Chapitre 7




Freya s'efforça de se souvenir, mais cet homme lui était totalement méconnu. Il avait environ quarante ans et comme les autres hommes portait une barbe un peu plus courte que les autres. Son sourire était à la fois rassurant et inquiétant car il donnait l'impression d'être conscient de son rôle important dans la communauté.

  - Nous sommes tous ravis de te savoir de  nouveau parmi nous Freya, déclara-t-il en comblant les quelques mètres qui les séparaient. Ta famille a été si bouleversée quand ce monstre t'a enlevé, mais nous avons prié pour ton retour et Dieu a entendu nos prières.

Sa voix était si calme qu'elle en devenait presque charmeuse, remarqua-t-elle en jetant un bref regard en direction de sa mère.

  - Merci beaucoup monsieur Lantz.

  - Robert Lantz, rectifia-t-il en tendant sa main.

Freya accepta de lui serrer la main et sentit la pression de ses doigts sur ses phalanges.

Jusqu'à ce qu'il libère sa main, Freya plongea son regard dans le sien pour tenter de lire l'âme de ce révérend Lantz.

  - Quand tu étais petite, tu aimais bien courir et te cacher dans les champs. Est-ce que tu te souviens ? 

Surprise qu'il évoque ce souvenir, Freya battit des cils en hochant brièvement la tête.

  - Et maintenant te voilà une belle jeune femme forte et courageuse.

  - Oh oui elle l'est, confirma Claire d'une voix remplie d'admiration.

Freya déglutit péniblement en forçant un sourire et attendit que le révérend Lantz s'éloigne pour questionner sa mère.

  - Est-ce qu'il est important ? 

  - Oui il l'est, répondit-elle en posant ses mains sur ses épaules. C'est lui qui nous guide, qui nous enseigne notre foi et qui nous empêche de tomber dans le péché.

La jeune femme tourna la tête en direction du révérend entouré d'enfants qui jouaient autour de lui et qui discutait avec quelques hommes du village ainsi que son père.

  - Viens ma chérie, nous allons préparer le dîner.

Elle détourna le regard pour suivre sa mère, mais à contrecœur car elle aurait voulu prolonger sa balade et de préférence seule. Retrouver son village à Lancaster ne commençait pas aussi bien qu'elle l'avait espéré. Une partie d'elle éprouvait un peu de bonheur, mais une autre était triste et assez désemparée par l'accueil qu'elle avait reçu. C'était comme si elle n'avait jamais disparu. Comme si elle n'avait jamais été enlevée. Tout en découpant les légumes, un vide s'installa dans sa poitrine, mais aussi dans son cœur. Elle ne pouvait pas parler de ces sept ans passés loin d'eux et pourtant elle rêvait de pouvoir se confier à sa mère sans la voir pleurer ou éclater en sanglots. Ici, le mieux était de se confier à Dieu et à lui seul.

Le fait qu'ils l'aient cru morte pendant des années n'arrangeait en rien les retrouvailles, mais en plus de cela, Freya avait la sensation qu'il lui manquait quelque chose.

À l'heure du dîner, les odeurs alléchantes furent son unique réconfort et quand son père s'installa à la table, Freya ressentit en elle un malaise qu'elle n'arrivait pas à expliquer. Lui aussi semblait l'être. Était-ce de la timidité ? De la peur ? De la culpabilité ? 

Refusant d'y songer plus longtemps, elle prit place en face de ses parents et jeta un coup d'œil nerveux aux couverts disposés. Elle serra les poings pour résister à la tentation de les déplacer de la même façon méticuleuse que lui...cet homme de la nuit...cet homme des ténèbres qui avait une façon bien à lui de dresser une table. Elle se souvenait de chaque étape avec précision et pendant lesquelles Freya était restée immobile à attendre que tout soit comme lui l'avait décidé.

Pendant une brève seconde elle crut sentir sa main gantée passer à sa droite pour positionner le couteau à sa façon, mais cette hallucination fut interrompue par son père.

  - As-tu oublié tes prières ? 

  - Non père, je ne les ai pas oubliés. 

  - Dans ce cas je propose que tu te lances, dit-il sans la regarder.

Freya inspira profondément et prononça le bénédicité dans un murmure incertain. En rouvrant les yeux elle eut la surprise de découvrir son père en train de la regarder avec satisfaction.

  - Il est temps de commencer avant que ça refroidisse.

L'ambiance était lourde, presque suffocante jusqu'à ce que Claire prenne la parole.

  - Est-ce...que...Est-ce que tu as étudié un peu pendant...

  - Non, mentit-elle en passant le plat à Tessa. Je n'ai pas étudié mais j'avais beaucoup de livres à ma disposition.

  - Est-ce que tu veux m'accompagner aux enseignements de monsieur Slander ? 

  - Oh eh bien, je ne sais pas.

  - Il est trop tard pour étudier, lança son père assez durement. Elle n'a plus le temps d'étudier et toi aussi d'ailleurs. Vous êtes des femmes maintenant.

Freya piqua un morceau de poulet sans lâcher son père du regard qui commençait à s'agacer.

  - Est-ce que ma présence t'indispose père ?

  - Ne raconte pas n'importe quoi Freya, répondit-il avec hâte en la regardant enfin dans les yeux. Ta présence parmi nous est un miracle de Dieu et je vais le remercier chaque jour pour ça, mais tu dois comprendre que désormais tu es parmi nous. Tu es de retour chez toi, et tu dois connaître les règles.

Freya eut de plus en plus de mal à respirer. 

  - Daniel, je pense que notre fille connaît les règles.

  - Non justement, certaines m'ont échappé et je serais plus qu'heureuse de les connaître, dit Freya en soutenant le regard de son père qui était désormais sévère.

  - Il est temps pour toi de prendre un nouveau départ Freya et oublier le passé. Je pense qu'il est temps pour toi de te marier.

La seconde suivante un bruit de vaisselle se mit à retentir et qui provenait de l'assiette de sa mère.

  - Daniel ! s'exclama Claire d'une voix à la fois mécontente et choquée. Freya est à peine revenue que...

  - Le révérend Lantz et moi-même pensons que c'est une bonne idée, la coupa-t-il sur un ton plus amène. Freya a besoin de se reconstruire avec un mari à ses côtés.

Le cœur battant contre ses tempes, Freya resta sans voix et effrayée par cette suggestion. 

  - Je ne suis pas mariée père et j'ai trois ans de plus que Freya, précisa Tessa en essayant de voler à son secours.

  - Eh bien il est temps que tu y réfléchisses sérieusement, répondit-il aussitôt en la regardant sévèrement. 

L'appétit coupé, Freya reposa lentement la fourchette dans l'assiette.

  - Freya je pense que ça pourra t'aider, insista son père d'une voix confiante. Tu as besoin d'un mari qui t'aidera à passer ce chemin tortueux et difficile.

  - Dieu m'aide, et ça me suffit, lui dit-elle en soutenant son regard.

  - Le révérend a raison, et tu devrais y réfléchir, ajouta-t-il en feignant ne pas l'avoir entendu. De plus, beaucoup d'hommes célibataires ont déjà éprouvé de l'intérêt pour toi. 

Choquée Freya le dévisagea dans l'espoir que ce soit un mensonge.

  - Il faut dire que la nature t'a gâté, reprit-il en tapotant sa serviette sur la bouche. Je n'ai pas eu autant d'enfants que je l'avais espéré, mais j'ai deux filles très belles et c'est un cadeau précieux.

Le ventre noué, la gorge sèche, Freya vrilla son regard dans celui de sa mère et comprit à son expression qu'elle n'était pas d'accord avec lui, mais devait taire ses pensées. Par crainte d'envenimer la situation, elle baissa la tête en direction de son assiette et se remit à manger. 

Elle quitta la table la première et son silence fut récompensé par un baiser sur son front de la part de son père qui pensait sans doute qu'elle accepterait de se marier sans un mot.

Une fois dans sa chambre elle arracha la coiffe sur son chignon et la jeta à terre en posant sa tête contre la porte

Le souffle court, elle porta une main à sa poitrine puis décida de se débarrasser de ses vêtements pour passer une chemise de nuit simple. Le bonheur d'être rentrée avait été brisé par les aspects les plus rudimentaires de sa communauté, mais aussi par son père qui voulait à tout prix lui faire à son tour oublier ces sept ans passés loin des amish. Pensait-il sans doute qu'elle avait vécu dans le monde moderne trop longtemps et qu'elle devait réapprendre à vivre selon les lois des amish.

Une larme roula sur joue alors qu'elle brossait machinalement ses cheveux brun depuis de longues minutes avant de reposer la brosse sur la table de nuit.

Épuisée, elle préféra s'allonger et oublier cette journée qui ne lui avait rien apporter de bon et se plongea dans le noir. La main sous l'oreiller,  elle ferma les yeux en résistant à la tentation de verser une autre larme brûlante. Son esprit lui imposa à nouveau l'homme des ténèbres quand elle sentit Jupiter s'allonger à ses pieds.

Perdue dans les méandres, elle eut alors l'impression d'entendre des pas dans sa chambre et ouvrit lentement les yeux. Les planches de bois craquaient sous le poids, tandis qu'elle avait les yeux rivés sur la fenêtre.

L'hallucination perdura encore, et plus les pas se rapprochaient plus elle avait l'impression d'être paralysée par cette envie de la faire perdurer.

Comme au tribunal, la silhouette massive contourna le lit et se planta devant celui-ci, masquant le clair de lune qui filtrait dans sa chambre.

N'ayant plus peur de son propre esprit, Freya leva son regard sur son visage enturbanné dans cet effrayant tissu noir et cessa de respirer. Soudain elle décela une respiration bruyante et lourde comme celle d'un homme en colère et elle connaissait cette respiration. Elle ferma les yeux quelques secondes pour que l'hallucination s'estompe, mais lorsqu'elle les rouvrit, son sang se glaça en découvrant que l'illusion n'avait pas bougé d'un millimètre. La respiration de plus en plus saccadée, elle réalisa que c'était réel et n'osa pas bouger.

Il était là, dressé devant elle, la dominant avec les ténèbres redoutables tout autour de lui. 

Freya avait le choix. Elle pouvait hurler et appeler à l'aide, mais au lieu de ça, elle resta là sans bouger à attendre de savoir si elle était en train d'halluciner ou si c'était bel et bien réel. 

Était-ce réel ? Que voulait-il ? La tuer ? 

Une larme roula sur sa joue froide de peur et quand il se pencha en avant elle cessa de respirer.

Au ralenti, il approcha sa main vers son visage et alors qu'elle s'attendait à mourir étranglée sous le poids de sa main forte, il tendit son index pour essayer la larme glacée avant qu'elle ne touche l'oreiller.

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