Chapitre 12
Éprouvant des sensations de picotements sur le visage, Freya recula instinctivement en découvrant Gunner Azarov au seuil de l'entrée. Avec nonchalance il entra à l'intérieur de la maison sans attendre d'y être invité.
- Je ne vous ai pas autorisé à entrer.
- Votre mère m'a autorisé, dit-il en balayant l'intérieur d'un regard faussement appréciateur. Eh bien on peut dire que c'est rudimentaire ici.
Freya regarda Lazarus qui s'était déplacé devant elle pour faire obstacle.
- Tu n'as rien à faire ici Gunner, dit-il froidement. Continue comme ça et je vais demander une mesure d'éloignement.
Gunner prit la menace au sérieux et se tourna vers lui.
- Du calme, je ne suis pas venu ici pour harceler mademoiselle Cullen, mais pour au contraire m'excuser pour mon comportement.
Sur la défensive, elle resta en retrait alors qu'il la regardait avec insistance.
- Je suis sérieux, reprit-il en reportant son attention sur Lazarus Varak. Je ne suis pas un ennemi, bien au contraire. Nous voulons tous la même chose ici et je pense que nous devrions travailler ensemble.
Un rire de gorge s'éleva dans la maison et elle fut troublée quand elle s'aperçut qu'il appartenait à son avocat.
- Travailler ensemble ? Et pourquoi faire ?
- Pour coincer celui que nous cherchons tous, dit-il comme une évidence.
- Personnellement, je ne le cherche pas, ce que je cherche en revanche c'est protéger ma cliente qui est en danger à cause de toi et du procureur.
- Pour être honnête je ne m'attendais pas à ce qu'il se manifeste si vite, admit Gunner en la regardant. Je ne voulais pas non plus me montrer quelque peu insistant mais vous devez admettre que cette affaire est particulièrement intéressante.
Un silence palpable s'installa et dans lequel Freya s'entoura de ses bras. La tension était si électrique qu'elle la ressentait dans le bout de ses doigts. Les deux hommes s'affrontèrent du regard. L'un était menaçant et l'autre rempli de défis. À deux ou trois centimètres près, ils faisaient la même hauteur réduisant un peu plus l'espace déjà restreint de la maison.
- Tu ne peux pas mettre sa vie en danger simplement parce que tu veux satisfaire tes passions tordues Gunner.
- Elle n'est pas en danger, du moins pas encore.
Freya ravala un hoquet en peinant à déglutir.
- Et si vraiment elle l'était, la police est dans les parages, ajouta-t-il en sortant quelque chose de sa veste. Est-ce que vous avez vu ça mademoiselle Cullen ?
Il déroula un dossier et s'approcha pour le lui tendre.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Eh bien j'ai pensé que ça pourrait vous intéresser de voir deux ou trois trucs qui pourraient potentiellement vous stimuler pour parler au procès.
De ses mains hésitantes, Freya ouvrit le dossier. Son sang se glaça lorsque son regard croisa les photos et elle referma brutalement le dossier en manquant l'air. Désormais, jamais elle ne pourra effacer ces images de son esprit et qui se conjuguaient parfaitement avec le profil de l'homme des ténèbres.
Était-ce ce qui l'attendait ?
Une main s'empara du dossier et elle vacilla en relevant les yeux sur son avocat.
- Où as-tu trouvé ça ! Qui t'a donné ça ? Gronda Varak en plaquant le dossier contre le torse de Gunner pour qu'il le reprenne.
- Disons que...Olivia Stevens m'a rendu une petite visite hier soir après que tu aies refusé son invitation et il semblerait qu'elle soit quelque peu tête en l'air et un peu bavarde.
Varak le fusilla du regard puis se tourna vers elle.
- Vous voulez vous asseoir ? Est-ce que vous allez bien ?
- Je voulais simplement qu'elle puisse voir de quoi est capable cet homme quand il n'est pas content, se justifia Gunner faussement désolé. Avez-vous vu à quel point il peut être à la fois méthodique et brutal.
Une nausée dans la bouche, Freya plongea son regard sur le plancher en s'imaginant à la place de ces personnes sur les photos.
- Sors d'ici Gunner ! Tonna la voix de Lazarus Varak.
- Le seul moyen de le coincer c'est qu'elle parle, insista Gunner sur un ton plus sérieux. Il faut qu'elle parle Lazarus parce que c'est le seul moyen et tu le sais. Si tu veux que cette affaire prenne fin alors essaye de la convaincre d'aller à la barre.
- Elle n'ira pas à la barre parce qu'il n'y a rien d'autre à dire.
Freya releva les yeux, une moue de dégoût sur les lèvres.
- J'ai déjà tout dit, articula-t-elle en le regardant droit dans les yeux. Vous voulez que je parle de lui alors que je ne sais rien de plus que ce que je vous ai dit. Vous ne comprenez donc pas ?
- Ce que je comprends c'est que vous êtes à ce jour celle qui peut nous aider.
Agacée, elle se passa une main rageuse dans les cheveux et manqua de faire tomber sa coiffe.
- Je ne peux pas vous aider et je ne veux pas vous aider ! S'emporta-t-elle en se levant pour l'affronter. Vous ne comprenez pas ou vous faites semblant de ne pas comprendre monsieur Azarov.
- Ça suffit comme ça, intervint Lazarus en se mettant devant elle. Cette conversation est officiellement terminée.
Gunner serra les mâchoires, frustré et le fit comprendre avec un jeu d'épaules.
Peut-être ne s'était pas préparé à découvrir Lazarus ici et pensait pouvoir la coincer seule, pensa-t-elle en essayant de lire dans ses yeux.
Il la toisa avec un sourire dans la commissure de ses lèvres.
- Vous savez quelque chose que nous ne savons pas et je finirai par trouver ce que c'est, conclut-il avant de quitter la maison.
Ce fut seulement lorsqu'il referma la porte qu'elle reprit son air bloqué dans sa poitrine. Une odeur musquée mélangée à un after-shave épicé lui monta au nez. Les deux parfums des deux hommes flottaient dans la cuisine et elle était incapable de savoir à qui appartenait ces effluves.
Une ombre passa sur son visage comme un voile sombre et une main s'enroula autour de son bras. Délicate mais assez ferme, la prise avait pour but de la guider vers le fauteuil.
- Je ne peux pas continuer ainsi, dit-elle des sanglots dans la voix. Je regrette mais il faut que ça s'arrête.
- Je sais, murmura-t-il sombrement en s'installant en face d'elle.
- Personne ne semble comprendre que je ne peux pas vous aider, parvint-elle à dire après s'être difficilement raclée la gorge. Je n'ai rien de plus à dire parce que je ne sais rien de plus. Il ne me parlait pas. J'allais à table, il dressait les couverts comme il le voulait, il s'installait en face de moi sans un mot. Quand je lui parlais, il se contentait de gestes de la tête. Il s'installait sur une chaise et me regardait dans un silence glaçant et il m'a donné des cours de piano. Il lui arrivait d'avoir des sursauts brutaux, mais il ne m'a jamais réellement fait de mal. C'est tout, ajouta-t-elle dans un souffle tremblant.
- Je sais, répéta-t-il gravement. N'ayez crainte, vous ne retournerez pas au procès.
Elle voulait le croire, mais à cet instant précis, elle ne croyait plus personne.
- Je ne sais plus quoi penser ni quoi faire, lui confia-t-elle les yeux embués de larmes. Je ne sais plus où se trouve ma place. J'essaye en vain de me rappeler, de retrouver mes souvenirs mais tout est brouillé et incertain. J'ai tout le temps froid et j'ai peur de tout ce qui m'entoure.
L'expression de son avocat se ferma brutalement et elle se sentit prise d'un vertige alors que son cœur battait à tout rompre.
- Même dans ce village je ne me sens pas protégée, murmura-t-elle en fermant brièvement les yeux.
- Tout ira bien, dit-il d'une voix ferme. Je vais tout faire pour que votre vie redevienne comme avant.
Freya plongea son regard humide dans le sien et ne trouva rien de plus qu'une promesse solennelle.
Elle se contenta d'acquiescer, mais dans le fond savait que cette promesse était impossible à tenir car elle avait oublié sa vie d'avant et parfois elle se demandait si elle voulait vraiments la retrouver.
- Je dois y aller, annonça-t-il en consultant sa montre. J'ai rendez-vous avec le procureur et Gunner m'a rendu un grand service en venant ici.
Il se leva, l'obligeant à en faire de même pour le raccompagner jusqu'à la porte.
- Merci, s'entendit-elle murmurer.
- Ne me remerciez pas, je suis là pour ça.
Il ébaucha un léger sourire en coin qui n'avait aucune émotion profonde et sa silhouette imposante s'éloigna.
Freya referma la porte et se colla à celle-ci le temps que son cœur se calme. Hélas la peur dominait l'ensemble de son corps meurtri par la douleur.
Une partie d'elle était profondément ancrée dans ce qu'elle était et d'où elle venait. Mais une autre lui hurlait sans cesse qu'elle ne devait pas rester ici. C'était comme si le mal voulait l'avertir que même ici elle n'était pas en sécurité. Le pire c'est qu'elle le pensait au tréfonds de son être. Toute la journée, elle resta dans la maison et quand ce fut l'heure de se retrouver à table, un sentiment d'oppression ne la quitta pas jusqu'à ce qu'elle se lève de table. Elle ne supportait plus la façon avec laquelle ses parents agissaient avec elle. Comme si elle était habitée par le mal et que seul un mariage pouvait la guérir.
Le révérend Lantz ne lui inspirait aucune confiance contrairement aux autres qui le voyaient comme un fidèle serviteur de Dieu dont seules ses paroles étaient porteuses de vérité.
- Freya ? Est-ce que tout va bien ?
Étonnée de voir son père au seuil de la porte de sa chambre, Freya cessa de brosser ses cheveux.
- Oui, répondit-elle en posant la brosse sur la petite table.
Il semblait mal à l'aise, rongé par une question qui lui brûlait les lèvres.
- Excuse-moi d'être ainsi avec toi, mais tu ne me facilite pas la tâche. As-tu réfléchi ?
Une douleur lui vrilla les tempes.
- Je suis en train de considérer la question en ce moment même, mentit-elle en guettant sa réaction.
Il inclina la tête, l'air satisfait de sa réponse.
- Demain nous allons déjeuner chez ta tante Jemme et ton oncle Jacob. Ça te fera du bien.
Freya sourit ou du moins s'efforça de lui sourire jusqu'à ce qu'il ferme la porte.
Une fois seule, ayant l'impression de manquer d'air, elle s'empara du châle posé sur la chaise et le mit sur ses épaules avant de se diriger vers la fenêtre.
Elle l'ouvrit et l'enjamba pour se faufiler dans la nuit noire. Pieds nus, elle courut sur l'herbe fraîche et s'arrêta brusquement en regardant l'orée du bois qui lui était de plus en plus familier. Elle avait l'impression de l'avoir déjà franchi par le passé, à une époque insouciante.
En exhalant un soupir tremblant, une fumée se forma devant elle et s'échappa dans la froideur de la nuit.
Le plus prudent aurait été de faire demi-tour mais au lieu d'écouter la raison, Freya écouta son instinct qui lui murmurait de s'approcher un peu plus près.
Sous ses pieds nus se mirent à craquer quelques branches et elle ignora les légères douleurs que lui causaient ces dernières pour entrer dans le bois. La lune était son seul phare dans cette pénombre et elle décida de suivre le chemin le cœur battant à la chamade.
Quelques flashs heurtèrent son esprit. Elle se voyait en train de marcher sur le même chemin, mais vêtue différemment. Happée par les souvenirs elle se laissa guider par les images qui se projettaient devant ses yeux quand soudain elle entendit un bruit derrière elle.
Son cœur se mit à bondir et cela l'obligea à reprendre ses esprits. En clignant des yeux elle ne s'attendait pas à découvrir qu'elle n'était plus dans la forêt mais sur un chemin recouvert de gravier blanc.
La respiration erratique, elle l'oreille pour percevoir le bruit qui semblait à la fois proche et loin d'elle.
Cela ressemblait au vrombissement d'un moteur de voiture.
Son sang s'accéléra et elle serra le châle contre elle en pivotant sur elle-même. Freya réalisa seulement maintenant qu'une lumière vive était projetée sur elle comme un faisceau éblouissant. Il était si vif qu'elle leva la main pour protéger ses yeux. Le danger la guettait depuis cette voiture et n'ayant pas la possibilité de voir le conducteur, Freya prit peur et se retourna pour marcher à contre-sens de la voiture.
Seulement à l'aube de ses premiers pas, le moteur se mit à rugir parce que la voiture avançait.
Tétanisée et perdue, elle accéléra le pas en ne se souvenant plus quel passage elle avait emprunté pour se retrouver là.
Alors elle se mit à courir en s'aidant des phares de la voiture qui étaient pointés sur elle. Elle laissa tomber le châle pendant sa course alors qu'elle pouvait entendre la voiture la suivre à une allure lente, comme si le conducteur prenait plaisir à la voir courir dans la douleur.
Enfin...c'est ce qu'elle pensa avant que les phares s'éteignent subitement. Plongée dans le noir, elle s'arrêta net et tourna la tête pour s'apercevoir que la voiture s'était elle aussi brusquement arrêtée.
Dans la pénombre elle chercha la lune pour se raccrocher à elle afin qu'elle puisse l'aider mais une sombre couche de nuages la recouvrait désormais.
Alors Freya n'eut d'autre choix que de s'aider de son ouïe et entendit un grincement provenant d'une portière. Ensuite, elle décela un bruit de pas écrasant les graviers du chemin.
Glacée sur sa peau comme dans son sang, elle garda les yeux rivés droit devant elle jusqu'à ce qu'une ombre encore plus sombre que la nuit couvre son visage.
Elle recula et ses pieds douloureux s'entremêlèrent jusqu'à la chute.
La peur l'empêcha de crier et soudain, alors qu'elle tremblait de tout son corps, elle sentit quelque chose lui brûler furtivement la jambe et ses paupières se mirent à devenir si lourdes qu'elle préféra les garder fermées.
Jusqu'à ce que les ténèbres l'emportent comme par le passé...
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