Chapitre 2
Derrière son attitude froide et autoritaire, l'inspecteur Luis Rodriguez l'est tout autant en profondeur. De nature peu éloquente, il n'a jamais voulu faire équipe avec quelqu'un, simplement parce qu'il ne supporte pas la compagnie humaine bien longtemps et surtout parce qu'il sait que seul, il fonctionne mieux.
Personne pour le divertir, personne pour le ralentir.
Sarah est la seule qu'il tolère de temps à autre, éventuellement parce que c'est une bonne enquêtrice, mais surtout parce qu'elle ne s'embarrasse pas de discours et de questions inutiles.
Les relations sociales ?
Très peu pour lui.
Raconter les potins ou le dernier film qu'on a vu au cinéma ?
Aucun intérêt.
De toute façon, il ne va jamais au cinéma, son travail est tout ce qui compte. Il ne sait rien faire d'autre. Depuis le jour où il s'est fait la promesse d'être le meilleur flic qui existe, il n'a eu de cesse de tout faire pour atteindre son objectif.
Rodriguez désigne la chambre où s'activent encore quelques policiers et leur intime de laisser la pièce libre avant de faire signe à Sarah d'entrer.
– La victime s'appelle Charlotte Moulin, trente-deux ans. Sa voisine revenait de sa garde de nuit quand elle a vu la porte entrouverte. Elle l'a trouvée comme ça.
Ses mots s'éteignent dans sa gorge devant le spectacle. Même en ayant vu des dizaines de scènes de crime, difficile de rester insensible à ce genre d'images. Une odeur de moisissures mêlées de sang lui sature l'odorat, mais il se reprend vite et ses yeux s'égarent sur Sarah.
Elle déglutit difficilement avant de passer le seuil, s'arrête net, Rodriguez la voit pâlir et se demande si elle ne devrait pas s'asseoir. Face à eux, une femme est paisiblement étendue sur le lit, si bien qu'on la croirait endormie si ses cheveux, autrefois dorés comme les blés, n'étaient pas désormais écarlates. Sa peau livide a abandonné tout souffle de vie, et lorsque l'on s'approche de plus près, on peut deviner que ses traits délicats sont à jamais empreints de la terreur de ses derniers instants.
Sarah semble presque défaillir pendant quelques secondes, puis se reprend et avance au centre de la chambre.
Il attend patiemment que la détective passe au crible chaque détail. Le collier de sang séché qui court jusqu'à ses épaules, les jambes nues sous une jupe de tailleur, les mains croisées sur sa poitrine. Tel un tableau, on dirait que le meurtrier a choisi chaque détail de sa mise en scène.
Le médecin légiste interrompt la contemplation des enquêteurs et s'adresse à Rodriguez :
– Est-ce qu'on peut emmener le corps ?
– Allez-y, on a fini. Qu'est-ce que vous pouvez déjà nous dire, docteur Booth ? l'arrête l'inspecteur.
Abigaïl Booth fait signe à son interne de commencer le travail et redresse ses lunettes. L'inspecteur la connaît depuis plus de sept ans, et il sait que ce geste anodin trahit souvent une pointe d'agacement.
– On peut observer une plaie profonde de la région cervicale faite par un objet tranchant, probablement une lame de couteau, explique-t-elle. Artère sectionnée, elle a dû succomber d'une hémorragie en quelques secondes. Pas de traces de lutte ni de viol apparent.
– Vous estimez à quand l'heure de la mort ?
– D'après la température corporelle et la rigidité cadavérique, je dirais entre dix-neuf et vingt-deux heures, mais j'en saurai plus une fois que vous m'aurez laissé faire mon job.
Elle remet une mèche rousse derrière son oreille et son sourire forcé montre à Rodriguez que c'est le signal pour s'arrêter-là.
– Reid, vous avez des questions ?
Il se tourne vers Sarah qui ne s'intéresse plus au corps, mais à la bibliothèque à l'opposé du lit :
– On sait quoi sur Charlotte ?
– Je parlais de… commence-t-il, avant de s'adresser à nouveau à la légiste. Laissez tomber. J'attends le rapport d'autopsie au plus vite, intime-t-il.
Booth ignore son empressement d'un signe de main et s'affaire avec précaution autour de la victime, tandis que Sarah continue d'explorer les environs.
– Alors, renchérit-elle. Vous avez quoi sur elle ?
– Elle est française, on l'a pas dans nos fichiers. Ça risque d'être long d'obtenir des informations de leur administration, mais on continue de chercher. On attend le mandat pour perquisitionner son ordinateur et son téléphone. Et vous, vous avez quelque chose ?
– Elle était prof, assure-t-elle sans le moindre doute dans la voix. De sciences. Biologie ou chimie, un truc comme ça.
– Prof ? D'accord…
Elle doit percevoir son hésitation car elle précise :
– La bibliothèque est remplie de livres de sciences et il y a des copies corrigées dans le tiroir de son bureau. Niveau lycée, je dirais.
La détective continue ses investigations dans le salon et Rodriguez en profite pour briefer les agents :
– On cherche peut-être une prof de sciences. Gripper, voyez si vous trouvez une correspondance avec elle dans le registre des lycées du coin et élargissez aux collèges et universités pour être sûr. Vous ne devriez pas avoir besoin d'autorisation.
Il s'approche à nouveau d'elle et lui tend un sachet en plastique contenant une simple carte à jouer :
– Elle tenait ça entre les mains.
Le visage de Sarah se décompose alors qu'elle se saisit de l'objet. Sur le quatre de cœur, une inscription au feutre noir :
Tic-tac. L'heure tourne.
J'aimerais un adversaire à ma taille.
Réveille-toi, Sarah Reid.
Devant le silence prostré de la jeune femme, Rodriguez ne prend pas de pincettes :
– Vous comprenez, maintenant, pourquoi je vous ai demandé de venir ? La victime ne vous dit rien ? Vous savez pourquoi, ou qui aurait pu écrire ce message ?
Son empressement la désarçonne :
– J'en ai aucune idée. Vous croyez que j'ai un lien avec tout ça ?
Rodriguez hausse les épaules :
– De toute évidence, même si ce n'est pas le cas, maintenant vous en faites partie. Alors résolvons cette énigme au plus vite, qu'on en parle plus.
Le jour commence à poindre sur la ville, mais les traits de sa partenaire s'assombrissent. Il fixe les yeux verts de Sarah qui semble avoir du mal à digérer les informations. Elle remonte le col de sa veste, enfouit les mains dans ses poches, voûte légèrement son dos.
– Je crois que je n'ai pas vraiment le choix, souffle-t-elle.
Rodriguez avale les dernières gouttes de son gobelet avant de lui faire signe :
– J'ai besoin d'un autre café. Allons débriefer au poste, je vous en dirai plus là-bas.
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