Caamaloth
Un ricanement me réveilla en sursaut, ainsi que Thésée. Tristan était appuyé contre le mur de la chambre, un sourire moqueur aux lèvres.
- Je vois pourquoi tu voulais l'accompagner à tout prix !
Je m'étais endormie aux côtés de Thésée et à présent, j'avais la tête contre son torse. Je compris alors en quoi la situation prêtait à confusion. J'étais sur le point de protester mais le chevalier m'arrêta d'un geste.
- Inutile, vous avez cinq minutes pour vous préparer.
Puis il tourna les talons. Non mais quel abruti ! Thésée se leva alors et passa la main dans ses cheveux, gêné.
- Je suis désolé. Mon frère n'est pas quelqu'un de délicat. Je vais lui parler.
- Non.
J'avais réagi un peu trop vite. Il me dévisagea, cherchant à comprendre ma réaction.
- Qu'il pense ce qu'il veut. On n'a pas à se justifier... et puis, il semble que cela peut le convaincre de vous laisser venir.
Les lèvres du Néréide s'étirèrent. Il me tendit la main pour m'aider à me relever. Je me retrouvai alors à quelques centimètres de lui. Me sentir si près de lui me troubla. Nous restâmes quelques secondes, l'un contre l'autre, ses yeux ancrés dans les miens. Je finis par détourner le regard, mal à l'aise. J'avais une furieuse envie de l'embrasser mais je ne pense pas que cela aurait amélioré la situation. Bien au contraire. Thésée bafouilla des excuses et s'éclipsa.
J'en profitai pour reprendre mes esprits. Ce n'était vraiment pas le moment pour ce genre de choses. Et puis, je n'étais pas sûre que ce soit réciproque. De toute manière, j'avais le don de foirer toutes mes relations avec les mecs. J'aimais bien Thésée. Je ne voulais pas perdre son amitié.
Après avoir enfilé à la hâte une tenue, je dévalai les escaliers. Quelle ne fut pas ma surprise en constatant qu'ils étaient tous deux chaudement vêtus. Je me sentis tout à coup très bête. Ce n'était pas l'été dans le monde du chevalier ? Ce dernier détailla ma tenue, en fronçant les sourcils.
- Il est trop tard pour vous changer. Nous aviserons là-bas. Allons-y.
Sans attendre ma réponse, il fit demi-tour et sortit. Thésée m'attendit, souriant timidement.
- J'aurais dû vous prévenir. Quand c'est l'été ici, c'est l'hiver chez les Erinyes.
- Encore une lubie des Dieux !
Il hocha la tête en signe d'approbation. Décidément, je n'y connaissais rien à ces mondes. L'aide de Thésée m'était indispensable. Je soupirai agacée et emboîtai le pas à son jumeau. Soudain, je sentis la main du Néréide se glisser dans la mienne. Je relevai la tête, surprise.
- Je suis là. Ne soyez pas inquiète. Je veillerai sur vous.
Je lui souris tendrement. J'étais vraiment heureuse de l'avoir à mes côtés.
- Et puis si cela peut le faire enrager, autant lui faire croire qu'on est ensemble.
Bizarrement, cette idée me plaisait. Plus que je ne le pensais. Je n'eus pas le temps de m'y appesantir. Déjà, il me tirait pour hâter le pas. Au bout d'un quart de marche rapide, nous arrivâmes au temple. Nous traversâmes l'immense salle et empruntâmes le couloir qui en faisait le tour. Derrière la statue massive de Poséidon, une porte donnait sur une salle plus petite. Au centre de celle-ci, trônait un gigantesque miroir. A la lueur des candélabres, il était particulièrement sinistre. Médée patientait à côté de lui. Elle portait une immense cape de laine rouge qui la couvrait entièrement, ne laissant qu'entrevoir le bas de son visage. Je me sentis encore plus stupide, avec ma tunique légère couvrant à peine les cuisses.
- Très bien, allons-y, murmura-t-elle.
Les mains de Médée dessinèrent des arabesques graciles devant le miroir, tandis qu'elle marmonnait des phrases incompréhensibles. Une lumière bleutée s'éleva alors autour de la psyché. Soudain, la surface se mit à onduler. On aurait dit une flaque d'eau frissonnant sous le vent. Puis, une lumière intense s'en dégagea. Médée baissa les bras, avant de s'effacer pour laisser la place à Tristan. Celui-ci s'avança d'un pas assuré vers le miroir. Il le traversa sans même sourciller. Décidément, j'étais toujours aussi étonnée par ce qu'on pouvait faire dans ce monde.
Je sentis alors une main me pousser vers la psyché. Médée avait déjà disparu. Thésée me fit signe de les suivre. Avec un peu d'appréhension, je marchai vers le miroir et fermai les yeux en entrant à l'intérieur. Une sensation de vertige me prit aussitôt. Mon estomac se tordit. Ma tête fut prise dans un étau. Mes pieds avancèrent par habitude mais je n'arrivai plus à savoir où j'allais.
Soudain, deux mains puissantes me réceptionnèrent. Un courant d'air glacé s'engouffra sous mes vêtements beaucoup trop légers. Mais ce fut de courte durée. Déjà je sentais un tissu épais et chaud recouvrir mes épaules. Quand j'ouvris les yeux, Tristan se tenait devant moi et réajustait son manteau sur mon dos. Ce geste attentionné me surprit. Moi qui pensait que je l'agaçais.
- La prochaine fois, évitez de venir à moitié nue.
Evidemment, ça ne pouvait pas durer. Thésée apparut alors à mes côtés et le visage de Tristan se durcit. Il y avait une telle tension entre eux qu'on se sentait mal à l'aise en leur présence. Je détournai la tête du binôme pour balayer du regard le panorama. Nous avions atterri au bout d'une passerelle suspendue. De l'autre côté, un château, accroché à un pic escarpé, se dressait fièrement. Ses tours de pierre grise, percées de meurtrières, disparaissaient dans les nuages. Ses fortifications, recouvertes d'un fin manteau blanc, se confondaient avec la roche de la montagne. Seul un chemin escarpé, à flanc de montagne, y avait accès. Une forteresse imprenable, digne d'un roman de fantasy.
Le chevalier s'était déjà engagé sur l'étroit pont, suivi de la prêtresse. J'hésitai à y poser le pied. Moi et le vide, on n'avait jamais été copains. Je sentis mon ventre se contracter fortement. Thésée, derrière moi, me chuchota à l'oreille.
- Je suis juste derrière vous. Il n'y a aucune raison d'avoir peur. Elle est très solide.
Il avait beau dire, j'avais quand même très peur. J'avançai avec la plus grande prudence. Bien que le tout était renforcé par des tiges de fer, sentir la passerelle onduler sous l'effet des bourrasques de vent me faisait trembler comme une feuille. J'essayais de calmer mon angoisse en me disant qu'elle n'était pas si longue à parcourir. Le regard au loin, je mettai un pied devant l'autre. Les mains de Thésée sur ma taille, au lieu de m'aider, me troublaient. Au moins m'empêchaient-elles de penser au vide effroyable qu'il y avait en-dessous. Je tentais de me concentrer sur quelque chose pour oublier ma peur. Ce fut là que je croisais son regard. Celui de Tristan. Ses yeux bleu nuit étaient intenses, dérangeants. Ils avaient des reflets d'orage. Dangereux et tentants. J'étais tellement concentrée sur eux que je ne me rendis pas compte que j'étais arrivée de l'autre côté.
- Il était temps ! grogna-t-il. Dépêchons, le grand Conseil doit nous attendre.
- Bienvenue à Camaaloth, chuchota Médée à mon intention.
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