Chapitre 15




Freya ne se souvenait pas de s'être endormie et quand son esprit reprit conscience elle se sentit étrangement bien. La réalité menaçait de poindre comme un ciel d'orage, mais elle garda les yeux fermés en refusant que celle-ci reprenne son droit. 

Elle tira sur les couvertures et se cacha le visage pour ouvrir les yeux. À travers le drap immaculé elle tenta de percevoir quelque chose ou bien une silhouette. Le fenêtre qui l'empêchait de voir l'extérieur n'empêchait pas la lumière de se fondre dans la chambre. 

En prenant une grande inspiration elle huma une odeur agréable qui la poussa à rabattre le drap dans l'autre sens. 

Était-il encore là ? 

À côté d'elle ? 

À cette pensée son cœur s'élança dans une course effrénée avant que son regard soit attiré par le plateau en argent.

Sur celui-ci reposait une tasse fumante et quelques douceurs auxquelles personne n'aurait pu résister.

Aujourd'hui plus qu'un autre jour son monde allait connaître un autre tournant et elle n'y était pas préparée.

Bientôt le petite ville de Lancaster allait découvrir qu'elle avait disparu encore une fois. Cependant ce n'est pas cette partie là qui l'inquiétait le plus mais le moment où elle allait retourner là-bas. Elle se savait déjà la proie de nouvelles interrogations et notamment de la part de Gunner Azarov.

Freya n'eut guère le temps de songer davantage quand elle entendit ses pas se rapprocher. Inévitablement son cœur s'accéléra et ce fut comme une explosion intérieure lorsqu'il émergea dans l'encadrement.

Le confronter était comme une lutte acharnée pour gagner de l'oxygène. Les meurtres sur les photos que lui avaient infligé Gunner Azarov volontairement lui revinrent à l'esprit et son air se bloqua.

  - Bonjour Freya.

La jeune femme déglutit péniblement sans baisser les yeux. Sa carrure impitoyable prenait tout l'espace et quand il s'approchait d'elle avec cette démarche volontairement lente, elle avait l'impression que les murs se rapprochaient d'elle.

  - Bonjour, murmura-t-elle en gardant les yeux levés sur son visage caché.

  - Ta nuit a été paisible.

Ce n'était pas une question mais une affirmation et Freya se surprit à rougir parce que c'était la vérité. Aussitôt elle se frotta le visage pour effacer l'écarlate sur ses joues et détourna la tête.

  - Combien de temps vais-je rester ici ? 

  - Tu es pressée de partir ? S'enquit-il d'une voix énigmatique.

Que répondre à cela ?

  - Ce que je tente en vain de comprendre c'est ce que vous attendez de moi.

  - J'ai déjà tout de toi, je n'attends rien d'autre.

Freya se tourna vers lui et constata qu'il s'était installé dans le fauteuil en face du lit. 

Les jambes croisées, les avant-bras allongés sur les accoudoirs en cuir, sa posture ressemblait à celle d'un maître tout-puissant qui attend patiemment de juger les âmes malfaisantes.

La bouche sèche, elle ne put s'empêcher de froncer des sourcils.

  - Je ne comprends pas, s'entendit-elle murmurer en dévisageant le tissu opaque qui couvrait son visage. 

  - Tu comprendras quand tu seras prête à le comprendre.

Saisie d'une brusque respiration, elle se passa une main sur le visage puis abandonna l'idée d'insister.

  - Vous êtes encore plus énigmatique que lorsque vous ne parliez pas, osa-t-elle dire d'une voix tremblante.

Un silence s'ensuivit et de peur de l'avoir irrité Freya se pencha pour récupérer le plateau qu'elle posa sur ses genoux.

  - Parfait, glissa-t-il avec sa voix modifiée et grave. 

Freya mordilla dans le pain frais sans le regarder.

  - Tout ira bien, jamais je te mettrais en danger, ajouta-t-il en ramenant ses mains devant lui pour les lier entre elles.

  - Alors pourquoi ai-je l'impression de l'être chaque seconde de chaque minute depuis que je suis...

Elle s'interrompit brusquement.

  - Depuis que je t'ai libéré, termina-t-il à sa place en se penchant en avant, les coudes appuyés sur ses genoux. Pourquoi as-tu peur de le dire ? Tu as peur de te sentir coupable de le ressentir ? 

  - Non.

Même si elle ne pouvait pas voir son visage, elle aurait pu jurer ressentir de la satisfaction le transcender.

  - Tu as honte ? Demanda-t-il de sa voix gutturale et dangereuse.

  - Honte ? Répéta-t-elle en clignant des yeux. Honte de quoi ? 

Il se frotta les mains comme si une part de lui appréciait ce moment.

  - Honte d'être perdue sans moi.

À ces mots son cœur lâcha et elle baissa la tête en direction du plateau.

  - Tu n'as pas compris ce jour-là n'est-ce pas ? Poursuivit-il de sa voix effrayante.

Au prix d'un effort surhumain elle redressa la tête pour l'interroger du regard. 

  - Le jour où je t'ai rendu ta liberté j'ai décelé dans ton regard que tu ne le voulais pas est-ce que je me trompe Freya ? Ai-je bien fait de te rendre ta liberté ?

Cette question était un piège auquel Freya craignait de répondre. Un frisson glacé remonta dans sa nuque alors qu'il attendait patiemment sa réponse en se frottant les mains de façon très dangereuse.

  - Vous m'avez laissé sans souvenirs et je...

  - Je ne t'ai pas fait oublier ta vie passée, la coupa-t-il durement. Tu l'as fait toi-même Freya et aujourd'hui encore tu ne fais aucun effort pour te souvenir. 

  - J'essaye en vain ! S'emporta-t-elle en élevant un peu plus la voix avant de le regretter.

Avec une légèreté trompeuse, il se leva du fauteuil et s'approcha du lit. Freya tendit son cou en arrière à mesure qu'il s'avançait. La gorge serrée, elle refusa de baisser la tête avant qu'une douleur dans sa nuque la force à la baisser. Seulement très vite, des doigts autoritaires se glissèrent sous son menton pour le soulever. N'ayant pas le choix que de le regarder, Freya fut gagnée par la peur.

  - Tu ne cherches pas correctement, dit-il d'une voix mécontente. C'est là quelque part en toi et il te suffit de chercher pour trouver la vérité.

  - Pourquoi ne pas me le dire ? Vous le savez n'est-ce pas ? 

  - Ça serait trop facile, murmura-t-il sombrement en resserrant ses doigts sous son menton. 

Freya avait l'impression que des décharges électriques brûlaient son visage.

  - Alors je trouverai, finit-elle par dire en dévisageant son visage masqué.

Il relâcha son menton pour glisser ses doigts dans ses cheveux avant de s'écarter d'elle.

  - J'ai peur de ce qui va se passer quand je rentrerai dans mon village. Je suppose que vous savez que je suis surveillée et accusée de garder un secret ou du moins de savoir quelque chose que je ne veux pas dire.

  - Je sais, dit-il simplement en se remettant dans le fauteuil. La vraie question c'est quel secret peux-tu garder ?

  - Aucun, j'ai tout raconté au tribunal.

Il serra les accoudoirs, pressant le bout de ses doigts dans le cuir pour se retenir de se relever pour s'approcher à nouveau d'elle.

Il n'avait pas fermé l'œil de la nuit et avait préféré l'observer dormir. 

Il avait retiré le tissu autour de son visage pour l'approcher du sien afin de pouvoir détailler chaque trait fin du sien. Pas une seule seconde il avait craint qu'elle puisse ouvrir les yeux car il connaissait chacune de ses respirations. Celle quand elle avait peur. Celle quand elle dormait paisiblement. Celle quand ses pensées devenaient contradictoires et que son regard lui-même la trahissait.

Il l'avait entendue au tribunal et en effet, elle avait dit l'essentiel devant toutes ces personnes présentes par pure envie de satisfaire leur curiosité.

  - Où étiez-vous ? Demanda-t-elle de sa voix pure. 

Il savait ce qu'elle cherchait à savoir et il esquissa un léger sourire imperceptible.

  - J'étais suffisamment proche pour entendre ce que j'avais à entendre.

Ses lèvres charnues se pinçèrent et il lut dans ses yeux de l'agacement.

Elle cherchait désespérément à connaître son identité sans se douter une seule seconde qu'elle la connaissait déjà.

Elle termina la tasse de chocolat chaud fumant puis souleva le plateau pour le déposer sur la petite table.

Elle se leva, l'obligeant à prendre une profonde et imperceptible inspiration. 

  - Est-ce tu es un amish ? 

Il émit un rire de gorge et elle s'empourpra aussitôt.

  - Non, je ne suis pas un amish. 

  - Alors comme ai-je pu croiser votre chemin ?

Il se contenta de hausser les épaules et elle poussa un soupir de frustration.

  - Je suis une amish, dit-elle dans un souffle comme si elle se parlait à elle-même.

  - Est-ce un problème ? S'enquit-il d'une voix curieuse.

  - Personne ne s'intéresse à cette communauté.

  - Il faut croire que si.

 Elle se leva dans un bruit de froissement du tissu en coton qu'elle portait. Ses longs cheveux noirs légèrement ondulés tombaient en cascade sur sa poitrine et sur ses hanches si délicates et fragiles qu'il se savait capable de briser.

Il pressa violemment ses mains sur le bord des accoudoirs quand elle s'avança timidement vers lui. C'était la première fois en plus de sept qu'il décelait dans ses yeux un désir intense de dépasser les limites pour avoir des réponses.

Inutile de poser ses doigts dans son cou pour deviner son pouls rapide.

  - Vous voulez que je trouve la vérité par moi-même et une fois que je l'aurai trouvé vous allez faire ce que vous attendez de faire.

  - C'est à peu près ça en effet, confirma-t-il d'une voix si sombre qu'elle hoqueta légèrement. 

  - Et ensuite ? 

Dans ses yeux il lut de la peur et de l'incertitude. 

Lui savait exactement ce qui allait se passer. Tout...absolument tout était préparé dans les moindres détails et il savait que la fin allait être sombre et ensanglantée.

La jeune femme aux yeux vert attendait qu'il lui révèle son destin qui en quelque sorte reposait entre ses mains. Elle s'avança encore jusqu'à finir devant ses jambes musclées et écarter. 

Un fulgurant et violent désir lui empoigna les muscles et il résista de toutes ses forces pour ne pas lui saisir la gorge afin d'incliner son visage selon sa volonté.

  - Tu verras, se contenta-t-il de dire d'une voix gutturale.

Il se tendit dans le fauteuil alors qu'elle venait de détourner les yeux, réalisant peut-être qu'elle avait dépassé les limites.

Encore.

Soudain elle se recula légèrement en se passant une main tremblante sur la joue et son regard se tourna vers la fenêtre floutée. 

  - Est-ce que nous sommes loin de Lancaster ? Demanda-t-elle en s'avançant vers celle-ci.

  - Nous sommes au milieu de nulle part.

Bien qu'elle ne pouvait pas voir l'extérieur, elle posa le plat de sa main sur la vitre.

  - Alors pour quelle raison je ne peux pas voir l'extérieur ? 

  - Si tu dois me retrouver alors tu le feras par toi-même.

Sa réponse la poussa à se retourner et le regarda les sourcils froncés.

  - Vous pensez que je veux vous retrouver ?

  - Oui.

Son honnêteté la déstabilisa à un point tel qu'elle ouvrit la bouche mais aucun son ne se forma. 

  - Pourtant je n'ai pas l'impression de l'avoir fait.

  - Ton esprit est concentré sur moi plutôt que sur ton passé, déclara-t-il depuis le fauteuil. Tu passes plus de temps à te poser des questions sur moi que sur ce que tu as oublié alors oui Freya, je pense que depuis que je t'ai relâché tu cherches à me retrouver.

Une lueur craintive passa dans son regard puis elle secoua la tête comme si elle voulait chasser cette hypothèse de son esprit.

  - Si tu me retrouves par toi-même, commença-t-il d'une voix sombre, si tu me reviens par tes propres moyens alors tu me confirmeras ce que je sais déjà Freya...

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