Partie 2
Sorry - Nothing but thieves
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Emma monte encore les escaliers sombres de sa maison. La lampe du salon est allumée. Au cas où. Pour dire aussi qu'elle reste vigilante. Malgré la fatigue qui l'envahit toute entière dans son ascension laborieuse vers l'étage vide de sa maison silencieuse.
Le lit est fait et la femme se glisse sous les draps, les yeux déjà fermés, épuisée, aussi physiquement qu'émotionnellement. La soirée a été encore riche en mots forts, en gestes belliqueux, en revendications vengeresses. Tout le monde est remonté, prêt, impatient.
Carl et Enid sont revenus vers elle un peu plus tard. Le garçon s'est tenu tout près d'Emma, à la toucher, comme voulant se faire pardonner de l'avoir laissée seule au bout de quelques secondes seulement, l'attaque à peine commencée. Sauf qu'il n'a même pas mesuré qu'il a été bien plus vite et bien plus dangereusement exposé qu'elle, directement mis en danger de mort entre les mains de Negan.
Daryl, lui, n'a pas tardé à s'éloigner, au contraire, subitement, et sans plus de mot à l'attention de la brune, toujours égal à son habitude personnelle. Comme happé, tout entier, par la vision qui l'a brutalement saisi. Suivant du regard où ses pas lents semblaient le guider, Emma n'a pas mis de temps à identifier la femme aux cheveux courts et argentés, harnachée comme le sont les soldats du Royaume d'Ezekiel, se tenant bien droite, presqu'au garde-à-vous, à quelques mètres du chasseur.
Emma n'a pas retenu un soupir sonore de soulagement en les voyant se rapprocher, comme timides et interloqués tout deux de se retrouver là, debout, et bien vivants. Son soupir a fait tourner la tête de Carl vers elle, surpris, avant qu'il ne regarde lui aussi la jolie scène qui s'offrait à leurs yeux. Le garçon a vite reporté son attention à sa voisine, réalisant l'absence évidente et totale de jalousie ou de rancoeur qu'il aurait pu comprendre après tout ce que qu'elle avait déjà fait pour eux tous. Non, comme lui, elle savourait ce moment précieux de retrouvailles entre deux amis chers, entre deux membres d'une même famille qui ne se sont pas vus depuis trop longtemps.
"Tout le monde a le droit à un amoureux..." a alors déclaré gentiment le garçon, en regardant face à lui, loin, quelque part.
Mais Emma a su que c'était à elle qu'il s'adressait, toute proche.
Sans broncher, elle a continué d'observer Carol et Daryl s'approcher l'un de l'autre, s'apprivoiser à nouveau. C'est le ton qu'a utilisé le garçon, doux, objectif et plein de sagesse à la fois qui lui a fait comme un baume sur le coeur et l'âme.
"Papa a Michonne... J'ai même Enid, je crois, regardant la jeune fille sur sa droite, lui souriant tendrement. Mais pour lui, regardant à nouveau le chasseur au loin, le désignant d'un mouvement du menton, ce n'est pas Carol..." a-t-il-statué, tournant encore son regard vers la femme près de lui.
Emma a encore soupiré un peu plus bruyamment, faisant comprendre à son jeune ami qu'elle avait bien saisi, qu'elle était aussi reconnaissante de son soutien affectueux.
Une nouvelle fois, Emma a été frappée par la maturité que Carl a encore acquise ces dernières semaines, cette dernière journée, ces dernières heures. Il avait une nouvelle fois été menacé de mort imminente, après l'avoir guidée elle et les autres, au milieu d'un champ de bataille sanglant, grandeur nature. Et là, il semblait aussi calme et serein que la nuit qui tombait enfin sur Alexandria.
Cet enfant était maintenant un homme, il allait bien falloir qu'elle se fasse à cette idée, même s'il ravivait en elle son instinct maternel envers lui. A chaque fois.
Elle a tourné enfin les yeux vers le garçon, observant, comme fascinée, les mèches chatain, longues et brillantes sous son chapeau de shérif qui lui va maintenant parfaitement, même plus trop grand.
Son profil est pourtant encore enfantin, son bout de nez rond, malgré sa mâchoire déjà anguleuse mais son menton pas encore mature, et sa stature qui a encore pris en centimètres, la dépassant largement et sans plus d'hésitation.
Au bout d'un autre moment, elle s'est éclipsée discrètement, sachant ne plus être bonne à rien pour son groupe, la tête totalement hors jeu et le corps meurtri de coups, de chute et de contractures de stress.
Une fois seule, elle s'est changée rapidement, un débardeur et un pantalon léger et propres ont fait l'affaire. Les nuits commencent à se rafraîchir et son sommeil agité lui fait se découvrir invariablement. Elle ne résiste pas longtemps avant de sombrer dans la chaleur immédiate, protectrice, et rassurante, prodiguée par la couette qui l'ensevelit toute entière.
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La lueur du jour occupe la pièce encore faiblement. Elle s'éveille dans une inspiration plus forte que les autres. Une seconde pour revenir au présent. Ca y est, elle y est.
La chaleur confortable dans son dos, la respiration plus sonore au dessus de sa tête et le poids qui repose sur son flanc, tous bien inhabituels, achèvent son éveil.
Recroquevillée, sur le côté, les jambes légèrement repliées, l'homme repose contre elle, l'enveloppant étroitement, le grand corps adoptant la même courbe souple suivant le sien, plus petit. Le souffle chaud se pose régulièrement sur le haut de son crâne, le menton frôlant à peine le dessus de ses cheveux. Un bras musclé, nu et chaud, repose lui, sur son côté, posé sur le bas de ses côtes.
Emma baisse les yeux sur cette main qui gît, totalement relâchée, sur le matelas, les doigts suivant le plat de son estomac, finissant enfouis entre le tissu recouvrant le matelas et son corps au dessus. Assez lâches toutefois pour qu'elle respire en ne sentant que la paume contre sa peau tiède, dénudée jusque là du tee-shirt trop relevé et tout froissé. Emma découvre et observe plus attentivement un tout petit tatouage bleu foncé, presque noir, à la base du pouce, sur le muscle interosseux de sa main gauche, auquel elle n'avait jamais prêté de réelle attention. Sa conscience est rattrapée par un souvenir, reliant cette marque minuscule au tatouage d'un autre homme, faisant partie d'une toute autre vie, de la toute petite croix, toute simple, presque invisible, que Mark s'était faite au dessus de la clavicule. Son mari lui avait raconté les circonstances de la réalisation de ce tatouage, de cette croix, on ne peut plus simple, sur sa clavicule gauche, et c'est elle, avec lui, qui avaient écrit la suite de leur belle histoire.
Alors elle veut croire que cette petite étoile a un sens pour son ami. Avec un sourire attendri, nostalgique, Emma souhaite une très jolie signification à cette marque, pour lui, Daryl. Elle réalise surtout qu'elle ignore totalement tout de sa vie passée et qu'ils n'ont même jamais abordé ce sujet, ni pour l'un, ni pour l'autre. Mais là, tout de suite, Emma est intimement convaincue qu'il était libre comme elle ne l'a jamais été. Elle, trop conditionnée par tout et n'importe quoi, par sa famille, même si aimante, par ses amis, même si bienveillants à son égard, par la société toute entière, à devoir paraître avant même de savoir quoi être. Toute sa vie d'avant, elle a été bien trop sage et ordonnée, bien trop studieuse et disciplinée, pour coller inévitablement à une vie qui ne lui ressemblait même pas, dès le départ, qui ne lui a jamais vraiment ressemblé.
Lui, a sans doute pu faire ou ne pas faire, voire tout défaire. Sans tenir compte des jugements des autres qui ont tant pesé, qui ont tant façonné la vie entière d'Emma...
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Mais les pensées de la femme sont rapidement ramenées à la réalité. Ce n'est ni le jour naissant, ni le rapprochement peut être tout inconscient, mais volontairement physique, de Daryl vers elle qui l'ont réellement réveillée.
Ce qui l'a éveillée est cette douleur qui lui vrille à nouveau soudainement les entrailles. La même qu'à la descente des remparts, la veille. Aigüe, déchirante.
Ce qui l'a réveillée c'est cette désagréable sensation d'humidité entre ses jambes.
Alors elle écarte délicatement le bras protecteur de son ami autour d'elle et se redresse doucement avant de se lever du matelas qu'elle découvre maculé dans le jour blafard.
Debout, elle se plie en deux sous un nouvel assaut de douleur, retenant un gémissement, en voyant le visage détendu et endormi de son ami qui n'a pas bronché.
Il faut qu'elle sorte de la pièce, de la maison, pour ne pas l'éveiller, maintenant qu'il dort enfin paisiblement.
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Un claquement. Sec. Répétitif. Lent. Mais insistant.
Daryl est réveillé. Les yeux grands ouverts, étendu et immobile.
Une porte est ouverte.
Mais surtout, le lit est vide.
Il se redresse, brusquement en alerte.
"Em' ? demande-t-il d'une voix enrouée et grave, sachant déjà qu'il est seul.
Il porte devant ses yeux encore un peu hagards sa main gauche qu'il a posée dans un réflexe, à plat sur le matelas pour se redresser, assis sur leur couche enfin commune. La tâche rouge vif lui saute aux yeux, tout comme sa paume souillée.
"Emma !" appelle-t-il plus fort, un cran plus inquiet.
Il descend, guidé par le bruit sec que fait la porte d'entrée qui claque lentement mais inlassablement contre son encadrement, restée ouverte.
Negan est revenu, et il lui a pris son amie des mains, putain ! Il tombe alors dans la terreur que Tara a pu ressentir quand elle n'avait pas retrouvé leur amie près d'elle sur le plancher du salon, au vieux musée de la Colline. Surréaliste, idiot même, mais maintenant tellement possible à ses yeux à lui aussi, trop fatigué et stressé qu'il est depuis des semaines.
Alors il s'élance dans la rue. Et il ne tarde pas à apercevoir la femme là-bas, à quelques centaines de mètres à peine, par terre. Aaron est déjà près d'elle, se courbant pour la soulever sans effort.
Elle est si frêle, si petite. Qui peut ne pas vouloir l'aider, qui peut ne pas la vouloir tout court ? Ses membres inertes bougent sans résistance alors qu'Aaron la prend toute entière contre lui. La tête d'Emma vient reposer contre son épaule, le visage contre la clavicule de l'homme. Aaron se redresse, la soulevant facilement dans son mouvement. Daryl se sent transpercé par ce regard orange, qui l'accroche soudain, son visage si pale barré d'une des tresses sombres qui pend et flotte le long du dos du jeune homme qui s'éloigne déjà rapidement.
Elle est là. Enfin. Ils se voient. Mais son pas à lui ralentit et s'arrête. L'éclair orange est perdu, lointain, flou. Daryl réalise qu'il est surtout terni par une sorte de tâche sombre près de son iris qui le trouble, qui donne à ce contact visuel un genre d'étrangeté inconnue, une sorte de stupeur mutuelle.
Il comprend surtout qu'elle n'a pas besoin de lui. Qu'il ne peut faire partie de ça. Comme une vérité glacée qui lui dévale la colonne vertébrale. Pourtant, pour l'instant présent, ce n'est plus que son seul et unique souhait. Malgré tout, il respecte celui de ce regard orange plus étrange que jamais, qu'il pense toujours comprendre. C'est vrai qu'ils ne se sont pas parlé, pas même de manière anodine depuis la dernière fois où ils se sont pris le bec, sous un soleil de plomb, au milieu de la cour de la Colline.
Ils se sont séparés sans l'espoir d'un mot de réconciliation, sans un contact, de quelque nature que ce soit. Daryl s'en veut depuis, mais n'a pas eu de chance de revenir vers elle, ou de la laisser s'approcher ne serait-ce qu'un peu, toujours trop loin l'un de l'autre, physiquement, mais sans jamais l'oublier, occupant sans cesse un petit coin de ses neurones, à revenir inlassablement le questionner, sans savoir répondre à deux questions si simples, où est Emma, que fait Emma...
Et quand ils ont enfin été à portée de main, de voix, ils ont été brutalement projetés dans l'attaque de la veille, tous deux submergés, devant faire face à la menace comme ils ont pu sans pouvoir se consulter, même une seconde.
Sans pouvoir se retrouver, ni s'expliquer, même une seconde.
Sans pouvoir se regarder en face, même une seconde.
Puis Carol a, à son tour, surgi, l'attirant tel un aimant, devant être subitement sûr qu'elle allait bien, impérieusement certain.
Et maintenant, là, il ne peut que la regarder une nouvelle fois s'éloigner, convaincu, encore, qu'il est, de devoir la laisser partir au delà du cercle de son contrôle, au delà du cercle de sa propre vie.
Même s'il se trompe lourdement.
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Assis par terre, sur le perron de la 74, il ne peut s'éloigner davantage de cette foutue baraque où toutes les inquiétudes ont suinté, toutes les blessures ont été pansées, où tous les sangs ont coulé.
Il ne peut retourner au lit. Il ne peut s'occuper davantage, ni sur les remparts, ni même dans les bois, pourtant son seul refuge, habituellement. Il ne peut s'éloigner, ligoté à la souffrance qui est en train de faire son ravage à l'intérieur. Mais il n'est pas autorisé à entrer, pas même pour soutenir, ni pour en prendre un peu à son compte. Impuissant qu'il est. Encore une fois.
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"Emma l'a perdu..." reformule Tara tristement.
Quoi ?
Que dit Tara, là ?
Elle qui désire Emma comme une damnée, tant et tant qu'il voit que ça lui sue par tous les pores... ? Que croit-elle qu'ils aient fait ? Qu'elle n'ait eu elle-même accès ? Elle qui a le droit d'entrer, elle qui a le droit de la voir, de lui parler, de la toucher, de l'accompagner ne serait-ce qu'un peu dans son calvaire.
Alors qu'est-elle en train d'insinuer ?
Tara s'assoit au sol, le regard humide de tristesse comme d'inquiétude pour leur amie à tous deux.
Mais qui est le plus hypocrite là ? Certainement lui qui veut tant la petite femme brune. De tout son être. Depuis le début. Depuis Alexandria sur le perron de sa maison ; depuis la clairière, à la croire mortellement perdue ; depuis la rivière, nue et décharnée, ne tenant encore debout que d'avoir été mère à un moment révolu et déjà trop lointain.
Et Tara est en train de lui dire qu'elle aurait pu l'être à nouveau ?
C'est ça ?
"Ca veut dire quoi bordel ?! répète-t-il.
- Quoi ? Qu'est ce qui veut dire quoi ? articule Tara.
- Rien, laisse tomber la Bleue... crache-t-il méchamment.
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Voici ma version de la 8A... en espérant qu'elle vous plaira...
Merci de venir et revenir rôder un peu par là... :)
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