Chapitre 16
Pendant une fraction de seconde Freya crut que c'était un jeu, mais cette impression ne dura pas longtemps car l'homme des ténèbres émanait un sérieux redoutable.
Le ventre noué, elle le regarda se lever et disparaître de la chambre comme une ombre laissant derrière elle un parfum de dangerosité.
Freya se retourna vers la fenêtre et la dévisagea comme si celle-ci allait lui révéler les secrets de l'homme des ténèbres.
Dans un silence glaçant elle exhala un soupir puis se rendit dans la salle de bains pour se laver et enfiler des vêtements différents de ceux qu'elle portait dans son village.
Une fois prête, elle ne savait pas si elle devait sortir de la chambre ou attendre qu'il vienne la chercher.
Dans un moment de doute, elle resta devant la porte ouverte et se pencha pour jeter un coup d'œil dans le couloir.
Son cœur ne lui donnait aucun répit, battant sans arrêt contre ses tempes.
Au risque de désobéir, Freya souleva le pied et passa le seuil de la porte en inspirant profondément. Dans un instant de crainte, elle resta immobile devant la porte et tourna la tête à droite puis à gauche.
Il pouvait émerger de n'importe où et le plus angoissant c'est qu'elle se sentait observée.
Saisie d'un peu de courage elle prit le chemin de droite et trouva le grand escalier. Le cœur battant la chamade, elle le descendit en détaillant timidement les tableaux accrochés au mur.
Arrivée au rez-de-chaussée, elle s'arrêta en serrant ses mains moites devant son ventre. Depuis sa position elle pouvait entendre les crépitements de la cheminée et suivit ce son qu'elle connaissait par cœur pour rejoindre la salle à manger.
Freya leva les yeux sur le plafond pour admirer le lustre assez spectaculaire puis s'avança vers le canapé pour s'y installer.
À vrai dire elle ne savait pas quoi faire ni même quoi dire. À tout instant il pouvait débarquer et lui infliger à nouveau sa silhouette intimidante et inquiétante.
Saisie d'un frisson, elle resserra le gilet contre elle en fixant le piano.
Un bruit venant de la droite la fit sursauter et elle entendit le son de ses bottes de militaire frapper le sol avec une certaine brusquerie. Instinctivement elle se leva du canapé en se raclant la gorge pour signaler sa présence.
Il émergea dans le salon et ne semblait pas du tout surpris de la voir ici.
- Ta disparition fait la une à la télévision, annonça-t-il avec un goût satisfaisant dans la voix.
Freya cilla en le suivant des yeux alors qu'il tenait des bûches dans le creux de son bras qu'il déposa devant la cheminée pour raviver le feu.
- Mes parents vont être malades d'inquiétude.
Un silence assourdissant l'accueillit, donnant l'impression qu'il ne se souciait pas de ce que ses parents pouvaient penser.
Était-ce une piste ?
- Tu ne vas pas disparaître sept ans, juste le temps que j'ai décidé, finit-il par répondre en se redressant. Et il va bientôt s'achever.
- C'est un jeu pour vous, mais pas pour moi.
- Je sais, dit-il calmement en se tournant vers elle.
- Quand je reviendrai, ils vont tous se jeter sur moi comme des chiens enragés pour savoir ce qu'il s'est passé.
- Et tu expliqueras simplement que nous avons un peu bavarder. Tu vas expliquer que je me suis surpris à me plaire dans ce jeu qu'ils ont créé et que je vais continuer jusqu'à ce qu'ils se lassent avant moi.
C'était une promesse sombre qui la fit frémir et davantage quand il s'approcha dans sa direction.
Une petite voix dans sa tête lui murmurait parfois de lui arracher ce tissu pour enfin connaître son identité, mais une autre lui hurlait de ne pas le faire.
- Pour eux, vous êtes un tueur en série, est-ce que vous vous voyez comme tel ?
Elle craignait la réponse qu'il allait lui donner mais elle brûlait de savoir comme il s'identifiait.
Il eut un rire assez machiavélique et instinctivement elle recula.
Parfois, elle-même oubliait ce qu'il était et ce qu'il était capable de faire.
À cause de Gunner Azarov, les photos de ses crimes revenaient sans cesse la hanter pour la rappeler à l'ordre.
- Ces enfants ont été bien traités quand ils étaient ici et tu es la mieux placée pour le savoir.
- Mais pourquoi les avez-vous enlevés ?
- Pour savoir s'ils étaient aimés ne serait-ce qu'un petit peu, expliqua-t-il sans hésitation. J'ai observé le comportement des parents après les avoir enlevés. Certains m'ont même supplié à la télévision. Ensuite, je les ai libérés comme tu le sais et après tu sais également ce qu'il s'est passé.
- Ils ont été maltraités et tués, dit-elle dans un souffle tremblant.
- Je leur ai offert une chance et ils ont détruit cette chance en arrachant la vie de leur enfant.
- Ensuite tu les as tué, conclut-elle en baissant les yeux sur son torse.
- Ce jour-là ils m'ont également supplié, révéla-t-il d'une voix désincarnée de la moindre émotion. Ils m'ont supplié à gorge déployée de ne pas les tuer.
Freya releva les yeux en prenant une grande inspiration.
- Certains d'entre eux étaient destinés à mourir Freya, selon les lois des états comme tu le sais et la Pennsylvanie en fait partie. Je n'ai fait qu'accélérer le grand saut vers la mort et je l'ai rendue plus douloureuse parce qu'ils le méritaient.
Il s'éloigna en direction de la cheminée et prit le tisonnier pour aider les bûches à se consumer de feu.
- Est-ce que ça fait de moi un tueur en série ? Je ne le pense pas, mais si c'est ainsi que je suis surnommé alors ça me va.
- Et pour moi ? Est-ce que c'est la même histoire ?
Venait-il sans le vouloir de lui offrir une piste ?
- Tu as fait un vœu et je l'ai exaucé, mais je doute que tu t'attendais à ce qu'il se réalise de la sorte.
Un vœu ?
Freya fouilla désespérément dans sa mémoire pour tenter de se souvenir.
Est-ce que ses parents étaient impliqués ? Est-ce qu'ils lui avaient fait du mal sans qu'elle s'en souvienne ?
- Tu finiras par te rappeler, conclut-il en reposant le tisonnier. En attendant, je ne veux plus de questions de ta part.
Il se rapprocha d'elle à pas de loup et quand il faisait ça elle avait la sensation d'être happée par les ténèbres.
- Je veux t'entendre jouer pour moi, reprit-il sur un ton puissamment impérieux.
Freya déglutit péniblement et se dirigea en direction du piano sans attendre.
Elle commença à jouer tout en sentant sa présence derrière elle.
Qu'il parle ou qu'il ne parle pas, c'était un homme dominant, et lui résister ne servait à rien.
Elle aimait jouer comme autrefois parce qu'elle avait l'impression d'être hors du temps.
Elle avait l'impression de voyager à travers les époques et en regardant de plus près les partitions elle y voyait maintenant un indice qui aurait dû lui sauter aux yeux plus tôt.
L'homme des ténèbres donnait l'impression d'être un médiéviste, un homme intelligent et aimant le contraire de la modernité.
- C'est parfait, glissa-t-il d'une voix qu'elle décela grave et profonde.
Freya retira ses doigts des touches et les posa sur ses genoux. Elle resta assise et ferma les yeux parce qu'il était là, juste derrière elle et sa présence était si lourde que son dos se paralysa instantanément.
Dans le silence, elle pouvait percevoir sa respiration lente et sauvage.
Soudain, ses mains enfermées dans les gants noirs se posèrent sur ses épaules.
Quelque chose d'étrange gagna son visage puis son cœur s'accéléra inévitablement.
Freya entendit sa propre respiration s'accélérer alors que la pression sur ses épaules devenait de plus en plus profonde et intense. Tout doucement il écarta ses cheveux et les ramena sur le côté gauche de son épaule.
Comme dans ses souvenirs, il plaça ses doigts dans son cou, précisément à l'endroit où il pouvait sentir son cœur battre. C'était comme s'il prenait plaisir de savoir que son cœur s'emballait quand il était tout proche.
Qu'est-ce que cela signifiait ?
Perdue dans cette multitude de questions sans réponses, Freya ouvrit les yeux et voulut tourner la tête mais il plaça ses doigts sous son menton.
C'était la première fois qu'elle sentait dans la pression de ses doigts une emprise implacable tout comme c'était la première fois qu'elle sentait à sa droite son visage tout proche de sa joue.
Sa peau s'électrifia au contact du tissu effleurant la ligne de sa mâchoire. Sa respiration sauvage et lente pénétra son ouïe et de si près elle ressemblait à celle d'un animal bestial prêt à dévorer sa proie.
- Fouille dans ta mémoire, retrouve tes souvenirs, articula-t-il d'une voix à la fois basse et puissante. Nous allons nous retrouver Freya car si tu ne viens pas à moi, c'est moi qui viendrais à toi.
Elle frissonna de tout son être puis il rajouta d'une voix dangereuse :
- Parce que tu m'appartiens.
Elle n'eut que le temps de prendre une inspiration tremblante et ensuite, tout devint floue et le brouillard la happa.
À nouveau, les ténèbres s'étaient emparées d'elle et quand elle ouvrit brusquement les yeux dans un sursaut, son regard rencontra le plafond boisé qu'elle reconnut immédiatement.
- Doucement.
- Ma chérie ! Est-ce que tout va bien ?
Dans un autre sursaut elle se recula sur le matelas tout en croisant le regard de sa mère et celui d'un inconnu.
- Freya, je suis médecin, est-ce que tu sais où tu es ?
Elle acquiesça lentement et essaya de se relever.
- Doucement, répéta-t-il en l'empêchant de se lever.
Il n'avait pas menti, pensa-t-elle la bouche tremblante. Il l'avait ramené dans son lit, mais elle ne s'attendait pas à ce qu'il le fasse si vite.
" Tu m'appartiens "
Elle frémit en regardant sa mère inquiète.
- Est-ce que tu te souviens de ce qu'il s'est passé ?
- Oui, murmura-t-elle en jetant un regard vers la fenêtre. Il m'a emmené quelque part pour que je passe un message au procureur. Il m'a dit qu'il me ramènerait.
Sa mère poussa un sanglot en posant sa main sur sa bouche.
- Hier soir tu n'étais pas là et ce matin je t'ai retrouvé dans ton lit, lui dit sa mère dans un sanglot. La police est ici Freya, mais je voulais attendre que le médecin t'examine.
- Je vais bien, lui assura-t-elle en se redressant. Je dois aller les voir. Je dois juste m'habiller.
Dans la précipitation elle se leva et s'éloigna d'eux afin qu'ils quittent la chambre pour la laisser se vêtir.
À présent il fallait qu'elle trouve la vérité, se dit-elle intérieurement en regardant le médecin amish et sa mère quitter la chambre. Il fallait qu'elle retrouve ses souvenirs et il fallait qu'elle trouve l'identité de l'homme des ténèbres.
Selon ses propres dires elle avait déjà vu sa véritable identité, ce qui voulait dire qu'à présent n'importe quel homme pouvait être lui.
Freya s'habilla en vitesse et ouvrit la porte à la hâte. En arrivant dans le salon, elle s'arrêta brutalement.
Ils étaient tous là.
Sa famille, la police, le procureur, son avocat et celui qui représentait l'homme des ténèbres sans même qu'il lui ait demandé.
En dehors des femmes, à ses yeux, ils étaient tous suspects.
Une dizaine de paires d'yeux étaient braquées sur elle et pour la première fois depuis des mois elle n'avait pas peur parce qu'il fallait qu'elle se souvienne.
" C'est moi qui viendrais à toi "
En perte de souffle, elle expira doucement en avançant sans jamais baisser les yeux.
Et si jusqu'à maintenant elle n'avait jamais eu l'impression qu'il pouvait se trouver là, aujourd'hui ce n'était plus le cas.
Freya avait désormais la certitude que l'homme des ténèbres était l'un d'entre eux...
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