Prophétie


Thésée avait une sacrée foulée. J'avais beaucoup de mal à le suivre. D'autant plus que mon cerveau carburait. Comment avais-je pu rester aussi longtemps sous l'eau ? C'était humainement impossible. Et là, ça m'a fait tilt.

- Attendez une minute, j'ai respiré sous l'eau !

Dans mon état d'euphorie, je ne m'étais même pas posé la question. Ça avait été naturel. J'avais respiré de l'eau comme on respirait de l'air. Thésée s'arrêta et fit volte-face, un peu agacé.

- C'est normal. C'est l'une des autres compétences des Néréides, chuchota-t-il. Nous sommes le peuple de la mer. L'eau est notre élément. C'est l'un des dons que nous transmet Poséidon. Seulement vous progressez bien trop vite.

- Comme ça ? Où est le problème ?

Thésée se rapprocha de moi, tout en scrutant aux alentours.

- Je ne peux pas vous en parler ici. Allons trouver Médée.

Il repartit aussi sec. Son attitude devenait étrange. Que craignit-il ? En quoi était-ce mal que j'acquière mes pouvoirs rapidement ? Thésée ne me laissa pas le temps de lui poser la question. Le suivre me demandait beaucoup trop de souffle pour pouvoir parler.

Lorsque nous atteignîmes le temple, Thésée nous fit passer par un petit chemin qui contournait le sanctuaire par la droite. A l'arrière de celui-ci, s'élevait une petite bâtisse, somme toute identique aux autres de la cité. Thésée continuait à presser le pas et atteignit en premier l'entrée.

- Prêtresse, je sollicite un entretien de toute urgence, tonna-t-il tout en s'engageant dans la cour intérieure.

Médée apparut alors à côté de la fontaine qui trônait au milieu d'un parterre de petites clochettes violacées. Elle était en train d'en cueillir, en témoignait le panier qu'elle avait à la main. Elle vint à notre rencontre, une sourire tendre aux lèvres.

- Soyez les bienvenues. Que me vaut votre visite ?

- Sommes-nous seuls, Prêtresse ? Ce que j'ai à vous dire ne doit pas s'ébruiter.

Médée posa son panier sur le bord de la fontaine et nous invita à venir nous asseoir sur un banc en granit.

- Nous sommes seuls. Qu'est-ce qui vous inquiète tant, Thésée ?

- Callistée démontre une grande capacité à maîtriser ses pouvoirs, même un peu trop. Elle est déjà capable de modeler l'eau à sa guise, mais aussi de respirer sous l'eau plus de vingt minutes.

La prêtresse restait impassible. Contrairement à Thésée, elle ne semblait pas surprise.

- Je me doutais qu'elle allait se révéler différente. Je l'ai senti, hier soir. Il émane de son âme une puissance supérieure à celles des autres Néréides que j'ai croisé jusqu'à présent.

Elle se pencha vers moi et me prit les mains. Un courant électrique me parcourut aussitôt. Médée me regardait entre ses paupières mi-closes. Soudain, elle fut prise de tremblements. Je crus qu'elle faisait une attaque mais je sentis alors une vague invisible me traverser de part en part. Ma respiration se bloqua sur le coup. Médée s'affaissa sur elle-même, évanouie. Mais, tout à coup, elle prit une grande respiration, semblant revenir à la vie et se redressa.

Son visage se tourna vers moi et ses yeux, naguère couleur émeraude, étaient d'un blanc laiteux. Tout le sang quitta mon visage devant cette vision d'horreur. Puis une voix caverneuse s'éleva :

- Enfant de la Terre, enfant de la Mer, tu seras objet de discorde et de convoitise. Tes choix mettront en péril l'ordre durement établi. De toi, naîtra la mort comme la vie, plongeant nos mondes dans une nouvelle ère.

Médée retomba lourdement dans mes bras. Thésée m'aida à la relever, l'appuyant contre son torse.

- Que lui est-il arrivé, bon sang ? m'affolai-je.

- Elle a eu une vision. Laissons-la reprendre son souffle pour qu'elle puisse nous en parler.

- Qu'ai-je dit ? demanda-t-elle quand enfin elle fut revenue à elle.

- Rien de bon malheureusement, répondit Thésée d'un air sombre.

Il semblait encore plus inquiet que tout à l'heure. Ses sourcils froncés accentuaient son regard azur, qui me fuyait de toute évidence.

- Vous avez parlé d'ordre en péril, de mort et de discorde. Ça ne me plait pas du tout.

Leurs visages se fermèrent aussitôt. Je les regardai l'un après l'autre. Se rendait-il compte que c'est de moi – a priori – que parlait la prophétie ? Que je devais soi-disant semer le chaos par mes choix ? C'était complètement absurde.

- Excusez-moi, mais je n'ai pas tout compris. Je dois être responsable de la fin du monde, c'est ça ?

- Les prédictions ne sont jamais aussi limpides, expliqua Médée. Tout est question d'interprétation. Mais si elles parlent de mort et de destruction, c'est que de grands malheurs vont s'abattre sur nous.

- Vous avez dit que tout dépendrait de mes choix. Et pourquoi je voudrais que l'Apocalypse se déclenche ? Je ne suis pas complètement inconsciente !

- Vous vous méprenez. Il n'est pas dit que vous allez le choisir sciemment. Peut-être est-ce ce que vous ferez qui provoquera tous ces cataclysmes.

Médée se tourna alors vers Thésée.

- Nous devons absolument la garder sous surveillance, mais que cela reste secret. Pas d'entrainement avec les autres, pas de contact inutile avec le reste de la population. Personne ne doit être au courant de cette prophétie.

Tous les deux étaient en train de décider de ma vie, sans que j'aie mon mot à dire. Ça commençait à m'agacer légèrement.

- Callistée, je sais que ce que je vous demande est difficile, mais vous devez vous isoler. Laissez-moi le temps de comprendre cette prédiction, pour que nous puissions nous préparer.

Bien que cela ne me fit pas plaisir, j'acquiesçais. Après tout, c'était elle l'oracle, c'était leur monde. Ils savaient sûrement comment tout cela fonctionnait. Pas moi. Alors peut-être était-ce le moyen le plus sûr pour éviter une catastrophe.

Nous retournâmes à la maison de Thésée. Il resta muet tout le long, plongé dans ses pensées. Je ne savais pas s'il était tout simplement inquiet, ou s'il m'en voulait pour quelque chose que je n'avais pas fait. En tous cas, pas encore. Que pouvais-je y faire ? Je n'avais pas choisi de venir ici, de quitter mon monde. Ils avaient peur que je bouleverse tout, mais peut-être était-ce de leur faute. Après tout, c'étaient eux qui étaient venus me chercher. Ils auraient pu choisir n'importe qui d'autre. Le sentiment de culpabilité qui me restait sur l'estomac depuis la révélation s'évanouit aussitôt.

Je n'étais pas quelqu'un d'irresponsable, bien aucontraire. Et j'allais le leur prouver, leur montrer que leur présage étaitcomplètement erroné, que je n'allais pas apporter la mort et le chaos. J'allaisme montrer exemplaire, écouter chaque conseil de mon instructeur, suivre chacunde ses ordres. Et alors, je suis certaine que Médée aura une autre vision, oùje ne serais plus un problème et où je pourrais avoir une vie normale. Enfin,si on pouvait dire que cette nouvelle vie était normale.t

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