Chapitre 36





Revoir sa sœur en dehors du village lui procurait déjà du bonheur mais une partie d'elle savait que ce bonheur serait court. Elle descendit de la voiture pour aller à sa rencontre. Tesse esquissa un sourire, heureuse de la voir et la prit dans ses bras.

  - Bonjour Tessa, comment vas-tu ? Lui demanda-t-elle en l'écartant par les épaules pour étudier son visage.

  - Je vais bien, et toi Freya ? 

La jeune femme esquissa une grimace accompagné d'un bref sourire. 

  - Tu as l'air préoccupé, nota Freya en relâchant ses épaules.

Tessa remit un peu d'ordre inutile dans ses cheveux à moitié enfermés dans la coiffe blanche et se racla la gorge.

  - Ce n'est pas un hasard si je suis ici, papa espérait que je tombe sur toi en me rendant en ville.

Qu'avait-elle dit à propos de ce bonheur qu'elle avait que brièvement ressenti ? 

Freya fit un pas en arrière pour lui montrer que la suite n'allait pas l'intéresser. 

  - S'il te plaît Freya, essaye de faire un effort, commença sa sœur en la regardant avec un air presque suppliant. Maman est dévastée depuis ton départ.

  - Dévastée ? Répéta-t-elle sèchement. Je ne pense pas qu'elle soit aussi dévastée qu'elle le laisse entendre.

Tessa prit une expression choquée.

  - C'est pourtant la vérité et elle voudrait te voir. Papa aussi. 

Freya ne pouvait rien dire et dut se mordre la lèvre presque à sang pour se retenir de lui dire la vérité.

  - Dimanche il y a un prêche à l'église et les parents espèrent que je suis en mesure de te convaincre de venir.

Freya ouvrit la bouche pour refuser mais sa soeur leva les mains devant elle et reprit avec hâte.

  - C'est seulement pour la prière, ils veulent juste partager ça avec toi et ensuite tu pourras partir. Tu seras libre de partir. Tu peux même venir avec la police si tu le souhaites.

  - À quoi ça va servir ? Cela risque de vous mettre en danger et je ne veux pas m'y rendre.

Tessa combla l'espace qui les séparait pour lui prendre les mains.

  - C'est simplement pour le prêche Freya, ils veulent te voir et s'assurer que tu vas bien. Je t'en prie, tu ne peux pas refuser. Peu importe si nous risquons quelque chose. Ils ont vraiment besoin de te voir.

Comment lui dire ? 

Comment lui dire toute la vérité sans prendre le risque que sa sœur la traite de menteuse ? 

Freya savait au plus profond de son âme que sa sœur connaissait un pan de la vérité mais semblait faire mine de ne pas la connaître. Elle qui pourtant avait essayé de la défendre face à leur père.

Un père déterminé à la marier à cet homme.

  - Je vais y réfléchir, finit-elle par dire sur un ton neutre en baissant les yeux. 

Tessa osa sourire légèrement mais ce sourire tremblait trop pour rester sur ses lèvres quelque peu tremblantes.

  - Merci Freya, murmura-t-elle en la prenant dans ses bras. Merci de faire ça pour notre mère.

Envahie d'une déception écrasante, Freya la serra dans ses bras mais le cœur n'y était pas. Elle avait le pénible pressentiment que sa sœur était en train de lui échapper à son tour. 

Absolument tout était en train de lui échapper, songea-t-elle en fermant les yeux.

  - Alors je te dis à demain ! Dit sa sœur en s'écartant légèrement.

  - Je vais y réfléchir, répéta-t-elle d'une voix presque cassée par l'émotion.

  - D'accord.

Le sourire de Tessa se mua en une déception qu'elle eut peine à cacher.

  - J'espère sincèrement que tu seras là, dit-elle avant de s'éloigner.

Freya la regarda partir en inspirant difficilement parce qu'elle avait l'impression de voir une partie d'elle s'éloigner pour mieux s'effacer dans ce paysage d'hiver. 

Une partie d'elle resterait à jamais Amish, mais une autre ne voulait plus jamais entrer dans cette communauté qui lui avait fait tant de mal. Perdue dans ses pensées elle se força à reprendre le sens de la réalité et se retourna pour rejoindre la voiture de Lazarus.

  - Que voulait-elle ? S'enquit-il avant même qu'elle ait eu le temps de refermer la portière.

  - Elle veut que je me rende à l'église demain pour le prêche. Mes parents souhaitent me voir.

  - Ce n'est pas une mauvaise idée.

Surprise de sa réponse, elle secoua la tête en l'interrogeant du regard.

  - Freya tu dois te souvenir que personne ne sait que tu es au courant des plans du révérend. Pour eux, tu es partie pour les protéger. Te rendre là-bas évitera qu'ils aient des doutes.

  - Mais...

  - Je serais tout près de toi, la coupa-t-il en la rassurant du regard. Je ne serais pas loin. 

C'était une autre promesse et Freya savait pertinemment qu'il allait la tenir, mais avait-elle vraiment la force de s'infliger ça ? 

  - Très bien, répondit-elle en détournant les yeux.

Il glissa ses doigts sous son menton la seconde suivante pour qu'elle tourne la tête dans sa direction.

  - Tout se passera bien Freya je te le promets.

  - Je sais, mais l'idée de revoir le révérend ne me plaît pas.

  - Je sais, dit-il doucement en caressant son menton. Comme je sais que je ne laisserais personne te faire du mal.

Ses paroles rassurantes lui montèrent au coeur qui devint alors plus apaisé, mais cet apaisement n'allait pas durer, elle le savait.

  - Rentrons maintenant.

  - Oui, excellente idée, murmura-t-elle en bouclant sa ceinture.

Le regard rivé sur la route, son cœur se mit à battre dangereusement dans sa poitrine quand ils passèrent devant l'entrée du village. Elle se raidit sur le siège, incapable d'oublier ne serait-ce qu'une seconde que le danger rodait partout dans cette ville et ses alentours. 

Elle ignorait d'où lui venaient ces pressentiments qui l'empêchaient parfois de respirer mais Freya avait la terrible sensation que quelque chose allait se produire ou qu'elle était trompée par quelqu'un ou quelque chose.

Était-ce Dieu lui-même qui lui envoyait des signes ? 

Freya n'avait pas perdu la foi et encore moins depuis qu'elle connaissait l'homme des ténèbres sous sa véritable identité.

Avec une grimace elle ferma les yeux pour essayer de se concentrer sur le positif même s'il était rare. 

  - Tu as faim ? Tu es fatiguée ? La questionna-t-il en refermant la porte de la maison.

  - Je voudrais...

Freya fit un tour sur elle-même en essayant de trouver ce qu'elle voulait vraiment faire.

  - Oui je suis fatiguée, mentit-elle.

Mentir à cet homme était pourtant impossible. Dans sa démarche la plus lente et presque énigmatique, il s'avança jusqu'à elle pour prendre son visage en coupe. Alors il se mit à l'étudier avec ce regard indéchiffrable et elle sut alors qu'il savait qu'elle mentait.

Pourtant, au lieu de l'assaillir de question il se pencha pour l'embrasser d'un baiser si tendre qu'elle eut peine à cacher son étonnement. Sans jamais lâcher son visage il se redressa de toute sa hauteur et de ses pouces caressa ses pommettes.

  - Je te rejoins plus tard, dit-il simplement en relâchant son visage.

Il s'éloigna avant elle et Freya eut l'impression de ressentir un vide immense l'envahir puis un frisson glacé quand il ôta sa veste qu'il balança sur le dossier du fauteuil.

Elle monta l'escalier en manquant de rater une marche et referma la porte de la chambre derrière elle avec hâte.

Ce qu'elle voulait là tout de suite c'est prier et se rapprocher de celui qui avait toutes les réponses alors qu'elle n'en avait aucune.

Ce moment lui arracha des larmes qu'elle ne put contrôler et l'épuisement s'ensuivit. Oui...elle était épuisée de ne pas connaître la vérité, de ne pas savoir son avenir et si elle faisait le bon choix.

Recroquevillée sur le lit, les yeux fermés, elle entendit ses pas au loin et se raidit à son approche parce qu'elle redoutait qu'il puisse deviner qu'elle s'était effondrée sur elle-même. Effrayée. Tétanisée. Désireuse de le supplier à genoux qu'il l'emmène loin d'ici.

  - Je sais que tu ne dors pas, déclara-t-il après s'être allongée à ses côtés, passant son bras sur elle pour la serrer contre lui. Je connais chacune de tes respirations et ce qu'elles représentent.

  - Je suis perdue avec moi-même je crois, lui confia-t-elle d'une toute petite voix.

  - Tu as peur pour demain.

  - Je suis déçue d'avoir vécu là-bas et de savoir que...rien n'est comme ce que j'avais pensé depuis l'enfance.

Il resserra son étreinte.

  - Je désire tant partir n'importe où pour ne plus ressentir cette douleur et ces pressentiments qui ne me quittent jamais.

Il ne dit rien, laissant le silence lui répondre mais sa prise contre elle devenait plus ferme et plus forte.

Elle essaya de lutter en vain, mais la fatigue la dominait depuis tant d'heures qu'elle se laissa happer par le sommeil parce qu'elle se sentait en sécurité.

Seuls les moments où elle dormait lui procuraient la paix, mais dès son réveil, la réalité la fouettait si violemment qu'elle en avait la nausée.

En ajustant sa coiffe, Freya tourna la tête en direction de Lazarus et se mordit la lèvre pour se retenir de lui dire ce qu'elle avait au plus profond de son cœur.

Sa plus grande crainte c'est que les sentiments qu'elle éprouvait ne soient de la même intensité ou bien même réciproque.

Il avait beau lui répéter en vain qu'elle lui appartenait, Freya avait besoin de plus pour être certaine que cette histoire était bien réelle. 

Lazarus Varak était un mystère glacial qu'il était presque impossible de résoudre. Chaque fois qu'elle pensait connaître l'une de ses pensées, une autre venait bousculer tout ce qu'elle croyait connaître de lui.

Elle quitta sa torpeur quand sa grande main captura la sienne pour l'enfermer dans son poing.

  - Nous sommes arrivés trésor.

Freya tira sur les pans de la cape noire pour se protéger du froid en regardant par la fenêtre de la voiture.

  - Je reste à proximité je te le promets.

  - Oui, dit-elle d'une voix presque inaudible.

Il déposa un baiser sur sa main puis se pencha pour capturer furtivement ses lèvres. Alors la jeune femme en profita pour observer l'encre dans ses yeux et à nouveau elle fut confrontée à la noirceur des ténèbres.

À contrecœur elle quitta la voiture et le regarda une dernière fois avant de s'éloigner dans le village. Sa gorge se serra à mesure qu'elle avançait. Autour de l'église tout était silencieux et ce détail la poussa à ralentir le pas. 

En arrivant à sa hauteur, la jeune femme s'arrêta un instant pour juger l'édifice d'une regard anxieux. Elle leva sa main tremblante pour pousser la lourde porte avec hésitation. Dans son dos, un courant glacial tétanisait sa nuque et ce courant d'air ne semblait pas vouloir la quitter quand la porte se referma dans un bruit sourd.

En pénétrant à l'intérieur elle s'attendait à découvrir les membres de la communauté installés sur les bancs, prêts à écouter le prêche mais découvrit une église vide.

Une angoisse latente commença à naître aussi fort que le pressentiment qui ne l'avait pas quitté depuis la veille.

Son cœur se mit à résonner dans sa poitrine quand plusieurs pas se mirent à résonner au fond de l'église.

Sa sœur Tessa émergea depuis l'autel accompagnée de son père et de sa mère. 

  - Tessa ? Que se passe-t-il ? Demanda-t-elle en s'avançant un peu vers eux.

C'est alors que Freya décela sur le visage de sa sœur la même confusion que la veille comme une flétrissure qui ne pourra jamais s'effacer.

  - Freya je suis sincèrement désolée, dit-elle les larmes aux yeux.

Alors elle comprit que sa sœur l'avait attiré dans un piège. Ses parents dépassèrent Tessa puis soudain Freya avait l'impression d'être entourée d'âmes sombres. 

Ce n'était pas une impression car plusieurs amishs étaient en train de l'encercler, comme un piège, comme si elle était une proie à attraper.

Bientôt elle s'attendait à voir le mal émerger au loin. Le mal qui avait rongé toutes ces personnes qui pensaient naïvement que le révérend était un envoyé de Dieu alors que c'était en réalité, un fidèle du diable...

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