Les choses se compliquent

Je le regardai un instant, incrédule. Je n'étais pas sûre d'avoir bien compris.

- Qu'est-ce que vous voulez dire par là ?

- Vous êtes une déesse, Callistée.

- C'est une plaisanterie ?

- Absolument pas. Les Centaures ont le nez pour ça. Même métamorphosés, les Dieux n'arrivent pas à les duper.

- Ils ont dû faire erreur.

Thésée leva vers moi un regard dépité.

- Non mais sérieusement ! Regardez-moi ! J'ai l'air d'être une déesse ?

Les divinités étaient censées être belles, rayonnantes, charismatiques. Tout mon contraire, quoi. Je levai les yeux au ciel devant son air entêté.

- Vu que votre mère est terrienne, vous devez sûrement être demi-déesse.

- Me voilà sauvée ! ironisai-je.

Il fronça les sourcils. Décidément les Néréides n'avaient aucun sens de l'humour. Du moins c'était le cas de Thésée.

- Laissez tomber.

Je me mis à faire les cent pas. Non mais dans quel délire je me retrouvais embarquer ? Trop, c'était trop ! Je saturais là. Magie, prophétie, et maintenant ça ! Et quoi ! Il allait me pousser une corne au milieu du front après !

- Callistée, vous devriez vous calmer.

- Me calmer ? Comment voulez-vous que je sois calme en apprenant que je suis une demi-déesse ! Une prophétie sur mon dos, ça ne suffisait pas !

Le regard inquiet de Thésée portait au-delà de mon épaule, vers le bassin du jardin intérieur. Je me retournai et mes yeux s'écarquillèrent de surprise. L'eau était en train de bouillir. Je bafouillai un juron.

- C'est moi qui fait ça ?

- Il semblerait.

Doucement, le bouillonnement se calma. Je ne pensais pas que mon humeur pouvait influencer les éléments comme ça. Je restai interdite. En fin de compte, j'étais peut-être un danger pour les autres. Si la moindre de mes émotions déclenchait cela, que se passerait-il si je pétais un câble ? Je lançai alors un regard angoissé vers Thésée.

- Je ne voulais pas... enfin, je ne pensais pas pouvoir faire ce genre de choses.

- Vous devez apprendre à contrôler vos émotions. Ce sont elles qui influent sur les éléments.

Je hochai la tête. Thésée sourit et continua à m'expliquer comment maîtriser mes pouvoirs. Je l'écoutai attentivement. Je buvais ses paroles. Thésée avait le don de me rassurer. Quand je suis arrivée, ce fut la première personne que je rencontrais et il m'avait tout de suite plu. Physiquement évidemment, mais pas seulement. C'était une personne posée, qui avait le don de vous mettre en confiance.

Nous passâmes l'après-midi à nous entrainer. Je contrôlais mieux mes émotions et mes pouvoirs. Je réussis même à me protéger des attaques de Thésée, en dressant un mur d'eau entre nous. Mon entraineur semblait satisfait de mes progrès. Moi aussi. L'atmosphère était au bon fixe.

Elle se gâta quand Médée fit son apparition en fin de journée, le visage fermé. Nous la rejoignîmes, inquiets.

- Votre frère veut réunir le grand Conseil.

Thésée se tendit aussitôt. Devant mon air perdu, il précisa.

- C'est une réunion de tous les chefs des communautés.

- A cause de moi ? demandai-je, étonnée.

- A cause de la prophétie vous concernant, en effet.

- Ce n'est pas un peu exagéré ! Ce n'est pas comme si j'étais vraiment dangereuse, non ?

Je commençais moi-même à douter. Il est vrai que plus je découvrais mes pouvoirs, plus je m'inquiétais de ne pas réussir à les contrôler complètement.

- Nous prenons toujours ce que disent les oracles au sérieux. Ceux qui n'y croient pas ont eu de sérieux problèmes par la suite.

Je repensais soudain à Cassandre qui avait prédit la guerre de Troie et que personne n'avait écouté. Qui l'eût cru que mes cours sur l'histoire des civilisations de première année m'auraient servi ici ? J'acquiesçai d'un mouvement de tête. Un silence pesant s'installa, tous prenant conscience de l'implication d'un tel rassemblement. Ils se réunissaient pour décider de mon sort. Je déglutis avec peine. Un vent de panique commençait à m'ébranler, en pensant à ce qu'ils pourraient faire de moi.

- Ce n'est pas tout, dit soudain Médée. Tristan exige que vous nous accompagniez, pour vous avoir à l'œil.

Thésée se leva d'un bond.

- Si elle y va, je viens aussi.

- Vous savez bien que c'est impossible, soupira Médée. Tristan ne tolèrera jamais votre présence.

- Dans ce cas, je ne pars pas, enchaînai-je.

Les deux Néréides tournèrent la tête vers moi dans un mouvement coordonné. Médée me regarda avec méfiance. Thésée esquissa un sourire. Je sentis le rouge me monter aux joues.

- Enfin, je veux dire... Je ne veux pas partir sans Thésée. J'ai confiance en lui. Et il doit continuer à m'instruire. Toutes ces histoires de pouvoirs, de communautés, je suis perdue.

- Je comprends. Je vais essayer d'amadouer Tristan.

Médée se leva. Avant de nous laisser, elle m'observa un moment. J'eus la même sensation étrange que la première fois qu'on s'était rencontré. Son regard vert intense me transperçait. C'était particulièrement déstabilisant.

- Préparez-vous. Nous quitterons la cité avant l'aube. Je vous souhaite une bonne soirée.

Puis elle tourna les talons et sortit de la maison. Quand elle franchit les portes, je recommençai à respirer. Il y avait quelque chose d'angoissant quand elle plongeait son regard dans le vôtre.

- Pourquoi ne pas lui avoir parler de ce que nous ont dit les Centaures ?

- Un problème à la fois. Voyons d'abord ce que le grand Conseil décidera. Le fait que vous soyez demi-déesse risque de compliquer la situation. Peut-être même d'influencer leur décision.

Thésée se frotta les yeux, puis se massa la nuque, en soupirant. Il semblait tout à coup très fatigué. Je lui posai beaucoup de soucis. Et je m'en voulais.

- Je suis désolée.

Il leva la tête vers moi.

- Pourquoi ?

- Je suis un boulet depuis que je suis arrivée. Si je n'étais pas là, vous ne seriez pas aussi préoccupé.

Il se rapprocha de moi et me prit les mains. Mon cœur s'accéléra.

- Rien n'est de votre faute. Vous n'avez pas choisi de venir dans notre monde. Vous n'avez pas choisi d'être l'objet d'une prophétie. Encore moins d'être la fille d'un Dieu. Alors arrêtez de vous en vouloir.

Il déposa un baiser sur mon front, avant de me prendre par les épaules.

- Mangez quelque chose et allez vous reposer. Cette journée a été éprouvante. Demain risque d'être pire. Vous devez reprendre des forces.

Je hochai la tête en guise de réponse. L'amertume de la situation avait remplacé de nouveau la douceur de sa brève étreinte. Ces paroles n'avaient rien de réconfortant. Mais sa présence suffisait à les rendre moins terribles. Je savais que je pouvais compter sur lui. Il semblait prêt à me soutenir, peu importe la décision du grand Conseil.

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