Caamaloth (suite)
De l'autre côté de la passerelle, une immense porte en bois gainée de fer annonçait l'entrée de la citadelle. A notre approche, elle se mit en branle dans un boucan infernal. Lentement, je découvris une ville complètement différente de celle des Néréides. Des ruelles pavées étroites, des maisons à colombage collées les unes aux autres, dressées telles des flèches vers le ciel. Les lueurs naissantes de l'aube avaient du mal à percer à l'intérieur de la forteresse. Tout donnait l'impression d'étouffer, comme si à tout moment, les bâtiments allaient s'écrouler sur nous. La ville était à l'image de l'homme en tête de notre cortège. Taciturne et inquiétante. La fine couche de givre, qui recouvrait le sol boueux, craquait sous nos pieds et menaçait de me faire chuter à chaque pas. Je maudissais intérieurement ces sandales tout à fait inadaptées au lieu.
Lentement, nous remontâmes la rue principale, encore endormie. Les rares personnes que nous croisâmes nous lançaient des regards hostiles.
- Pourquoi est-ce qu'ils nous dévisagent ? chuchotai-je à l'oreille de Thésée.
- Les Erinyes sont un peuple assez méfiant. Ils ont été élevés dans un esprit guerrier et tout étranger est donc considéré comme un ennemi potentiel.
Une philosophie de vie à laquelle je n'adhérais pas. Je n'avais absolument pas l'esprit de compétition. J'étais plutôt le genre de personnes qui aidaient les autres, sans vouloir en tirer d'avantages. Ma mère m'avait toujours dit qu'il fallait aider les autres et que Dieu nous le rendrait plus tard. Je ne sais pas si elle faisait référence à mon père à ce moment-là.
Plongée dans mes pensées, je heurtai de plein fouet Tristan qui s'était arrêté devant une nouvelle porte. Il se retourna et me lança un regard noir.
- Nous arrivons au donjon. Tachez de vous tenir tranquille. Et surtout regardez devant vous, pour l'amour de Zeus !
Cet homme était un véritable connard. Comme si c'était un plaisir de m'écraser le nez contre sa cuirasse. Thésée posa alors une main sur mon épaule et se colla à moi. Son frère pinça les lèvres et se retourna aussi sec. Soudain, des cornes retentirent et les portes s'ouvrirent. Une femme apparut alors dans l'entrebâillement de la porte. Elle portait une longue robe noire, bordée d'hermine aux entrelacs dorés, dont les manches amples couvraient ses bras jusqu'à faire disparaitre ses poignets. Ses longs cheveux noirs, ceints d'une fine couronne dorée, ondulaient jusqu'à ses fesses. Ses yeux vert jade me faisaient penser à ceux d'un serpent, bien qu'elle fût tout sourire en nous voyant.
- Monseigneur, vous êtes enfin rentré !
Elle s'approcha de Tristan et se pencha pour effleurer sa main du bout des lèvres. Ce geste me fit une impression vraiment étrange. Mais qui était-il en réalité ?
- Dame Morgane, répondit-il en s'inclinant légèrement. Je suis heureux que vous soyez venue nous accueillir. Pourriez-vous vous charger de notre invitée. Elle a besoin de vêtements adaptés.
Elle tourna alors la tête vers moi et me détailla de la tête aux pieds.
- Evidemment, Messire. Je vais de ce pas l'emmener trouver une tenue qui lui conviendrait.
- Je vous en remercie. Rejoignez-nous ensuite dans la salle du Conseil.
Aussitôt, Tristan tourna les talons, m'abandonnant aux mains de cette femme. Thésée hésita un instant mais Médée lui fit signe d'avancer. Je sentais bien qu'il n'osait pas me laisser, mais il valait mieux qu'il aille se faire une opinion sur ce que pensaient les chefs de clans. Et puis, il s'agissait juste de changer de tenue, rien d'insurmontable. Je hochai la tête et il suivit Médée non sans regret.
Me voilà donc seule avec Morgane. Elle me regardait en silence, un sourire énigmatique sur les lèvres.
- C'est donc vous. Je l'ai su au moment-même où je vous ai vue.
Je ne savais pas trop quoi lui répondre. Pour eux, j'étais une menace. Pour moi, j'étais juste paumée.
- Ne soyez pas effrayée. Je suis sûre qu'il y a un moyen de contourner cette prophétie. Le grand Conseil trouvera une solution.
Puis elle s'écarta pour me laisser passer.
- Venez, suivez-moi. Nous allons vous trouver des vêtements plus chauds.
Morgane se montra courtoise et me fit la conversation sur le chemin jusqu'à la chambre. Là, elle m'abandonna et revint avec une longue robe. Quand je la vis, j'hésitai à refuser mais j'étais frigorifiée. Le manteau de Tristan me réchauffait à peine. J'aurais préféré quelque chose de plus couvrant.
- Vous n'auriez pas une tenue où mes jambes seraient couvertes. Comme un pantalon, par exemple.
Morgane écarquilla les yeux de surprise.
- Hé bien, c'est qu'ici les femmes ne portent que des robes.
- Je comprends mais j'ai vraiment froid. Je ne veux pas vous manquer de respect mais vraiment j'insiste.
Elle hésita un instant puis s'éclipsa pour revenir avec une autre tenue. Un pantalon et un pardessus en cuir, une chemise blanche et des bottes couvrant mes tibias constituaient l'ensemble. Pour compléter le tout, elle me proposa un épais manteau bordé d'hermine blanche.
- C'est beaucoup moins seyant, mais vous n'aurez pas froid.
Je la remerciai et attendis qu'elle s'éclipse pour me changer. J'enfilai avec un plaisir infini la tenue qui me réchauffa rapidement. Je rejoignis Morgane qui m'attendait devant la porte. Elle m'observa un instant.
- Elle vous va plutôt bien.
Je lui souris timidement et la suivis dans le dédale de couloirs. Le château était magnifique, beaucoup plus accueillant que la ville. Tout était lumineux. Les murs blanchis renvoyaient la lumière qui jaillissait à travers les vitraux multicolores, encadrés de colonnes aux abaques finement ciselés. Les reflets irisés jouaient avec les lustres suspendus aux hauts plafonds en ogives croisés. C'était féérique. Nous sortîmes alors et malgré le vent glacial qui s'engouffra sous mon manteau, je n'eus pas froid. Nous traversâmes un jardin qui, à cette époque de l'année, était endormi. Le couloir, percé d'ouvertures aux entrelacs fascinants, conduisait à une grande salle surmontée d'un dôme de pierre. Morgane en poussa la grande porte et s'effaça pour me laisser entrer.
Je marquai un temps d'arrêt. Cet endroit était encore plus beau que l'intérieur de château. D'un côté, des vitraux orangés donnaient sur la chaîne de montagnes et conféraient à la pièce une ambiance douce et apaisante. De l'autre côté, des tapisseries narraient les exploits des dieux, notamment ceux de Zeus. Il était représenté comme un homme d'une trentaine d'années, aux cheveux roux et à la barbe fine. Pas du tout comme je l'imaginais. Au centre, se dressait une table ronde immense sur laquelle étaient déjà attablés de nombreuses personnes. Toutes les conversations s'arrêtèrent quand ils s'aperçurent de ma présence. Tous ces yeux braqués sur moi m'oppressèrent soudainement. Heureusement, Thésée vint à mon secours. Il passa un bras autour de mes épaules et me ramena jusqu'à Médée.
Assieds-toi, ne dis rien et laisse Médée se charger deta défense.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top