Nostalgie
Mes yeux étaient déjà grands ouverts quand les rayons rosés du soleil commencèrent à teinter les murs des immeubles environnants. J'avais très peu dormi, tournant sans cesse ces mots dans ma tête.
« Tes choix mettront l'ordre en péril. Tu sèmeras la mort. »
J'avais beau me convaincre que ce n'était pas mon genre de risquer la vie de milliers de personnes, cela me pesait sur la poitrine, m'oppressant, m'empêchant de respirer. J'avais besoin de prendre l'air, de me ressourcer. Je me levai et regardai l'océan. Il m'appelait. Comme un besoin irrépressible de me plonger dans ses eaux sombres.
Thésée m'avait laissé la chambre, préférant sûrement éviter un réveil comme celui de la veille. Il avait été assez taciturne d'ailleurs pendant la soirée, répondant à peine à mes questions. Je me sentais seule, isolée dans ce nouveau monde. J'entrouvris la porte. Tout était silencieux. Je me faufilai jusqu'à la porte d'entrée, en espérant qu'il ne m'entende pas.
Les rues étaient quasiment désertes. J'évitai soigneusement les quelques Néréides qui sillonnaient la ville à cette heure si matinale. Arrivée à la plage, je constatai avec bonheur qu'il n'y avait personne. L'eau calme me lécha les pieds quand j'atteignis enfin le rivage. Son contact me vivifia immédiatement.
Sans même retirer ma tunique, je plongeai dans les flots glacés. Le fond du lagon n'était que pénombre. On ne distinguait rien. Cela aurait pu être angoissant mais je me sentais au contraire revivre. Je nageais, loin, très loin dans les eaux froides de la baie.
Rapidement, je rejoignis les statues gardiennes de la passe. Je remarquais alors un escalier donnant accès à la muraille. Je le gravis avec empressement et atteignis bientôt le chemin de ronde bordant l'épaisse fortification. L'air iodée vint frapper mon visage. Ici, la brise marine était forte, provoquant des lames qui venaient s'écraser sur les rochers en contrebas. Je la respirais à plein poumons pour apaiser ma mélancolie. Mes souvenirs d'enfance commençaient à refluer, percutant mes neurones déjà malmenés par les événements récents.
Maman. Deux ans et pourtant le chagrin ne m'avait toujours pas quitté. J'avais perdu mon seul et unique repère, celle qui avait toujours été là pour moi. Celle qui m'avait donné ce stupide surnom, Chatounette, parce que je lui faisais penser à un chat, toujours solitaire, indépendante. Elle adorait se moquer de moi, titillant ma susceptibilité légendaire mais toujours elle réussissait à me faire rire. Ma mère, mon soleil, éteint à jamais.
- Callistée ?
La voix chaude de Thésée me parvint depuis le lagon en contrebas. J'essuyai les quelques larmes qui s'étaient aventurées sur mes joues et me penchai.
- Pourquoi êtes-vous parti sans me prévenir ? On avait un accord.
- J'avais besoin de prendre l'air.
Thésée me rejoignit en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Il se posta face à moi, les sourcils froncés et ses yeux verts d'eau me lançant des éclairs. Il avait l'air furax, mais là, tout de suite, c'était le cadet de mes soucis.
- Vous ne pouvez pas partir comme ça. Vous ne vous rendez pas compte de tout ce que cela implique ?
Son air autoritaire commençait à me fatiguer. Ne voyait-il pas que j'avais dû encaisser beaucoup trop de choses en peu de temps ? Ne voyait-il pas que mon cerveau était au bord de l'implosion et mon cœur dévasté ?
- Je n'ai donc plus le droit d'être seule ? Vous allez surveiller chacun de mes déplacements, nuit et jour ? Me suivre à chacun de mes pas ? En fait, je ne fais pas partie des vôtres, je suis votre prisonnière. Vous m'arrachez à mon monde, pour satisfaire votre dieu, sans me demander mon avis et maintenant vous me privez de ma liberté !
J'enfouis mon visage dans mes mains, pour camoufler ma peine. Thésée s'agenouilla devant moi et les retira doucement. Il les caressa tendrement, tout en cherchant à capter mon regard.
- C'est à cause de la prophétie que vous pleurez ?
- Il n'y a pas que ça, murmurai-je, en essuyant mes joues.
- Je sais que tout cela est difficile à comprendre et à assumer, continua-t-il d'une voix douce. Vous ne connaissez rien ni personne ici. Et en quelques jours, vous devenez le centre de toute l'attention.
De l'index, il releva mon menton. Ses traits s'étaient radoucis. Un sourire naissait même à la commissure de ses lèvres. J'esquissai un sourire à mon tour.
- Rentrons, voulez-vous, avant que la ville ne soit vraiment réveillée.
Thésée me prit la main et m'emmena au bord de la jetée. Après un clin d'œil complice, il plongea dans la mer et me fit signe de la rejoindre. Je ne me fis pas prier, trop heureuse d'y retourner. Sous l'eau, la vie marine commença à s'éveiller. Les poissons venaient danser autour de moi, comme autant de pétales rougeoyants, bleutés et émeraude. Thésée nageait à mes côtés et ses yeux riaient. Un rayon de soleil venait éclairer ses iris turquoise. C'était vraiment un homme beau. Pas seulement à l'extérieur mais aussi à l'intérieur. Sa gentillesse me fit du bien. Autant que cette plongée à deux. Nager à ses côtés était merveilleux parce que je voyais qu'il aimait être là autant que moi. Mais nous dûmes quitter les flots avec regret, avant que d'autres Néréides n'arrivent.
Quand je sortis de l'eau, je sentis le poids de mon corps. Lourd comme une pierre. Le retour sur la terre ferme me sembla soudain déplaisant. Comme si toutes ces responsabilités qui s'étaient abattues sur moi revenaient alourdir ma silhouette. Thésée voulut me sécher mais je stoppais son geste. Je passai lentement la main sur mon corps et une vapeur d'eau s'échappa aussitôt. Thésée me regarda, stupéfait.
- J'apprends vite, il parait, dis-je en haussant les épaules.
Il se mit à rire et m'emboita le pas. Il avait enfin retrouvé sa bonne humeur et j'en étais contente parce que, quand il était muet comme une tombe, son amabilité était en baisse également. Et actuellement, j'avais besoin d'être rassurée, d'avoir quelqu'un sur qui je pouvais compter à mes côtés.
Arrivés à la maison, Thésée prépara à manger, m'interdisant de venir l'aider. Je crois qu'il s'en voulait d'avoir été aussi froid.
- Vous voulez me dire à présent pourquoi vous pleuriez ? lança-t-il d'un ton faussement innocent, tout en avalant une bouchée de pain.
- Je pensais à ma mère. Elle me manque.
- Je peux comprendre. Venir dans ce monde signifie aussi quitter les vôtres.
Je souris à sa remarque. Je n'avais quitté personne, parce que je n'avais personne.
- Ma mère est morte.
Sa bouche s'arrondit dans un oh de surprise gêné.
- Cela fait deux ans, mais c'est comme si c'était hier. Elle me manque terriblement.
- Et votre père ?
Je ne pus retenir un hoquet de mépris.
- Inconnu au bataillon.
- Vous ne le connaissez pas ?
- Je ne sais même pas qui il est. Mais je m'en fiche. De toute manière, ce n'est pas comme si je pouvais le retrouver. Vu que nous sommes dans deux mondes différents.
Thésée se tut et plongea le nez dans son assiette. Le repas se finit dans un silence gêné.
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