Chapitre 7 - Être une victime et une survivante

When We Were Young - Adele

Let me photograph you in this light
In case it is the last time
That we might be exactly like we were
Before we realized
We were scared of getting old
It made us restless
It was just like a movie
It was just like a song

🥀🥀
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Bouffer ou se faire bouffer.

Depuis mes quinze ans, ma perception de la vie s'est résumée à cette formule simple et manichéenne. D'un côté, il y aurait les faibles, dont je ne ferai plus partie. De l'autre, les puissants. Ceux qui n'attendent pas d'approbation. Ceux qui prennent sans demander de recevoir. Ceux pour qui rien ne compte.

L'agression de mon agent m'a réexpulsée du côté des faibles. Et j'atteins le point culminant de cette place pathétique en ayant accepté de me rendre dans ce cabinet.

Je m'attendais à quelque chose d'impersonnel, presque d'immaculé. Une décoration suffisamment neutre pour que chaque patient puisse voir son propre reflet dans les surfaces blanches et lisses. Au lieu de quoi, des meubles en bois et des objets vintage soigneusement disposés, comme ce tourne-disque dans le coin droit de la pièce.

Je n'arrête pas de fixer ce tourne-disque.

— Mia, est-ce que je peux vous demander pourquoi vous avez décidé de venir me voir ?

Je sens une goutte de sueur se former sur ma tempe. Je ne suis pas à l'aise sur ce siège en cuir qui me colle à la peau. Face à moi, Mme Germain attend ma réponse, avec une patience probablement caractéristique des psychologues.

— Mon ami Jules a insisté pour que je vienne.

— Et vous êtes venue.

— Je n'ai pas vraiment eu le choix.

Un rictus que je ne sais pas déchiffrer déforme légèrement la ligne fine de ses lèvres. Je décide de la couper avant d'entendre un dicton mal pensé :

— Vous allez me dire qu'on a toujours le choix, pas vrai ?

— Le pensez-vous ? Qu'on a toujours le choix ?

Cette question me fait l'effet d'une douche froide. Cette femme ne sait encore rien de moi et pourtant, elle semble avoir compris comment heurter ma corde sensible. Jules lui aurait-il parlé de moi en amont ? Qu'en est-il du secret médical ?

Pour m'en assurer, je décide de changer de stratégie et délaisse mon ton fuyant pour une attaque plus directe :

— Je viens vous voir parce qu'on m'a agressée. Ou un truc comme ça.

— « On » ?

— Mon agent. Ancien agent. De quand j'étais encore mannequin. J'étais mannequin international pour un certain nombre de marques de lingerie...

Pour la première fois, elle appuie sur le bout de son stylo bille pour en faire sortir la mine et griffonne quelque chose sur son carnet.

— Pas besoin de prendre des notes sur ça, tapez mon nom sur internet et vous aurez toutes les infos.

Encore ce petit rictus, qui ne cède pourtant place à aucun mot bien senti.

­— Vous souhaitez me parler de cette agression ?

— C'est pas ce que je suis censée faire ?

— On peut aussi choisir de parler d'autre chose. Comme de votre enfance, par exemple.

— Mon enfance ?

Elle acquiesce. Je marque une pause, remontant dans ma mémoire jusqu'à des souvenirs volontairement enfouis. Ils m'apparaissent appartenir à une autre vie. Il y a eu un avant et un après la naissance de la reine des garces, et je réalise aujourd'hui que je ne suis capable de me rappeler de celle que j'étais que sous formes de bribes de moments envolés.

— Je ne sais pas quoi vous dire. Ça a été, je crois.

— Et votre collège ?

Je déglutis péniblement. Jules ne peut pas lui avoir donné cette piste, il n'est pas au courant de cette période. Comme tous les autres, Jules appartient à l'après.

— C'était minable, comme pour beaucoup d'adolescents.

— Quel genre d'adolescente vous étiez ?

— En demande d'attention. Sans caractère.

— « Sans caractère » ?

— Je ne savais pas me défendre.

— Vous aviez besoin de vous défendre ?

La tension de la pièce monte encore d'un cran, refermant un étau autour de ma gorge. Un rapport hiérarchique que je n'apprécie pas s'instaure automatiquement dans une séance de psy. Je suis la personne à qui on doit venir en aide tandis qu'elle doit être la solution. Je suis censée me confier sur mes sentiments les plus intimes tandis qu'elle pose les questions incisives et dévastatrices.

Malgré le mal-être que je ressens, je ne veux pas tout bousculer. Le fonctionnement que je me suis choisi est défaillant, j'en ai conscience. Mais l'admettre et m'ouvrir à d'autres perspectives reviendrait à donner un coup de pied dans un château de cartes déjà fébrile que je ne suis pas sûre de pouvoir reconstruire.

Mme Germain perçoit mon trouble, puisqu'elle me laisse quelques secondes pour m'y habituer, avant qu'elle n'ajoute :

— Je ne veux pas vous pousser dans vos retranchements, Mia. Je souhaite simplement comprendre ce qui vous a poussé à vous barricader comme ça.

— Je n'aime pas parler de cette période, c'est tout.

— Pourquoi ?

— Parce que c'est du passé. C'était suffisamment pénible à vivre à l'époque, ça sert à rien de le ressasser.

— Le fait que ce soit encore pénible à évoquer prouve que cette époque a encore une influence sur votre présent, vous ne pensez pas ?

Mon cerveau ne parvient même pas à formuler de riposte bien sentie qui nous sortirait de cette impasse. Je ne me situe pas dans une interaction sociale ordinaire. Cette femme n'en a rien à faire que je cherche à prendre l'ascendant sur elle. Elle cherche à lire entre les lignes et chacune de mes fuites semble lui donner un élément de plus sur mes nombreuses failles.

— C'était assez basique. J'ai été harcelée.

Elle ne répond rien. Aucune relance, aucune phrase pour orienter mon récit. Elle attend simplement que je m'exprime.

— Laurie, cette fille... Elle a demandé à un garçon de faire semblant de sortir avec moi. J'ai fait ma première fois avec lui, et il... Il a pris des photos de moi qu'il a diffusés. Je suis tombée dans un piège débile que j'aurais pu sentir si j'avais pas été autant en manque d'affection.

— Donc vous aviez déjà subi une première agression.

— Une agression ?

— Ce garçon a pris des photos de vous nue sans votre consentement qu'il a rendu publiques. C'est une grosse agression.

Je digère l'information sans mentionner qu'Evan est celui qui a techniquement permis cette divulgation. Cela ferait de lui... un de mes agresseurs aussi.

— Je ne crois pas que tout percevoir à travers le prisme de l'agression m'aide à y voir plus clair. Je veux dire, on n'est pas juste des victimes ou des agresseurs, c'est plus compliqué que ça, lâché-je.

­— Vous avez raison. Pour autant, la justice a besoin de simplifier certaines situations. Ça ne veut pas dire que la victime d'un crime n'a pas été agresseur d'un autre.

— Y a aussi les autres... Les gens comme moi. Ceux qui ne se reconnaissent pas dans le rôle de victime. Ceux qui ont juste cherché à survivre en faisant en sorte qu'on ne puisse plus les atteindre.

­— « Les survivants » ?

Je hoche doucement la tête.

— Encore une fois, « victime » est simplement un statut pour simplifier une situation et reconnaître que la personne qui vous a porté préjudice mérité d'être punie. Vous pouvez être une victime et une survivante.

— Mais je veux pas être coincée dans cette case... Je veux pas avoir à venir voir des personnes comme vous pour essayer de réparer quelque chose alors que mon agent vit la même vie qu'avant. Que Mathieu n'a pas non plus vu d'impacts durables sur son quotidien pour ce qu'il m'a fait, juste parce que j'ai été trop bête de lui faire confiance.

— Mia, je pense que vous avez besoin d'accepter qu'on vous a fait du mal et que vous n'y êtes pour rien. Ce Mathieu a profité de vous parce qu'il a décidé d'agir ainsi. Vous ne pouvez pas vous blâmer d'y avoir cru alors qu'il a tout mis en place pour que ce soit le cas, et qu'il exerçait déjà une forme de domination sur vous. Pareil pour votre agent. Il savait pertinemment que ce serait trop difficile pour vous de dire non au vu de votre situation. C'est de l'abus de pouvoir, et vous avez raison, c'est injuste. Mais vous avez le droit de prendre soin de vous ensuite et de tout mettre en œuvre pour vous relever. Pourquoi est-ce que vous ne vous autorisez pas à aller mieux ?

Je sens une larme épaisse et douloureuse rouler sur ma joue.

— Parce que mes choix ne m'y donnent pas droit... Par ma faute, ma famille et moi avons dû déménager après ma troisième. C'était tellement dur de voir le dépit et la pitié dans le regard de mes parents que je ne les ai pas remerciés. À la place, j'ai été infame. J'ai volontairement creusé ce fossé entre mon frère et moi, de façon à ce que je puisse compter sur lui mais qu'il ne puisse jamais être totalement sûr de pouvoir compter sur moi... Même si je n'ai pas été aussi violente que Laurie et Mathieu, j'ai probablement traumatisé des gens, moi aussi, avec mon comportement. Alors je ne rentre pas dans votre statut de victime, vous voyez, même s'il ne sert qu'à simplifier une situation.

Voyant que les larmes débordent, elle me tend une boîte de mouchoirs jusqu'ici posé sur la petite table à côté d'elle. Je m'en empare avant d'essuyer mes yeux rouges.

— Vous devez accepter que votre entourage est là pour une raison. Ne remettez pas en cause leur décision de croire en vous et de vouloir vous aider. Ils savent, comme moi, que vous méritez d'aller mieux.

Je relève le regard vers elle, le cœur serré.

— Vous avez le droit d'aller mieux, Mia.

Le cabinet de la psy donne sur une place colorée de Toulouse que j'affectionne particulièrement. C'est par là que je sors, l'esprit embrouillé mais le cœur gonflé d'un sentiment indéchiffrable. Le reste des larmes dans mes yeux rend la puissance des rayons du soleil presque insupportable.

Je suis aveuglée et peine à distinguer Evan. Je finis par le voir, quelques pas plus loin, qui s'avance vers moi. Moi aussi, je réduis la distance entre nous, jusqu'à ce qu'il découvre mon expression troublée et les vestiges de la douleur sur mon visage.

— Mia...

D'un naturel qui me surprend, il m'attire dans ses bras. Je m'y réfugie et m'y niche comme s'ils n'avaient jamais cessé d'être ma protection du monde extérieur. Un poids quitte ma poitrine tandis qu'il caresse tendrement mes cheveux courts.

— Comment ça s'est passé ? finit-il par demander.

— Bien. Je crois.

Il s'écarte et me regarde, un moyen de vérifier si je mens. Il sait que je mens souvent.

— Je me sens épuisée, lâché-je.

— On rentre, alors. J'ai prévenu Maël.

Je hoche la tête. Après un sourire, il me demande de le suivre. Au bord de la route, nous nous arrêtons à côté d'une moto. Il me faut quelques secondes pour réaliser qu'il ne s'agit pas d'une moto ordinaire.

— C'est pas vrai...

C'est celle d'Evan. Celle qu'il avait quand on s'est rencontrés. J'ignorais que son père l'avait conservée.

Je passe tout de même un doigt sur la carrosserie, et constate qu'une belle trace de poussière y reste accrochée.

— Oui, bon, on peut pas dire qu'elle soit bien entretenue.

— T'es sûr qu'elle passe encore le contrôle technique ? le questionné-je, un sourire aux lèvres.

— Je suis venu jusqu'ici et aucune pièce ne s'est détachée. Je me suis dit que ça te ferait plaisir de la revoir.

Est-ce que ça me fait plaisir ? Oui, quelque part. D'un autre côté, c'est douloureux. Car cette moto, comme cette ville, m'encourage à m'enfermer dans le passé. Que ce soit pour ressasser les événements qui me sont arrivés ou me rappeler combien j'ai pu autrefois être toute puissante et intouchable.

Le silence qui s'éternise entre nous ne contrarie pas Evan. Il s'habitue à mon manque de réponses, ce qui n'est pas nécessairement une bonne chose.

Mes bras enroulés autour de son buste, nous sillonnons les rues, le vent fouettant mon visage et séchant le reste des pleurs sur mes joues. Quand nous arrivons chez mes parents, rien ne peut laisser deviner que j'ai laissé toutes mes forces en centre-ville. J'ai remis mon masque en place, bien que ses fêlures ne sont désormais ignorées de personne.

À l'intérieur, Maël et Indiana traînent sur le canapé. Plus justement : Maël scrolle des vidéos TikTok tandis qu'Indiana révise ses fiches, pour ne rien changer. Mes parents sont au travail, comme à leur habitude en pleine journée, et mon frère sèche la plupart de ses heures de cours.

Officiellement, parce qu'il dit vouloir passer du temps avec moi. Officieusement, parce que cette excuse l'arrange bien.

Quand j'arrive derrière lui, Maël n'a pas le temps de verrouiller son téléphone suffisamment vite : par-dessus le dossier du canapé, j'ai pu distinguer le chiot qui remuait la queue sur son écran.

— C'est trop mignon, lancé-je, ironique.

Je me laisse tomber sur le canapé à côté de lui, sourire aux lèvres.

— Je m'en fous de tes moqueries, Mia. J'en adopterai un quand je serai prêt.

— Une chance que tu sois célibataire, alors.

Il m'interroge du regard, ne saisissant pas où je souhaite en venir. J'ai réussi à détourner Indiana de sa médecine, qui nous accorde désormais son attention.

— Bah, Jana n'était pas du genre à aimer les chiots.

Indiana me fusille du regard, et je sens le poids du regard d'Evan dans mon dos. Maël baisse piteusement la tête, peu préparé à cette désagréable piqûre de rappel.

Je m'en veux immédiatement, d'autant plus en réalisant que je l'ai blessé intentionnellement. Je redoutais le moment où lui et Indiana me poseraient des questions sur mon rendez-vous, alors je me suis assurée de les dégoûter de me parler.

« Vous avez le droit d'aller mieux, Mia. »

Aucun d'eux ne me fait pourtant une réflexion. Evan annonce qu'il va préparer à manger, et Indiana l'accompagne. Maël, sans un mot, se lève pour monter à l'étage.

Mme Germain a peut-être raison. Si mon entourage est toujours là après tout ce que je leur ai fait endurer, il serait temps que j'arrête de tenter de les dégoûter et que j'accepte leur soutien.

Evan et Indiana s'occupent de faire l'animation durant le repas, tandis que Maël et moi demeurons silencieux. De nombreux non-dits se sont accumulés entre nous depuis mon arrivée, et c'est à moi de briser cette omerta, j'en suis consciente. C'est pourquoi, une fois le lave-vaisselle rempli et lancé, je monte à l'étage et frappe doucement à la porte de mon frère. Elle s'ouvre toute seule, le système de fermeture étant toujours défectueux depuis la dernière fois qu'il a joué la drama queen en claquant la porte dans un geste théâtral.

Allongé sur son lit, il lance une balle en mousse en l'air et la rattrape dans un mouvement régulier et déprimant. En jetant un œil à la porte fermée au fond de la pièce qui donne sur la salle de bains, aussi reliée à ma chambre, je me rends compte qu'à une époque, il maintenait toujours l'ouverture de son côté. Comme pour être sûr de réagir rapidement s'il devait m'arriver quelque chose.

Je devais l'obliger à bien la fermer quand Evan me rendait visite, pour une raison évidente.

— C'est la baballe de ton futur chiot ?

Il interrompt son geste et la balle rebondit sur son torse, puis tombe sur le sol. Il souffle lourdement, ne partageant en rien mon amusement.

— Tu t'arrêtes jamais.

— Déconner sur mes erreurs, c'est ma seule façon de les relativiser, tu sais.

Il ne dit rien et je m'approche de son lit, hésitant à m'y asseoir. Il semble m'y inviter quand il se redresse contre la tête de lit pour me laisser de la place.

— Tu ne devrais pas être avec Evan ? demande-t-il en me regardant m'asseoir. Il part dans moins d'une heure, non ?

— Tu sais que je suis pas douée pour les au revoir.

Le problème n'est pas tant le moment où je devrai le voir partir, mais de savoir quand est-ce qu'il me verra revenir. Je n'ai toujours pas décidé quand j'allais rentrer, ni même si j'aurai envie de le faire.

— Et puis je te dois des excuses, ajouté-je.

Plongé dans son mutisme, il n'esquisse aucune expression qui puisse me donner un indice sur son état d'esprit. C'est de bonne guerre : durant de longues années, lui non plus n'a pas su comment je me sentais.

— Je suis désolée pour ce que je t'ai dit tout à l'heure, c'était injuste. Et je suis désolée de n'avoir pas su créer les occasions pour que tu m'annonces que Jana et toi, c'était fini.

Il hausse une épaule.

— J'avais pas particulièrement envie d'en parler non plus.

— Je suis ta sœur, Maël. J'aurais dû être celle à qui tu avais envie d'en parler en premier.

— T'étais tellement occupée à parcourir le monde, puis tu as retrouvé Evan, commencé une nouvelle vie à Paris... Ça t'aurait paru bien futile.

— Pas du tout. J'aurais simplement eu peur... de ne pas être à la hauteur pour te soutenir.

Au fond, il en a conscience. Il sait que je gère mal de devoir être l'épaule sur laquelle on se repose. Indiana est douée pour ça, elle. S'effacer au profit des autres et leur prendre leur douleur. Elle en a même fait sa vocation.

— Pourquoi ça s'est terminé ? soufflé-je.

— C'était devenu trop dur. Ses troubles... Elle était devenue super jalouse. Elle était persuadée que j'allais la quitter. Alors elle s'est assurée de le faire avant moi.

— Je suis désolée.

Je le suis sincèrement, parce que je comprends Jana. J'ai tenté de le faire, moi aussi. Evan l'a fait avec moi quand il a perdu sa mère. Mais Jana aurait dû savoir que Maël pouvait encaisser. Je l'y ai d'ailleurs entraîné.

— C'est dur, lâche-t-il, parce que j'ai l'impression qu'on avait encore des choses à vivre. Mais en même temps je me suis tout de suite senti... soulagé ? Tellement soulagé que je n'ai pas lutté plus que ça pour arranger les choses. Je me sens coupable.

— Je sais que c'est ironique que ce soit moi qui dise ça, mais aimer quelqu'un, ce n'est pas tout faire pour le sauver.

Il hoche la tête, comme si mes mots trouvaient une résonnance particulièrement forte chez lui.

— J'ai fini par en prendre conscience. Surtout quand j'ai réalisé que moi, je serai toujours là pour la rattraper si jamais elle tombait. Mais que je ne pouvais pas affirmer avec certitude que si moi, je tombais, elle serait là pour en faire de même.

J'enveloppe ses mains des miennes, comme si j'étais capable de lui prendre un peu de sa douleur.

— C'est la différence avec Evan et toi, ajoute-t-il. Vous, peu importe combien vous vous faites du mal, vous ne vous êtes jamais lâchés.

Je mords l'intérieur de ma lèvre, le cœur serré. Je me demande si c'est réellement une bonne chose, que nous restions accrochés comme ça, ou si nous sommes simplement tombés dans un cycle infernal où nous ne pouvons pas nous laisser partir.

— Tu ne dois pas lâcher, Mia. T'es si près d'être la personne que tu mérites d'être.

Je ne peux cacher ma surprise d'entendre de tels mots, surtout de sa part alors que j'ai été particulièrement cruelle avec lui.

— Comment tu peux dire ça alors que je m'effondre tous les jours en ce moment ?

— Précisément parce que tu t'effondres. Pendant tant d'années, tu ne voulais plus rien ressentir, et j'ai cru que t'allais finir par y arriver. Vivre, c'est ça. C'est se prendre des coups, les accepter, les guérir et se relever.

« Vous pouvez être une victime et une survivante. »

­— Et qui je suis, d'après toi ? soufflé-je.

— Ma petite sœur. Celle qui existait avant qu'elle n'ait quinze ans et que tout change, celle qui était attentive mais caractérielle quand il s'agissait de défendre ses idées. Et celle d'après. Celle qui a décidé qu'elle méritait le respect, qui s'est battue pour ses ambitions.

— Pourquoi tu ne m'as jamais lâchée ?

— Parce que je n'ai jamais cessé d'y croire.

Mon sourire est faible, pourtant je ne suis pas triste. Je n'ai plus envie de fondre en larmes. Sa foi en moi, c'est ce qui m'a empêchée de nombreuses fois de me trahir au point de ne plus me reconnaître. Quand bien même il m'est arrivé de le décevoir.

Dans mon ventre, quelque chose s'anime. Comme des dizaines de bourgeons qui se mettraient à fleurir à l'arrivée du printemps. Enfin, la perspective d'un lever de soleil sans orage.

Je n'ai plus d'énergie parce que j'ai conservé mes automatismes d'autodestruction malgré ma capacité à être heureuse en les abandonnant. Ces dernières années, j'ai lutté contre le naturel heureux au fond de moi qu'Evan a réussi à ranimer après notre rencontre. Je ne m'en sentais pas digne, mais surtout, j'avais peur de souffrir, encore.

Je souffre dans tous les cas. Maël a raison, autant que ce soit parce que j'aurai eu la conviction de vivre pleinement.

— Mia ?

Je me tourne vers la voix grave qui vient de retentir dans mon dos. Evan se tient sur le seuil de la chambre, un sourire piteux aux lèvres. Je sais ce qu'il va me dire avant même qu'il n'ouvre la bouche :

— Je vais y aller. Mon père passe me chercher pour m'emmener à la gare.

Il ne pouvait pas rester à Toulouse indéfiniment. Car sa vie, ses amis, son alternance, l'attendent à Paris. Ici, je n'ai rien à lui offrir de plus qu'un avenir incertain.

— Je vous laisse tous les deux, déclare Maël.

Mon frère se lève puis, quand il croise Evan sur le seuil, lui donne une tape amicale sur le bras. J'en comprends le sens caché : « bon courage avec elle ».

Evan fait deux pas dans la pièce tandis que je reste assise sur le lit. Je n'ai jamais su lui dire au revoir.

Alors à la place, je prolonge le moment comme s'il n'était pas embarrassant :

— Tu n'as pas eu de problèmes avec ton employeur ?

— Oh, tu sais, il paraît que la boîte a coulé en mon absence tant j'en étais un rouage important...

L'amusement dans sa voix me réchauffe le cœur. Son rôle de petit alternant était la source principale de mes moqueries ces derniers mois, quand mon mal-être était trop fort pour que je renonce à le faire déteindre sur lui. Qu'il tourne ce sujet en dérision prouve les efforts qu'il est prêt à faire pour tourner la page sur ce chapitre de nos vies.

Suis-prête à le faire aussi ?

Le bruit d'un moteur dans la cour en bas change l'atmosphère entre nous. Son regard s'assombrit tandis que j'ai l'impression que le sang quitte mon visage. Nous savons tous les deux ce que cela signifie. Son père est là, il n'y a plus de retour en arrière.

Je me lève par automatisme, consciente de mon obligation de faire de ce moment un instant spécial, quand bien même je suis répulsée à l'idée qu'il se produise. Une panique me saisit en le sentant déjà loin de moi. Il se rapproche encore, conscient de ce qui est en train de se produire.

Alors que je priais pour qu'il n'essaie pas, il prononce quand même ces mots susceptibles de bouleverser ma décision :

— Tu peux encore venir avec moi, tu sais ?

Je déglutis difficilement.

— Je suis pas encore prête.

Il hoche doucement la tête, échouant à masquer sa déception. Puis il s'approche encore, saisit doucement mon visage tremblant, et pose délicatement ses lèvres sur mon front.

— Au revoir, Mia, dit-il en se détachant de moi.

Je ne suis pas capable de lui répondre et l'observe silencieusement quitter la pièce sans se retourner. Après quelques secondes, je ne peux pas m'empêcher d'avancer vers la fenêtre. La chambre de Maël donne sur la rue. D'ici, je peux voir la voiture et le père d'Evan qui patiente devant. Jordan sort de la portière passagère ; il doit lui aussi accompagner Evan à la gare.

En voyant Evan approcher, Jordan semble pris d'une émotion incontrôlable et enlace fort son meilleur ami. C'est ensuite au tour d'Indiana et Maël de lui dire au revoir, dans un climat à la fois solennel et heureux.

Soudain, j'ai le sentiment que rien n'est à sa place. Moi dans cette maison, lui qui s'en éloigne. Moi à Toulouse, lui à Paris.

Comme s'il avait senti mon chamboulement intérieur, Evan lève les yeux vers la fenêtre. Vers moi. Nous nous observons quelques secondes, ce qui me laisse le temps de lire les regrets dans ses yeux.

Je me demande comment j'ai pu ne pas saisir l'évidence plus tôt. La sentir m'envahir est si enthousiasmant qu'un sourire me monte aux lèvres. Il sourit en comprenant aussi ce qui est en train de se produire.

Je ne sais pas combien de temps il me faudra. Encore une dizaine de séances de psy, probablement. Des tas d'erreurs, de fois où je blesserai encore mon entourage. Des questionnements à n'en plus finir sur ma capacité à devenir styliste et à m'extraire de mon passé emprisonnant dans le milieu.

Mais à l'instant, je sais que je m'apprête à dévaler les escaliers et monter dans la voiture avec Evan. Car peu importe l'avenir qui m'est destiné, il ne m'intéresse pas si je ne le construis pas avec lui.

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🥀🥀

FINALLY !

Oui, j'ai eu un peu de retard. Bon.

J'ai eu le mois le plus tendu de mon semestre et après j'ai paniqué parce que j'ai toujours TROP du mal à terminer les histoires. J'ai pris mon temps et finalement je crois que je suis plutôt satisfaite... J'espère en tout cas que vous ressentez l'espoir que j'ai voulu transmettre à notre Mia qui a bien douillé quand même.

On fait un petit bilan : qu'avez-vous pensé de ces bonus ? Qu'est-ce que ça vous a fait de retrouver Mia et Evan ?

Est-ce que vous lisez encore sur Wattpad ou est-ce que vous reveniez juste pour les bonus ?

En tout cas vous devez savoir que j'ai vraiment trop aimé revivre cette expérience avec vous, qui reste extraordinaire. Beaucoup de choses ont changé depuis la première fois que j'ai posté sur cette plateforme mais je suis ravie de là où ça m'a menée. Alors merci pour tout. <3

À très vite pour de nouveaux projets,

With love,

Laurène

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