L'hiver approchait et les semences de blé étaient pratiquement terminées. Freya se souvenait que brièvement cette odeur agréable pendant l'hiver dans les champs et ce désir de vouloir courir entre les rangées avec sa sœur. Ce souvenir lui décrocha un léger sourire qui s'estompa ensuite parce qu'un autre lui glaça le sang. Elle quitta sa torpeur pour toucher nerveusement sa coiffe et sentit sa main trembler. 

Elle avait à la fois hâte de retrouver sa famille et inquiète de les revoir après tant de mois passés. Ce n'était pas de leur faute, et encore moins de la sienne. Freya aurait préféré ne pas avoir oublié cette vie auprès d'eux, et aujourd'hui elle se sentait prête à retourner là-bas pour affronter ses souvenirs. 

Bien sûr, les raisons qui poussaient la police à la ramener à Lancaster n'avaient rien de comparable avec les siennes et c'est aussi pour cette raison qu'elle voulait retrouver les siens. Elle avait l'impression d'être un morceau de viande lâché dans une arène pour attirer un lion sauvage. Ils l'avaient sciemment mise en danger et aujourd'hui encore ils espéraient que son retour auprès de sa famille puisse faire sortir le loup du bois. Freya était tétanisée parce qu'elle avait fait les mauvais choix jusqu'ici et le regrettait. 

Tout en étant perdue entre deux eaux troubles, chacun d'eux s'était servi d'elle et aujourd'hui elle craignait pour sa vie.

Plus rien n'avait de sens qu'elle avait retrouvé sa liberté. En vain elle essayait de comprendre, mais aucune de ses questions n'avait encore trouvée une réponses.

  - Vous êtes prête ? 

Dans la voiture qui la conduisait dans son village à Lancaster se trouvaient Gunner et Lazarus. L'un était venu pour lui témoigner son soutien et l'autre était venu dans l'espoir de voir apparaître le tueur parmi la foule.

Nerveusement elle hocha doucement la tête en vérifiant une dernière fois sa coiffe blanche. 

  - J'ignore ce que vous cherchez en faisant cela, mais je ne marche plus dans ce jeu, prévint-elle en les regardant tour à tour. Je veux retrouver ma famille ainsi que mes souvenirs. Je ne veux plus être mêlée à ça.

  - Vous n'aurez malheureusement pas le choix, répondit Gunner d'une voix faussement désolée.

  - On a toujours le choix.

  - Pas dans cette situation, répliqua-t-il aussitôt. Il veut quelque chose de vous mademoiselle Cullen, plus tôt vous le comprendrez plus vite nous pourrons faire avancer l'enquête.

  - Je sais ce qu'il veut monsieur Azarov, s'enquit-elle quand la voiture s'arrêta. Il veut que je me taise et que je passe à autre chose. Si vous voulez coincer cet homme faites-le vous même.

  - Laissons mademoiselle Cullen retrouver les siens, conclut Varak en sortant le premier de la voiture.

Le cœur battant à la chamade, Freya quitta la voiture. Un petit comité s'était formé pour la recevoir et parmi les présences, elle vit sa mère qui s'avança vers elle le visage ému. Tessa la suivit et la devança pour lui sauter au cou.

  - Tu m'as tellement manqué, murmura Tessa contre son épaule.

Freya ferma les yeux pour humer son parfum dans l'espoir qu'il lui ramène les souvenirs qui manquaient à sa mémoire. Une émotion profonde se mit à l'envahir quand sa mère l'enlaça à son tour. 

  - Bonjour maman, souffla-t-elle d'une voix émue.

  - Bonjour mon ange, tu m'as tant manqué.

Elle l'obligea à s'écarter pour l'admirer avec des yeux brillants d'émotions.

  - Tu es si belle, ajouta-t-elle en posant une main émue sur sa bouche. Tu es devenue une jeune femme si merveilleuse.

Freya reçut des flashs alors qu'elle dévisageait ce visage qui lui était à la fois si familier et méconnu.

Une profonde émotion lui noua la gorge et ce fut plus intense quand elle la reprit dans ses bras. 

  - Bonjour ma fille, lança une voix derrière Claire Cullen.

Sa mère s'écarta et un homme d'environ cinquante ans s'approcha. Une barbe longue recouvrait le bas de son visage, et il portait un chapeau comme le reste des hommes. Son regard marron était accompagné d'une lueur à la fois heureuse et dure. C'était comme s'il n'était pas du genre à se donner en spectacle et que seul Dieu pouvait entendre ses émotions.

  - Il est temps de rentrer chez nous maintenant, ajouta-t-il en posant sa main sur son épaule.

Elle lui adressa un mince sourire en essuyant la larme qui avait glissé jusqu'à la commissure de sa bouche.

  - Le policier Kendrick Harks restera dans le coin pour surveiller les alentours dans les prochains jours, déclara-t-il Varak ce qui attira immédiatement l'attention des amish.

  - Est-ce bien nécessaire ? Demanda l'un d'eux hostile à cette présence policière.

  - Oui, je le crains, répondit-il en baissant les yeux sur elle.

Il s'approcha et lui tendit sa carte avec son numéro. 

  - Si vous avez le moindre problème, même le plus infime, n'hésitez pas à me contacter.

Elle récupéra la carte en le remerciant avec un sourire fermé puis se tourna vers Azarov.

  - Si vous le croisez, n'hésitez pas à me contacter, lança-t-il avec sarcasme.

Il remonta dans la voiture après avoir coulé un regard indescriptible sur elle. 

  - Au revoir Freya, dit Lazarus en s'éloignant à son tour.

Elle regarda sa haute silhouette massive disparaître dans la voiture et un froid se mit à la saisir dans l'échine.

  - Viens mon enfant.

Tout en suivant sa mère, Freya baissa les yeux parce que de nombreuses paires d'yeux étaient braquées sur elle. Inutile d'avoir le don de pouvoir lire dans les pensées pour en connaître les profondeurs.

Après tout n'était-elle l'amish capturée sept ans plus tôt ?

Quand elle trouva la force de lever le regard quelques sourires lui furent destinés puis ensuite elle le rabaissa vers ses chaussures.

C'était la première fois depuis sept ans qu'elle portait cette tenue que les autres jeunes femmes portaient. Une robe bleue, des chaussures simples, des collants noirs en coton ainsi qu'une coiffe immaculée et transparente qui recouvrait son chignon.

Tessa passa son bras sous le sien pour la conduire dans cette maison qu'elle avait quitté sept ans plus tôt pour faire quelques courses. En pénétrant à l'intérieur, un souvenir lui revint et qui avait un lien avec le jour de sa disparition. Elle se souvenait de la cuisinière et de la table en bois où reposaient principalement des pains et des brioches encore chaudes.

  - Tu te souviens ? Demanda Tessa.

  - Un peu, avoua-t-elle en s'approchant de la table.

  - Ta chambre n'a pas bougé de place, elle est restée telle que tu l'as laissée.

Elle se tourna vers son père qui avait ôté son chapeau tout en restant dans l'encadrement de la porte. 

Un silence pesant s'ensuivit et dans lequel il s'avança l'air embrassé.

  - Je dois retourner au travail, je serai de retour ce soir. En attendant, ta sœur et ta mère vont t'aider à retrouver tes repères. 

  - D'accord.

Il remit son chapeau et quitta la maison.

Jemme l'avait prévenu que son père ne serait pas comme elle l'avait secrètement espéré. Il était dur, presque sans émotion. Tout le contraire de sa mère et de sa sœur.

  - Ne t'en fais pas pour lui mon ange, s'empressa de dire sa mère après son départ. Il est heureux de ton retour crois-moi. C'est juste que...qu'il...

  - ...il me croyait morte, je sais, finit-elle à la place. Tante Jemma me l'a dit.

Claire toucha la joue de sa fille avec un regard désolé puis lui sourit.

  - Je suis si heureuse de ton retour.

  - Moi aussi maman.

L'émotion demeura de longues minutes puis Tessa lui montra sa chambre. La retrouver ne lui procura aucune joie, juste le sentiment de la connaître et elle s'approcha de la fenêtre qui donnait sur la forêt.

  - Si tu as besoin de quoique ce soit, je suis là Freya.

Elle se tourna vers sa sœur aux cheveux blonds qui n'arrêtait pas de sourire, excitée qu'elle soit de retour.

  - Merci Tessa.

Elle s'approcha, les mains derrière le dos.

  - Alors comme ça la police essaye de coincer celui qui t'a enlevé ? 

Freya changea d'expression en allant libérer Jupiter qui lui avait été ramené dans une cage spéciale. 

  - Je suis désolée, je ne voulais pas être indiscrète, je ne voulais pas te perturber.

  - Ça ne fait rien, s'empressa-t-elle de dire en prenant Jupiter dans ses bras. Pour être honnête je ne sais ce que la police tente de faire et je ne veux pas y penser.

  - Oui tu as raison. Le plus important c'est que tu sois ici avec nous maintenant.

Freya s'efforça de lui sourire pour ne pas inquiéter sa soeur mais au fond d'elle, Freya avait peur. 

  - Je vais préparer le repas avec maman, annonça-t-elle en se dirigeant vers la porte. En attendant, profite pour te familiariser avec la maison et le village.

Comme à chaque fois qu'elle se retrouvait à nouveau seule, son visage devint triste et rempli d'incertitudes. Avec un soupir elle déposa Jupiter sur le sol et s'approcha doucement vers la fenêtre.

Un pincement dans le cœur, elle se rappela de cet endroit et précisément la balançoire. Prise dans une lourde torpeur, Freya resta longuement devant la fenêtre à essayer de laisser les souvenirs émerger un à un.

Peu à peu sa mémoire se mit à se rappeler de quelques fragments et au bout d'un moment elle se sentit prise de vertiges.

Cherchant désespérément de l'air, elle quitta la maison pour marcher un peu, mais fut stoppée quelques mètres plus loin par la présence policière. Elle croisa le regard de Kendrick Harks qui, armé de patience tapotait son pouce sur la parois du véhicule au rythme de la musique qu'il écoutait.

Il lui adressa un sourire en lui faisant un signe de tête. Freya croisa les bras en lui rendant un sourire aimable puis lui tourna le dos.

Plus les jours passaient, plus Freya doutait de tout et de tout le monde.

Elle avait l'impression qu'ils cherchaient tous à obtenir quelque chose de sa part pendant qu'elle cherchait désespérément une issue de secours pour fuir loin de tout. 

À cet instant, Freya eut l'impression étrange d'être observée et préféra l'ignorer pour marcher aussi loin que le village lui permettait d'aller.

  - Freya ? Quel plaisir de te revoir.

La jeune femme cessa de marcher pour faire face à l'homme qui lui faisait face.

  - Qui êtes-vous ? 

  - Tu ne me reconnais pas ? S'étonna-t-il en avançant légèrement, un sourire chaleureux aux lèvres.

Une main se posa sur son épaule.

  - Je doute qu'elle vous reconnaisse, répondit sa mère en caressant son épaule. Freya tu l'as sans doute oublié mais je tiens à te présenter le Révérend Lantz. Le membre le plus important de notre communauté.