat était légèrement doré, tes lèvres rose pâles, et ta peau opaline.

Nos regards. Ta luminosité. Mes espoirs. Tes regards.

Nous continuâmes comme ça des jours durant, à nous observer à la dérobée, à nous défier du regard. Et puis un jour... Il neigeait, le ciel était anthracite, l'air glacé. J'arrivai juste dans l'amphithéâtre. C'est là qu'un éclat de feu, qu'une couronne rougeoyante s'est penchée vers moi « je peux m'asseoir ? » Je t'ai souris, troublée, fébrile, mystérieusement heureuse... Je me sentais délivrée d'un poids que je n'identifiais pas. Elle était là, à mes côtés, son parfum était un mélange de vanille et de bonbon ; son gloss, peut-être, qui en ce jour faisait briller ses lèvres comme des pommes d'amour. A un moment elle s'est penchée pour prendre quelque chose dans son sac ; ses cheveux sont partis dans tous les sens, comme l'écume qui se heurte et se brise au contacte du sable ; sa peau était translucide, laissant apparaître un camaïeu de bleu et de mauves sur ses paupières. Tes paupières. Mes regards. Ton air paumé.

Et puis le cours s'est fini, je te regrettais déjà.

— Excuse-moi ? lui demandais-je, tu as le temps pour un café ?  

Elle m'a sourit, malicieusement, et dans ses joues roses s'est creusée une délicieuse fossette. Son visage a rajeuni d'un coup, brisant son air rigide ; elle avait l'air d'une jeune fille naïve en réalité, l'image que l'on se forge des autres est souvent erronée. Je m'étais trompée, Lula n'était pas si froide, si adulte, elle était juste de silence, mais son visage savait s'éclairer d'espièglerie. Peut-être me trompais-je encore... Lula était une menteuse, divine menteuse...

Nous nous retrouvâmes dans un café près de la fac. Je ne savais que lui dire. Alors nous sommes restées ainsi, muettes et effarées. Nous avons laissé passer quelques minutes de silence intact où ta beauté se déployait entièrement à mon regard, puis nous avons emprunté le même chemin pour rejoindre le train.

— Je m'appelle Lula.

Lula, quelle jolie prénom, je le faisais rouler sur ma langue, mes lèvres amoureuses ; j'en rêvais : Lula, Lula, Lula... Je l'apprivoisais, il me pénétrait, tout cela comme si j'allais pouvoir dompter sa propriétaire, comme si chaque lettre correspondait à une partie de ton corps ; le L pour tes jambes, le U tes clavicules, le A ton visage. J'en suis devenue folle, petit à petit, de ton prénom et de tes courbes, de ton ombre ; toujours loin de moi, à l'autre bout de l'amphithéâtre quand il n'y avait plus de place à mes côtés, dans mes rêves, dans mes cauchemars... Tu me hantais.

Pourtant nous échangions peu de mots, nous retrouvant dans l'amphi, un sourire béat aux lèvres, et dans le café, où nous nous regardions avec crainte et espérance. Nous nous familiarisions, nous nous conquérions, nous nous cachions pour nous embrasser ; nos baisers ne requéraient aucune parole.

« Je suis un pays vierge » m'avait un jour soufflé Lula, l'air charmeuse.

Ma première fois, c'était l'horreur, je l'avais vécu comme un viol. Et Lula, quant à elle, était encore un paysage inviolé ? Me mentais-tu, mon amour ?

Chaque jour je l'aimais de plus en plus. Sa seule présence suffisait à m'apaiser.

***

Un jour tu es venue à la maison, après les cours. Ma mère n'était pas là, mon père est mort. Nous sommes allées dans ma chambre, nous nous sommes étendues sur le lit. Ta poitrine virginale s'est découverte légèrement.

— Tu es toute tendue, me dit Lula au creux de l'oreille. 

Je m'allongeais sur le ventre, elle positionnée sur mes fesses, ses mains vernis de rose aujourd'hui dans mon dos ; ses mains si belles, délicates et diaphanes, nues comme la vérité. Mensonge. Elle les passa sous mon tee-shirt et je frissonnais de froid. Mais pas seulement. Puis la chaleur s'est emparée de moi, de la pointe des pieds à la racine de ma chevelure brune. Au bout de quelques instants, quelques instants d'un merveilleux silence ponctué de notre souffle, je me suis retournée, allongée sur le dos. Nous nous sommes regardées, longuement ; mes lèvres s'humidifiaient, tes yeux brillaient, ta lueur dorée m'a prise au piège. « Mange-moi » t'ai-je dis. « Tu es si belle » m'as-tu dit en me déshabillant, « Tu es si belle » me murmures-tu encore lorsque mon corps est nu. Le tien était si beau que j'avais du mal à le regarder tant sa blancheur parfaite et lumineuse m'éblouissait. Je crois qu'en toi c'est ta peau que j'aimais le plus. Ta peau.

Nous avons fait l'amour, tendrement, d'un feu qui n'était encore que de la braise ; brûlant doucement. Nous avons fait l'amour, et je me souviendrai de ton corps à jamais.

Un jour elle n'est pas venue en cours, j'ai cru en être malade, tu me manquais.

Terriblement. Ton absence m'était effroyable.

Puis nous nous sommes retrouvées le lendemain.

Tu me quittais.

Je n'ai jamais su la véritable raison.

« Tu n'es qu'une enfant, m'as-tu-dit, j'en ai marre de toi, et puis tu sais je ne suis pas lesbienne. Sale guine.»

J'étais mortifiée, je pleurais, je te haïssais, je t'aimais, j'aurais voulu t'embrasser encore. 

« Et puis j'ai rencontré quelqu'un d'autre » m'as-tu dis, dans une dernière volonté de m'achever. Puis tu es partie. Tu m'as abandonnée.

Mes regards pleins de larmes, ta luminosité comme un rayon voilé, ton ombre lointaine ; ton absence. Mon chagrin, impérissable, immuable, tachant les miroirs de traces indélébiles.

Aujourd'hui je vis avec mon mari et mes deux garçons, je mène une vie paisible où toutes les âmes sont grises, détestable, incolore ; épouvantable sans toi. Aujourd'hui tu n'es plus là, et pourtant je pense encore à toi. Tu es en moi, et autour, partout.

Elle s'appelait Lula. Elle était merveilleusement belle.

FIN

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top