Chapitre 1
Deux jours plus tard, Freya attendait patiemment la voiture qui était censée la conduire au tribunal. Sa tante avait dû quitter Harrisburg au petit matin, mais lui avait promis de revenir afin de la soutenir. Seulement ce n'est pas son soutien qu'elle attendait en vain depuis des mois, mais celui de ses parents.
Hélas ni l'un ni l'autre ne voulait quitter la ville pour la rejoindre alors elle devait se contenter de coups de téléphone dans lesquels Freya devait faire face aux supplications de sa mère.
Elle l'implorait de revenir auprès d'eux et auprès de sa sœur Tessa seulement Freya n'était pas prête à revenir auprès des siens alors que les souvenirs commençaient à peine à refaire surface et en désordre.
Dans cet immense brume d'incertitudes, Freya devait sans cesse conjuguer avec ce sentiment d'avoir été abandonnée et livrée à deux vies totalement opposées.
- Mademoiselle Cullen ?
Dans un léger et imperceptible soubresaut, elle releva la tête pour dévisager le jeune homme qui venait de s'arrêter à sa hauteur.
- Kendrick Harks, se présenta ce dernier avec un sourire aimable. Je suis le policier chargé de vous escorter jusqu'au tribunal.
Freya l'étudia avec prudence, examinant ses traits qui inspiraient la fiabilité. Elle lui donnait vingt-sept ou vingt-huit ans, pas plus. Il y avait quelque chose de particulièrement saisissant dans son regard comme s'il prenait à cœur son rôle de protecteur. Pendant quelques secondes, elle se montra réticente avant de se ressaisir. Après tout, il s'agissait d'un homme de loi, songea-t-elle en baissant les yeux sur son arme attachée à la ceinture de son pantalon. Tout en serrant son sac contre elle, Freya le laissa l'escorter jusqu'à la voiture et monta à l'arrière.
Quand il démarra, elle fut contrainte de reprendre son air bloqué dans sa poitrine. Elle se concentra sur les passants tout en cherchant un certain réconfort dans les paysages de la ville.
- Vous êtes prête ?
Freya capta son regard noisette dans le rétroviseur intérieur et le questionna en fronçant des sourcils.
- Je suis sur l'affaire, alors je me demandais si vous étiez prête.
- Vous êtes sur l'affaire ? Répéta-t-elle d'une voix hésitante.
- Oui, depuis peu, avoua-t-il en stoppant la voiture au feu rouge. Le procès va être très médiatisé, vous êtes certaine de vouloir faire ça ?
Sa question l'étonna, si bien qu'elle quitta le rétroviseur des yeux.
- Vos collègues sont pour, pourquoi vous ne l'êtes pas ? Lui demanda-t-elle en guettant son regard qui venait d'accrocher le sien.
Il haussa les épaules avec désinvolture en regardant la route.
- Je n'ai pas dit que j'étais contre, je soulève simplement le fait que ce procès risque d'être pénible pour vous, expliqua-t-il en lui jetant quelques regards. Je suppose que vous ne connaissez pas l'avocat qui va représenter ce mystérieux tueur n'est-ce pas ?
- Non en effet, admit-elle une boule dans la gorge.
Il tiqua en basculant sa tête de gauche à droite.
- Apparemment il est redoutable, il a représenté au moins huit assassins en tout genre au cours de sa carrière. Selon les rumeurs qui courent depuis plusieurs jours, il est fasciné par cet homme et votre histoire.
Freya tira sur ses doigts avec acharnement pour tromper les battements de son cœur. Sur son visage et malgré qu'elle l'avait tourné vers la fenêtre, elle pouvait sentir le poids du regard du policier.
Il ne dit rien de plus durant le trajet, éveillant un peu sa curiosité.
Essayait-il de la mettre en confiance pour qu'elle lui livre des informations ?
Avait-il conscience ainsi que les autres qu'elle n'avait aucune idée de son identité ?
En sept ans, jamais elle n'avait vu son visage et chaque jour elle se demandait à quoi il pouvait bien ressembler.
Chaque passant masculin qu'elle croisait dans la rue pouvait être lui. Chaque regard qu'elle posait sur un homme augmentait son anxiété parce qu'à ses yeux, ça pouvait être n'importe qui.
- Nous sommes arrivés mademoiselle Cullen.
Un battement de cils suffit à la ramener dans l'instant présent. Lorsqu'elle s'apprêta à ouvrir la bouche afin de le remercier, ce dernier claqua la portière pour faire le tour du véhicule.
C'est seulement à cet instant qu'elle remarqua les journalistes agglutinés devant les portes du tribunal.
Elle avait déjà dû se soustraire à la presse quelques mois auparavant, mais cette fois-ci elle eut la sensation que c'était différent.
Ils attendaient tous d'elle les réponses à leurs innombrables questions.
Kendrick Harks ouvrit la portière et l'aida à sortir. Cette sécurité bien que précieuse ne la rassurait pas. Elle se sentait dépossédée de cette sécurité qu'elle avait connue autrefois. Désormais elle avait l'impression d'être livrée à une horde de fauves assoiffés.
Les questions des journalistes reflétaient exactement ce que lui avait dit John Reilly dans son bureau. Ils voulaient tous se fondre dans cette histoire et en absorber chaque détail.
Tout en ignorant les questions, elle se laissa entraîner par Harks jusqu'à ce qu'ils franchissent ensemble l'intérieur du tribunal.
- Eh bien...on dirait bien que tout le monde est déchaîné, commenta-t-il en regardant les agents refermer les deux portes.
- Mademoiselle Cullen, c'est un plaisir de vous revoir.
Freya accueillit le procureur John Reilly avec une franche hésitation qu'il décela dans ses yeux.
- Tout se passera bien mademoiselle, soyez certaine que je ferai au mieux pour que les questions ne vous soient pas désagréables.
- Est-ce que les journalistes seront présents ?
- Certains ont été accrédités, mais d'autres non, admit-il avec une honnêteté qui dénotait avec son manque de franchise deux jours plus tôt. Il faut que vous compreniez que ce procès attire l'attention. Certains veulent comprendre et d'autres sont ici par curiosité. Votre histoire intéresse plus que vous ne le croyez.
- Oh ça je vous le confirme...
La voix qui venait de s'exprimer derrière elle appartenait à un homme et dans celle-ci découlait une franche excitation. Freya se retourna lentement pour lui faire face.
Grand, la trentaine, les traits réguliers, son regard bleu était si expressif que l'on pouvait distinguer de l'exaltation. Il portait un costume sur-mesure qui soulignait sa silhouette prestigieuse et ses épaules larges. Ses cheveux brun tombaient impeccablement en arrière et qu'elle devinait plaqués contre sa nuque tandis qu'une légère barbe de trois jours intensifiait l'arrogance décrite sur les lignes de ses mâchoires. Freya détourna le regard avant que celui-ci remarque qu'elle le détaillait sans honte.
- Alors c'est vous, dit-il sur un ton fasciné. Vous êtes Freya Cullen, la seule et unique.
La bouche fermée, la jeune femme releva les yeux en restant près de Harks. Il se mit à la dévisager de haut en bas et en prenant son temps. Alors Freya regretta aussitôt de s'être sentie gênée de l'avoir détaillé quelques instants plus tôt. Sans vergogne il remonta son regard sur son visage puis tendit sa main vers elle.
- Vous n'imaginez pas depuis combien de temps je rêvais de mettre un visage sur ce nom, commença-t-il avec un sourire radieux. Je me présente, Gunner Azarov.
- Vous êtes mon avocat ? S'enquit-elle aussitôt en acceptant de glisser sa main dans la sienne tout en remarquant le tatouage sur sa main.
Il la serra avec une intensité étrange puis la relâcha.
- Non, et maintenant je commence à le regretter, dit-il avec un soupçon d'humour dans sa voix de baryton.
- Monsieur Azarov est l'avocat de l'accusé, intervint John Reilly.
Freya eut un léger mouvement de recul qui ne passa pas inaperçu aux yeux de l'avocat.
- Un accusé qui n'est pas là, précisa Kendrick Harks.
- C'est là où se trouve toute l'excitation de ce procès, dit Gunner avec un léger sourire en coin. Soyez rassuré mademoiselle Cullen, je vais tout faire pour vous épargner tout en remportant ce procès.
Dans son regard perçait une détermination qui laissait entendre qu'il mentait.
- Vous êtes prête à raconter votre histoire ? Ajouta-t-il en soulevant un sourcil.
Freya se pinça la lèvre en le dévisageant.
- Êtes-vous au courant que vous n'avez pas le droit de lui parler ? lança une voix derrière elle.
Une voix graveleuse et posée.
Freya se retourna pour détailler cet autre homme qui venait de se glisser dans cet espace restreint où ils étaient tous autour d'elle comme des vautours.
Dans ce moment pénible, elle ne s'était jamais sentie aussi minuscule entourée de tous ces hommes et celui qui venait de rentrer dans le cercle était lui aussi très grand. Ses longues et interminables jambes musclées l'obligèrent à déglutir. Il portait un costard deux pièce gris anthracite qui étalait une musculature qui avait l'air de vouloir se libérer des tissus.
Ce qui la marqua le plus, c'est son regard opaque aiguisé par d'épais sourcils noirs. Son visage semblait avoir été sculpté à la serpe ou bien taillé dans le marbre alors que ses traits virils se conjuguaient avec ses mâchoires volontaires et recouvertes d'une barbe prononcée. Contrairement aux autres hommes, il ne portait pas de cravate comme si sa gorge était dans l'incapacité d'en supporter une.
- Alors ça c'est une surprise, je ne m'attendais pas à te voir ici, si loin de New York, dit Gunner dont la voix avait perdue un peu d'exaltation.
- Vous vous connaissez ? S'interrogea Kendrick.
- Nous avons plaidé une affaire ensemble il y a très longtemps maintenant, expliqua l'inconnu d'une voix froide et posée. Si vous voulez bien m'excuser.
Freya sentit une main se refermer dans son dos, mais au lieu de s'en inquiéter elle garda la tête penchée en arrière pour le regarder et lut un léger mécontentement sur ses traits.
- Évitez de parler à Azarov, cet avocat ne reculera devant rien pour obtenir des informations qui auront pour objectifs de vous piéger, déclara-t-il en regardant Gunner du coup de l'œil.
- Donc...donc c'est vous mon avocat ?
Il planta enfin son regard dans le sien et un sourire à peine perceptible se manifesta sur son visage.
- Veuillez m'excuser je ne me suis pas présenté.
Il tendit sa main.
Freya baissa les yeux sur celle-ci avant de tendre la sienne pour qu'il s'en empare. Contrairement à l'avocat de l'accusé, sa poigne était plus tendre et cela contrastait avec la ciselure ferme et virile de sa main. Elle regarda ses doigts disparaître sous les siens et releva difficilement les yeux.
- Lazarus Varak, votre avocat, c'est un plaisir de vous rencontrer Freya.
- Moi aussi, murmura-t-elle quand il lâcha sa main.
- Si jamais ce procès devient pénible, si vous avez envie de tout arrêter, vous n'avez qu'un mot à dire et je ferai mon possible pour l'annuler. Vous avez compris ?
Elle hocha de la tête en guise de réponse.
- Est-ce qu'il est doué ?
- Je le suis également, répondit-il avec assurance.
- Je vous le confirme il l'est, lança Gunner en s'approchant.
Les deux hommes se jugeaient avec froideur désormais, jusqu'à ce que Gunner brise la glace avec un sourire en coin.
- Ne fais pas comme si j'étais un monstre mon cher confrère. Je suis ici pour comprendre cet homme.
- Eh bien il a tué cinq personnes au cours des onze dernières années et ça fait de lui un tueur en série, lui rappela Lazarus.
- Il y a bien plus que ça derrière ces meurtres et tu le sais également. C'est bien plus profond que ça et il y a elle.
Gunner se tourna alors vers elle pour la dévisager avec cette même expression fascinée.
- Je suis comme les autres citoyens de notre pays Lazarus, je veux comprendre la suite de l'histoire qui ne correspond pas à celle du commencement, poursuivit-il sans la quitter des yeux. Un tueur en série enlève une Amish à Lancaster et la garde sept longues années avant de la relâcher le jour de son vingt-troisième anniversaire.
Il marqua une pause puis rajouta avec un sourire en coin.
- N'est-ce pas étrangement fascinant...
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