Chapitre 29



Une fois sûre que tout était prêt, Liya ouvrit le plus discrètement possibles la porte de la cuisine dans l'espoir de son montrer le plus invisible possible. Mais quand ses yeux se portèrent sur son patron, un hoquet à peine voilé quitta ses lèvres qu'elle s'empressa de refermer.

Habituée à le voir dans ses djellabas immaculées, Liya reçut presque un choc de le découvrir dans une chemise blanche épousant les formes impressionnantes de ses muscles. Il ressemblait à un homme d'affaire impitoyable et terriblement intimidant.

- Miss Gray ? Avez-vous fini ?

Liya déglutit péniblement, hésitant à rebrousser chemin. Elle se sentait idiote et négligée dans cette tenue alors que la belle Chléo portait une robe de soie, comme si le cheikh pouvait la voir afin de la complimenter sur sa toilette. Son regard tomba sur les couverts dressés sur la table et réalisa qu'il était sérieux quant à son exigence de la savoir à table avec eux.

Impossible !

- Oui, finit-elle par répondre la gorge serrée.

- Alors venez nous rejoindre.

Sa voix fut froide, impénétrable. Le regard de sa maitresse devint subtilement intimidant comme si elle essayait de lui faire passer un message.

Celui de s'en aller.

- Je préférais m'occuper du service, je mangerais après.

- Je crains fort que ce ne soit pas possible.

- Allons Zhayar laisse donc ta servante faire comme bon lui semble.

Stupéfaite, blessée par la dureté de ces mots Liya demeura interdite, désireuse de s'enfoncer dans le sol pour disparaître.

- Liya n'est pas ma servante elle est mes yeux, rectifia le cheikh froidement ; Aussi j'exige qu'elle reste.

Liya se pinça les lèvres, ignorant le regard sévère du cheikh et s'approcha de la table pour venir tirer sa chaise.

Zhayar inspira imperceptiblement et sentit l'odeur de la jeune femme lui monter au nez. Voilà des heures qu'elle était enfermée dans cette cuisine sans en sortir comme si elle le fuyait. Depuis des heures il ressentait une colère palpable se figer dans ses veines, seulement il ignorait contre qui celle-ci était dirigée.

Contre son ancienne maîtresse qui tentait vainement de le soudoyer avec des explications entêtantes ou contre Liya qui osait constamment le défier ?

Comment était-elle ? Là tout de suite ?

Le craignait-elle ?

Regrettait-elle son idée stupide de le jeter dans les bras de Chléo en laissant supposer qu'il avait besoin de sa compagnie ?

Inutile de nier, le plaisir charnel lui manquait affreusement mais pas au point de songer à soulager son abstinence avec son ancienne maîtresse.

A peine fut-elle assise qu'il l'entendit se lever précipitamment en marmonnant quelque chose d'inaudible. Plus loin, il entendit la porte de sa cuisine s'ouvrir à la hâte. A sa gauche il pouvait entendre les soupirs de son ancienne maîtresse se faire plus insistant. Inutile pour lui de creuser plus loin pour comprendre que la présence de Liya à leur table l'agaçait. Zhayar n'avait pas aimé la façon dont elle l'avait traitée, la réduisant à un statut de servante...une chose qu'il ne s'était jamais permis avec son propre personnel.

La jeune femme était-elle blessée ?

Pour en avoir le cœur net, Zhayar s'apprêta à se lever avant de l'entendre revenir sur ses pas.

- J'ai oublié les entrées, murmura-t-elle si doucement qu'il eut peine à distinguer les émotions dans sa voix qui auraient pu l'aiguiller sur son état d'esprits.

Elle déposa l'assiette devant lui, prenant le soin de lui indiquer qu'elle avait déjà tout couper pour lui faciliter la tâche, une attention toute particulière qu'il releva aussitôt.

- Merci Liya, c'est très prévenant de votre part.

Zhayar se voulait attentionné pour une seule raison.

Apaiser la jeune femme des paroles blessantes que lui avait tenues Chléo.

Tandis que Liya se rasseyait en face de Chléo, le cheikh glissa prudemment sa main en direction de son verre pour boire une légèrement gorgée de vin. L'ambiance était glaciale et Liya ignorait si c'était sa présence non souhaité à l'origine de ce silence presque agaçant.

- Dites-moi mademoiselle Gray, qu'est-ce qui a bien pu pousser une jeune femme à partir si loin de l'Amérique pour occuper une place si délicate au sein d'une royauté.

Liya fut tentée de répondre que cela ne la regardait pas mais se résigna à toutes formes d'impolitesses à son égard. Après tout cette femme représentait bien plus d'importance qu'elle pouvait en avoir dans ce monde baigné d'opulence. Combien de temps pouvait-elle mettre pour nuire à sa réputation, afin de l'empêcher de trouver un nouvel emploi une fois rentrée chez-elle ? Ne l'avait elle pas fait jadis il y a deux ans avec une employée d'un hôtel parisien ?

Oui Liya s'était rapidement employée à faire quelques recherches sur cette créature aux ongles acérés et les informations qu'elle avait pu récolter ne lui inspiraient pas confiance.

- Je voulais voyager et il se trouve que j'avais impérativement besoin de cet argent.

- Liya est absolument parfaite pour ce travail, je n'ai qu'à m'en féliciter, intervint le cheikh d'une voix ferme.

- Je n'en doute pas, répondit-elle en lui décochant un sourire faussement amical ; J'étais juste curieuse, vous m'avez l'air si jeune ! Vos parents n'ont pas eu peur de vous laisser partir seul ? Sans même parler la langue ?

Liya se mordit l'intérieure de la joue pour faire passer les maux douloureux qui lui nouaient la gorge. Cette femme savait parfaitement que le cheikh ne voyait pas, ainsi elle s'employait à l'intimider de ses regards méprisants tout en gardant une voix chaleureuse. Un moyen stratégique de laisser entendre qu'elle se montrait d'une grande politesse à son égard.

- Je suis assez vieille pour prendre mes décisions seule madame Stasson, quant à la langue, elle ne me fait pas défaut quand je dois échanger avec son altesse, puisque la plupart du temps je parcours son corps pour panser ses blessures.

Liya marqua une pause dans laquelle le cheikh faillit s'étouffer avec son vin, mettant son poing devant la bouche, un éclair amusé dans les yeux.

- Je n'ai pas besoin de parler pour ça, n'est-ce pas votre altesse ? Juste de mes mains...

Chléo Stasson s'empourpra de colère et de honte mêlées alors que Liya lui esquissait son plus beau et faux sourire de tous les temps.

- En effet, affirma enfin le roi d'une voix étrangement mystérieuse et basse ; Mademoiselle Gray n'a guère besoin de parler ma langue pour exécuter son travail.

La tête baissée dans son assiette, Liya poursuivit le repas en espérant que sa réplique soit suffisante pour que l'attention ne soit plus dirigée vers elle. D'ailleurs elle s'étonnait même de sa propre audace. Le cheikh lui pardonnera-t-il une telle conduite ?

Timidement elle leva son regard sur lui alors qu'il écoutait son ancienne maîtresse lui raconter les derniers potins des magnats de la finance, des hommes d'affaires puissants et de ceux en faillites. Instinctivement elle se surprit à retenir son souffle. Ses mâchoires étaient contractées et son regard bleu foncé comme les profondeurs des océans était baissé sur la nappe immaculée. Elle s'empressa de détourner la tête lorsque les yeux de Chléo se tournèrent vers elle. Celle-ci poussa son assiette sur le côté, lui faisant signe qu'elle avait terminé. La bonne âme de Liya se réveilla, elle se leva pour débarrasser la table, peinant à couvrir le bruit des couverts qui s'entrechoquaient dans la vaisselle. Ce qui n'échappa pas au cheikh qui leva la tête, sourcils froncés. Liya ne lui laissa pas le temps de lui poser une question, elle se dirigea vers la cuisine et s'y réfugia pour évacuer toutes ses émotions contradictoires.

Une fois ressaisie elle prépara la suite en faisant fi de cette voix aiguë et désagréable qui l'empêchait de se concentrer sur la suite.

Ses rires cristallins devenaient de plus en plus irritants.

Avec une touche particulière, Liya découpa le poulet du cheikh et plaça les olives sur le côté droit de l'assiette pour laisser l'espace nécessaire afin d'y mettre les pommes de terre.

Pour ce qui est de l'assiette de Chléo Stasson, Liya la servit salement sans prendre le temps de dresser l'assiette.

De retour au salon, Liya exécuta le service sans tremblement.

- Les olives sont sur votre droite, les pommes de terre à votre gauche votre altesse, annonça-t-elle tout bas en espérant qu'il l'ait entendu.

- Merci Liya, murmura-t-il d'une voix énigmatique.

Liya inspira profondément, résignée à écouter les dires inintéressants de la féline. Seulement très vite Liya remarqua que le cheikh avait les doigts crispés au rebord de la table. Après un rapide coup d'oeil elle s'aperçut que les couverts et le verre du cheikh avait changé de position. Plus rien ne semblait à sa place. Elle comprit à cet instant que cette femme qui débitait un flot de d'absurdités à la minute n'avait rien assimilée de la situation ni même tenter de comprendre les habitudes très précises de l'homme en bout de table. Le cœur serré Liya savait qu'il ne bougerait pas et qu'il ne tenterait même pas de chercher ses couverts pour sauver son honneur et sa fierté.

Alors elle remit tout en place, gardant le souvenir d'une symétrie parfaite et lui glissa discrètement la fourchette entre ses longs doigts musclés.

Il referma son pouce sur ses phalanges en guise de remerciement et Liya sut qu'elle était pardonnée...

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