LE PIÈGE (partie 2)
Elle s'assit sur la passerelle et regarda un moment le yokai se démener contre les parois avec des grognements abjects. Peu à peu, le bruit et l'agitation diminuèrent. Bientôt, il sembla que la corbeille était vide. Entre les mailles d'osier on ne voyait plus rien remuer.
« Parle ! Je sais que tu en es capable, je t'ai entendu chanter ta chanson, l'autre soir ! Inutile de jouer au plus malin avec moi. »
Elle avait prononcé ces mots de sa voix la plus autoritaire, dont elle usait rarement et, par conséquent, ignorait l'effet. Pas de réponse. Son ventre et ses cheveux lui faisaient encore mal. Il allait falloir insister.
« Tu ne sortiras pas tant que tu ne m'auras pas dit ce que tu veux. J'ai tout mon temps, j'ai beaucoup de travail, je te laisse réfléchir. Je reviendrai te voir ce soir. »
Elle fit mine de se lever.
« Non ! » retentit la voix aigrelette qu'elle avait entendue dans le Jardin de Pierre. Elle se retourna vers la corbeille, à l'intérieur de laquelle, phosphorescent, la scrutait un œil unique.
« J'écoute. Pourquoi me suis-tu comme ça ? Qu'est-ce que tu me veux ?
— Ce n'est pas toi que je cherche. Te crois-tu si importante ? C'est celle qui vient la nuit dans ton jardin t'apporter de la nourriture.
— Celle... ? (ainsi c'était une femme !) Tu la connais ? Qui est-elle, pour toi ?
— Nous autres, esprits, ne sommes pas très différents de vous. Nous cherchons ce qui nous manque. C'est ce qui nous fait rester. Ceux qui ne cherchent plus rien dans ce monde passent dans l'autre.
— Et toi, qu'est-ce qui t'a fait rester ?
— Tu ne le devines pas ?
— ... une jumelle ! L'autre sandale ?
— Oui. J'ai une autre moitié, quelque part, encore, peut-être. Je veux la retrouver. Et celle qui vient visiter ton jardin la nuit, c'est à elle que nous appartenions. Peut-être sait-elle où la trouver. Peut-être même voudra-t-elle me reprendre.
— Te reprendre ?
— Elle m'a abandonnée dans sa maison quand elle l'a quittée, il y a des années. À l'époque, je ne pouvais pas encore bouger. Dès que j'en ai été capable, je suis venue ici. Elle parlait de ces jardins depuis longtemps, je savais que c'était ici qu'elle viendrait.
— Quel âge as-tu ?
— Je l'ignore. Plus de cent ans, car c'est l'âge auquel les objets se transforment en esprits.
— Et elle, quel âge a-t-elle aujourd'hui ?
— Elle est plus jeune que moi. Elle nous avait héritées de sa mère, ma sœur et moi. Mais elle est beaucoup plus vieille que toi.
— Et les autres yokai qui se trouvent ici, les as-tu rencontrés ?
— Oui, ils sont dans le Jardin des Esprits. La barrière que forment les mages autour de lui est difficile à franchir, mais ceux d'entre nous qui sont suffisamment petits peuvent trouver des endroits où la traverser. Elle est moins efficace qu'autrefois. Et toi, pourquoi me poses-tu toutes ces questions ? Tu vas me laisser sortir, à la fin ?
— Écoute... Moi aussi, je veux la retrouver. Je veux savoir qui elle est, et pourquoi elle m'apporte ces victuailles. Je vais t'aider. Si je parviens à la rencontrer, je lui parlerai de toi. Je lui demanderai si elle veut bien te reprendre, et si elle sait où est ton autre moitié. Qu'en dis-tu ? »
L'œil rivé sur elle la sonda en silence.
« Bah ! Vous, les vivants, que valent vos promesses ? Vous ne reconnaissez la valeur des choses qu'après les avoir perdues, et vous n'êtes jamais que de passage, si peu de temps !
— Pourquoi ne pas essayer ?
— Qu'est-ce que tu aurais à y gagner ?
— Je veux des réponses. Je veux comprendre ce qui se passe dans ces jardins. Et peut-être que j'obtiendrai des réponses pour toi aussi.
— Peut-être. Et si tu me sortais de là ?
— C'est tout ce qui t'intéresse, n'est-ce pas ?
— Les vivants pensent vite. »
Amusée par cette conversation à bâtons rompus avec une vieille chaussure décatie, Sakura prit son air le plus solennel pour procéder à sa libération, car, après tout, il fallait afficher la dignité des vainqueurs généreux. Elle abaissa un peu le treuil pour détacher la corbeille du plafond. Dès que cela lui fut possible, le yokai souleva sa cage d'osier et la fit basculer dans le vide, avant de sauter sur la corde et de la descendre à toute vitesse.
Elle le regarda filer, assez contente de la tournure qu'avaient prise les évènements. Elle en savait un peu plus sur les choses étranges qui se passaient dans les Jardins. Et, si elle ne venait pas tout à fait d'y gagner un allié, elle y comptait probablement un ennemi de moins.
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