Chapitre 20




Freya avait passé la journée à guetter la pendule et s'était même demandé si les heures ne se moquaient pas d'elle. Assise sur le lit, ne sachant pas quoi faire d'autre que d'attendre l'heure tant attendue, elle avait fini par se lever du lit en emportant avec elle la robe qui avait été glissée dans le paquet.

Elle prit le téléphone portable qu'elle posa sur le meuble de la salle de bains et déplia la robe noire pour la regarder. 

Jamais elle n'avait eu l'occasion de porter une robe comme celle-ci et son cœur rata quelques battements en s'imaginant dedans. 

À la vérité, elle n'avait jamais porté des vêtements comme les autres femmes du monde moderne.

De plus en plus nerveuse elle posa la robe sur la chaise et se laissa tomber sur le rebord de la baignoire.

Le grand miroir l'obligeait presque à croiser son reflet et quand elle le confronta Freya eut l'impression de ne pas se reconnaître.

Quelque chose lui manquait, son visage semblait prisonnier par la peur et l'angoisse. 

À chaque bruit derrière la porte de la chambre d'hôtel elle craignait que les hommes du révérend Lantz soient derrière prêts à la défoncer pour l'obliger à les suivre.

Elle vivait dans la peur constante et ne le supportait plus. Elle désirait plus que tout se sentir vivre et rire mais ce désir n'allait sans doute jamais se réaliser.

Tout en se passant les mains dans son chignon défait, elle se leva et quitta la salle de bains la mort dans l'âme.

S'approcher de la fenêtre lui paraissait impossible parce qu'elle redoutait que quelqu'un se trouve en bas et la reconnaisse. Pour la première fois de sa vie, elle se sentait prisonnière dans un étau qui n'avait de cesse de se resserrer autour d'elle.

Même en étant la captive de l'homme des ténèbres jamais elle ne s'était sentie aussi prisonnière qu'à cet instant précis. 

Les mains moites elle se rallongea sur le lit et se remit à fixer la pendule tout en suivant le son de l'aiguille.

Peut-être que fermer les yeux l'aiderait à oublier que le temps passait au ralenti, pensa-t-elle en fermant les paupières.

Perdue dans les méandres de ses rêves, Freya sursauta lorsqu'un bruit sonore l'obligea à s'extirper de son sommeil.

Elle se redressa sur le lit en cherchant d'où pouvait provenir le son avant de se rappeler qu'elle avait laissé le téléphone dans la salle de bains. Elle se précipita vers celle-ci mais au moment d'atteindre le téléphone la sonnerie s'arrêta.

C'était lui et en vérifiant l'heure sur le téléphone son cœur cessa presque de battre.

Il était plus de dix-huit heures ce qui signifiait que l'heure qu'elle attendait autant qu'elle la redoutait était proche.

Si proche qu'elle fut prise de panique et ferma la porte de la salle de bains pour enfiler cette robe qui était l'inverse de tout ce qu'elle avait pu porter dans sa vie.

Le tissu lui collait tellement à la peau qu'elle avait l'impression de suffoquer mais étrangement elle fut abasourdie par le résultat.

Pour la première fois elle se sentait femme et élégante, presque désirable si elle n'avait pas sans cesse cette expression apeurée sur le visage.

D'un geste nerveux elle lissa la robe puis jugea son chignon qui tombait avec une grimace.

Elle relâcha ses cheveux et les brossa pour les renfermer dans un autre chignon relevé.

Maintenant elle était prête, mais ne savait plus si elle allait pouvoir supporter la fin de ce suspens impitoyable.

D'ailleurs le voulait-elle réellement ? 

Freya secoua la tête devant le miroir parce que c'était clairement de la folie. 

Elle était sur le point de rejoindre cet homme qui était pour certains un tueur en série et pour d'autres un phénomène captivant.

Tout en quittant la salle de bain elle songea à ceux qu'elle avait soupçonné d'être l'homme des ténèbres.

Kendrick, Gunner, son avocat...

Et si ce n'était pas l'un d'entre eux ? 

Quand Freya ouvrit la porte de sa chambre ses pensées volèrent en éclat et la peur reprit son droit.

Ses jambes en coton l'empêchaient d'avancer comme elle le voulait. Sa main se leva machinalement sur le mur pour qu'il devienne un soutien alors qu'elle continuait de marcher jusqu'à l'ascenseur.

En arrivant au rez-de-chaussée elle se rendit compte trop tard qu'elle n'avait pas de manteau et dut traverser le hall avec le sentiment d'être observée de toutes parts. Le froid lui cisailla la peau malgré les manches longues de la robe. Elle s'empressa de pénétrer dans le restaurant en continuant à se demander si elle n'avait pas perdu la tête.

  - Bonsoir mademoiselle, lui dit l'un des serveurs. Puis-je avoir votre nom ? 

Freya remua les lèvres en hésitant à faire demi-tour.

  - Cullen, lâcha-t-elle sans conviction.

  - Veuillez me suivre, dit-il aussitôt avec un charmant sourire.

Le choix lui appartenait encore. Elle pouvait partir à contresens sans se retourner mais elle ne le fit pas.

Le serveur la guida jusqu'à une table près de la cheminée et tira sa chaise pour qu'elle s'installe. Au moment de s'asseoir elle prit conscience qu'elle ne pourrait plus faire marche arrière. 

Son pouls s'accéléra, annonçant la fin ou le début  d'un chapitre aussi sanglant que le précédent.

Ne sachant plus quoi faire de ses propres mains, elle les posa sur ses genoux en essayant de ralentir cette respiration erratique qui ne la quittait pas.

Après sept longues années au côté d'un homme sans identité, Freya était sur le point de la découvrir. 

Cet homme qui pendant sept ans ne lui avait pas adressé un mot avant de subitement faire entendre sa voix volontairement modifiée allait bientôt apparaître de nulle part et elle craignait plus que tout de voir son visage.

  - Voulez-vous quelque chose à boire ? Proposa le serveur en revenant à sa table. 

  - Oh...je...non je vais attendre, répondit-elle poliment en forçant un sourire.

Freya leva le regard sur la pendule et elle indiquait bientôt vingt heures. 

Allait-il venir ? 

Freya commença alors à penser que tout ceci n'était qu'un leurre et qu'il ne viendrait pas. 

Elle tourna le regard sur les couples installés plus loin et une boule d'angoisse se forma dans sa gorge. 

Plus les minutes passaient, plus elle avait la sensation que son corps allait exploser. 

Quand vingt heures sonna dans l'ambiance feutrée, Freya secoua imperceptiblement la tête en songeant à se lever et partir. 

Oui, il valait mieux partir, pensa-t-elle en se passant une main nerveuse dans les cheveux tout en reculant sa chaise.

Au moment où elle voulut se lever Freya sentit une pression dans sa nuque dégagée. 

La pression d'une main puissante qui l'invitait à rester assise. 

Alors tout son corps se paralysa et son cœur battait la chamade. Dans le tourbillon de ses respirations saccadées elle huma une odeur musquée comme celle d'un after-shave.

Les doigts de l'homme derrière elle étaient en train de se retirer lentement et la pression disparut peu à peu.

Freya voulut se retourner mais n'était pas prête à le faire. Chaque seconde qui la séparait de la révélation l'aidait à se préparer. 

Sur le côté, elle vit une silhouette imposante passer et tout devint floue autour d'elle quand cette même silhouette massive prit place en face d'elle. 

Freya garda les yeux rivés sur la nappe blanche, craignant de relever le regard. Pourtant elle le devait. Il le fallait. Elle attendait ce moment depuis le premier jour de sa captivité.

Alors elle coupa sa respiration et leva les yeux lentement sur lui. 

Sur ses mains d'abord et elle les reconnut aussitôt. Freya n'avait pas besoin de voir le reste parce qu'elle reconnaissait cette paire mains puissante et grande. 

Le cœur battant jusque dans ses tempes elle cligna des yeux en respirant difficilement car c'était le seul qu'elle avait écarté de sa liste de suspects parce qu'elle avait refusé que ça soit lui et pourtant.

  - Tu brûlais de connaître mon visage mais tu es incapable de lever les yeux.

Sa voix lui arracha un frisson dans la nuque. Elle n'était pas comme elle la connaissait. Elle était plus grave et le côté autoritaire régnait en maître.

Freya déglutit en relevant totalement les yeux et croisa son visage qu'elle connaissait. Et pourtant, Freya avait l'impression de le découvrir pour la première fois.

Ce visage qu'elle avait décrit comme taillé à la serpe il y a encore quelques semaines. Ces traits ciselés qui renforçaient la dureté dans ses yeux.

Freya glissa son regard sur ses mâchoires volontaires alors que sa bouche devenait de plus en plus sèche.

Il portait un impeccable costume sur-mesure et sa posture ressemblait à celle d'un maître mais pourtant il n'y avait aucune trace d'arrogance dans son regard.

  - Tu as l'air surprise, nota-t-il calmement.

Absolument tout était en train de s'obscurcir autour de lui comme une aura ténébreuse. Freya essaya de parler mais les sons ne voulaient pas sortir.

  - Vous n'étiez pas mon choix numéro un, parvint-elle à lui dire en jetant un regard sur le serveur qui était sur le point de les interrompre.

  - Que désirez-vous boire monsieur ? 

  - Un whisky sec et du champagne pour elle.

Elle n'était pas la seule à être intimidée par son regard perçant, remarqua-t-elle les mains moites.

Tout son corps était en feu alors que les souvenirs de ces sept longues années remontaient peu à peu à la surface.

  - Tu pensais que c'était Gunner ? 

Freya releva les yeux pour les plonger dans les siens. Les avant-bras allongés sur les accoudoirs de l'élégante chaise, il apparaissait de plus en plus impitoyable dans sa stature incroyablement menaçante. 

  - Oui, dit-elle dans un souffle.

  - Il est vrai qu'il avait le profil idéal, admit-il platement comme si ça n'avait pas d'importance.

  - Pourquoi ? 

  - Pourquoi je t'ai enlevé ? 

Freya inspira profondément.

  - Pourquoi vous révéler maintenant ? 

Il inclina sa tête légèrement en arrière, la regardant à travers son regard noir avec un jeu de mâchoires qui la fit tressaillir.

  - Parce que je ne vois pas l'importance de continuer à rester masqué puisque tu es destinée à me revenir chaque seconde de chaque jour.

Un frisson courut dans son échine car sa voix s'était montrée d'une douceur menaçante.

  - Tu as trouvé la vérité, tu sais désormais pourquoi je t'ai prise à tes parents.

  - Mais je n'étais pas destinée à vous...

  - Non en effet, la coupa-t-il en la regardant avec cette paire d'yeux capable de pénétrer n'importe quelle âme. Je n'étais pas supposé être à l'endroit où je t'ai rencontré la première fois. Le destin fait bien les choses parfois, tu n'es pas d'accord ? 

Freya exhala un petit soupir tremblant.

  - Pourquoi avez-vous fait ça ? 

Impassible, il la dévisagea à travers un regard de prédateur.

  - Tu parles de ces gens que j'ai tué ou de ceux que je pourrais éventuellement tuer ? 

Son intention n'était pas de lui faire peur, remarqua-t-elle alors qu'elle frissonnait de crainte. 

  - Vous n'avez pas le profil d'un tueur en série.

Il émit un rire de gorge qui la fit rougir.

  - Je ne m'identifie pas comme tel, commença-t-il sans la quitter des yeux. Tu as cependant raison. Je n'ai pas le profil d'un tueur et c'est exactement ce qui fait ma force. Un avocat fortuné, qui a plus de neuf ans d'expérience et qui a n'a jamais perdu une seule affaire. Un médiéviste impeccablement habillé qui sait se montrer galant même avec ces ennemis. Ce profil ne correspond pas avec le portrait que ces médiocres enquêteurs ont établi.

Une lueur indéchiffrable couvrit son regard et comme mû par une force incontrôlable Freya n'arrivait pas à détourner les yeux des siens.

  - Je veux comprendre, dit-elle d'une voix presque inaudible.

  - Et je suis là pour ça Freya, s'enquit-il en dardant sur elle un regard énigmatique. Je suis là pour te raconter toute l'histoire.

Il se redressa lentement et se pencha en avant, l'obligeant à reculer contre le dossier de sa chaise.

  - La seule question que tu dois te poser c'est est-ce que tu es capable de l'entendre.

  - Oui, répondit-elle aussitôt et sans réfléchir.

  - Dans ce cas la soirée risque d'être longue, prévint-il de sa voix grave en se carrant à nouveau contre le dossier de la chaise avec cette posture redoutable et qui s'associait parfaitement avec son nom.

Freya ressentit un trouble et un vertige la saisit quand elle se rappela tout ce qu'elle lui avait confié sans se douter un seul instant qu'elle s'adressait depuis tout ce temps à l'homme des ténèbres...

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