Chapitre 54
Perdue dans ses pensées Savana faisait le tri dans son assiette alors que le tintement des couverts et verres commençaient à lui donner la migraine. Elle soufflait comme si elle s'apprêtait à accoucher. Ce réflexe lui rappelait ceux qu'elle avait extrait de ses poumons pour donner naissance à son bébé mort. Affolée intérieurement, elle ne le montra pas et porta juste sa main sur son ventre. À deux semaines près, Savana avait l'impression de revivre sa seizième semaine affreusement difficile et qui l'avait conduis à une fausse-couche.
- Habibti tu n'as rien mangé, dit-il en l'obligeant à relever la tête.
- Je n'ai pas très faim, murmura-t-elle la bouche soudainement pâteuse.
Ses traits ciselés se creusèrent. Savana eut bien du mal à soutenir son regard. Il parvenait très facilement à lire dans ses pensées les plus profondes.
- Fais-le pour notre enfant, dit-il enfin en lui prenant la fourchette des mains pour piquer dans une pomme de terre.
Il avait l'air exténué. Et il l'était. Savana l'avait même surpris à se promener dans les jardins au beau milieu de la nuit avant leur départ pour New-York.
- Ouvre...
- Je suis désolé pour tout ça, dit-elle en repoussant sa main.
Un voile noir ombrageait ses yeux.
- J'aurais voulu que ce procès n'existe pas, reprit-elle en secouant de la tête ; Je le vois bien que tu es exténué et...
- Savana, coupa-t-il en posant la fourchette dans l'assiette ; Je n'aurais pas de repos tant que tu ne seras pas à la maison, chez nous en bonne santé est-ce bien clair ?
Ayant du mal à soutenir son regard elle hocha de la tête.
- Je ne laisserais pas ce procès nous détruire, reprit-il sur un ton catégorique ; Je t'aime trop pour laisser ne serait-ce qu'une bride d'une dispute venir se mettre entre nous.
- C'est ce que j'avais besoin d'entendre, chuchota-t-elle alors que deux sillons de larmes tombait sur ses joues.
Plaquant sa paume de main derrière sa tête il embrassa son front, ses joues, la commissure de sa bouche. Rassérénée, elle prit sa fourchette pour manger. Involontairement, Savana avait poussé Arik à lui affirmer que rien ni personne viendrait s'immiscer dans leur histoire d'amour.
- J'ai de nombreux projets pour vous madame, chuchota Arik à son oreille.
Savana sourit...enfin. Rayonnante, elle arrima son regard au sien.
- Ah oui ! S'exclama Savana en riant quand sa barbe vint chatouiller sa peau si sensible à son touché.
- Oh que oui...sursurra-t-il à son oreille ; Des tas de projets Habiba...
Miraculeusement, Arik parvint à dissiper la tension qui lui nouait l'estomac.
- Je remercie chaque jour le ciel de t'avoir envoyé jusqu'au cottage....avec ta belle Ferrari loin d'être équipée pour la neige.
- Il me fallait bien un prétexte pour pénétrer chez toi, ironisa Arik avec un sourire désabusé.
Savana fit mine d'être consternée.
Cet instant si bref mais précieux à ses yeux était parvenu à la détendre. Après le déjeuner ils retrouvèrent Louane et Zakhar qui avaient fait un crochet chez eux pour que Louane récupère un dossier. Arik s'avala un onzième café et le jeta dans la poubelle. Il n'aurait aucun repos tant qu'elle ne reviendrait pas au palais avec son passé derrière elle. Se passant une main sur son visage fatigué, il crut être victime d'une hallucination en voyant Hamid passait les portes du tribunal.
- Hamid ? C'est bien toi ?
Le concerné se retourna et esquissa l'un de ses sourires bienveillants.
- Votre altesse...
- Mais qu'est-ce que tu fais ici ? Demanda-t-il d'une voix incrédule.
- Venu prêter main forte votre altesse, à la demande de madame Jemena.
Ébahi, Arik secoua de la tête pour retrouver ses esprits.
- Je vais vous expliquer, intervint Louane en revenant avec Savana qui considérait Hamid avec surprise.
- L'avocat de Max va probablement abattre une dernière carte qui vous visera vous, si jamais cela devait arriver, Hamid témoignera sur votre histoire.
- Je peux témoigner !
Tous se retournèrent vers Arik dont les balafres paraissaient se creuser.
- Tu ne tiendra pas à la barre Arik, tu lui sauteras au cou avant la première question.
Arik poussa un juron audible au public qui pénétrait dans la salle d'audience.
- C'est seulement au cas où, précisa Zakhar d'un ton doux.
- Il veut s'attaquer à notre relation, je pense que c'est la dernière chose à faire, murmura Arik d'une voix menaçante.
- Ne vous en faite pas, dit Louane avec un sourire ; Maitre Carozo a toujours fonctionné ainsi, il espère pouvoir nous déstabiliser mais ça n'arrivera pas.
Savana était convaincue qu'elle disait vrai. Si Arik était visé, Savana savait pourquoi...
- L'audience va reprendre, allons-y, annonça Zakhar en embrassant sa femme avant de la laisser partir en première.
- Hamid, je suis si contente que vous soyez là.
L'homme lui sourit avec la tendresse d'un père qu'elle n'avait jamais eu. Elle se sentait plus forte encore. Tout en marchant vers la salle, Hamid déclara ;
- Le pays retient son souffle, expliqua-t-il avec sérieux ; certains journalistes qui se trouvent dans la salle retranscrit le procès sur internet.
Arik tiqua.
- Je n'ai jamais vu un tel engouement votre altesse, de plus, certains citoyens ont entraperçu le ventre de son altesse, l'inquiétude commence à s'étendre. Les fausses-couches de Savana ont été révélé plus tôt dans la journée.
- Est-ce grave ? Demanda Savana qui avait tout entendu.
Arik soupira avec humeur.
- Vous êtes l'espoir de Dahazar, expliqua Hamid sans prendre en compte les protestations d'Arik ; Vous touchez leurs cœurs avec votre façon de voir les choses, de l'amour que vous portez à leur roi, s'il devait vous arriver quelques choses...
- Il ne lui arrivera rien, lança Arik sur un ton précipité en prenant sa main.
Touchée par la vague d'inquiétude à Dahazar, Savana pénétra dans la salle d'audience avec un pincement au cœur. Évitant soigneusement le regard de Max elle se glissa sur le banc entourée de son frère, son mari et Hamid. Cette fois-ci la panique la gagna en sachant que des journalistes du pays étaient dans la salle pour retranscrire le procès sur internet. Le Dr West pénétra dans la salle et lui sourit tendrement avant de fouler l'allée jusqu'à la barre. Assaillie par un immense soulagement de le revoir, Savana se calla contre Arik s'efforçant de ne jamais dévier son regard vers son ex-mari qui n'avait de cesse de la regarder avec insistance. Elle enroula sa main contre le bras musclé de son amant en gardant les yeux rivés sur son psychiatre. Détendu, il leva sa main droite pour jurer de dire la vérité. Elle avait l'impression qu'il avait attendu ce moment toute sa vie.
- Tout d'abord je voulais remercier le Dr West pour avoir accepté de venir, déclara le juge ; je sais qu'il est compliqué pour vous de vous libérer.
Spécialisé dans les troubles du comportement et grand psychiatre réputé à New-York, le Dr West se redressa avec un fin sourire modeste.
L'avocat de la défense des droits des femmes et représente d'une association pour femmes battues, maître Mayer s'avança la première.
- Dr West, vous suivez Savana depuis un an et onze mois, quelle a été votre premier diagnostic lorsque vous l'avez rencontré pour la première fois ?
- Savana souffre de stress post-traumatique, de troubles dits neurovégétatifs, ce qui amène à un état de qui-vive, des réactions de sursaut, des troubles du sommeil, des troubles cognitifs, d'intrusions de pensées, d'images, de cauchemars de répétition.
Maître Mayer le laissa continuer ;
- La première fois qu'elle est venue dans mon cabinet, elle était en fauteuil roulant, cachée dans un recoin de la pièce, il m'a fallu un mois avant d'obtenir un fragment de sa confiance.
- D'après votre premier rapport, Savana se faisait du mal ?
- C'est exact, confirma-t-il en posant son regard sur elle ; Elle se grattait furieusement la peau comme si elle voulait se punir, ce genre de réaction survient lorsqu'un souvenir douloureux est trop fort et incontrôlable. De là, j'ai appliqué la méthode de l'élastique, chaque fois qu'une image devient trop forte elle le fait claquer contre son poignet.
- Est-ce qu'elle parlait ?
- Pas au début, elle communiquait par dessins, sa santé mentale était très dégradée.
- C'est vous qui a été appelé pour évaluer monsieur Stilling pendant sa garde à vue ?
- J'ai été appelé pour diagnostiquer le comportement de cet homme, afin d'évaluer s'il devait être interné en psychiatrie.
- Vous avez décidé que non, pourquoi ?
- Monsieur Stilling est complètement conscient de ce qu'il fait, il souffre d'un complexé d'infériorité.
L'intéressé serra les dents et s'apprêta à se lever avant d'être arrêté par son avocat. Loin d'être déstabilisé, le psychiatre reprit.
- Il était entouré d'hommes avec plus d'autorité, il ne supporte pas d'être rabaissé par d'autres hommes, alors Savana était comme une...compensation à sa frustration.
- Il battait sa femme par besoin de compenser cette infériorité au travail ?
Le Dr West inspira bruyamment et croisa ses jambes.
- Même s'il était le directeur de la société de son père, celui-ci a mis certains de ses associés en haut de l'entreprise pour la gérer, monsieur Stilling était supervisé toute les journées, il n'avait pas ce sentiment de plein pouvoir, l'humiliation a engendré chez lui le besoin d'assouvir ce manque.
Cris étouffés dans la salle.
Savana ferma brièvement les yeux et serra un peu plus fort le bras d'Arik.
- Très classe, commenta maître Mayer avec hostilité ; Je n'ai plus de questions.
Louane prit alors la parole.
- Dr, diriez-vous que Savana était soumise à monsieur Stilling ?
- Oh...voilà une bonne question, commença-t-il en hochant pensivement de la tête : Je vais tâcher d'y répondre avec minutie : Une relation de dominant dominé peut prendre plusieurs sens et il ne faut pas les confondre. Dans le cas des dominants, il existe de nombreuses variantes à cette personnalité. Le dominant donne l'impression d'être plus libre, mais c'est tout autre chose. Sa crainte d'être abandonné ou être rejeté le fait réagir de cette façon. Pour se sentir rassuré, il lui faut donc établir une relation de pouvoir sur l'autre et avoir une emprise ou une prise. Il a besoin de contrôler, de soumettre et de maîtriser. Il existe des cas où l'amour vient se mêler à cette relation il y a des cas où le dominant ne maîtrise plus totalement cette envie de diminuer les gestes d'affections afin de se détacher par peur d'être seul à tout moment et de ne pas savoir gérer leurs sentiments.
- Les dominés eux, sont à la recherche d'une sécurité, ils ont souvent peur de faire les mauvais choix, ils aiment être guidé, parfois par faiblesse ou par besoin d'affections, ce qui ramène à un besoin unique dans les deux cas. Il y a un fort besoin d'être rassuré et aimé des deux côtés mais d'une manière différente.
Il fit une pause pour croiser ses mains.
- Ensuite nous avons dans des couples une relation de dominant-dominé acceptée, qui peut parfois devenir un jeu dans le cas où le couple s'amuse à inverser les rôles.
- Donc Savana ne fait pas partie de cette catégorie là ? Conclut Louane en s'approchant.
- Dans le cas de Savana il y eu un rapport de force imposé, monsieur Stilling prenait plaisir à rabaisser et dévaloriser Savana, pour masquer une profonde dévalorisation qu'il compense en prenant une position de supériorité. D'où cette terrible violence envers elle. C'est la première conclusion que j'ai faite lors de nos premier échanges avec Savana jusqu'à ce que la situation qu'elle me présentait au fur et mesure de nos entretiens ressemble plus à de l'esclavage qu'a une soumission et je pèse mes mots.
Savana retint son souffle. Des exclamations étouffées commençaient à croître dans la salle d'audience.
- C'est faux ! S'écria Max avec rage.
- Maître Carozo, je vous conseille vivement de calmer votre client, ordonna le juge sévèrement ; Maitre Jemena reprenez je vous prie.
- Vous en êtes certain Dr ? C'est le sentiment que vous avez eu au fil des entretiens avec Savana ?
- J'ai eu affaire à des cas extrêmement complexes madame, mais je peux vous assurer que celui-ci m'a particulièrement bouleversé. Je réitère mes dires avec la plus grande fermeté, Savana était prisonnière de cet homme, physiquement comme mentalement sans aucun issue de secours.
- Je n'ai plus de questions.
- Monsieur West....
- Dr West, rectifia-t-il quand l'avocat de Max s'approcha avec nonchalance vers la barre.
Affecté, l'homme se racla la gorge.
- Dr West, pouvez-vous m'expliquer pourquoi vous avez laissé Savana partir avec un parfait inconnu si elle vous semblait dans un état végétatif ?
Arik se redressa vivement, se retenant de répondre à la place du témoin. La seule chose qui l'arrêta c'est le rire grave et trainant du Dr West qui semblait rire de la question.
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