Comme elle l'avait redouté, c'était un véritable interrogatoire dans lequel Freya répétait en boucle les mêmes phrases. Elle était là, assise sur cette chaise depuis plus d'une heure et profitait de ce moment de panique pour juger les comportements des uns et des autres. L'homme des ténèbres était forcément l'un d'entre eux. Désormais elle en était persuadée et pour de nombreuses raisons. Il lui avait indiqué qu'elle l'avait rencontré récemment et cela ne faisait aucun doute que c'était l'un d'eux.

  - Donc, il vous a enlevé et vous avez simplement discuté ? Lança Gunner qui ne semblait pas y croire du tout.

Freya avait remarqué sa nervosité et son agacement depuis plus d'une heure et se demandait pour quelle raison il avait l'air si agité. 

  - Oui, répondit-elle en regardant l'inspecteur Josh Warren. Il veut jouer avec vous, voilà ce qu'il a dit. 

Elle tourna la tête à sa gauche pour lancer un regard épuisé à son avocat.

  - Il a compris que vous m'avez utilisé pour l'attirer dans un piège et il m'a demandé de vous faire passer ce message. 

  - Est-ce qu'il vous a fait du mal ? 

  - Non, comme je vous l'ai déjà dit une bonne dizaine de fois. Je suis sortie dehors parce que j'avais besoin de marcher et je me suis enfoncée dans la forêt. J'étais perdue dans mes pensées et quand j'ai récupéré mes esprits je me suis retrouvée sur un chemin de graviers blanc. J'ai entendu le son d'un moteur de voiture et les phares étaient braqués sur moi. J'ai commencé à paniquer, je me suis mise à marcher rapidement et la voiture m'a suivie. Je suis tombée et l'instant d'après je perdais connaissance. 

Freya marqua une pause pour reprendre un semblant de souffle.

  - Je me suis réveillée au même endroit que le premier jour de ma captivité et il m'a demandé de passer un message. J'ai dormi et lendemain j'ai encore perdu connaissance et je me suis retrouvée dans mon lit. 

Un silence accueillit son résumé puis un rire dubitatif s'ensuivit.

Freya releva les yeux sur Gunner Azarov qui se massait doucement les tempes. 

  - Est-ce que vous avez aperçu la voiture ? 

  - Oui, elle était noire et j'ai l'impression qu'elle était ancienne.

Josh Warren nota l'information dans son carnet.

  - Est-ce que je peux partir maintenant ? 

  - Oui, répondit l'inspecteur.

Freya se leva en se tenant à la table. Ses jambes ne la supportaient plus et elle était quasiment persuadée qu'en sortant d'ici rien ne serait terminé. En effet, avant même qu'elle franchisse les portes du poste de police, Kendrick et Gunner se tenaient derrière elle, cherchant sans doute à la coincer.

En poussant les portes elle jeta un regard par-dessus son épaule pour savoir où se trouvait son avocat et l'aperçut au loin en train d'échanger avec Olivia Stevens et le procureur.

  - Je vous prie de me laisser tranquille, lança-t-elle à Gunner Azarov quand elle fut sortie.

  - Vous laissez tranquille ? Répéta-t-il d'un air faussement moqueur. Je n'ai pas l'intention de vous laisser tranquille mademoiselle Cullen.

  - Ne bougez pas d'ici je vais chercher la voiture, glissa Kendrick en s'éloignant déjà.

Elle voulut lui dire que ce n'était pas nécessaire mais il était déjà en bas des marches.

  - Il vous a enlevé encore une fois et vous allez me faire croire qu'il s'est contenté de vous dire de nous dire qu'il veut jouer ? 

  - Et pourtant c'est le cas, s'enquit-elle aussitôt reportant son attention sur lui. J'aimerai savoir de quoi vous me soupçonnez au juste. Depuis le début, vous agissez comme si j'étais sa complice.

  - Pas sa complice, rectifia-t-il en la dévisageant de la tête aux pieds. Je vous soupçonne de ne pas être mécontente qu'il soit de retour.

Freya demeura interdite, ne laissant rien paraître sur son visage.

  - Et moi je vous soupçonne d'être lui.

Il se pointa du doigt en prenant un air étonné.

  - Il m'a dit que je l'avais déjà croisé récemment, lui confia-t-elle sans crainte. Comme par hasard vous faites partie de ceux qui sont entrés dans ma vie récemment.

  - Ça se tient, admit-il en haussant les épaules. Cependant il va falloir chercher ailleurs mademoiselle Cullen parce que ce n'est pas moi ni aucun d'entre nous.

  - Vous êtes si sûr de vous.

  - Sans doute parce que quand vous avez disparu nous étions tous à votre recherche et en groupe. Votre avocat, moi, Kendrick, une dizaine de policiers, le procureur...pendant que vous étiez tranquillement en train de papoter avec lui.

Freya pâlit et secoua de la tête imperceptiblement.

Impossible ! Elle refusait de le croire.

  - C'est forcément l'un d'entre vous, et je finirai par découvrir qui c'est.

Une lueur très inquiétante passa dans son regard et Freya recula d'un pas en réprimant un frisson.

  - Maintenant dites-moi pourquoi vous cherchez tant à trouver cet homme ? Ajouta-t-elle pour changer rapidement de sujet afin de ne pas brûler toutes ses pistes devant cet homme qu'elle soupçonnait d'être l'homme des ténèbres.

  - Je vous l'ai déjà dit mademoiselle Cullen, je m'intéresse de près à ce genre d'affaires et vous ? Pourquoi vous ne dites pas toute la vérité.

  - Parce que j'ai déjà tout dit ! S'emporta-t-elle en le regardant droit dans les yeux. 

Il se ferma brutalement et fit un pas dans sa direction.

  - Moi je pense que vous vous êtes attachée à lui, et je pense que c'est également le cas pour lui, lâcha-t-il en plissant les yeux. Je pense que vous êtes prête à tout pour le protéger parce que vous avez des sentiments pour cet homme.

La bouche sèche, Freya fronça des sourcils en essayant de réprimer les expressions sur son visage.

  - Votre raisonnement n'a pas de sens.

  - Vraiment ? Vous en êtes certaine ? Parce que moi je suis certain de ce que j'avance. Il vous enlève, ne vous fait aucun mal pendant plus de sept. Il vous relâche mais n'est jamais réellement parti de votre vie. Il vient de vous enlever et vous relâche à nouveau. Cet homme vous porte dans son cœur peu importe s'il est entouré de noirceur et je pense sincèrement que vous n'êtes pas aussi terrifiée que vous prétendez l'être. 

Freya tourna les talons sans répondre. 

  - Il vous protège Freya, poursuivit-il en descendant les marches. Vous êtes extrêmement importante pour lui et je crois qu'il attend patiemment que cette histoire inachevée prenne fin.

  - Je peine à comprendre où vous voulez en venir et je ne veux même pas le savoir.

  - C'est pourtant simple, répondit-il avec nonchalance en lui barrant le passage. Il vous a enlevé et il y a une raison à cela tout comme il y en avait une pour les enfants. Nous connaissons la triste fin des enfants, mais nous ne connaissons pas la vôtre.

  - Et je trouverai par moi-même ce qui l'a poussé à m'enlever, répondit-elle aussitôt.

Un léger sourire releva la commissure de ses lèvres. Sans un mot de plus, Freya le contourna et s'éloigna d'un pas rapide.

Gunner Azarov avait le profil parfait pour être celui qu'elle cherchait.

Il prétendait être à la recherche de l'homme des ténèbres, mais agissait de façon si étrange qu'elle avait l'impression que c'était lui couvert d'un autre masque.

Néanmoins elle devait rester prudente car il n'était pas le seul sur la liste même s'il lui avait assuré qu'aucun d'eux ne pouvait être l'homme des ténèbres en lui apportant des preuves. 

Était-il possible qu'elle se soit trompé ? 

Non impossible ! 

Elle jeta un regard par-dessus son épaule pour s'assurer qu'elle n'était pas suivi par Gunner Azarov quand soudain elle rencontra un bloc d'acier qui la stoppa net.

Deux mains agrippèrent ses bras pour éviter qu'elle tombe en arrière et dans un léger vertige elle rencontra le regard de Lazarus Varak.

  - Où allez-vous comme ça ? Demanda-t-il en relâchant ses bras.

  - Je rentre chez-moi. 

  - Toute seule ? À pied ? 

Freya regarda autour d'elle à la recherche d'une carriole.

  - Je vais vous ramener, décréta-t-il en posant sa main dans son dos pour la guider vers sa voiture.

  - Je peux marcher, protesta-t-elle dans un murmure à peine audible.

  - Je n'en doute pas, mais ce n'est pas le moment de partir seule au risque de disparaître encore.

Freya s'installa sur le siège et chercha des yeux Gunner Azarov qui discutait avec Kendrick.

Le cœur battant la chamade, elle suivit son instinct qui lui hurlait que c'était peut-être l'un d'entre eux.

Elle sursauta quand Lazarus Varak claqua la portière côté conducteur et elle tourna vivement la tête dans sa direction.

Et si c'était lui ? 

Freya l'étudia avec prudence avant d'être forcée de détourner les yeux quand à son tour, il tourna la tête vers elle.

Aussitôt elle sentit le poids de son regard sur elle alors que le sien fixait Gunner qui se tenait à quelques mètres de la voiture.

  - Que se passe-t-il ? 

  - Rien, mentit-elle alors qu'il sortait de la place de parking. Je réfléchis beaucoup.

  - Vous vous êtes bien débrouillée pendant l'interrogatoire. 

  - Pourtant je pense le contraire. J'ai l'impression d'être la coupable.

  - Il faut dire que cet enlèvement bien que bref soulève certaines questions.

  - Ah oui ? Lesquelles ? S'enquit-elle avec hâte en se tournant vers lui.

Il tapota le volant, son regard ciselé concentré sur la route.

  - Il agit comme si vous étiez toujours sa proie et vous Freya, vous donnez l'impression de le protéger.

Abasourdie elle secoua de la tête en essayant de produire un son.

  - Comment pourrais-je le protéger alors que je ne sais rien de lui ni même où il se trouve ? 

  - J'ai dit que vous donniez l'impression, je n'ai pas dit que c'était le cas.

  - J'ai peur et j'essaye de comprendre, mais je crois que je vais devoir chercher par moi-même. 

  - C'est trop dangereux, dit-il sur un ton grave en la regardant brièvement.

  - Je ne le pense pas, ce qui est dangereux c'est de continuer à collaborer avec le procureur et la police. Il a été très limpide. Il veut jouer avec eux et je ne veux pas être une pièce d'échec dans ce jeu. Je veux retrouver mes souvenirs et comprendre pourquoi il m'a enlevé la première fois.

Freya inspira profondément et poursuivit d'une voix tremblante. 

  - Je n'ai même pas envie de rentrer chez-moi parce que j'ai l'impression de ne plus avoir ma place là-bas. Tout le monde me regarde comme si je portais un secret dont j'ignore tout.

  - Vos parents étaient inquiets.

  - Vraiment ? Ce n'est pas l'impression que j'ai quand je les regarde. Tout ce qu'ils veulent c'est que je trouve un mari parce qu'ils pensent que ça va me guérir.

Lazarus garda le silence et continua sa route vers Lancaster. 

  - Tout ira bien, nous finirons par trouver qui est derrière tout ça, mais en attendant je vous demanderais de cesser les balades en pleine nuit.

  - Oui, murmura-t-elle en fermant brièvement les yeux.

Quand il s'arrêta à l'entrée du village, une sensation étrange lui serra la gorge.

  - Merci monsieur Varak.

  - Tout le plaisir est pour moi.

À contrecœur elle quitta la voiture et attendit que celle-ci s'éloigne pour marcher en direction de la maison. Sur le chemin elle croisa Jemma sa tante qui lâcha son panier pour accourir dans sa direction.

  - Ma chérie, tu es là ! 

Freya constata sur son visage qu'elle était folle d'inquiétude mais il y avait aussi un certain regret dans ses yeux.

C'était comme si elle était déçue de la voir de retour.

Était-ce possible qu'elle soit au courant de quelque chose ? 

  - Tu n'as pas l'air heureuse de me voir.

  - Oh si voyons ! Dit-elle posant ses deux mains sur son visage. C'est juste que...

  - Tante Jemma si tu sais quelque chose alors il faut me le dire je t'en prie.

  - Je ne sais rien du tout Freya, qu'est-ce qui te fait croire ça ? 

  - Les expressions contradictoires qui se succèdent sur ton visage.

Jemma esquissa un sourire tremblant et dépourvu de joie.

  - Je suis convaincue que tu sais quelque chose tante Jemma et j'ai besoin d'aide pour retrouver mes souvenirs  s'il te plaît je t'en prie. Je suis peut-être en danger.

Jemma pressa ses mains sur ses bras tout en tournant la tête à droite et à gauche comme si elle vérifiait que personne ne l'avait vu avec elle.

Freya était peut-être sur le point d'avoir une réponse à ses nombreuses questions. Sa tante savait quelque chose et ça semblait assez grave pour qu'elle hésite à le lui dire.

  - Il faut que tu partes Freya, lui dit-elle soudain en le regardant droit dans les yeux. Une fois que je t'aurais dit ce que j'ai à te dire, il faudra que tu partes d'ici sans te retourner...