Chapitre 22
- As-tu d'autres questions ?
Freya s'arracha de force à ses pensées qui n'avaient de cesse de se contredire puis déglutit péniblement. Sa paire d'yeux noirs était si pénétrante qu'elle en perdit la voix et dut se racler la gorge plusieurs fois avant de pouvoir enfin parler.
- Est-ce que vous allez tuer mes parents ?
- Pour l'instant non, répondit-il si vite qu'elle n'eut pas le temps de reprendre son souffle.
- Pour l'instant ?
- Cela dépend de ce qui feront avec toi, dit-il avec une franchise implacable. Vouloir marier de force sa fille tout en prétextant que c'est pour son bien est l'une des pires choses qu'un père peut faire à son enfant. Ils ont d'abord expliqué que c'était pour te guérir de tes péchés et désormais c'est pour te guérir d'avoir été enlevé. À la vérité ils ne te méritent pas et Jemma a raison, ils sont sous emprise mais ça n'excuse pas tout.
Freya baissa les yeux, les lèvres tremblantes.
- Quand j'ai commencé à m'intéresser à toi, j'ai décidé de m'informer sur eux et comment ils géraient ta disparition. Ils ont tout simplement décrété que tu étais morte. Était-ce une façon pour eux de se rassurer ? Ont-ils pensé que tu t'étais juste enfuie ? Est-ce qu'ils t'avaient juste banni de la communauté ?
La froideur dans sa voix l'empêcha de respirer.
- Lorsque la police les a informés que tu avais été retrouvé, ils étaient à la fois sous le choc et fermés à la nouvelle, reprit-il toujours aussi froidement. C'est seulement quand ils ont appris que tu avais perdu la mémoire qu'ils ont changé de comportement comme s'ils étaient soulagés de l'apprendre.
- Parce que j'avais oublié le révérend Lantz et tout le reste.
- Exactement, confirma-t-il les muscles de ses mâchoires contractés.
Freya cligna des yeux quand le serveur se matérialisa devant leur table. Une douleur lui serra la poitrine et la voix du serveur se perdit dans un bourdonnement. Les tempes douloureuses, elle releva les yeux péniblement sur Lazarus Varak qui échangeait avec le serveur puis peu à peu elle entendit sa voix couvrir les bourdonnements.
- Tout se passera bien, dit-il quand ils furent à nouveau seuls.
- Non, tout ne va pas bien se passer, murmura-t-elle en le dévisageant. Tout ne va pas bien se passer parce que rien n'est normal.
- Tu as raison, admit-il de sa voix rocailleuse. Cette situation n'est pas normale, mais il vaut mieux être entre mes mains que celles du révérend Lantz tu ne penses pas ?
Cette question la plongea dans une dimension temporelle. Freya s'imagina entre les mains du révérend Lantz et une nausée remonta dans sa gorge.
S'il ne l'avait pas enlevé, elle aurait probablement fini mariée à cet homme et par la force.
À cette pensée, elle posa la naissance de ses doigts à sa bouche en imaginant le pire.
" Il vaut mieux être entre mes mains "
Freya souleva les paupières pour regarder cet homme qui semblait dépossédé de la moindre émotion. Une dangerosité émanait de son corps comme une menace constante et elle se demandait comment elle avait pu la rater quand il s'était présenté à elle pour la première fois.
- Si tu t'évapore une nouvelle fois dans la nature les enquêteurs vont penser que tu es ma complice ou que tu essayes de me couvrir. Tu dois te montrer aux yeux de tous et dire simplement que tu as décidé de partir de ton village pour protéger ta famille de moi.
Le pire c'est que c'était la vérité, pensa-t-elle en fouillant dans l'encre de ses yeux.
- Aucun d'entre eux sait que je suis celui qu'ils recherchent désespérément donc tu ne risques rien en restant à mes côtés. Je serais pour eux un simple avocat qui fait son travail en protégeant sa cliente, conclut-il en se redressant.
Pouvait-elle lui faire confiance alors que son âme était impénétrable ?
Est-ce qu'il représentait un danger pour elle maintenant qu'elle connaissait son identité ?
Son cœur se mit à battre dangereusement car un flot de souvenirs remontaient dans sa mémoire. Des souvenirs de lui avec ce tissu qui avait momifié son visage de façon terrifiante. Des souvenirs des photos que Gunner lui avait volontairement montré et maintenant qu'elle voyait toute la force qui émanait de son physique Freya s'imaginait brisé entre ses mains.
- Tu devrais manger un peu.
Forcée de quitter cette sombre torpeur, Freya se passa une main dans les cheveux en inspirant imperceptiblement.
Elle n'avait pas vu le serveur venir déposer les plats qu'il avait commandé. C'était comme si une partie d'elle avait été aspiré par les ténèbres et qu'elle n'arrivait plus à en sortir.
- Je peux déceler dans ton regard que tu brûles de me poser d'autres questions.
- Non, mentit-elle en baissant furtivement les yeux. J'essaye seulement d'assimiler les informations et c'est difficile.
- C'est difficile pour quelle raison ?
- Parce que je suis terrifiée et perdue.
- Tu voulais connaître la vérité Freya, maintenant tu connais ton histoire et la mienne. Je ne te demande pas de l'accepter ni même d'approuver ce que j'ai fait, je n'en ai pas besoin.
Il posa sa grande main sur la nappe et le regard de Freya tomba sur celle-ci avec un frisson dans l'échine.
- Cependant n'espère pas de moi que je te laisse partir, ajouta-t-il avec une voix d'une douceur menaçante.
C'était comme une conclusion...une implacable conclusion qui la laissa sans voix.
- Que se passe-t-il si je pars ? Osa-t-elle demander.
Un sourire tressaillit dans le coin de ses lèvres.
- Si tu avais voulu partir tu l'aurais fait il y a bien longtemps Freya, dit-il simplement. Je t'avais dit que tu me reviendrais et c'est exactement ce que tu as fait. Parce que tu le voulais.
Freya se perdit dans la profondeur inquiétante de ses yeux et elle manqua subitement d'air.
- Souviens-toi de ce que tu m'as dit, poursuivit-il. Depuis que tu as retrouvé ta liberté, tu ne sais pas où est ta place.
Freya fronça des sourcils.
- Je crois que dans le fond tu sais pourquoi.
Il donna un coup de menton en direction de son assiette.
- Maintenant je voudrais que tu manges.
Freya glissa ses doigts jusqu'à la fourchette non pas parce qu'elle avait faim mais parce qu'elle voulait sortir du restaurant et connaître la suite.
Il lui avait peut-être narré son histoire mais il n'en demeurait pas moins impassible. Freya n'avait aucun moyen de connaître les pensées de cet homme.
Lorsqu'il se leva à la fin du repas, Freya fut prise de vertige à cause de sa hauteur. Les jambes en coton, elle se leva à son tour et fit le tour de la chaise pour la pousser. Au même instant, elle sentit sur ses épaules un tissu lourd et tourna légèrement la tête sur la droite alors qu'une odeur musquée lui monta au nez.
Il venait de poser son long manteau noir sur ses épaules et c'est dans le silence qu'elle l'accepta. Sa main se posa dans son dos pour la guider jusqu'à la sortie. Il dirigeait et n'avait pas besoin de faire entendre sa voix pour se faire comprendre. Oh oui ça elle le savait et l'avait vécu.
Ils marchèrent jusqu'à l'hôtel et c'est ensemble qu'ils montèrent à l'étage où se trouvait sa chambre. Son cœur s'accéléra dangereusement et elle pouvait le sentir battre frénétiquement contre ses tempes. Freya pouvait également sentir son regard sur elle, pesant, intense, et profond. Il était grand, immensément grand et elle avait l'impression de s'enfoncer dans le sol.
Il ouvrit la porte et s'écarta pour la laisser passer.. La gorge nouée elle entra et fut saisie par une sensations différente de toutes celles qu'elle avait connu jusqu'à maintenant.
- Et maintenant ? Demanda-t-elle quand il ôta sa veste noire.
- Maintenant tu vas te reposer un peu et demain nous reprendrons la route jusqu'à la ville.
- Vous n'avez pas peur d'être démasqué ?
Un rire graveleux étouffa le silence et il se retourna pour la regarder.
- J'ai tout prévu, j'ai dix ans d'avance sur eux.
Freya lâcha un soupir glacé parce qu'elle cherchait en vain à comprendre où se trouvait sa place.
- Vous avez des doutes sur Gunner et c'est pour ça que vous voulez retourner là-bas, mais ensuite ?
Il s'approcha à pas de loup.
- Je veux comprendre ce qu'il cherche en s'engageant un peu trop loin dans cette affaire.
- Vous le connaissez n'est-ce pas ? C'est ce que vous avez dit ?
- J'ai effectivement plaidé quelques affaires avec lui, et il n'était pas aussi impliqué. J'aime les mystères et j'aime les résoudre.
Il n'avait pas répondu à sa question et elle hésitait à la répéter.
Il ne lui en laissa pas l'occasion. Il l'aida à enlever le manteau et le posa sur le fauteuil.
- Tu as des affaires de rechange ?
- Ou...oui, bredouilla-t-elle en le contournant pour se rendre dans la salle de bain.
Les mains moites elle ferma la porte et se passa de l'eau sur le visage en étudiant son reflet.
Tout son corps réagissait de façon brusque et désordonnée. Elle était incapable de réprimer ces réactions et ce fut pire quand elle passa une chemise longue qui lui descendait aux genoux.
Étrangement elle n'eut pas peur de se montrer, parce qu'elle l'avait fait pendant sept ans. La seule chose qui était différente c'est que maintenant son visage n'était plus couvert.
À sa sortie elle le découvrit assis dans le fauteuil et elle détourna les yeux en tirant sur ses doigts.
Lazarus pouvait sentir sa peur depuis le fauteuil et serra les poings pour réprimer cette envie de se lever pour s'approcher du lit.
Il fallait qu'il lui donne du temps. Désormais elle savait tout et il se sentait soulagé, mais d'un autre côté, il était conscient que la jeune femme n'en demeurait pas moins terrifiée.
Il attendait ce moment depuis si longtemps qu'il avait pris le temps de le savourer au restaurant et encore maintenant il prenait le temps de savourer le fait qu'il n'avait plus besoin de se cacher d'elle.
Qu'elle le veuille ou non, il était le seul à vouloir la protéger.
À ses yeux il était et restera sans doute l'homme des ténèbres, mais sans lui, sa vie aurait été bien différente.
Lazarus se leva au ralenti, incapable d'écouter cette faible voix sage et déjà étouffée par les ténèbres. Il prit son temps pour s'approcher du lit et il n'avait pas besoin de toucher son corps pour savoir qu'il était tendu à son approche.
Lazarus ne devait pas oublier ce qu'il était et comment elle le voyait avec ou sans visage.
Pourtant chaque fois qu'elle plongeait son regard vert dans le sien, il ressentait toujours cette même pulsion qui le menaçait.
Avec prudence, il s'installa sur le rebord du lit et se contenta seulement de la dévisager et de capturer chaque partie de son visage.
- Ça aurait été différent si vous ne m'aviez pas relâché ?
Cette question il se l'était posée tant de fois qu'il n'était pas certain de lui apporter la bonne réponse.
- Est-ce que je t'aurais laissé voir mon visage ? La réponse est oui. Tôt ou tard je te l'aurais montré.
Un éclat brillant inonda alors ses yeux verts et ce n'était pas de la peur mais autre chose.
- Je ne vais pas te faire de mal.
- Je sais, dit-elle si vite qu'il en fut même étonné. Cependant vous ne pouvez pas m'empêcher de vous redouter. Après tout, je ne sais pas ce qui adviendra de mon avenir avec ou sans vous.
Lazarus serra les dents pour ravaler la réponse implacable qu'il s'apprêtait à lui donner et préféra adopter un peu de douceur.
- Ton avenir est avec moi pour l'instant.
Elle se redressa pour s'asseoir sur le lit, le mettant en grande souffrance intérieure.
- Tu devrais dormir Freya.
- Je n'ai pas envie de dormir, je veux comprendre.
- J'ai répondu à toutes tes questions, désormais si tu veux comprendre, il faudra te poser les bonnes questions et y répondre par toi-même Freya, dit-il en se levant pour s'éloigner d'elle.
Elle se rallongea et il la couvrit avec les draps puis enfonça ses poings dans le matelas.
- Les réponses résident en toi, seulement je crois que tu n'es pas prête à les entendre, ajouta-t-il en se redressant.
Lazarus rompit le contacte visuel avant de ne plus rien contrôler et se remit dans le fauteuil alors que son corps entier brûlait d'une douleur encore plus vive que les précédentes. La jeune femme ne l'aida pas en se mettant sur le côté, lui exposant son visages sur lequel nimbait les pâles lueurs de la lune.
Ce soir marquait la fin d'un chapitre et le début d'un autre et il savait au tréfonds de son âme meurtrie que tout serait différent à partir de maintenant.
Il ne redoutait aucun danger sauf un.
Elle...
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