Après avoir quitté le tribunal, échappé aux journalistes, Savana restait silencieuse dans la voiture, songeant au lendemain. Elle reprit conscience lorsque Arik prit une route différente et qui ne menait pas à l'hôtel.

- Tu t'es trompé Arik, lui fit-elle remarquer en se tournant vers lui.

Dans la pénombre, il avait un tout autre visage. Grave, davantage ciselé dans cette nuit si silencieuse.

- Si tu le veux bien habibti, j'aimerai passer à l'hôpital pour qu'un obstétricien t'examine avant demain.

- Je vais bien Arik ce n'est pas nécessaire.

- J'ai besoin de savoir Savana, réfuta Arik en tournant brièvement la tête vers elle ; Ta tension, le bébé, j'ai besoin de m'assurer que tout va bien.

Savana acquiesça sans un mot. Car au fond d'elle, Savana avait elle aussi besoin de savoir si son bébé allait bien. Elle avait besoin d'entendre le cœur de son bébé rien qu'un instant pour se donner du courage.

- Veuillez vous installer madame je reviens dans quelques minutes, avait dit le médecin pour revenir quelques minutes plus tard en souriant.

- À combien de semaine êtes-vous ?

- Seizième aujourd'hui.

Le médecin parut étonné.

- Eh bien c'est un sacré bébé que nous avons là !

- Ma femme mange très peu, précisa Arik piqué par la remarque qui lui semblait totalement dérisoire.

Le sourire chaleureux du médecin venait de s'évanouir. Savana souleva son pull et débardeur pour qu'il applique le gel.

- Voyons voir ça, dit le Dr en passant la sonde sur son ventre.

La main ferme de son mari se referma sur la sienne, les yeux rivés sur l'écran. Dès lors que le cœur de leur enfant inonda la salle de petits battements, Savana sourit faiblement et tourna enfin la tête vers l'écran.

- Il m'a l'air en pleine forme, nota le Dr en tournant l'écran un peu plus vers lui.

- J'aimerai connaître le sexe de notre bébé, exigea Arik hâtivement.

- Tu es sûr ? Demanda-t-elle en se tournant vers lui.

- Tu n'as pas envie de savoir ? S'enquit-il en caressant ses cheveux.

- Je...ne sais pas...balbutia Savana en clignant rapidement des yeux ; Je ne sais pas comment ça fonctionne, c'est la première fois pour moi.

Une froide lueur traversa les yeux d'Arik. Il profita de déposer un baiser sur son front pour masquer la haine qui naissait dans ses yeux.

- Oui, je veux savoir, dit-elle enfin après une brève hésitation.

Savana se pinça les lèvres en regardant l'écran. C'était la première fois qu'elle pouvait jouir de voir son bébé grandir en elle...enfin. Savana trouva dans ce moment quelque chose d'unique et d'intense. Après cette journée éprouvante, elle avait besoin d'un moment de bonheur.

- Attendez juste un moment que je trouve...

Le Dr cherchait en vain le sexe de leur bébé. Il fronça des sourcils ce qui ne manqua pas au regard d'Arik.

- Il y a un problème Dr ? S'enquit-il d'une voix grave...si grave que le docteur riva son regard dans le sien.

Ça y est...Savana vit la pièce se rétrécir. Son cœur se mit à battre si rapidement qu'on n'entendait plus le cœur de leur bébé.

- Il n'y aucun problème...

- Alors pourquoi vous mettez un temps infini à nous dire si c'est une fille ou un garçon ?

Le Dr esquissa un sourire en les regardant tour à tour.

- Parce que votre femme fait une grossesse gémellaire bichoriale biamniotique.

Arik cilla, incrédule devant cette phrase dont les termes lui paraissaient extrêmement inquiétants.

- Ce qui signifie ? S'enquit Arik d'une voix impatiente.

- Ce qui signifie que vous attendez des faux jumeaux.

Abasourdie Savana se redressa sur le coude en secouant négativement de la tête.

- Vous mentez ! S'écria-t-elle prise d'une bouffée de panique.

Consciente d'avoir manqué de respect, elle porta sa main à sa bouche le regard désolé. Deux enfants ? Deux bébés ? Une partie d'elle était prise de joie et l'autre submergée par l'angoisse.

- Je suis formelle madame, affirma le médecin en portant son index sur l'écran.

La voix d'Arik lui parut soudainement loin...extrêmement loin. Seul un écho lui permettait de savoir qu'ils parlaient entre eux. Penché au-dessus d'elle, Arik étudiait l'écran avec un lueur inquiète dans le regard fatigué. Rien ne lui permettait de déterminer s'il était heureux.

- Elle doit affronter un moment éprouvant demain, dois-je m'inquiéter ? Annuler ? Demander un renvoi du procès ?

Arik savait qu'il était en train perdre pied et inspira bruyamment pour se reprendre.

- Je regarde les infos, confia le Dr avec un mince sourire ; Tout ira bien, mais dès votre retour à Dahazar veillez à ce que son obstétricien soit au courant.

- Est-ce une erreur de sa part ? Demanda-t-il en baissant les yeux sur Savana pour s'assurer qu'elle avait accusé le choc.

Un léger sourire rêveur trompait son regard rivé sur le mur de la pièce.

- Aucune, c'est dans cette période que l'on peut déterminé ce genre de grossesse.

Arik ferma brièvement les yeux.

- Du coup vous voulez savoir les deux sexes ?

Arik baissa son regard sur sa femme qui agitait énergiquement sa tête tout en allongeant sa tête sur le tissu rêche.

Exalté intérieurement, Arik peinait encore à y croire avant que l'écran lui révèle la présence de deux fœtus. Un miracle ! Une récompense des cieux ? La fin d'une longue et épuisante bataille contre le sentiment d'être persuadé qu'aucun bonheur pourrait atteindre son cœur si meurtri depuis tant d'années.

- Garçon et fille, annonça-t-il enfin.

Une joie indicible transperça son cœur.

- Je crois qu'il va falloir changer le communiquer, murmura Savana avec un sourire en coin.

Plongeant son regard dans le sien, Arik remarqua que l'un l'autre étaient comme prisonniers d'une joie contenue. Leur bonheur n'éclaterait pas ce soir ni demain mais quand ce procès sera définitivement terminé. Il posa tout de même ses lèvres sur les siennes, notant qu'elles étaient froides.

- Prenez ceci avec vous, matin et soir, déclara le Dr en lui donnant une boîte.

- Qu'est-ce que c'est ? S'informa Savana.

- Des vitamines, mélangez un cuillère à soupe avec du jus d'orange ; madame, il est important que votre alimentation soit plus...riche.

Arik souffla un juron inaudible.

- Comptez sur moi pour m'en assurer, déclara-t-il en l'aidant à mettre son manteau.

- Merci pour tout docteur.

En regagnant la voiture, Savana prit conscience qu'elle devait se guérir de ce mal qui la rongeait. Pour le bien de ses bébés elle allait devoir s'occuper de sa santé. Arik serait intransigeant et elle le comprit aussitôt rentré à l'hôtel. Tout en marchant comme un lion sauvage, téléphone suspendu à l'oreille, il reçut un maître d'hôtel, pénétrant dans leur suite avec un chariot. Sans doute les hormones, pensa-t-elle quand des larmes lui montèrent aux yeux.

Avec une révérence obséquieuse, le maître l'hôtel annonça le menu avant de quitter la suite. Troublée par toutes les attentions que lui témoignait Arik, elle vint jusqu'à lui et lui prit son téléphone des mains pour couper la communication.

- Tu devrais de ta calmer, lui conseilla-t-elle en posant ses mains sur ses avant-bras.

- Comment pourrais-je, dit-il sur un ton précipité tout en posant sa large main sur son ventre ; S'il devait t'arriver le moindre mal...

Savana posa son index sur sa bouche et traça le sillon de sa balafre mordorée.

- Il ne m'arrivera rien...murmura-t-elle en cherchant son regard porté sur son ventre.

Peinant à ne pas se sentir troublée par son parfum viril, Savana lui prit la main pour qu'il vienne s'installer autour de la table. Chaque petit instant avec lui était unique. Arik n'était pas seulement l'homme que n'importe quelle femme s'arrachait, il était le personnage du livre.

Son livre.

- Je peux te poser une question ? Lui avait-elle demander en beurrant son pain griller.

- Tu peux me poser toutes les questions que tu veux.

- Avant de me rencontrer est-ce que tu voulais des enfants ?

En posant cette question Savana s'attendait à le voir se rembrunir mais au lieu de ça, il ébaucha un sourire en coin puis répondit ;

- Tu mérites une réponse franche et honnête, commença-t-il sur un ton doux ; La réponse est non.

Curieusement sa voix profonde l'apaisa.

- Pendant la guerre, lorsque j'étais dans le désert, j'ai beaucoup réfléchi à l'avenir du pays et au mien. Être roi nécessite beaucoup de sacrifices.

Attentive, Savana pinça ses lèvres.

- Avant de te rencontrer pour moi l'amour était un sentiment de faiblesse qui pouvait nuire, influencer sur les décisions que j'avais à prendre.

- Tu fais référence aux choix de ton père ? Osa-t-elle demander.

Rien ne manquer à sa vigilance, constata-t-elle lorsqu'il tendit son bras pour lui servir une autre portion.

- Pas seulement mais en partie oui, répondit-il le regard subitement plongé dans le vide ; quand je suis rentré de la guerre et qu'il y avait toutes ces personnes autour de moi, un sentiment s'est emparé de moi.

- Lequel ?

- La solitude, répondit-il aussitôt en arrimant son regard dans le sien ; Il y avait des centaines de milliers de personnes autour de moi et j'avais le sentiment d'être seul.

Émue, Savana se leva pour venir s'installer sur ses genoux. Son bras d'acier entoura sa taille.

- Puis je suis resté de long mois enfermé dans mes appartements, complètement plongé dans le noir, osant à peine regarder mon reflet dans le miroir. C'est à ce moment précis que j'ai décidé que je n'aurais pas d'enfants ni femme.

La seconde suivante il lui décrocha un regard brûlant.

- Puis tu es arrivée, chuchota-t-il avec un sourire sensuel au bord des lèvres ; Toi, petite enchanteresse qui abrite des animaux sauvages...

Elle gloussa en se rappelant l'épisode du faon. À ce moment précis, Savana se souvenait encore avoir senti son cœur palpiter...si vite si fort...

- Tu m'as regardé comme aucune ne l'avait fait jusque-là, reprit-il en refermant son autre main sur son ventre arrondi ; Maintenant je sais que mes théories sur l'amour n'étaient qu'un moyen de me protéger. Ce n'est pas un sentiment de faiblesse mais de force.

Il marqua une pause pour lui prendre le menton pour qu'elle relève son regard. Car même assise, Arik la dépassait de deux bonnes têtes.

- Aujourd'hui je veux des enfants avec toi...et bien plus encore.

Le cœur de Savana battait à coup redoublé. Ainsi c'était ça la véritable amour ? Le véritable serment ? Inconsciemment, Arik venait de lui insuffler la force qu'elle cherchait depuis deux jours.