☁️ | Miracle, Invraisemblance Ou Abdication ? (4)

Photograph ~ Boyce Avenue

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4 mois plus tard

Je n'ai jamais été physiquement fatiguée. Ou du moins, c'était toujours une lassitude morale si grande que mon corps s'en voyait impacté. Mais jamais – jamais – je n'ai ressenti pareil épuisement.

Je me réveille à l'aube, et déjà, l'angoisse me saisit pour me hanter toute la journée à venir.

Vais-je parvenir à payer mon loyer, ce mois-ci ?

Suite à ma rupture avec Thibault, je n'ai pas traîné pour trouver un nouvel appartement, tout pour m'éloigner de lui, de sa souffrance. Pas d'une future crise – non, je ne lui en veux même pas pour ce qu'il a fait –, mais de cet amour non réciproque qu'il me voue. Parce que c'est inutile de nourrir ainsi sa douleur par ma présence, et que nous n'avons de toutes évidences plus rien à faire ensemble.

J'ai cherché quelques jours, avant de sauter sur la première offre correspondant à mes bien maigres critères en vue de ma situation. La seule chose que je demandais ? Une certaine proximité avec mon lieu de travail. Tout pour m'éviter des heures insupportables perdues sur la route, quand je pourrais déjà savourer les caresses de Morphée. Et en dépit de mon attention face à tous ces prix exorbitant pour un loyer mensuel... je me suis retrouvée avec une demande de prêt à ma banque, parce que je suis incapable de survivre par mon seul emploi.

L'automne est arrivé, puis l'hiver, et Noël. Thibault et moi n'étions plus en contact. Quant à Méloée et Gwenaël...

Je peux compter le nombre de nos messages sur les doigts de mes mains.

Leurs vies suivent leur cours. La dernière fois que l'on s'est appelés, le lendemain de mon déménagement, ils m'annonçaient être en couple. Tant mieux pour eux, non ? Cela faisait plusieurs mois que nos échanges décroissaient progressivement, alors pourquoi avais-je ressenti ce pincement au cœur ? J'ai Morphée, alors pourquoi ai-je été jalouse d'eux ? Pourquoi me suis-je sentie si...

Seule.

Complètement seule.

Voilà ce que je suis, comment j'ai passé mon réveillon.

Seule. Sous mes draps, plongée dans mon sommeil, entre les bras chaleureux de mon amant.

Des bras qui n'existent que dans mon esprit. Des bras dont je ne peux savourer la chaleur lorsque le soleil se lève. Des bras irréels.

Mais des bras que j'aime à la folie !

Des bras dans lesquels j'aime me perdre, encore et encore. Des bras auxquels je m'accroche désespérément, encore et encore. Des bras qui m'appaisent comme rien autre en ce monde, encore et encore.

Toutes les nuits, chaque seconde à ses côtés est un châtiment que j'accueille avec passion. Ses étreintes, ses baisers, ses murmures. Il m'enchaîne à lui de ces chaînes que je pourrais briser si seulement j'en avais la volonté. Or je ne désire que le supplier de me consumer, éternellement.

Seule. Tellement seule.

— Ophélia ? m'interpelle doucement Morphée en glissant sa paume devant mon regard perdu. Tu es toujours avec moi ?

La tête posée sur ses genoux, je le contemple penché sur mon visage, un sourire affectueux retroussant ses lippes délicieuses. Sa main s'égare sur ma joue, et je clos les paupières sous la tendresse de son geste, agrippant par réflexe ses doigts des miens quand un souffle entre extase et soulagement m'échappe.

— Oui, je suis là. Désolée, susurré-je en l'invitant à combler cette distance infernale entre nos lèvres.

Nos nez s'effleurent, se cajolent un instant. Ses long cils survolent ma joue et son regard émeraude me sonde, s'immerge dans le mien.

— Tu veux bien m'embrasser, s'il te plaît ? rechigné-je sans force et presque contre sa bouche, quelques ridicules millimètres nous séparant encore.

— Tu ne veux pas le faire ?

Cette fois, ses lèvres frôlent les miennes à cette question prudente, et mon âme lasse lui répond en silence.

Alors il m'offre une caresse légère au coin des lippes. Rien de plus, et rien de moins. Un baiser, sans vraiment l'être.

— Ariel, qu'est-ce qu'il t'arrive ? Parle-moi. Dis-moi ce qu'il se passe.

La tristesse dans ses yeux m'atteint en plein cœur. J'ignore la sensation de ma cage thoracique qui se referme peu à peu autour de mon palpitant, repoussant une crise d'angoisse que je ne veux pas dévoiler à Morphée.

Je suis seule. C'est tout.

Ce ne serait pas si terrible si je n'avais pas perdu l'amitié de Thibault. Ça ne le serait pas non plus si j'étais toujours en contact avec mes amis. Ni si j'avais eu des parents simplement aimants qui acceptaient mes choix. Et ça le serait encore moins si Morphée pouvait être avec moi. Toujours. Pas seulement la nuit, dans mes songes, mais à mon réveil et à chaque seconde de mon existence dans cette réalité qui ne m'appartient guère.

Non, vraiment. C'est tout.

— Rien, ça va Morphée. T'as pas à t'inquiéter, insisté-je sous sa mine incrédule, je t'assure.

Je me redresse alors à ses côtés, quittant de mauvais gré la chaleur de ses genoux pour lui tourner le dos. Il ne s'écoule pas longtemps avant que je ne le sente s'affaiser contre moi, sa tête par-dessus mes omoplates et ses bras musclés autour de ma taille.

Lui aussi, il souffre. Hanté par tous ces rêves, ces cauchemars incessants. Ce châtiment plus qu'une responsabilité qui le dévore. Pourquoi lui infliger ma douleur quand il subit déjà celle de tous les autres ?

Je voudrais l'aider. Sincèrement. Mais je suis inutile. Moi, la seule humaine capable de le voir, je ne suis pas fichue de le soutenir, emporter une parcelle de ses maux afin de soulager sa peine. Non, je ne peux rien faire pour lui. Absolument rien.

Et bordel, ça me tue d'être aussi impuissante !

L'esprit dans le vague, j'observe sans attention le ciel nocturne qui nous surplombe, à la fois sombre et étincelant, parsemé de minuscules étoiles dans une aquarelle interminable. Ce lieu, berceau de notre histoire, n'a pas changé depuis des années. Le même qu'autrefois. Teinté de la souffrance de Morphée, de mon exécration de la vie. Cette brume, ce paysage sans lumière ; ils m'insuportent.

— Ophélia ? m'interpelle Morphée en relevant son visage à hauteur de mon oreille.

— Hm ?

— Ferme les yeux.

— Quoi ? Mais pourq...

— Ferme les yeux, répète-t-il plus fermement, un sourire dans la voix.

Je clôs mes paupières dans un soupir, partagée entre scepticisme et interrogation.

— Bien. Maintenant, imagine un ciel bleu, sans nuages, une légère brise dans tes cheveux, ajoute-t-il en rassemblant ma chevelure brune dans son poing, et une odeur iodée qui te chatouille les narines. Le soleil te caresse la peau, le sable glisse sous tes pieds...

Tandis que Morphée m'effleure le bras du bout des doigts pour mimer l'étreinte de l'astre solaire, je sens les grains couler entre mes orteils nus, et leur chaleur se propage au travers de mon corps.

— ... et devant toi, il y a la mer. Un océan qui s'étend à perte de vue, magnifique. Puis tu entends les vagues qui s'échouent sur la plage. C'est un son doux et... harmonieux.

Oh, Morphée...

Il fait tellement d'efforts pour moi. Oui, j'imagine parfaitement ce paysage délicieux qu'il me décrit, mais lui, il ne l'a jamais vraiment vu. Il se contente de retranscrire les ressentis, les visions de tous ces rêves qui le dépouillent de son existence, sans pouvoir exprimer les sensations de son cœur devant ce véritable chef d'œuvre de la nature.

Ce lit d'étincelles à la surface de l'eau, emporté à l'horizon par les courants ; ce goût salé à l'arrière du palais insufflé par un zéphyr vivifiant ; cette chaleur étouffante nous rappelant que chaque souffle dans cette vie est un effort ; toutes ces choses qui nous rendent aussi réels qu'elles, je veux les montrer à Morphée. Qu'il se sente aussi authentique que ces dernières, aussi unique que ce tableau, aussi véritable que mes sentiments pour lui.

Alors je rouvre les yeux, admirant un instant ce décor baigné d'une lumière aux milles et une nuances, avant de reporter toute mon attention sur mon amour. Sa respiration s'est coupée à la seconde où j'ai révélé cette vision, et il contemple la splendeur de ce panorama tandis que je m'abreuve de la sienne.

Si beau. Si parfait.

Et il est tout à moi.

— C'est magnifique, n'est-ce pas ?

Sa moue contemplative est un véritable remède à ma léthargie précédente, le meilleur énergisant qui soit, plus efficace encore que de quelconques vitamines.

Il voulait m'en faire la surprise, mais voilà qu'il est celui à se trouver bouche-bé.

— Tu sais quoi ? pensé-je dans l'élan de ma gaieté soudaine. On va aller se baigner.

Je me relève, prends sa grande et large main dans la mienne et le tire à ma suite, en direction du rivage situé à une vingtaine de mètres de nous. Lorsque je me retourne un bref instant afin d'observer la moindre de ses réactions, j'en perds mes moyens et manque de m'étaler au sol si Morphée ne m'avait rattrapée de justesse.

— Morphée ! m'écrié-je contre son torse, honteuse.

— De rien ?

— C'est ta faute, d'abord.

Sa mine innocente, toujours pourvue de son sourire enfantin – celui-là même qui m'a fait perdre l'équilibre alors que son regard émeraude parcourait mon visage –, ne le quitte pas en dépit de ma gêne évidente.

— Bien sûr mon amour, j'avoue tout, je suis coupable, se moque-t-il hilare avant d'embrasser ma joue et me libérer de sa délicieuse étreinte.

Cette fois, il est celui à m'entraîner derrière lui, et il ne nous faut pas longtemps avant d'atteindre la mer. L'eau froide lèche mes chevilles, engendrant une avalanche de frissons qui dévalent mon échine. Morphée n'a aucune réaction et se contente de m'observer, frémissante.

— Tu ne sens pas ? l'interrogé-je en devinant d'ores et déjà sa réponse.

— Je suis censé sentir quelque chose ?

Il hausse un sourcil, dans l'attente de sensations qu'il ne connaît pas et ne peut évidemment pas imaginer.

— T'es nul. Viens là et laisse-toi faire, OK ?

Je le guide vers moi, remplace nos vêtements par des maillots de bain à la seule force de mon esprit, et nous nous éloignons lentement, trop lentement – la faute à cette différence de température qui me fait grincer des dents sous les rires de Morphée – du rivage.

— Hé, te moque pas ! Tu triches !

— Je n'oserais pas. Voyons Ariel, tu me connais mieux que ça, chuchote-t-il de son timbre chaud et suave contre mon oreille.

— Justement. Allez, ferme les yeux, insisté-je une fois que le niveau de l'eau m'arrive au-dessus des épaules.

Il s'exécute, et je commence alors à effleurer son torse, survolant d'une lenteur délibérée ses pectoraux avant de glisser sur son biceps puis son avant-bras. Mes doigts courent se loger dans sa paume, palpent sa peau et s'emmêlent finalement aux siens, mon entreprise lui soutirant un sourire discret. Puis je lève mon bras et le sien, murmurant contre sa nuque :

— L'eau entrave nos mouvements, elle nous ralentit. Et quand on est sous l'eau, c'est comme s'il s'agissait d'une apesanteur un peu différente : on flotte sans tomber. Tu vois ?

Il hoche brièvement la tête, ses paupières toujours closes et à l'écoute de ces sensations que je tiens tant à lui montrer.

— On ne tombe pas, mais on coule, fait-il remarquer dans une forme mi-interrogative, mi-affirmative.

— Effectivement, c'est pour ça qu'il est préférable de savoir nager quand on va dans des endroits où on a pas pieds. Mais là, c'est pas un problème.

Parce qu'il y a ceux qui se noient sans parvenir à remonter à la surface malgré leurs efforts, et ceux qui n'ont plus ni la force, ni la volonté de se sauver, et se laissent alors sombrer en dépit de leur instinct.

— Est-ce que l'eau est froide ? me demande subitement Morphée, d'une manière si innatendue qu'il me prend au dépourvu.

— Euh... Sur le coup, oui. Mais on s'y habitue vite, et c'est très agréable. On a l'impression d'être dans une bulle, coupés du monde, et que rien ni personne ne peut nous atteindre. L'océan est un univers à part entière, il est si...

... extraordinaire.

Saisie de nostalgie, je ne réfléchis pas avant de m'acroupir tout en douceur, la tête complètement immergée, yeux fermés, et je savoure ce silence opaque contre mes tympans, ainsi que ce vide tangible au moindre de mes gestes.

Petite, j'allais souvent à la mer, accompagnée de mes parents. Ma mère restait sous sa tente dépliable, à lire, et mon père était avec moi. Il m'aidait à construire des châteaux de sable, creuser des douves que l'on reliait à l'océan. Il m'a appris à nager, à tenir ma respiration le plus longtemps possible afin de profiter de cette quiétude sous-marine.

Puis ma mère s'est lassée de cette routine, alors nous n'y allions plus que tous les deux, mon père et moi. Toutefois ça n'a pas duré longtemps, elle nous a bien vite retiré ce court instant de bonheur sur le compte de mes devoirs qui me prenaient tant de temps, selon elle.

Avec les années, mon père a cessé de me donner raison : ça n'avait aucun sens de nourrir des disputes pour défendre mon opinion si peu important au sein de cette maison. Alors nous nous sommes éloignés, et j'ai perdu la seule famille qu'il me restait. Ce n'est pas comme s'ils pouvaient me le reprocher : ils sont les premiers à avoir coupé les ponts avec leurs propres familles. Mais perdre ses parents, les seules personnes au monde censées nous encourager quoique nous fassions, demeurer auprès de nous jusqu'au terme de leur vie, ce n'est pas rien.

Quelque chose effleure ma joue et je rouvre brusquement les yeux, regrettant dans la seconde suivante ce réflexe alors que nous sommes dans la mer.

Merde, ça va me brûler les rétines !

Sauf que... Non. Ça ne me pique pas du tout, et Morphée se tient devant moi, son regard rivé au mien sans la moindre difficulté. Il ne retient pas non plus sa respiration, et sa main repousse les mèches brunes flottant devant mon visage.

Bon sang, arrête de tricher !

Je fléchis les genoux, m'apprêtant à remonter à la surface d'une pression de mes pieds enfoncés dans le sable, toutefois les mains de Morphée se posent de parts et d'autres de mon visage et me contraignent à demeurer à sa hauteur. Je renouvelle ma tentative en me débatant contre lui, les joues gonflées pour retenir mon souffle, mais celle-ci se solde d'un échec : Morphée semble vraiment décidé à me maintenir ainsi.

Prise d'un début de panique à l'idée de suffoquer, je vois ses lèvres remuer, tenter de me dire quelque chose, cependant aucun son ne me parvient.

Putain Morphée, on est sous l'eau !

Je m'accroche à ses mains, tente désespérément de me défaire de son emprise, en vain. Puis le sable se dérobe sous mes pieds, me délaissant sans plus aucun autre support que mon amant auquel je m'aggripe dangereusement. Mes gestes erratiques se meurent progressivement tandis que Morphée me contraint à sombrer au creux de ses prunelles.

Alors j'abdique, je conçois qu'il puisse parler, j'admets la possibilité de prononcer et percevoir des paroles qui se muent en sons contre la brume profonde enlaçant mes tympans.

— Ophélia, calme-toi. Ce n'est qu'un rêve, notre rêve. J'accepte que tu me montres un bout de ton monde, reprend-t-il après une courte pause, lorsqu'il est certain que je l'entends, mais en retour, laisse-moi le rendre un peu plus idyllique. Efface les contraintes de cet univers, fais-en ce que tu en veux.

Ses mots affluent en moi, m'apaisent dans la tendresse de l'écume qui nous enrobe.

— Tu te souviens ? Ce monde suit le moindre de tes désirs. Tous, sans exception. Alors si tu veux respirer sous l'eau, voir sous l'eau… c'est un moindre mal. D'accord ?

Je ne saisi pas tout de suite sa question, trop émerveillée par ma vision désormais tout à fait nette des fonds marins qui m'entourent, si bien que Morphée doit la réitérer. Cette fois, je hoche la tête en passant mes bras au-dessus de ses épaules.

Paupières closes, je me contente d'étreindre le corps dur de Morphée contre le mien. Peu importe qu'un nouveau paysage se soit dévoilé à moi : il n'est que le fruit de mon imagination, une simple reproduction de tous les films et reportages que j'ai déjà vus.

Je veux seulement remonter à la surface, sans effort, sans difficulté. Simplement être avec Morphée. Parce que contrairement à lui, je ne suis pas éternelle. Je ne pourrais jamais demeurer auprès de lui dans ce monde devenu notre après tant d'années.

Tant d'années, mais si peu de siècles.

— Ophélia...

Désolée, Morphée. Je n'y arriverai pas. Je t'aime trop. Beaucoup trop pour être saine d'esprit. Tellement que tout ne dépend plus que de toi. Et c'est terriblement injuste.

— Pourquoi je suis là, Morphée ? Hein...?

Son palpitant réagit au mien d'un même écho, dissonance de cette réalité absurde.

Il ne me répond pas.

Alors je rouvre mes yeux, le surprend à m'observer dans une moue souffrante qui ne fait qu'accroître ma propre douleur, tel un jeu où nous ne cessons de nous renvoyer la balle.

Plus vite.

Plus fort.

Et bon sang, ça fait un mal de chien !

— Tu devrais le savoir enfin ! couiné-je en m'écartant de lui. Je ne suis qu'une humaine ? Vraiment ? Alors pourquoi je suis ici ? Pourquoi moi parmi tant et tant d'autres, j'ai la chance d'être là ? Pourquoi moi ?

Son silence de fer s'étend comme un mur entre nous, immense et incassable. Ma vérité inaccessible sous toutes ces couches de mensonges et d'omissions.

— Morphée ! m'écrié-je en le secouant sans aucune prévenance.

— J'en sais foutrement rien ! explose-t-il enfin en rejetant mes mains de sur ses bras. Qu'est-ce que tu t'imagines ? Que sous prétexte de mon statut, le savoir est à ma disposition ? Je ne suis rien Ophélia. Je n'ai jamais existé pour personne. Je suis enfermé ici depuis tellement longtemps que je ne me souviens plus quel goût a le soleil. Comment veux-tu que je sache ce que tu es ? Je n'ai pas ce pouvoir, désolé de te décevoir.

Ses paroles me déchirent, sa résignation m'attriste. Néanmoins cela ne l'empêche pas de reprendre son invective, une affliction tengible à chacune des syllabes qu'il prononce :

— Tu es peut-être une humaine qui, je ne sais par quel miracle, parvient à rentrer dans ce sommeil qui n'en est même pas un. Ou tu es peut-être une semi-déesse, dépourvue de pouvoir comme peut l'être ton parent humain, mais avec la possibilité d'entrer en contact avec ce monde. Ou tu es peut-être simplement une déesse. Comme moi. Tu as un lien direct jusqu'ici, mais tu es incapable de contrôler ce lien. Toutefois tu n'as pas un semblant de pouvoir, alors... C'est impossible.

Trois éventualités :

Un miracle.

Une invraisemblance.

Une abdication.

Ce qu'il y a de plus probable...?

Je suis...

— Peu importe ce que tu es, pour moi, ça ne change absolument rien. Mais réfléchis-y. Est-ce que ça change quelque chose pour toi ? Est-ce que tu es prêtes à sacrifier ce que nous sommes pour avoir la réponse à ta question ?

— Morphée...

— Ce n'est pas une réponse, Ariel.

Bien sûr que non.

Mais il ne me laisse pas le temps de le dire à voix haute et me tourne le dos, un arrière goût amère de déjà-vu m'empoisonnant le palais.

Il ne manquerait plus qu'il s'éloigne de moi et...

Je n'attends pas qu'il décide ou non d'instaurer une distance entre nous, et me contente d'imaginer me trouver face à lui, immédiatement.

Une micro-seconde plus tard, je lui crache à la figure :

— Tu la connais déjà, ma réponse. Ne m'oblige pas à changer d'avis pour le simple plaisir de te contredire.

Parce que je serai bien capable de prétendre que notre amour vaut moins que mon identité, uniquement pour lui infliger ma peine.

— Oh mais je t'en prie, ne te prives pas pour moi, rétorque-t-il d'un cynisme sans équivoque. Confie-moi donc ce que tu as sur le cœur, Ariel.

Pardon ?

— T'es en train de te foutre de moi ? Vraiment ?

Piquée au vif, je recule d'un demi-mètre, mon regard azur devenu ciel orageux.

— Je n'oserai pas.

Pas un sourire, cette fois. Seulement un visage fermé prêt à subir mes foudres.

Je vais lui faire ravaler son ironie à deux sous cinquante.

— Mais c'est quoi ton problème enfin ?!

Toujours ce silence affreusement dérangeant qui ne fait que rallonger la distance entre nos âmes.

Loin, si loin.

— Qu'est-ce que tu attends de moi Ophélia ? m'interroge-t-il d'une douceur amère, une fissure nouvelle perceptible dans sa voix, sur ses traits. Mon cœur ? Tu l'as déjà. La vérité ? Je ne t'ai jamais menti. Le savoir ? Je t'ai tout dit, tout.

Au fil de son énumération, les battements de mon palpitant sont de plus en plus douloureux. Il tambourine de plus en plus fort contre ma poitrine, prêt à la déchirer et s'en évader, reflet de ce que semble également endurer Morphée.

— Qu'est-ce que je suis ?

— Je ne sais p...

— Si, le coupé-je aussitôt dans son entêtement, tu le sais. Alors dis-le.

Un temps s'écoule, puis encore un autre, et encore un autre formant une éternité durant laquelle il soutient mon regard, avant de finalement flancher, résigné.

— Ophélia, rien n'est sûr. Dans l'esprit de tes parents, tu es leur fille biologique. Tu peux toujours faire un test de paternité, mais tu n'auras jamais aucune certitude. Et puis...

— Morphée, tu l'as dit tout à l'heure. Les miracles n'existent pas, et je n'ai pas un semblant de pouvoir, rien. Alors qu'est-ce que je suis ?

Il soupire. D'un soupir à fendre l'âme. Ses sourcils bruns se froncent, ses yeux de jade brillent dans cette obscurité que je n'ai pas vue nous envelopper – trop plongée dans cet échange aussi tumultueux qu'à l'accoutume dès l'instant que ça concerne mon amant.

Une soudaine envie de le prendre dans mes bras me soulève les tripes, toutefois je tiens bon et demeure de marbre face à lui.

— Pourquoi tiens tu autant à le savoir...? souffle-t-il si bas que je crains l'avoir rêvé. Qu'est-ce que ça change pour toi ?

Il passe une main sur son visage.

Dieu que j'aimerai la saisir entre mes doigts, l'enlacer, y déposer de prudes baisers et le recouvrir de mon amour.

Tout pour l'empêcher de sombrer comme il le fait présentement.

Sa tempe rencontre la mienne, son souffle effleure ma gorge. J'ignore lequel de nous deux s'est ainsi rapproché de l'autre – si ce n'est pas nous deux – mais sa proximité me fait tourner la tête là où la mienne lui offre ce réconfort dont il a tant besoin. Alors c'est plus fort que moi, mes mains se lèvent d'elles-mêmes pour se loger dans sa chevelure et embrasser ses épaules voûtées.

Puis l'évidence que je retenais au creux de mes sentiments jailli sur mes lèvres et caresse son lobe :

— Ça change tout Morphée. Si je ne suis pas humaine... Ça signifie que j'ai une chance de pouvoir être avec toi, ici. Peut-être pour toujours. Est-ce que tu réalises...?

En un faible mouvement de la tête, les deux orbes étincelantes de mon amour croisent mon regard, ses longs cils survolant ma joue dans son entreprise. Un espoir fragile s'envole jusqu'à moi, et je sens ses paumes chaleureuses se refermer dans mon dos.

Je devine l'hésitation ralentir ses gestes, sa volonté. Lorsque soudainement, il m'étreint comme s'il me tenait pour la dernière fois contre sa chaleur. Avec toute la force de son désespoir, toute la fermeté de son abnégation, toute la vigueur de son impuissance, toute l'énergie de son affection...

C'est si douloureusement exquis que je m'accroche à lui, incapable d'exister pour un autre que lui, inapte à compter sur un autre que lui.

Seigneur, j'ai si mal de l'aimer !

— Morph...

— Tu es sûre de toi ?

Sa question inattendue vibre à mon oreille, tandis qu'il se redresse sans jamais nous séparer.

— Tu es prête à ce sacrifice ?

Oh Morphée, tu ne comprends pas.

— À cette solitude ? Cette vie ? poursuit-il lentement.

Mes mains enroulées à sa nuque, je reconduis son visage contre le mien, nos lippes embrasées au moindre de nos souffles. Paupières closes, je goûte sa présence, mesure son appréhension : celle-là même que je m'apprête à éteindre de mon unique promesse.

— Je t'aime. Tu es ma vie. La solitude me ronge à chaque seconde passée sans toi. Mon seul sacrifice serait d'abandonner ce que nous sommes pour une vie que je n'ai pas demandée. Je veux être à tes côtés Morphée, c'est mon choix.

Mes lèvres ne cessent de remuer, l'attirer à moi, l'encourager à me croire, à approuver ma décision. Ses yeux ne cessent de briller, me supplier de rester, m'implorer de ne confier que la vérité, de l'aimer à m'en déposséder.

— Je ne suis pas une déesse ? Tant pis, ça ne m'empêchera pas de demeurer avec toi jusqu'au bout. Je ne suis pas une humaine ? Tant mieux, ma place n'a jamais été ailleurs qu'ici. Je veux quitter ce monde pourri jusqu'à la moelle dans lequel je suis née. Je veux juste être avec toi. Rien d'autre n'a de sens. Tu comprends...?

Sa bouche est muette, néanmoins ses pupilles m'accordent toutes mes volontés. Nous nous enlaçons sans réellement nous toucher, seulement collé l'un à l'autre dans ce besoin vital de se percevoir.

Et lorsqu'enfin nos lèvres coulent ensemble, ce sont nos cœurs qui fondent tel un magma en fusion, image de nos corps qui s'unissent.

Peu importe ce que je suis. Je ne veux plus de ma vie d'humaine. Je n'en ai jamais voulu.

Aujourd'hui, notre flamme percute la vague de ma réalité. La lave devient cocon protecteur nous enrobant loin des côtes et rivages, si proches du naufrage, tandis que nous nous noyons sans un souffle dans des profondeurs inexplorées.

Nous plongeons, plongeons, plongeons... Sans considérer la puissance de l'impact lorsque nous toucherons le fond.

☁️☁️☁️

Salut la compagnie ! 👋

Comment allez-vous ?

J'ai enfin un peu de temps (je prends ma pause déjeuner super tard le lundi, trop de mise en place à faire 😭) pour vous poster ce chapitre !

J'espère qu'il vous a plu, que vous avez bien profité de la relation Morphélia, parce que la suite va vous faire tout drôle... 😏

N'hésitez pas à me donner vos avis et vos théories sur la suite !!

Je vous fait des bisous, et on se revoit d'ici deux ou trois semaines pour la suite je pense ! ❤️

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