Chapitre 11




La nuit avait été froide et troublée par une insomnie. Freya n'avait pratiquement pas fermé l'œil de la nuit. Chaque bruit, chaque impression d'être observée l'avait empêché de fermer les yeux, espérant même le voir apparaître afin qu'il lui dise enfin ce qu'il attendait d'elle.

La conversation quelque peu étrange qu'elle avait eu avec le révérend Lantz ne l'avait pas aidé à trouver des réponses à ses questions, mais au contraire en avait créé d'autres bien plus inquiétantes.

  - Freya ? Est-ce que tu m'écoutes ? 

Tirée de sa sombre torpeur, elle se redressa en fixant son père d'un air étourdi.

  - Je te demande pardon, je n'ai pas entendu.

  - Est-ce que tu es souffrante ?

Tout son corps était en souffrance, pensa-t-elle intérieurement en secouant négativement la tête.

  - J'ai mal dormi cette nuit, mais je vais bien.

Un éclat dur passa dans le regard de son père qui se remit aussitôt à manger.

  - Le révérend m'a dit que vous aviez parlé hier avant le dîner.

Freya eut presque l'impression que le timbre de sa voix était accusateur et peut-être que c'était le cas.

  - En effet oui, répondit-elle en jetant un furtif regard en direction de sa mère.

  - C'est une bonne nouvelle, s'exclama Claire en souriant.

Freya n'arrivait pas à quitter du regard l'expression fermée de son père et comprit qu'il savait. Quelque chose lui comprima la poitrine et elle eut subitement très peur.

  - Ça ne s'est pas passé comme je l'avais espéré, finit-elle par dire jusqu'à étonner son père qui redressa vivement la tête. Disons que je me suis un peu braquée et j'ai un peu paniqué. 

En édulcorant la réalité, elle espérait convaincre davantage son père que sa mère et ça semblait marcher.

  - Je vais m'excuser pour mon comportement, ajouta-t-elle en posant la fourchette sur le bord de l'assiette. 

  - Je suis heureux de te l'entendre dire Freya, déclara son père sur un ton plus doux. Le révérend est là pour t'aider. 

  - Je sais.

Tout n'était que façade...un moyen de gagner du temps alors que la peur la faisait presque suffoquer. Elle avait l'impression d'être dans un étau et chacun d'eux le pressait un peu plus chaque jour. Depuis qu'il l'avait libérée, Freya avait longuement imaginé le moment où elle reviendrait auprès des siens sans se douter un seul instant qu'elle se sentirait aussi triste que lorsqu'elle était séparait d'eux enfermée dans cette chambre d'hôtel.

  - Tu dois réfléchir à sa proposition, conclut-il sans lui laisser un choix de réponse.

Freya se mordit l'intérieur de la joue en regardant Tessa qui brûlait encore d'intervenir mais elle l'en empêcha avec un léger coup de chaussure dans son pied.

Il se leva avec hâte et mit son chapeau sans un autre mot. Elle attendit son départ pour se tourner vers sa mère.

  - Un mariage ne m'aidera en rien maman. 

Elle perdit son rayonnant sourire et s'empressa de quitter la table pour la débarrasser.

  - Nous sommes tes parents Freya et peut-être que nous avons raté sept ans de ta vie, cela ne veut pas dire que nous ne savons pas ce qui est le mieux pour toi.

  - Ce n'est pas réellement ce que tu veux pour moi, répliqua-t-elle en espérant qu'elle la regarde enfin. C'est ce que le révérend Lantz a suggéré, mais je suis la seule disposée à savoir ce qui peut m'aider ou non.

  - Tu as besoin d'un nouveau départ.

  - Pas comme ça.

Elle se retourna enfin pour lui faire face. Elle-même ne semblait pas convaincue, mais demeurait aussi déterminée que son père.

  - Le révérend Lantz nous a beaucoup aidé avant ton retour et je suis convaincue qu'il a raison Freya. Tu as besoin d'un renouveau, d'un nouveau départ en tant que jeune femme qui a traversé beaucoup de difficultés et de traumatismes.

  - Un mariage avec un garçon que je ne connais pas ne va en rien m'aider à m'épanouir et je trouve que votre obsession à le vouloir est très inquiétante.

Claire écarquilla les yeux sous le choc.

  - Freya ! Je ne te permets pas ! Ce n'est pas notre façon de penser et tu le sais !

Non hélas, elle ne le savait pas. 

Les jambes en coton, elle se leva en passant la naissance de ses doigts sur sa bouche sèche.

Elle s'apprêtait à s'excuser quand quelques coups contre la porte se firent entendre.

Ayant la crainte qu'il puisse s'agir du révérend Lantz, Freya se retint au bord de la table en coupant sa respiration.

Lorsque sa mère ouvrit la porte, une silhouette massive émergea dans l'encadrement de la porte. 

Bien que rassurée qu'il ne s'agisse pas du révérend Lantz, le cœur de Freya continua de battre fort dans sa poitrine.

  - Bonjour madame Cullen, est-ce que votre fille est ici ? 

Mal à l'aise, Freya lissa sa robe et contourna la table pour se montrer. Lazarus Varak vrilla son regard dans le sien tout en arborant un léger sourire.

  - Bonjour Freya, déclara-t-il de sa voix à la fois calme et grave. 

Freya frémit instantanément en se souvenant de ce qui c'était passé la veille.

  - Bonjour, dit-elle d'une petite voix.

  - Que voulez-vous ? Demanda sa mère en s'écartant légèrement de la porte.

Lazarus décrocha son regard du sien pour le porter sur Claire.

  - Je dois m'entretenir avec votre fille si c'est possible.

  - Oh oui bien sûr, dit-elle en essuyant ses mains dans son tablier. Tessa viens avec moi.

Le ventre noué, elle regarda sa mère et sa sœur disparaître hors de la maison et quand il entra à l'intérieur, Freya eut l'impression que la maison avait brusquement rapetissé.

Avec un regard timide elle l'invita dans le modeste salon qui jouxtait la cuisine.

  - Est-ce que vous allez bien ? Demanda-t-il en prenant place dans l'un des fauteuils.

Freya hocha brièvement la tête en regardant ses immenses jambes repliées et qui semblaient souffrir du faible espace que lui apportait le fauteuil. 

Sa carrure se découpait de façon intimidante dans le costard noir et sa paire d'yeux noire n'avait jamais été aussi intimidante qu'à cet instant précis.

  - Je voulais m'excuser pour hier, je n'aurais pas dû débarquer comme je l'ai fait, finit-elle par déclarer en se laissant tomber dans le fauteuil voisin.

  - Vous n'avez pas à vous excuser, s'enquit-il d'une voix graveleuse. Je vous ai dit de m'appeler si quelque chose n'allait pas et c'est ce que vous avez fait.

Instinctivement elle pressa son pouce sur la bande qu'elle portait encore.

  - Vous êtes venu ici pour parler de l'affaire ? Le questionna-t-elle en tortillant nerveusement ses doigts.

  - Je suis venu voir comment vous allez pour commencer, déclara-t-il en la dévisageant. Est-ce que votre retour s'est bien passé ? 

  - Pas comme je l'avais espéré, avoua-t-elle en baissant les yeux. J'aurais aimé que les événements se passent différemment. Quant à mes souvenirs, ils sont faibles. 

Une lueur de compassion à son égard passa brièvement dans ses yeux opaque.

  - Est-ce qu'il s'est passé quelque chose d'étrange depuis votre retour ? 

Cette question fit bondir son cœur.

Était-ce le moment de lui révéler que oui ? 

Garder le silence mettait à mal l'enquête et elle le savait. 

Pourtant...

  - Non, mentit-elle en baissant le regard. Le seul événement étrange qui s'est produit depuis mon retour ici c'est la visite de Gunner Azarov. 

  - J'ai parlé au procureur, il va faire en sorte qu'il ne vous approche plus tant que l'enquête demeure.

  - Cette enquête ne mènera à rien, lâcha-t-elle plus vite qu'elle l'aurait voulu.

Il plissa son front, aiguisant un peu plus son regard ténébreux et ciselé.

  - Vous pensez sincèrement que cette enquête va aboutir à une fin ? Ajouta-t-elle en poussant un faible rire nerveux. Croyez-moi ils n'arriveront pas à le coincer. 

Elle se leva pour dégourdir ses jambes tremblantes.

  - En revanche j'ai peur pour moi.

  - Il ne vous arrivera rien.

  - Vous ne pouvez pas le savoir, d'ailleurs personne ne peut le savoir sauf cet homme, murmura-t-elle en regardant par la fenêtre. Je crois que le pire pour moi c'est de rester dans l'ignorance. De ne pas savoir ce qu'il veut réellement de moi. Ma mort ? Je l'ignore.

Un vent glacial qui provenait de sa tête courut sur son dos et l'obligea à s'entourer de ses bras.

  - Freya est-ce que vous nous avez tout dit au tribunal ? 

Elle ouvrit brusquement les yeux, et cessa de respirer.

  - Que voulez-vous dire ? Demanda-t-elle d'une voix déstabilisée en se retournant.

Il l'observa avec gravité avant de se lever du fauteuil pour lui infliger sa vertigineuse hauteur.

  - Je veux savoir si vous avez édulcoré ou non ce qu'il s'est passé avec lui durant vos sept ans de captivité.

Freya déglutit péniblement en forçant son regard à rester ancré dans le sien.

  - J'ai dit l'essentiel, finit-elle par dire la gorge sèche. Il n'y avait pas grand chose à rajouter.

Il n'avait pas l'air satisfait de sa réponse et appuya son regard sérieux dans le sien.

  - Ce procès était un leurre et vous le savez, reprit-elle avec une colère contenue dans la voix. On m'a utilisé dans l'espoir qu'il réapparaisse et c'est exactement ce qu'il a fait.

  - Est-ce que vous avez eu des liens étroits avec lui oui ou non ? 

Freya aspira un filet d'air en le dévisageant.

  - Non, répondit-elle sans réfléchir plus longtemps. Je vous l'ai dit monsieur Varak, il ne me parlait pas, notre seul moyen de communication était par des signes de la tête et des gestes de la main. 

Soudain elle eut la sensation de suffoquer sous l'épais regard de l'homme qui, malgré la distance qui les séparait, parvenait à la faire vaciller.

  - Il m'a donné des cours de piano, lâcha-t-elle dans un souffle en se retournant pour fuir la réaction de son avocat. 

Elle exhala un soupir tremblant en fermant les yeux.

  - Je crois qu'il aimait ça, mais c'est tout, ajouta-t-elle alors que les souvenirs surgissaient violemment dans sa tête. Je n'ai rien de plus à vous dire monsieur Varak. 

  - Veuillez m'excuser, dit-il simplement. Je ne voulais pas vous brusquer.

Elle ouvrit les yeux en inspirant imperceptiblement. 

Chaque matin elle avait essayé d'apprendre à jouer et il l'avait aidé avec ses mains posées sur les siennes. Chaque note avait comblé le silence entre eux, l'empêchant ainsi de sombrer dans la peur absolue.

  - Je ne voyais pas l'utilité de le dire au procès et j'avais raison, déclara-t-elle des trémolos dans la voix. Un procès qui n'a duré que deux jours à peine.

  - Et qui peut à tout moment reprendre.

Elle se retourna un peu trop vite.

  - Pour dire quoi ? 

  - Pour le trouver, pour que quelque chose soit déclaré et qui pourrait l'obliger à se montrer.

  - C'est ce qu'ils veulent faire ? M'obliger à retourner à la barre pour que...non ! Assez ! Je n'irais pas ! 

Décidée à ne pas se laisser faire, Freya passa à côté de lui pour se rendre dans la cuisine.

  - Azarov pourrait vous obliger à y aller, précisa-t-il en la suivant. 

  - Et vous ne pouvez rien faire ? 

Il la dévisagea avec brusquerie.

  - J'ai déposé une demande de report comme je vous l'avais promis, mais je suis le seul à vouloir le retarder, expliqua-t-il en s'approchant un peu plus. Azarov, le procureur, les enquêteurs...ils sont tous persuadés que c'est ce procès qui peut l'attirer. 

  - Parce qu'il m'a ramené le chat ? S'enquit Freya en poussant un rire sans saveur. Il me l'a ramené pour que je sache qu'il sait et qu'il peut entendre tout ce que je peux dire. Ce qui signifie pour ma part qu'il s'agissait là d'un avertissement.

Avec gravité, Lazarus Varak garda le silence et quand elle vit ses mâchoires se contracter violemment, elle prit peur.

  - Vous ne vouliez pas être là je me trompe ? J'ai l'impression que vous avez été forcé à venir ici. Vous n'auriez pas dû accepter de venir ici, loin de New-York et de votre petite-amie ou bien fiancée.

  - Vous supposez mal mademoiselle Cullen, répondit-il une lueur énigmatique dans le regard. Il n'y a personne qui m'attend à New-York et je suis venu parce que je le voulais. C'est mon métier.

Freya pressa ses mains sur le plan de travail en bois de chêne par crainte de tomber.

  - Nous sommes en train de parler d'un tueur en série mademoiselle Cullen, enchaîna-t-il la mine grave. Un tueur qui attend peut-être un moment précis pour agir et vous êtes la seule qui a créé un lien avec lui. 

  - Je n'ai pas...non...

  - Je crains que si, insista-t-il avec gravité. Azarov a raison sur un point, il a changé sa méthodologie pour vous et vous a gardé assez longtemps pour avoir établi un lien avec vous. 

  - Ou alors il s'amusait à me torturer mentalement et va désormais faire ce qu'il doit faire depuis le commencement. C'est-à-dire me tuer. J'ai peut-être fait quelque chose de mal et je ne m'en souviens pas.

Aussitôt les paroles du révérend Lantz se mirent à résonner dans sa tête.

" Tu ne te souviens pas de la veille ? "

  - Un tueur avec ce genre de profil n'attend pas sept ans pour tuer sa proie. Il a la précision du détail même en ce qui concerne les dates. 

  - Alors que veut-il de moi ? Qu'est-ce qu'il veut que je fasse ? 

  - Il vous a relâché pour une raison qui nous échappe encore, mais nous finirons par trouver.

Freya contourna le plan de travail pour se planter devant lui. 

  - Il n'y a pas un seul endroit où je me sens en sécurité depuis des mois, lui confia-t-elle en rejetant la tête pour atteindre son regard. 

  - Comme c'est intéressant...déclara une voix au seuil de l'entrée...

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