Changement de réalité

Les voix puissantes et entremêlées appartenaient à trois femmes qui, quelques secondes auparavant, n'étaient pas présentes, j'en étais certaine. Elles étaient maintenant assises sur les trônes, dans une position majestueuse. La première, au visage angélique, était d'une beauté à couper le souffle. La seconde, plus mûre, était la grâce et la puissance incarnées. La dernière, à la chevelure argentée, représentait la sagesse dans toute sa splendeur. En plus de leur taille disproportionnée, on ne pouvait manquer un détail plus qu'effrayant. A la place de leurs yeux, il n'y avait qu'une brume bleutée. Sous le choc, je faillis me retrouver le cul par terre.

- Approche, enfant de Gaia, réitérèrent les trois femmes, approche et confronte-toi à ton destin.

Je clignai des paupières. J'étais en train de rêver, ce n'était pas possible autrement. Un mauvais rêve suite à la cuite monumentale que j'étais en train de me payer. Des femmes de six mètres avec des yeux comme du brouillard, on ne rencontrait cela que dans ses pires cauchemars. Un fou rire me secoua alors. Le sol se mit aussitôt à trembler et mon rire s'étouffa dans ma gorge. La brume dans les yeux des géantes vira au rouge flamboyant.

- De qui te moques-tu, humaine ?

- De personne, bredouillai-je rapidement. De personne. Je m'excuse. C'était un rire nerveux.

Je trouvai bizarre de répondre à des hallucinations mais sur le coup, cela me semblait la chose la plus intelligente à faire. La brume reprit sa couleur bleutée. C'est qu'il ne fallait pas contrarier ces dames !

- Il ne tient qu'à toi que ta vie soit rêve ou cauchemar, reprirent-elles sereinement. Tout dépendra de ton choix.

Une sueur froide dégringola le long de ma colonne vertébrale. Décidément, ce cauchemar me plaisait de moins en moins.

- De quel choix parlez-vous ?

- La vie ou la mort. Tu vas devoir choisir entre vivre pour servir ou mourir ici et maintenant.

- Vous appelez ça un choix ? Vivre comme une esclave ou mourir ?

Le sol trembla une nouvelle fois, me faisant fortement vaciller.

- Ok, d'accord, c'est bon ! Je préfère vivre évidemment, maugréai-je à contre cœur.

Franchement, ce cauchemar commençait à me porter sur les nerfs. Les trois femmes se levèrent alors comme un seul homme et tournèrent leurs yeux vides vers moi. Une vague d'angoisse m'enserra instantanément la gorge. Un fil d'or apparut, comme par magie, entre leurs doigts fins. Il glissait, ondulait, brillait d'une lumière aveuglante.

- Puisque tu l'as choisi, qu'il en soit ainsi. Tu seras Callistée, Néréide, servante de Poséidon, dieu des océans.

La seconde suivante, mon poignet droit me brûla. La douleur était si vive que j'étouffais avec peine un hurlement. Par réflexe, je l'attrapai et vis, sous mes yeux incrédules, apparaitre un tatouage en forme de trident. Je ne comprenais pas. Dans un rêve, on ne ressentait pas la douleur. Là, elle était belle et bien présente. Avant même qu'elle n'ait le temps de crier ma surprise, ma vue se voila et tout devint sombre. Mon esprit se perdit lentement dans les limbes. J'entendis encore au loin les voix féminines murmurer.

- Que ton destin s'accomplisse et que les dieux prennent garde, car de toi viendra la lumière comme l'obscurité.

Les vagues venaient caresser mes pieds, doucement, presque amoureusement. J'étais debout sur une plage au sable doré chauffé par le soleil. Lentement, je relevais la tête et mon champ de vision s'élargit. Au loin, il n'y avait que de l'eau, à perte de vue. Seules deux statues gigantesques encadraient l'entrée d'un lagon artificiel. Je le reconnus aussitôt. Poséidon. Imposantes, elles inspiraient le respect, protégeant l'enclave de leurs tridents. Leur visage était tourné avec l'océan lointain, comme deux sentinelles infatigables. Bizarrement, je me sentais bien. Incroyablement bien. Paisible. Je n'avais qu'une envie. Nager. J'avançai lentement, laissant les vaguelettes venir embrasser mon corps. Bientôt, il ne resta plus que ma tête hors de l'eau. L'océan m'appelait, me réclamait. Alors je plongeai. Sous la surface, tout n'était que féérie. Des couleurs chatoyantes du corail à la grâce fragile des raies Manta, mes yeux dévoraient tout avec bonheur. J'avais l'étrange impression d'être enfin chez moi, d'avoir trouvé ma place. Comment peut-on ressentir cela pour un endroit que l'on ne connait même pas ? Pourtant ce sentiment provenait du plus profond de mon être.

Ce sentiment de plénitude continua de m'habiter quand j'ouvris les yeux. Au-dessus de moi, voletaient des tissus d'un blanc éclatant. Les sensations de mon rêve étaient encore là, ainsi que la vive douleur à mon poignet. Je n'avais donc pas imaginé toute cette histoire. Je me redressai et constatai qu'encore une fois, je n'étais pas chez moi. J'étais allongée sur un lit, qui trônait au milieu d'une petite chambre. L'air marin venait agiter les voilages, attachés de part et d'autre du baldaquin. Soit mon esprit avait perdu les pédales, soit quelque chose d'extraordinaire m'était arrivée.

La pièce n'était pas très grande mais elle était agréable. Surtout avec les rayons du soleil qui en réchauffaient les murs. Cette constatation me fit tiquer. Hier soir encore, nous étions au début de l'hiver, et me voilà maintenant, en été. Je me levai et m'approchai de la fenêtre. Celle-ci était faite d'un trou rectangulaire à même le mur en chaux. Pas de vitre, pas de barreaux, juste un voilage qui me cachait de l'extérieur. Je m'aventurai à jeter un coup d'œil dehors et ce que je découvris me coupa le souffle.

A mes pieds, s'étendait une ville entière. Construite en terrasses et ceinte d'une haute muraille, elle étalait ces bâtiments de différentes tailles, entre lesquels serpentaient de petites rues pavées, jusqu'à une plage qu'on devinait avec peine d'ici. Les toits de tuile rouge brillaient au soleil, autant que les murs de chaux blanchi. J'étais dans une cité grecque, comme celles que j'avais vu dans mes livres d'histoire. Bon sang ! Si c'était une hallucination, elle était particulièrement précise. Soudain, mon cœur manqua un battement. Au loin, j'aperçus les deux statues de Poséidon que j'avais vu en rêve. Ce n'était pas possible ! Comment... Je n'eus pas le temps de m'interroger plus car la porte de la chambre venait de s'ouvrir.

- Vous êtes enfin réveillée !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top