☁️ | Dans Les Bras De Morphée (1)
Je n'en peux plus. À quoi bon poursuivre ainsi ?
Ma réalité est moche, si moche !
Et je suis seule, tellement seule !
Je n'ai plus ni famille, ni amis, et bientôt, je n'aurais même plus de travail.
Il est la seule chose qu'il me reste, mon unique échappatoire.
Pitié, que le sommeil m'emporte !
Je tremble comme une feuille, une fatigue immense s'emparant de mes membres courbaturés et des crampes me barrant l'estomac quand je me redresse entre mes draps, incapable de partir, de le retrouver. Alors j'attrape mon sac à main au pied de mon lit, fouille de manière anarchique les poches jusqu'à trouver l'objet de ma convoitise. Me saisissant de la bouteille d'eau déposée à mon chevet, je vide peu à peu la plaquette au creux de ma paume
Un ? Pas assez.
Deux ? Ce n'est que la moitié de ma dernière prise.
Trois ? Ça ne va pas suffire.
Quatre ? Non, je vais encore rester.
Je ne suis plus à ça près, de toute façon. Pas vrai, papa ?
Cinq. Six. Sept...
Huit.
Ma plaquette est vide. Tant pis, j'irai renouveler mon ordonnance demain. Cette fois, je devrais enfin pouvoir sombrer, trouver ses bras, sa chaleur, son réconfort.
Dans des gestes effrénés, je les porte à ma bouche puis glisse le goulot en plastique sur mes lèvres. En quelques gorgées, ces pilules dévalent ma gorge pour trouver refuge dans mon organisme.
Emportez-moi loin, très loin de cette atroce réalité.
Je me rallonge, plus sereine à l'idée d'être enfin libérée de ma journée. Les secondes s'écoulent, ou les minutes, je ne sais plus. Mon palpitant s'apaise, mon corps s'alourdit, mes paupières se ferment. Le temps s'égraine, et je me sens couler au fin fond d'un océan, m'enliser telle une ancre dans le sable de l'éternité.
Puis tout s'assombrit, et mon univers se couvre de noirceur lorsque je me perds dans les bras de Morphée.
7 ans plus tôt
Mon rêve se profile à mesure que je sombre dans les profondeurs du sommeil, et bientôt, je distingue enfin Morphée, assis contre une roche dissimulée par la brume de mon esprit. J'aime ce lieu, l'image idéale que je me fais d'un monde onirique.
Le brouillard, tel un tapis de nuages qui s'étend à perte de vue, avale mes jambes quand je me rapproche silencieusement de mon ami. Le ciel nocturne parsemé d'étoiles surplombe cet univers, le mien – le notre –, et l'ébauche de lune épousant les courbes de la nuit nous enrobe d'une douce lueur.
Comme à son habitude, Morphée ne semble qu'à moitié présent : le regard perdu, son âme erre au milieu des centaines de milliers d'âmes humaines endormies.
Je le contemple un instant, parfait, trop parfait, si parfait que mon cœur ratte un battement devant l'étendue de sa beauté. Il n'est que le reflet de ma conscience, et pourtant, je ne peux m'empêcher de le désirer de toutes mes forces, le vouloir comme aucun autre auparavant.
Je profite de son absence totale d'attention pour me glisser derrière lui, longeant la paroi rocheuse afin de ne pas entrer dans son champ de vision lorsque j'arrive à ses côtés.
— Bouh ! m'écrié-je sans honte en me jetant sur lui, mes mains fermement accrochées à ses épaules alors qu'il flanche sous la surprise.
Il bascule jusqu'à se retrouver allongé au sol, sans manquer de m'entraîner avec lui, contre son torse. Le visage niché dans son cou, je savoure un bref instant les battements effrénés – et tout à fait imaginaires – de son cœur contre le mien, pulsant exquisément sous mes lèvres.
Puis je ne retiens plus les spasmes qui me contractent les abdominaux, ainsi que l'éclat de rire qui flambe à la naissance de mes cordes vocales. Je rejette la tête en arrière, laissant libre cours à mon hilarité sans me soucier une seule seconde de Morphée, étendu sous moi, ses paumes agrippées à mes hanches.
— Ophélia ?
— O-oui ?
Entre deux gloussements, je croise son regard émeraude piqueté d'éclats dorés, dans lequel danse une étincelle d'amusement grandissante. Un sourcil froncé et ses lippes retroussées en un sourire qui en dit long, je crains soudainement les représailles.
— Oups ? fais-je en me retenant de pouffer, coulant une nouvelle fois mon visage dans le creux de sa nuque.
Ses doigts écartent délicatement les mèches brunes qui recouvrent mon oreille, et son souffle chaud effleure mon lobe quand il m'avertit :
— Tu sais que tu ne vas pas t'en tirer comme ça ?
J'entends le sourire dans sa voix, l'écho de son avertissement, mais je suis incapable de prendre sa menace au sérieux lorsqu'il m'étreint de la sorte. Ses doigts caressent de manière circulaire la peau dévoilée par le haut de pyjama que j'ai imaginé – faute d'être réellement vêtue en cette nuit de début d'été.
— Ça va, c'était une bl... Aaaaah !
Ses mains se font baladeuses, glissent volontairement sous le mince tissu et trouvent mes côtes qu'elles chatouillent sans vergogne.
— N-non ! Arrêêête s-s'il te plaît ! m'éssouflé-je en tentant de m'échapper de ses bras. M-Morphée !
— Oui, ma petite Ariel ?
Bon sang ! Il sait que j'ai horreur de ce surnom !
Parce qu'enfant, j'ai eu le malheur de lui rabâcher l'histoire de cette sirène à la chevelure de flammes qui devient humaine pour l'amour de sa vie, il s'amuse depuis à me revêtir de cette appellation idiote.
Il est vrai que La petite sirène est l'un de mes Disney favoris : échanger nageoire et parole contre une paire de jambes pour un homme que l'on a vu une seule fois, abandonner sa famille, ses amis et son propre monde pour tout recommencer, délaisser ses certitudes pour plonger dans l'inconnu... Ce courage m'a toujours fascinée.
Et puis, quand il me confie que mes yeux lui évoquent les profondeurs marines, qu'il aimerait que je sois sa petite sirène... une part de moi ne peut s'empêcher de se languir de ce nom, tandis que l'autre l'abhorre depuis que je suis en âge d'éprouver de la honte face à mes goûts de petite fille.
— Ar... Arrête !
Je pousse sur mes bras, tire sur mes jambes, mais rien à faire : il me maintient vigoureusement contre lui.
Majeure depuis quelques mois, je ne suis plus une gamine. Et pourtant, dans la chaleur de cet étau, je me sens poupée fébrile complètement dépossédée et abandonnée à ses plus sombres désirs, avide de son amour.
— Je n'ai pas entendu le mot magique, murmurent ses lèvres à quelques millimètres des miennes, beaucoup trop proches.
— S-s'il te p-plaîîît, le supplié-je à bout de souffle, les joues douloureuses à force de rire.
Mais il ne me lâche toujours pas.
— Pas ça. Tu as fait quelque chose de très méchant... gronde-t-il délicieusement contre la peau de ma gorge, tu ne crois pas que tu devrais t'excuser, Ariel ?
Oh, merde.
Des frissons remontent mes bras, dévalent mon échine jusqu'à mon bas-ventre plaqué contre son bassin, alors qu'un désir soudain et profond me retourne les entrailles.
— P-pardon, je suis dé... désolée.
— Désolée de quoi ? poursuit-il sa lente torture, ses doigts qui, pas un seul instant, n'ont cessé de cajoler mes côtes m'enflammant désormais tel un brasier.
— De t'avoir... fait peur, achevé-je, exténuée, en resserrant douloureusement mes cuisses autour de ses hanches.
Mes poings, serrés sur la chemise blanche qui recouvre son buste, relâchent progressivement leur prise quand il délaisse enfin mes côtes, et ma joue s'échoue contre la sienne, recouverte d'une légère barbe. Ma poitrine se soulève contre son torse au rythme de ma respiration saccadée, et je savoure simplement la proximité de nos deux corps, les caresses qu'il a reprises dans le bas de mon dos.
Mon ami, mon amour.
Une fois que j'ai repris mon souffle, je me redresse au-dessus de lui, nos nez s'effleurant dans mon entreprise.
— Bonjour, susurré-je nos lèvres presque scellées ensemble.
— Bonjour ? Il fait nuit.
Toujours ce sourire absolument adorable qui adoucit les traits marqués de son visage. Je passe une main dans ses cheveux châtains plus sombres que clairs, d'une douceur inespérée, puis mon pouce glisse le long de sa tempe, suit la courbe de sa mâchoire jusqu'à cette bouche que je rêve d'embrasser. Son regard est rivé au mien, et j'abandonne tout espoir d'un possible nous sous le souvenir de son refus catégorique il y a de cela deux ans.
« Ophélia, tu es beaucoup trop jeune. Je te connais depuis toujours, je t'ai vue grandir, je t'ai chérie comme une petite sœur, comment crois-tu que je pourrais te voir autrement ? Aujourd'hui, demain ou dans dix ans, rien ne pourra changer cela. Et ne doute pas de toi, tu es une très belle jeune fille. D'accord ? »
Jeune fille. Voilà ce que j'étais pour lui, une enfant inconsciente de la réalité de notre relation. Et quand bien même, j'ai toujours sû que ce nous n'avait rien de normal, de naturel. Je n'étais pas censée le voir, nous ne devions pas nous rencontrer, et il n'aurait jamais dû s'occuper de moi comme il l'a fait. Ce nous n'avait déjà rien de sain, à cette époque.
Désormais, je suis une jeune femme, et ce serait un mensonge de me dire qu'il ne ressent pas ce que je ressens pour lui. Mais je connais sa réponse, elle est là, au bout de ses lèvres.
Non.
— C'est mon rêve, je fais ce que je veux. Si je veux qu'il fasse jour, il fera jour. Et si je veux qu'il fasse nuit, il fera nuit.
En écho à mes paroles plus sèches et lasses que je ne l'escomptais, le ciel se mue en un claquement de doigts pour dévoiler un grand soleil, avant d'aussitôt recouvrir sa forme nocturne.
Ignorant le pincement que j'ai au cœur, je me redresse complètement pour quitter son torse et m'asseoir à côté de lui, en veillant bien à lui tourner le dos. Je perçois du mouvement à mes côtés, et le devine s'asseoir à son tour. Sans que je ne m'y attende le moins du monde, ses doigts trouvent le chemin de ma nuque et m'attirent à lui.
Comment puis-je ne pas l'aimer quand il agit avec une telle tendresse ?
— Il y a un problème ? Tu veux m'en parler ?
Sans oser affronter son regard, je me contente de remuer négativement la tête, mais cela ne semble pas lui suffire, alors il poursuit :
— Tu t'es encore disputée avec tes parents ? Ou il s'est passé quelque chose au lycée, avec tes amis ?
Pour une fois, mes parents n'ont rien à voir dans mon brusque changement d'attitude. Je ne me suis pas querellée avec eux, ni à propos de mes études, ni à propos de mes passions, et encore moins à propos de mes nombreux défauts. À vrai dire, je ne pense même pas à eux, seulement à lui.
Quant au lycée, je n'ai pas à me plaindre : mes amis sont présents pour moi, quoiqu'il arrive, et je n'ai jamais été aussi proche d'obtenir mon diplôme. Dans un peu plus de deux mois, je serai une agréée de plus au baccalauréat parmi ces centaines de milliers de Français qui l'obtiennent chaque année. Non, vraiment, aucun autre problème que lui.
Alors je nie une nouvelle fois.
Durant de longues secondes, il ne fait rien, ne dit rien. Comme s'il semblait réfléchir à la raison de mon comportement.
Ne comprends-tu donc pas que c'est toi ?
— C'est parce que je t'ai appelée Ariel ?
À ces mots, il glisse son index sous mon menton et me contraint à relever la tête, délicatement.
Ses yeux reflètent le tourment qui l'habite : il refuse de me voir ainsi et paraît bien décidé à découvrir la raison de mon brusque rejet, au risque d'apprendre qu'il en est le fautif.
Très bien, tu veux savoir ?
— Oui et non.
— Non ?
Je le laisse mijoter quelques instants supplémentaires, mais sa patience commence lentement à s'effriter, alors je concède un aveu qui n'en est même pas vraiment un.
— Tu sais très bien ce qu'il y a, Morphée.
Toutefois ce semblant de confession suffit à lui faire comprendre.
Aussitôt ces paroles ont-elles franchi la barrière de mes lèvres qu'il rompt le moindre contact entre nous, instaurant une distance, un froid qui me paralyse et gèle mon palpitant.
— Ophélia, je t'ai déjà dit que...
— Je ne suis plus une enfant ! Et n'ose même pas me dire que je suis la seule à le vouloir, je sais que c'est faux.
Il plisse ses yeux, se mord la lippe inférieure, avant d'abdiquer dans un soupir :
— D'accord, tu étais jeune, mais pas une enfant. C'était une excuse, et je savais pertinemment que tu reviendrais à la charge, j'espérais seulement le plus tard possible. Nous deux, c'est impossible, c'est malsain, c'est irréaliste... Ophélia, je t'en prie, comprends-moi, m'implore-t-il soudainement, ses grandes paumes entourant mon visage dans une étreinte exquise. Je suis un dieu, un immortel. Je ne subsiste nulle part ailleurs que dans les rêves, et personne d'autre que toi ne me voit.
Il s'offre un court répit durant lequel il pose son front contre le mien et clôt les paupières, avant de les rouvrir et nouer nos pupilles jusqu'à la fin de sa tirade.
— J'aimerais pouvoir être avec toi, éternellement, mais je ne peux pas t'infliger ça. Un jour, tu vas mourir, et je retournerai à ma vie d'avant, morne et sans intérêt après t'avoir perdue, toi, la seule lumière de mon existence. Mais je ne pourrai pas survivre avec les remords de t'avoir privée de ta vie, ta vraie vie, dans la réalité. Parce que je n'existe que pour toi, et que quiconque écouterait notre histoire te jugerait folle. Je ne peux pas te priver d'une vie normale, t'ôter la possibilité de fonder une famille – parce que je ne pourrais jamais le faire –, te contraindre au silence et ne plus pouvoir partager ces moments que dans l'intimité de notre amour.
L'entendre évoquer tout ce que nous pourrions être, admettre la réciprocité de mes sentiments sans toutefois nous laisser la moindre chance... c'en est trop à supporter.
— Morphée, arrête...
— Non. Tu voulais savoir, n'est-ce pas ? Voilà de quoi il en retourne. Nous, c'est impossible. Je veux que tu aies l'opportunité de choisir l'homme de ta vie, celui qui te rendra heureuse, que tu épouseras et qui sera le père de tes enfants. Je veux que tu vives ta vie. Ça, ce que nous vivons en ce moment même, ce n'est qu'un rêve Ophélia ! Un rêve ! Rien de tout ce qui se passera ici ne sera réel, comprend-le...
— Mais toi tu es réel ! plaidé-je en m'accrochant violemment à lui, ses épaules, son dos, sa chevelure, dans la crainte qu'il disparaisse sous mes yeux larmoyants. Dans mon cœur, mon esprit, tu es réel, bien plus que n'importe qui d'autre.
Son désespoir reflet du mien, sa main toujours logée dans ma nuque me fait ployer sous son ordre silencieux et je me cambre contre lui, l'appelant à céder, accepter l'évidence.
— Tu crois pouvoir gérer ça ? Être capable de supporter une vie entière à mes côtés...?
Ce n'est qu'un murmure, un chuchotement inintelligible qui effleure mes lèvres suppliantes alors que tout mon corps hurle de frustration, de désirs qu'il meurt d'assouvir avec lui, et seulement avec lui.
— Morphée, s'il te plaît... gémis-je faiblement, sans plus aucune force, nos lèvres si proches que plus rien ne nous sépare.
Jamais je ne me suis autant sentie au bord de l'extase, de l'implosion, et je suis certaine que si je n'étais pas en plein rêve, mon cœur aurait déjà explosé sous ma poitrine.
Je le conjure de m'embrasser, accentuant la pression de mes doigts logés dans sa doucereuse crinière, et sa propre complainte s'écrase sur ma bouche lorsque ses lippes effleurent finalement les miennes.
Seigneur, si douces !
Je ne bouge pas, et lui non plus. Aucun de nous n'ose croire à ce qui est en train de se produire.
Sa main posée sur ma joue survole mon corps pour trouver ma taille, et son bras puissant m'attire contre lui, m'enjoignant à entourer son bassin de mes jambes. Ma poitrine heurte son torse et cette fois, il se jette sur mes lèvres, tel un coupable qui a déjà péché et ne craint plus les conséquences.
Ô Morphée, mon ami, mon amour.
Je goûte le velouté de ses lèvres, l'ardeur de sa passion, l'ivresse de ses morsures langoureuses, la moiteur de sa langue invitant sensuellement la mienne, la jouissance de ses grognements rauques avalés par mes soupirs comblés, la flamme de son amour pour moi.
Je me perds inlassablement dans l'étroitesse de son étreinte, dans la chaleur de son brasier, dans ce rêve devenu réalité.
Je sombre, succombe et m'effondre dans les bras de Morphée.
☁️☁️☁️
Hey hey ! ❄️
Alors, ce premier chapitre ?
Que pensez-vous de notre chère Ophélia à ses dix-huit ans ? Un peu têtue, non ? Quoique, il faut dire que Morphée ne lui laisse pas vraiment d'autres alternatives. Préparez-vous, parce qu'il n'a pas fini d'être chiant.
Et ce petit extrait, en début de chapitre ? Ne craignez-vous pas le pire...?
J'espère que ça vous a plu, et je vous donne rendez-vous lundi prochain, 11h, pour le chapitre 2 qui se déroulera 5 ans plus tard.
Des bisous ! ❤️
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