Chapitre 18

Je me réveille lentement, en entendant des piaillements autour de moi. Je fronce les sourcils, le sourire aux lèvres. Je me demande où Morphé m'a amené cette fois-ci.

Je me redresse pour me retrouver en position assise, mais je manque de faire un arrêt cardiaque en voyant que j'ai les pieds dans le vide, à une centaine de mètres du sol.

- Tu aimes la vue ?, me demande Morphé.

- Je ne m'attendais pas à ça, je lui réponds, en déglutissant. Je me remets à peine de mes émotions.

- Dois-je te rappeler que c'est toi, qui voulais te retrouver dans un lieu insolite ?

- Oui, je lui réponds, en admirant l'étendue verte à mes pieds, mais là...

- Et bien, c'est un lieu insolite. C'est l'une des plus grandes forêts de ce monde, m'explique Morphé.

- De la Terre ?

- Non, du monde des rêves.

- Aah, d'accord...

Un petit silence s'installe entre nous, et j'en profite pour admirer la vue qui s'offre à moi. Je suis assis tout au bord d'une espèce de petite cabane au sommet d'un arbre immense, qui surplombe une forêt tellement grande qu'on n'en voit pas les limites à l'horizon. Il y a des perroquets et plein d'autres sortes d'oiseaux qui volent partout dans le ciel, et qui nous offre une symphonie plutôt particulière.

Mais en tout cas, c'est vraiment magnifique... Comme chaque lieu que j'ai le loisir d'observer ici, d'ailleurs.

- Morphé, je l'interpelle, comment ça marche les rêves, en fait ?

Il cligne plusieurs fois des yeux, avant de se gratter la nuque.

- C'est un peu compliqué à expliquer...

- C'est pas grave, j'ai le temps.

Il hoche la tête, et vient s'asseoir à côté de moi. Tout comme moi, il s'amuse à balancer ses jambes d'avant en arrière, au dessus du vide.

- Quand les humains s'endorment, commence-t-il, ils viennent ici, dans le monde des rêves. C'est là que je peux leur donner leurs rêves.

- Leur donner leur rêve ?, je répète.

Il hoche la tête en souriant, comme s'il m'avait donné la réponse la plus précise qu'il aurait pu me donner.

- Je ne suis pas totalement sûr de comprendre...

- C'est moi qui imagine et construis les rêves des humains. Quand ils s'endorment dans votre monde, ils viennent dans le mien, ici, dans le monde des rêves, et c'est là que je peux leur donner les rêves que j'ai imaginé pour eux.

- D'accord..., je lui réponds, en fronçant les sourcils.

De tout ce que je m'étais imaginé, je n'avais jamais pensé à ça. Je pensais que les humains étaient assez libre, avec leurs rêves...

- Avant, commence Morphé, il y avait plus de gens comme toi, avec le don de faire des "rêves lucides", comme vous les appelez. Ils pouvaient faire absolument tout ce qu'ils voulaient ici, dans mon monde.

- Pourquoi ce n'est plus comme ça pour tout le monde, alors ?, je lui demande.

- Il en reste quelques uns, mais très peu. Ce don s'est perdu au fil du temps, parce que les humains n'en faisaient malheureusement pas bon usage. Certains s'amusaient à terroriser ou à gâcher les rêves des autres, en se protégeant derrière leur "liberté".

- Oui, je vois... Ce n'est pas vraiment étonnant, je souffle.

La race humaine est tellement mauvaise, de toute façon... A part détruire le monde, elle ne fait pas grand chose.

- C'est dommage, continue Morphé, mais je suis content de voir qu'il reste quelques personnes qui restent dignes de mon présent, comme toi.

- Merci...

Je sens que je deviens tout rouge suite à ce compliment, et vu son sourire, ça a l'air de l'amuser. Mais je ne peux pas le lui reprocher, étant donné que je suis le premier à aimer le faire rougir aussi.

- Joël, commence-t-il, puis-je te poser une question ?

- Euh oui, bien sûr.

- Que ferais-tu, si je ne passais pas te voir dans tes rêves ?

J'ouvre la bouche pour lui répondre, mais en fait, c'est une bonne question. Une question dont je n'ai pas la réponse. En fait, je n'y ai tout simplement jamais réfléchi. Depuis tout petit, mes rêves étaient toujours les mêmes : agressé puis tué par les quatre hommes-démons. Et depuis qu'ils sont arrivés, je n'ai jamais quitté Morphé. Mais c'est vrai qu'en y réfléchissant... Étant donné qu'ici on peut faire absolument tout ce qu'on veut, les possibilités à envisager sont infinies.

- Je n'en sais rien, je finis par soupirer.

- Tu n'y avais jamais réfléchi ?, comprend-il.

- Non, jamais... Mais je sais que j'aime vraiment passer du temps avec toi. C'est ça que je veux, pendant que mes rêves.

Il hoche lentement la tête, l'air pensif. J'espère qu'il ne me pose pas cette question parce qu'il veut arrêter de venir me voir...

- Moi aussi j'apprécie ta compagnie.

Il me sourit franchement, puis détourne le regard pour observer le paysage. Je continue de le fixer pendant encore quelques secondes, comme toujours, puis je me mets moi aussi à regarder le paysage. C'est vraiment... Mais vraiment beau.

- Qu'est-ce que c'est, au loin ?, je lui demande.

- ça ?

- Là bas, je lui réponds, en pointant l'horizon. On dirait du brouillard.

- Ah... Il s'agit de la limite de mon territoire. La limite du monde des rêves.

- Même ici, il y a une frontière ?

- Je sais que mon pouvoir est grand, mais je ne suis malheureusement pas infini, plaisante-t-il.

Je me mordille la langue, pour éviter de dire une autre bêtise. C'est logique, Morphé doit déjà être tellement puissant pour pouvoir contrôler un monde aussi vaste... Il ne faut pas abuser non plus.

- Est-ce qu'il y a quelque chose de l'autre côté ?, je lui demande, curieux.

Il se crispe, et secoue vivement la tête de droite à gauche.

- Rien de bien ne vit là bas. Crois moi.

- C'est le monde des cauchemars ?

- Non, les cauchemars sont mes créations, tout comme les rêves. Ils sont censés vous apprendre à vous battre contre vos peurs, m'explique-t-il. Là bas, c'est... C'est autre chose.

- Autre chose, je répète.

- Discutons d'autre chose, veux-tu ?

Je hoche lentement la tête, en faisant la moue. Il y a quand même beaucoup de sujets que Morphé préfère ne pas développer. Je peux le comprendre, mais... Ça me frustre un peu. Côtoyer un dieu devrait me permettre d'avoir les réponses à toutes les questions de l'univers, et pas me faire en avoir encore plus.

- Je suis navré de ne pas pouvoir tout te dire, soupire-t-il, mais cela vaut mieux. Il y a des vérités qu'il vaut mieux ne pas déterrer.

- Je comprends, ne t'en fais pas. C'est juste que tout ça m'intrigue.

Pour toute réponse, sa bouche de fend d'un sourire, et il pousse un petit sifflement, auquel tous les oiseaux de la forêt répondent.

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