DEUX FORMES D'AIDE (partie 2)

« Je voudrais seulement rentrer chez mon maître et reprendre mon travail.

— C'est tout ? Réfléchis bien, n'y a-t-il rien que tu souhaiterais posséder ?

— Les choses que je désire ne sont pas de celles qui se possèdent.

— Dans ce cas, n'as-tu pas un ennemi, quelque part, dont tu aimerais être débarrassé ?

— M'avez-vous bien regardé ? Je ne suis qu'un humble apprenti jardinier, inconnu de tous. Il faut être quelqu'un pour avoir des ennemis.

— Tu en es bien sûr ? Tout le monde a au moins un ennemi, qu'il ignore le plus souvent. Soit ! Passe ton chemin si c'est ce que tu veux, mais sache que je tiens mes hommes à ta disposition. Nous autres, voleurs, ne possédons rien en propre, mis à part notre parole. Si tu as besoin de nous, nous serons là. »

Les bandits s'écartèrent et le laissèrent passer entre eux, redoutant encore un coup de poignard impromptu. Ils étaient déjà assez loin derrière lui quand, tout à coup, il s'arrêta et se retourna.

« Hanzo ! »

Le chef, qui n'avait pas bougé, l'écoutait avec attention.

« Il se peut que j'aie un ennemi.

— Qui est-ce ? Où peut-on le trouver ?

— Ce n'est pas un être humain... Il y a un animal qui s'introduit la nuit dans le jardin de mon maître et détruit ce lotus que je consacre mon existence à protéger. Je le veille jour et nuit, mais parfois je m'épuise et m'endors sans le savoir. C'est alors que cette maudite bête en profite pour réduire à néant mon travail.

— Es-tu en train de me demander de capturer un lapin ? demanda Hanzo tandis qu'un rire moqueur courait parmi ses hommes. Incapables de comprendre, songea Taishiro.

— Ou un renard, ou un tanuki, je n'en sais rien. Si je le pouvais, je le tuerais de mes propres mains, mais je ne peux rester éveillé en permanence, c'est une tâche trop difficile pour un seul homme. Si l'un d'entre vous pouvait... disons, m'assister, certains soirs, quand je serai trop fatigué... prendre le relais pendant une heure ou deux... »

Hanzo s'approcha et le scruta en plissant les yeux, comme pour considérer un insecte exotique qu'il n'eût encore jamais vu.

« Comment t'appelles-tu ?

— Kuroiwa Taishiro.

— Écoute-moi bien, Taishiro. Il y a deux façons de t'aider. Je vais d'abord te proposer l'aide dont tu as réellement besoin, mais je sais que tu la refuseras. Je te donnerai alors celle que tu demandes. Tu es un bien étrange jardinier, et cette fleur, je le vois, te consume comme le feu l'étoupe. Tu as les yeux cernés de noir, tu es maigre et maladif. Tu es sous l'emprise d'un désir fou que rien ne peut assouvir, et qui te mène à ta perte. Ce qu'il te faut vraiment faire, c'est abandonner cette chimère et concentrer tes désirs sur des objets que tu peux atteindre. Personne en ce monde ne peut réussir ce que tu as entrepris. Comprends-tu ?

— Oui, mentit Taishiro qui sentait sa gorge se serrer.

— Je vois dans ton regard que tu ne renonceras pas à la folie qui t'habite, mais je voulais te mettre en garde, car il semble que ton maître, pour des raisons qui le concernent, ait choisi de l'ignorer. Je vais maintenant te donner l'aide que tu demandes. Le soir où tu te sentiras trop fatigué pour mener à bien ta mission, tu déposeras un galet blanc au sommet du mur d'enceinte du jardin. À ce signal, j'enverrai un de mes hommes te relayer. Il escaladera le mur et viendra se poster à tes côtés pour que tu puisses te reposer. S'il voit passer l'animal, il le capturera.

— Je veux qu'il le tue, quel qu'il puisse être.

— Tu es bien atteint pour vouer une telle haine à un misérable lapin affamé. Mais si c'est ce que tu veux... »

Hanzo et sa troupe se retirèrent. Sonné, Taishiro regagna la maison en titubant. Un sentiment de honte écrasante l'envahit, comme s'il venait de faillir à sa tâche, comme s'il avait capitulé. C'était sa mission, à lui seul. Il avait été faible. Qu'est-ce qui lui avait pris de se confier à ces bandits de grand chemin, de s'abaisser à implorer leur aide ? Il ne méritait pas de réussir. S'il devenait assez veule pour demander à quiconque de faire son travail à sa place, il ne méritait que l'opprobre. Il prit la décision de ne jamais poser de galet blanc sur le mur. Un moment de relâchement, lié à la fatigue et au découragement, voilà tout. C'était compréhensible, dans l'état où il se trouvait. Il s'était repris juste à temps. Il allait se remettre à l'ouvrage, comme si rien de tout ceci ne s'était produit, il allait oublier ces truands au grand cœur, leurs discours ineptes et la balafre qui lui semblait s'être transposée du visage de leur chef à l'intérieur même de son esprit.

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