- Pardonnez-moi monsieur le juge, c'est un rire nerveux, s'excusa-t-il en reprenant son sérieux.

Savana avait senti cette question venir. Il allait utiliser son bonheur pour défendre son client qui ne méritait ni pardon, ni repentance.

- Utiliser le bonheur de cette jeune femme me parait faible pour la défense mais je vais y répondre, déclara le Dr West en se redressant : Figurez-vous monsieur, que moi-même j'ai été étonné que Savana accorde si rapidement sa confiance à cet homme. Mais parfois quand deux âmes torturées se rencontre il se passe quelque chose de profond, un lien, une connexion s'établie entre eux qui à nos yeux nous paraît inexplicable.

Il ôta ses lunettes en poussant un soupir.

- D'ailleurs s'ils se sont rencontré c'est en partie grâce à votre client qui a usé d'une manipulation osée sur cet homme en lui volant deux millions de dollars j'espère que vous étiez au courant ?

Enième agitation dans la salle.

- Maître ? Avez-vous une explication à me fournir ? Lança le juge sur un ton exaspéré.

- Aucun, je n'étais pas au courant de ce détail, permettez-moi de m'entretenir avec mon client.

Le cœur de Savana tambourinait dans sa poitrine. Ce nouveau élément allait-il faire pencher la balance un peu plus ? Savana se risqua un coup d'œil vers Max. Le simple fait de revoir son visage lui donnait des sueurs froides. Des fragments d'images sautèrent dans son esprit. Elle s'empressa de tourner la tête vers Hamid qui remarqua sa subite pâleur. Son sourire rassurant suffit à dissiper ce flot continu d'images insupportables. L'incident fut clos cinq minutes plus tard. Arik avait déjà eu réparation de ces deux millions dollars en portant plainte contre sa société.

- Ce détail émis devant le jury donne encore du poids, à supposer qu'on en ait encore besoin, murmura Zakhar à mi-voix.

Arik inclina sa tête, soulagé intérieurement mais loin de pouvoir apaiser la colère qui lui montait à la gorge.

- Reprenons s'il vous plaît, dit le juge en reportant son attention sur le Dr West.

- Quand j'ai vu monsieur Dahazar pour la première fois il ressemblait trait pour trait à la description que m'avait établie Savana, reprit-il avec un mince sourire ; La situation peut paraître risible pour vous maître, nota le Dr West en s'approchant du micro ; Approchant des deux mètres de hauteur, un visage marqué par la guerre, une carrure imposante...à l'inverse de votre client, cet homme est terrifiant et pourtant ! Savana n'a pas eu le sentiment d'être en danger c'est fou non ?

Quelques rires se mirent à pleuvoir dans la salle. Satisfait, Arik resserra sa prise sur sa femme qui ne bougeait pas d'un cils.

- Donc...vous l'avez laissé partir avec cet homme dont le passé aurait pu dégrader sa santé mentale ?

Les yeux injectés de sang, Arik se leva lentement sous les exclamations horrifiés du public.

- Arik...l'appela-t-elle en essayant de le retenir par son manteau.

- Maître Carozo veuillez témoigner un peu plus de respect ! S'écria le juge ; Avez-vous perdu l'esprit !

Arik contourna le banc sans quitter l'avocat des yeux et s'approcha lentement vers les barres qui le séparait de lui. La salle semblait avoir retenu son souffle, le cœur de Savana battait à coup redoublé.

- Veuillez vous excuser ! Exigea le juge ; Votre altesse veuillez pardonner l'insulte qui vient d'être proférée contre vous.

- La prochaine fois que vous vous attaquez à moi pour espérer faire sortir votre client de prison, je me chargerais personnellement de dégrader votre santé mentale monsieur, siffla Arik entre ses dents serrées.

Sans un mot, l'avocat se mit à transpirer à grosse gouttes. Arik retourna s'asseoir sous les yeux horrifiés de Savana qui semblait hors d'haleine. Lentement il entoura de nouveau sa taille.

- On reprends !

- Nous avons longuement discuté avec Savana avant qu'elle prenne elle-même la décision de partir.

- Sous réserve de ?

- Deux appels deux fois par semaine, ainsi je suivais son évolution mentale, absolument tout est inscrit dans mes carnets.

- Et comment sa santé a-t-elle évolué ?

- Merveilleusement bien, conclut le Dr West avec fierté ; Savana a trouvé une certaine sérénité là-bas, chaque jour elle était entourée et choyée. Monsieur Dahazar a su comment lui rendre cette confiance en soit qu'elle avait perdu.

- Est-ce qu'il y a eu des incidents ?

- Oui, répondit-il calmement.

Les yeux de cet avocat véreux s'écarquillèrent d'espoir.

- Savana a perdu son élastique, elle s'est fait du mal à l'un de ses bras, très vite il la remplacé avec un ruban en or, Savana m'a confié timidement qu'elle préférait toucher ce ruban entre ses doigts que la méthode de l'élastique.

Maître Carozo perdit son sourire en coin.

- Mise à part ce petit incident, rien d'autre ; le travail qu'elle a fait sur elle-même m'a énormément surpris. Monsieur Dahazar a réussi à prendre une place importante dans son esprit, il a su la protéger, l'écouter, l'apaiser, l'aimer.

Il marqua une pause pour remettre ses lunettes.

- Donc non, je ne regrette pas mon choix de l'avoir autorisé à partir là-bas avec cet...inconnu.

- Et trois mois plus tard ils se marient ! S'esclaffa maître Carozo.

- Quand un amour est aussi force que le leur....

Le Dr West laissa volontairement sa réponse incomplète avant de reprendre ;

- Inutile de vous rappeler la rapidité dont a fait preuve votre client quand il a épousé Savana pour lui avouer un mois plus tard que ce mariage avait pour principal but de conclure des affaires plus vite....un homme marié passe mieux auprès d'un potentiel client, ce sont les termes exacts qu'il a employé lors de notre entrevue enregistrée.

- Je n'ai plus de questions ! S'emporta l'avocat en revenant vers son client pour s'entretenir avec lui à voix-basse.

- Merci pour votre témoignage Dr West.

Arik consulta sa montre avec humeur. Il profita de la pause pour vérifier si Savana allait bien. La fatigue commençait à se faire sentir. Elle s'agitait contre lui en essayant de trouver une posture plus agréable.

- Nous recevons à présent le Dr Yeller chirugien au Bellevue Hôpital.

Revoir l'un des chirurgiens qui lui avait sauvé la vu lui serra le cœur. Elle ne les oublierait sans doute jamais. Quand il posa son regard sur elle, Savana se souvint de la première fois où il était entré dans sa chambre pour lui annoncer qu'elle avait peut-être perdu l'usage total de ses jambes.

- Dr Yeller, merci d'être venu, commença Louane en avançant avec un dossier dans les mains ; C'est vous qui avait pris en charge Savana le 27 septembre à 23h40 exacte ?

- Oui c'est exacte, ensuite j'ai bipé deux confrères pour m'épauler.

- Quel était le degré important de ses blessures à son arrivée ?

- Honnêtement, en quatorze ans de métier je n'avais jamais vu quelqu'un survivre à ça, précisa-t-il en approchant le micro ; À l'arrivée de l'ambulance elle respirait toujours. À son arrivée dans le service de traumatologie, Savana souffrait de détresse respiratoire, de coupures sur les bras et le visage, ses jambes étaient cassées, son bassin fracturé, sa cage thoracique enfoncé et 7 côtes de cassées.

Arik subissait un véritable supplice. Il ignorait s'il pourrait tenir encore longtemps sans que son envie meurtrière de le tuer soit plus forte que la patience qu'il avait acquis au côté de Savana.

- J'ai d'abord fait appel au chirurgien neurologique de garde pour qu'il vérifie qu'il n'y ait pas de problème au cerveau, ensuite nous l'avons emmené au bloc.

C'était la première fois qu'elle entendait réellement...dans les détails cette nuit où sa vie avait basculé. Elle avait énormément de mal à se défaire de cette nuit où derrière un brouillard épais, elle se souvenait encore de cette douleur lancinante et atroce.

- Son cœur s'est arrêté trois fois, après l'opération nous avons dû la plonger dans un coma artificiel.

- D'après le rapport que vous avez effectué vous n'avez pas crû à la thèse de l'accident ?

- Quand les secours sont arrivés avec elle, ils m'ont expliqué qu'elle était passé par la fenêtre par accident, je leur ai dit que cela n'était pas possible car hormis les blessures de verre qu'elle avait au visage il y avait des blessures physique, son œil droit était tuméfié.

- Ce simple constat vous a mené à écarter cette piste ?

- L'arcade était ouverte causé par un coup bien avant d'être défenestré ; Puis après j'ai dû passer des radios et un scanner complet, les côtes numéros deux, quatre, sept et huit avaient des traces de blessures antérieurs qui n'ont jamais reçu de soins.

- Elles étaient déjà fragilisées donc ?

- Oui, affirma-t-il avec conviction ; son bras révélait aussi des traces d'une fracture récente.

- Merci Dr, je n'ai plus de questions.

Louane regagna sa place.

- Maître ? Des questions ?

- Aucune, répondit l'avocat de Max.

- Alors l'audience est suspendu jusqu'à demain 10h.

Savana se leva flanquée de trois hommes qui pendant un moment lui paraissaient être des inconnus avant de trouver la main d'Arik. Le couloir du tribunal était sombre. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'elle s'aperçut qu'il faisait presque nuit. Entre les pauses, les questions, les débats, l'audience conduisait à de longues heures sans avoir la notion du temps.

- Madame ?

Maître Mayer s'approcha d'elle pour lui serrer la main. Après avoir salué le Dr Yeller puis embrassé la joue de son psychiatre qui avait toujours crû en sa guérison, Savana savait que cette dernière partie serait la moins agréable.

- Vous êtes prête pour demain ? Demanda-t-elle perplexe.

- Je pense que oui madame.

- C'est moi qui commencerais les questions, je tenais à vous le dire.

Bloquant un souffle de soulagement Savana hocha de la tête.

- Merci de me défendre madame...

- Votre histoire pourrait secouer un peu l'Amérique et au-delà, dit-elle en jetant un regard sur les journalistes campés devant la salle d'audience ; Une femme meurt chaque seconde dans le monde sous les violences de leur mari, il est temps que ça change. Votre combat est remarquable madame.

La gorge nouée, elle la regardait partir avec l'espoir de trouver la force où quelle soit pour affronter tous ces regards déjà portés sur elle.

- Mon amour, rentrons à l'hôtel maintenant...