Début des ennuis
Après le petit déjeuner, Thésée me proposa d'aller nous entrainer à l'abri des regards. Nous grimpâmes bien au-delà du temple, jusqu'aux limites de la cité. Là, de grandes murailles avaient été érigées pour protéger la ville. Après avoir salué les gardes en place, nous franchîmes les lourdes portes donnant sur l'autre partie de l'île. Je ne m'étais même pas posée la question de ce qu'il y avait au-delà.
- Pourquoi une telle protection ? demandai-je naïvement.
- De l'autre côté de ces murs, il existe des créatures magiques qui peuvent être hostiles parfois. Nous faisons juste en sorte qu'elles ne blessent personne. Mais ne vous inquiétez pas, nous n'allons pas très loin.
Thésée esquissa un sourire avant de s'enfoncer dans la garrigue. Je le suivis à la trace. Ici, la végétation oscillait entre les buissons touffus de genêt et de romarin et les bosquets d'oliviers trapus. Des flagrances florales de la lavande et le parfum boisé des pins maritimes embaumaient l'air. J'inspirai à plein poumons ces odeurs agréables. J'aimais cette nature sauvage. Quand j'étais enfant, ma mère me racontait souvent son voyage en Grèce, me détaillant le paysage qu'elle avait embrassé du regard. A chaque fois, j'avais l'impression d'y être, de voir ces couleurs pastel, de sentir presque ces délicieuses effluves. Soudain, au détour d'un sentier, un étang fit son apparition.
- Nous sommes arrivés. Personne ne vient jamais ici. Nous serons tranquilles.
Thésée déposa la bourse contenant notre déjeuner, à l'abri, sous un olivier, et me fit signe de m'approcher. J'appréhendais un peu, mais pris mon courage à deux mains pour faire les quelques pas qui nous séparaient. Thésée était entré dans l'eau jusqu'aux genoux. La température fraîche du lac ne me dérangea pas. Je me sentais comme dans mon élément. C'est ça, j'étais dans mon élément. Devenue Néréide, j'étais maintenant fille de l'eau. Elle m'apaisait, me réconfortait. Je me sentais plus forte à son contact. C'était fou ! j'effleurais du bout des doigts la surface et je la sentis frémir.
- Maîtriser l'eau est une question de sensation, commença Thésée. Elle est vous, vous êtes elle. Sentez-la comme si elle était un prolongement de votre être.
Il toucha à peine la surface et une gerbe d'eau se souleva. Elle se figea dans une forme presque poétique.
- Elle peut être utile dans bien des situations, mais aujourd'hui j'aimerais que vous appreniez à l'utiliser comme moyen de défense.
- Me défendre ? Mais pourquoi ? Contre qui ?
Thésée prit un air sombre. La gerbe d'eau se cristallisa légèrement.
- A cause de cette prophétie. Les ennemis des Néréides sont nombreux. Ils ne verront pas d'un très bon œil que nous comptions dans nos rangs une personne capable de provoquer la fin des mondes.
J'encaissai ses paroles. Décidemment, j'accumulais les mauvaises nouvelles depuis quelques jours. Des ennemis ? Je n'étais pourtant pas une menace. J'étais juste une pauvre fille paumée, parfois gauche, qui s'était retrouvée propulsée dans un monde dont elle ne comprenait pas les rouages.
- Ne vous inquiétez pas, continua Thésée d'une voix plus douce. Je suis votre guide et mon rôle est avant tout de veiller sur vous, mais apprendre à se défendre est devenu pour vous primordial. Je vous fais confiance, j'ai vu vos capacités. Vous y arriverez sans problème.
La gerbe d'eau retomba et Thésée se mit en position de combat. Il me fallait me rendre à l'évidence. Je n'étais plus chez moi, enfermée dans ma petite chambre d'étudiante. J'étais dans un nouveau monde, dans lequel j'avais découvert que je possédais des pouvoirs, et qu'une prophétie faisait de moi un danger pour tous. Je devenais une cible vivante, et si je voulais avoir le temps de faire en sorte qu'elle ne se réalise pas, je devais demeurer en vie.
Je pris une profonde respiration avant d'hocher la tête en guise de top départ.
- Je vais vous lancer des projections d'eau, rien de très méchant. Vous devez trouver un moyen de les éviter.
Thésée me fit face, extrêmement concentré. Puis, soudain, une boule d'eau fonça vers moi. Et comme une idiote, je plongeai dans l'eau la tête la première, pour l'éviter. Lorsque j'émergeai enfin à la vase, j'étais trempée et honteuse. Thésée retenait avec difficulté un fou rire. Je ne m'étais jamais sentie aussi ridicule. Mes cheveux formaient carrément un rideau devant mon visage. Je devais ressembler au monstre des marais.
- On ne se moque pas. J'ai assez honte comme ça.
Thésée, dont le corps était pris de spasmes, se confondit en excuses et se rapprocha de moi. Je ne pus m'empêcher de sourire moi aussi. Il m'aida à discipliner un minimum ma chevelure, retirant même quelques algues qui s'y étaient aventurées. Alors que ses doigts s'évertuaient à enlever la dernière branche de roseau coincée dans une mèche, je me rendis compte que nous étions presque collés, l'un à l'autre. Une telle proximité fit faner mon sourire, pour le remplacer par une montée de rouge sur mes joues. Thésée s'aperçut de mon brusque changement d'attitude. Une tension étrange s'installa alors entre nous.
Ses doigts quittèrent mes cheveux pour glisser le long de ma mâchoire. Ils se lovèrent naturellement contre ma joue. Ma respiration s'accéléra et ma gorge s'assécha instantanément. Mes yeux ne pouvaient se décrocher de sa bouche. J'avais une soudaine envie d'y poser la mienne. Comme étrangère à mon corps, je vis ses lèvres se rapprocher lentement. Le bruit des battements affolés de mon cœur vrillait mes tempes. Mes paupières se fermèrent, attendant le choc, quand soudain un bruit de galop brisa ce moment intense.
Thésée me plaça aussitôt derrière lui, cherchant du regard d'où pouvait provenir ce martèlement. Un groupe de créatures mi-homme mi cheval apparut alors en haut de la colline. Rapidement, ils rejoignirent l'étang où nous étions. Décidemment, j'allais de surprise en surprise. Le regard de Thésée s'était durci. Il sentait le danger. Le plus âgé des centaures fit un pas en avant. Il ne semblait pas agressif au premier abord, mais la main crispée de mon guide sur le pommeau de son épée ne laissait place à aucun doute. Le centaure se pencha alors vers nous et se mit à humer l'air.
- Que veux-tu, Chiron ? marmonna Thésée.
Chiron continua à nous renifler. Son nez se fronça quand il se rapprocha de moi.
- Cette fille n'est pas comme vous autres. Son odeur... Son sang est différent. Elle va nous attirer des ennuis. Bientôt les autres communautés en auront vent et ce sera à nouveau la guerre.
Mes yeux s'étaient écarquillés. Lui aussi ! Qu'avais-je donc de si spécial pour provoquer tant de méfiance ?
- En quoi suis-je différente ? osai-je demander.
- Vous empestez le sang des dieux. Pas autant qu'Aphrodite, mais assez pour attirer le malheur sur nos terres.
Chiron se redressa et donna un coup de sabot qui fit trembler le sol.
- Partez maintenant. Nous ne voulons pas de vous sur notre territoire. Les Néréides sont allés vous chercher, qu'ils en assument maintenant les conséquences.
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