Interrogatoire

Suite d'Infiltration

Quand j'ouvris les yeux, je tombais nez à nez avec un grand homme noir qui me regardait avec un sourire carnassier, un scalpel dégoulinant de sang pointé d'un air menaçant. J'haussais un sourcil devant cette mascarade, pas impressionnée pour deux sous.

« C'est une tentative d'intimidation, dit l'homme en se reculant avec une mine dépitée. On dit que vous ressentez ni la peur ni l'amour. Je ne peux pas vérifier pour le deuxième sentiment mais on dirait que c'est vrai pour la peur. »

Je dévisageais le grand noir en me demandant où j'étais tombée. Il avait un visage des plus banal si on exceptait ses yeux rouges sang striés de veines noires. Génial, encore un Talentueux. L'elfe qui m'avait capturé n'avait pas cette couleur de yeux mais j'avais entendu dire que les autres membres de la secte partageaient cette caractéristique. J'étais assise sur une chaise, avec les poignets attachés dans mon dos. Je tirais rapidement mes liens et je me rendis compte qu'ils étaient lâches et mal attachés. Si c'était mon geôlier qui s'était occupé du noeud, il n'était pas très dégourdi. Je me gardais bien de lui en faire la remarque.

« Vous savez, reprit l'homme en posant son instrument sur une table derrière la moi, vous n'êtes pas comme tout le monde. Tout ceux que j'ai torturé, et le Sanglant m'en soit témoin j'en ai torturé un bon nombre, ont à peu près les mêmes réactions. Vous, vous êtes...
- Où est ton chef ? Le coupais-je.
- J'étais en train de parler.
- Et c'était aussi passionnant que regarder ta mère faire les trottoirs. Maintenant que je suis réveillée, tu vas chercher ton chef, petite merde inutile. »

Le Talentueux écarquilla les yeux, choqué par mes propos. En le regardant depuis que j'étais éveillée, je m'étais rendue compte qu'il était amateur. La façon de tenir son scalpel était un indice ainsi que sur le noeud inutile qui pendait sur mes mains. Pour confirmer mon hypothèse, sa façon de parler d'une expérience imaginaire. Je n'avais donc pas hésité à le provoquer, persuadée d'avoir affaire à un simple disciple sans grand pouvoir. Mais la force invisible qui me comprima la gorge me fit douter. Mon intuition se réveilla à son tour et m'apporta son avis : pourquoi m'avoir gardé en vie pour finalement laisser un sous-fifre me tuer ?

La porte en face de moi s'ouvrît brusquement et deux nouveaux hommes entrèrent. Le grand noir relâcha aussitôt la pression sur ma gorge, j'en profitais pour prendre une grande bouffée d'air, exagérant mon besoin de respirer. J'étais loin d'être en danger de mort mais je préférais me montrer plus faible que je ne l'étais. L'un des nouveau venu, un semi elfe vu les oreilles, fronça les sourcils à l'intention du geôlier.

« Brutus, qu'est-ce que tu fais ? Le seigneur nous a interdit d'y toucher.
- Techniquement, je ne l'ai pas tou... »

Pour la deuxième fois en quelques minutes, le dénommé Brutus se fit couper la parole. Mais cette fois-ci, c'était par l'épée du semi-elfe roux qui se planta dans son cœur. Le visage du grand noir redevint stupéfaction et il cracha du sang. J'observais la scène avec grand intérêt. Ainsi, j'étais précieuse. Information fort utile au vu de ma condition.

« Tu as fait trop d'erreur depuis ton introduction, dit le rouquin d'une voix menaçante. Il est temps que tu ailles servir notre dieu dans un autre monde. »

Brutus tituba vers la sortie, poussant au passage le troisième nouveau venu et disparut. Je m'apprêtais à parler quand un bruit sourd et un long gémissement se fit entendre.

« Vous avez de drôles de pratiques, commentais-je nonchalamment, sympathiques mais expéditives. »

Mes deux nouveaux gardiens braquèrent leur regard rouge et noir sur moi. Je leur offris mon plus beau sourire hypocrite et le semi-elfe soupira.

« Vous venez de rencontrer feu Brutus. Pour ma part, je me nomme Nawi et mon collègue à longs poils, c'est Bat. »

Je tournais la tête vers Bat, une créature humanoïde avec le corps couvert d'un épais pelage sombre. Ses cheveux noirs pointaient dans tous les sens, cachant à peine des oreilles hérissées de piquants.

« T'es quoi, au juste ? Je demandais à Bat. Une sorte de métamorphe coincé entre deux transformations ?
- On peut voir les choses comme ça, ricana le concerné, dévoilant au passage deux rangées de dents aussi pointues que les canines d'un vampire.
- Et donc ? Qu'est-ce que je fais ici ?
- On va venir t'interroger. »

J' hochais brièvement de la tête et regardais autour de moi. La pièce n'était pas bien grande mais étrangement raffinée. Les murs étaient fait d'une sorte de marbre rose clair et je pouvais voir des colonnes finement sculptées dans les deux coins en face de moi. Il n'y avait pas de fenêtre mais la salle disposait néanmoins d'un éclairage qui semblait naturel. La magie était à l'œuvre partout, je le sentais au fond de moi. Mon radar naturel s'alarmait, en souvenir de ce que pouvait me faire subir des êtres dotés de dons surnaturels.

« Dites moi mes braves, je demandais à mes geôliers en gardant un sourire charmant, vous avez une salle de torture bien chic. Vous êtes financés par l'archibaron en personne ? »

Les deux hommes se regardèrent et Nawi se pencha vers moi, un sourire mauvais aux lèvres.

« Le principe de l'interrogatoire, c'est que ce n'est pas le prisonnier qui pose les questions.
- J'ai cru comprendre que ce n'était pas toi qui t'en occupais. L'interrogatoire n'a donc pas commencé, je peux poser des questions. Alors ? Qui se tape le beau elfe influent ? Je parie que c'est toi, le poilu. »

Je prenais des risques, j'en avais conscience. Mais l'expérience du métier m'avait montré qu'il valait mieux être hardi que peureux. Heureusement pour moi, la chance était de mon côté car Bat explosa de rire alors que le semi elfe levait les yeux au ciel. Il allait parler quand la porte s'ouvrît de nouveau. Je reconnus l'elfe qui m'avait privé de tout contrôle sur mon corps sur la plage. C'était il y a combien de temps ? Quelques heures ? Ou bien quelques jours.

« Messieurs, il y a un cadavre dans le couloir, dit l'elfe sur le ton de la conversation. Vous seriez gentils d'aller me nettoyer ça rapidement.
- Oui, seigneur, répondirent les deux geôliers en s'inclinant avant de sortir en fermant la porte. »

L'elfe approcha une chaise et s'installa face à moi, l'air satisfait de lui. Il tenait une tasse dégageant une odeur de café et je me raidis intérieurement. Quelques semaines après avoir quitté les Tables, j'avais fait l'expérience du café. J'avais alors découvert que ça dopait mes sens mais surtout, que je ressentais beaucoup plus qu'à l'accoutumé, pas encore au niveau d'un humain mais quand même, ça m'avait chamboulé. Sur le coup, j'avais remercié tous les dieux qui m'étaient venus à l'esprit pour ne pas avoir découvert ça pendant mon séjour chez les Tables.

« Vous voilà enfin réveillée, ma chère.
- On se connaît ?
- Pardonnez moi, je ne me suis pas présenté. Je m'appelle Zari Y'frezt.
- Et en vrai, c'est Zari Zival Kel. N'est-ce pas ? »

Zari m'observa  un moment. Il devait être passé maître dans l'art de dissimuler ses pensées et émotions derrière un masque impassible mais ses yeux montraient tout ce dont j'avais besoin. Aussi, avant même que l'elfe se mette à sourire, je savais que ma vie n'était pas encore menacée.

« Ma demoiselle, nous avons beaucoup de choses à nous raconter. »

****

Jok abattit violemment son poing sur la table pour attirer l'attention de ses amis. Mano ne le regarda pas, trop occupé qu'il était à rester concentré pour ne pas vomir dans la petite cale exiguë. Aran et Alia tournèrent la tête vers lui.

« On doit faire demi-tour, s'exclama vivement le voleur, on ne peut pas l'abandonner !
- C'est pourtant ce qu'on va faire, répondit le géant qui s'était assis sur un petit tabouret pour éviter que sa tête ne touche le plafond, ça ne me fait pas plaisir mais on n'a pas le choix.
- Bien sur qu'on a le choix. Angélique le répète tout le temps.
- Parce qu'Angelique a les moyens d'assumer ses choix, coupa Alia avant qu'Aran ne réplique. Ce n'est pas notre cas. Si on y retourne, on va se faire massacrer, le collier va retourner à sa place initiale et Angélique sera morte pour rien.
- On n'en sait rien ! cria Jok. »

Il fusilla ses deux compagnons du regard. Aran lui lança en retour un regard tout aussi mauvais alors qu'Alia baissait la tête en se mordant la lèvre. Elle n'avait plus rien de la femme d'habitude à l'air froid et sûr d'elle. Maintenant, elle ressemblait à une enfant au bord des larmes. Aran avait aussi changé, troquant son sourire joyeux contre un rictus de tristesse et de colère. Il s'en voulait de n'avoir rien pu faire, coincé sur le bateau, obligé de les regarder, impuissant. Mais pire, il en voulait beaucoup plus à Jok d'avoir été aussi inutile. Il aurait dû se battre avec Angélique et Mano. Aussi, il fulminait encore plus de voir cet incapable croire qu'il pouvait sauver son amie des griffes des êtres les plus puissants d'Androz.

« Elle a survécu pendant des années à des assassins complètement fous, reprit Jok une fois que tout le monde fut plus ou moins calmé. Elle survivra à ça aussi. Mais elle aura besoin de nous pour s'échapper.
- Tu réfléchis un peu ? S'emporta Aran, supposons qu'elle soit toujours en vie, on ne sait même pas où elle est retenue prisonnière ! Elle peut aussi bien être dans un grenier du Marché Noir que dans une baraque d'Archelia. Ou pire, dans le foutu manoir de Zival Kel.
- On a le collier, c'est suffisant. Les Talentueux ont un lien avec l'archibaron. Si on va le voir pour négocier, on peut... »

Il fut interrompu par un grognement bestial sortant de la gorge de Mano. Son visage était verdâtre et il agrippait fermement la table. Malgré sa sale mine, son regard lucide montrait qu'il n'avait rien perdu de la conversation. Il dégaina tant bien que mal son couteau et le planta au milieu du collier, coinçant la lame dans une maille en or.

« Ce collier ira dans les mains du marchand qui a proposé le contrat à Angel, dit posément Mano, je tue quiconque s'y oppose. »

Il braqua son œil valide sur Jok, le mettant au défi de s'emparer du bijou. Ce dernier tremblait de rage mais ne bougea pas, sachant pertinemment que malade ou non, le demi loup lui trancherait la gorge avant même qu'il n'est sorti son épée. Il se leva le plus dignement possible et sortit de la pièce. Le sujet était clos.

« Je vais annoncer notre destination au capitaine. »

Alia disparut plus vite que nécessaire. Aran jeta un dernier coup d'œil au borgne aux cheveux gris sombre et sortit à son tour, pour s'assurer que les hommes du capitaine ne s'approchait pas trop de la télékinésiste.

****

« Quel impoli je fais, je ne vous ai même pas proposé un rafraîchissement. Souhaitez vous un thé, un café, quelque chose de plus fort ?
- Trop aimable. Je ne veux rien, si ce n'est une explication sur ce comportement. J'ai rarement était aussi bien traité en tant que prisonnière. Mais soyons honnêtes, je ne m'en plains pas. »

Zari rigola et touilla son café. Le bruit de la cuillère en porcelaine sur la tasse du même matériau me brisait les tympans. Néanmoins, je restais impassible, attendant de comprendre pourquoi cet elfe était aussi serviable.

« Vous êtes pressée ? Nous avons le temps, voyons. Et puis, vous n'êtes pas prisonnière mais invitée.
- Pourquoi suis-je attachée dans ce cas ?
- A d'autre ! pouffa Zari, vous n'allez pas me faire croire que ce petit noeud va vous retenir. Vous êtes Poison de vipère, tout de même.
- Ma réputation a atteint les maisons bourgeoises ? Demandais-Je en ricanant, je suis flattée. »

Je réprimais un mouvement de recul quand Zari posa une main sur ma joue et me couva d'un regard affectueux.

« Ma chère, vous êtes connue partout sur cette planète. Mais pour être honnête, je suis votre plus grand admirateur. Parlez moi de vous.
- Si j'ai pas envie ?
- Je vous torture pour le plaisir car vous m'aurez brisé le cœur. »

Le choix aurait dû être vite fait mais mon instinct s'était emballé dès que mon regard s'était posé sur lui. Il était dangereux. Très dangereux. Et il le savait pertinemment. Mais surtout, il me mettait mal à l'aise, notamment à cause de l'odeur de café qui restait dans la pièce. Pourquoi s'intéressait-il à moi ? Pourquoi me garder en vie puisque le collier n'avait pas l'air de l'intéresser ? J'avais trop de questions et je pouvais peut être les obtenir. J'optais donc pour lui raconter une histoire en carton.

« Je suis née au Marché Noir il y a maintenant trente ans et je...
- Cessez de me mentir, me coupa Zari, d'un air mécontent.
- Pourquoi me demander de raconter ma vie si tu la connais déjà ?
- On se tutoie ?
- Je vouvoie les personnes qui le méritent. Et puisque ma vie t'intéresse tant, je n'ai vouvoyé qu'une personne en vingt-et-un ans d'existence. Je ne dirais rien de plus tant tu n'auras pas répondu à mes questions. »

Zari haussa un sourcil et but une gorgée de café, le petit doigt dressé en l'air. Il prit le temps de savourer sa boisson en tapotant la soucoupe. Je sentais une présence dans mon corps, une légère pression sur mes muscles. Même mon sang semblait circuler plus vite.

« Vous saviez que votre hémoglobine est différente de celle d'un humain ? Reprit Zari après m'avoir inspecté intérieurement, c'est étrange, vous ne trouvez pas ? Il est plus dense, plus sombre aussi. Presque visqueux quand il coule. »

J'haussais les épaules avec un air parfaitement calculé de perplexité. Évidemment que je le savais, rien chez moi n'était humain. Ni la couleur de mes cheveux et de mes yeux, ni ma composition. C'est à peine si j'avais hérité de quelques gènes de mon père. Les Raash sont des guerriers et cela se retrouvait même dans la composition génétique : le patrimoine génétique raash priment sur le patrimoine génétique humain.

« Vous n'êtes pas décidée à me parler de vous, n'est-ce pas ?
- C'est peut être un peu trop tôt, non ? Répondis-je en souriant.
- Soit. Je vous propose un petit jeu : je pose une question et vous m'en posez une en retour. Ça vous va ? »

Je fis tomber les liens qui entouraient mes poignets et m'installais confortablement en croisant les jambes. Il était inutile de feindre, il avait déjà remarqué que ce noeud ne servait à rien. Je lui fis signe de débuter le "jeu".

« Comment avez vous deviné ma filiation avec l'archibaron ?
- Tu as les mêmes grains de beauté sous les yeux que lui.
- Vous êtes observatrice. A vous, ma chère.
- Qu'attends-tu de moi ? »

Zari retira son béret et le posa sur ses genoux. Tout en tenant sa soucoupe d'une main assurée, il passa l'autre dans ses cheveux jade. Après avoir remis en place quelques mèches, il se recoiffa de son couvre-chef et daigna enfin me répondre :

« J'ai une mission pour vous. Vous allez l'accepter car sinon, vous mourrez.
- En quoi consiste cette mission ?
- Non, ce n'est pas à vous de jouer.
- Allez vous faire foutre ton jeu et toi. »

Je n'avais pas élevé la voix mais mes yeux étaient rivés sur les siens. Il se recula instinctivement et, quand il se rendit compte de son geste, se ressaisit en reprenant son air sûr de lui. Mais le masque était fissuré. Je pris conscience du changement d'atmosphère et je manquais vomir. Cette faculté à intimider par les yeux...non, ce n'était pas possible. Mon métissage sanguin avait des limites.

« Vous allez vivre quelques temps dans le château privé de la famille Quiezam Ab Thira. Je vous expliquerais là bas votre mission. »

La famille Quiezam Ab Thira ? L'ancienne famille qui régnait sur l'Archelia d'antan ? Archelia qui englobait encore l'immense partie qu'était maintenant le Marché Noir ? Même si le dernier roi avait été exécuté il y a des siècles, cette famille n'avait pas disparue et restait encore très prospère. Je ne laissais rien paraître, me contenant de prendre un air intéressé.

« Rien que ça ? Je dois prévoir mes habits de bal ?
- Tout vous sera fourni, me répondit très sérieusement Zari. »

On se fixa un moment en silence. J'essayais de détecter le piège mais il me manquait trop d'informations. Mais, le goût du risque étant gravé en moi, j'avais terriblement envie de foncer tête baissée dans cette aventure. C'est donc en prenant l'air le plus neutre possible que je répondis :

« Je suppose que si je refuse, tu vas encore dire que je t'ai brisé le cœur. J'en serais très triste. Quand est-ce qu'on part ? »

Zari eut son premier sourire sincère depuis notre rencontre. Il me tendit la main. Je la pris et il me releva. Il passa une mèche de mes cheveux derrière l'oreille.

« Nous partons maintenant, très chère. Et croyez moi, vous ne le regretterez pas. »

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