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Laurent se prépare à une riposte, il connaît bien son caractère trempé. Mais Marie-Chléo ne souhaite pas se battre. La femme frappée passe ses doigts sur la peau cuite par le coup violent, se redresse, et s'en va à la salle de bain la mâchoire ébranlée, la pommette rougie. Elle passe devant Laurent les yeux baissés, la main sur le visage, les cheveux devant son visage. Il la regarde lui tourner le dos.
Elle n'a pas le droit, pas le droit de lui tourner le dos, pas le droit de s'enfuir, pas le droit de décamper, pas le droit de partir, pas le droit de l'abandonner, pas le droit de le laisser seul. L'ancien basketteur amateur ne tolère pas cette absence de réaction. Insupportable ! Tout va très vite, il retourne la provoquer et la pousse violemment dans le couloir.
— Mais ça va pas non ? elle hurle et se jette sur lui en le frappant au visage, il se protège vaguement.
Ils ne sont plus que les violentes projections d'eux-mêmes, hors d'eux, hors de contrôle.
Marie-Chléo le renverse et se trouve à califourchon sur son ventre. Elle a souvent vu Laurent dans cette position, mais dans un contexte bien plus sensuel. Elle lui assène trois coups sur le torse, accompagnés de petits cris, de rage et de colère.
La douleur fait du bien à Laurent, enfin il a le sentiment de la percevoir, de communiquer avec sa compagne, de la toucher. Il la trouve si inaccessible parfois. Cette sensation de l'interpeller, d'entrer en interaction bien plus profondément que lors de leur séjour, lui paraît libératrice. Et il n'a pas fini de se libérer.
— Qu'est-ce qui te prend ? Laisse-moi tranquille. Tout est fini ! juste fini.
Marie-Chléo n'a aucune envie de violence. Soupir. Elle repart vers la salle de bain essoufflée, les cheveux en bataille, des larmes au coin des yeux, sans saisir la mesure de la violence qui végète en lui. Il ne la retient pas, s'attendant encore à pire. Ses yeux clignent.
Maintenant à genoux, furieux, dépité, blessé plus au cœur qu'au corps, Laurent n'avait pas imaginé entendre ces mots si tôt. Comprend-il seulement leur signification ? En quelques secondes il réalise :
— Qu'est-ce qui est fini ? rien n'est fini !
— Mais si, murmure Marie-Chléo en reprenant son souffle, appuyée contre le placard du couloir qui mène à la salle d'eau.
Insoutenable, insupportable, inenvisageable, pas comme ça, pas maintenant, intolérable, il saisit un des bâtons de ski qu'il vient de monter.
D'un geste court légèrement circulaire et de bas en haut il la frappe dans les jambes en vociférant un déni.
— Non, tu m'entends ? Non rien n'est fini. Non tu ne partiras pas. Non je ne te laisserai pas partir.
Chacune de ses dénégations accompagne une frappe. Le premier coup, le tibia droit, à terre. Le deuxième, la cuisse gauche, Marie-Chléo crie. Le disque en plastique du bâton de vole au troisième coup porté. Le quatrième, encore la cuisse gauche, son pantalon se déchire.
— Tu comprends ça ? Non ! Non ! Non ! Non ! Et non ! Non !
Le cinquième, le genou droit, douleur très vive. Sixième, le placard, un bruit amplifié, fort sonore, contrairement aux précédents. Il troue le volet en bois. Affolée Marie-Chléo s'est repliée sur elle-même pour tenter de se protéger. La vague de haine déferle sur la femme sans qu'elle puisse comprendre ou avoir une prise sur son agresseur. Elle se croit ailleurs, dans le plus réel de ses cauchemars. Septième choc, un swing de golf puissant dans la cheville droite, douleur intense. Les trois suivants pourtant moins lourds, déforment encore le bâton de ski.
La douleur la pousse enfin à réagir : elle lance ses pieds, et du talon elle choppe son genou qui plie un peu. Par hasard, dans la confusion, du bout du pied Marie-Chléo touche les petites boîtes à bébé de Laurent. Pas assez fort pour l'étourdir mais il a mal et se tient l'entrejambe.
Elle en profite pour récupérer, tousse un coup, n'arrive pas à se lever, sa jambe droite n'est que souffrance, son côté, supplice. L'échine courbée, les bras repliés contre son ventre, elle a la face contre le carrelage. Le droit trop douloureux, elle essaie de se hisser sur son membre inférieur gauche, rassemble ses forces vitales pour s'enfuir dans la salle de bains, s'y enfermer à clef à tout prix.
Elle a dû prendre un coup dans la bouche parce qu'elle n'arrive pas à l'ouvrir pour crier à l'aide. La bête humaine dans son dos grommelle, Laurent récupère plus vite. Malgré la pénombre dans le couloir il la discerne distinctement grâce à la salle d'eau allumée.
Il saisit sa conjointe par le col et la soulève comme un fétu de chaume. De ses mains, elle essaie de défaire l'étreinte, de griffer le bras dans son dos mais ses forces la quittent trop vite. Elle a le visage déformé par la douleur, il la retourne et lui crache à la figure. Il la trouve laide.
Sous le coup de tête, l'arcade sourcilière de la jolie fille explose, le sang envahit le côté droit de son visage. Marie-Chloé vacille, il la pousse, elle bascule en arrière.
En tombant la jeune femme essaie paradoxalement de se retenir à lui. Elle échoue violemment dans l'entrée de la salle d'eau. Sur sa face et dans son dos coulent d'abondants filets rouges. Contre la poignée de porte de la Vedette maternelle en marche, son crâne fracassé vibre sous les impulsions de la machine blanche. Elle est ballottée par les secousses mécaniques, au rythme du lave-linge. Les paupières mi-clauses, son regard se vide, son sang aussi, sa vie avec.
Laurent a soif, très soif, il ne voit pas le liquide carmin épais et sirupeux se répandre sous son ex-concubine. Il lui tourne le dos et va se désaltérer à la cuisine d'un pas heurté.
Les muscles de Marie-Chloé se relâchent peu à peu. Son maxillaire inférieur s'abaisse, laissant s'échapper de sa bouche un filet de sang écarlate.
Petit à petit, elle glisse sur le carrelage, malmenée par le mode essorage. Sa tête bringuebalée, on la croirait endormie à l'arrière d'une vieille voiture sur un chemin chaotique.
La machine finit bientôt.
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