6. Multifacette
Victoria Olsson
C'était après avoir déposé des dizaines de CV dans tous les bars, restos, magasins de prêt à porter, que j'avais trouvé un job. Pas celui que je voulais, mais un job restait un job. Et j'en avais vraiment besoin.
Alors j'étais officiellement serveuse dans un petit resto à temps plein. Rien de fou, mais de quoi prendre un nouveau départ.
J'avais donc fait passé mes heures de travail tardives pour des révisions intenses avec mes camarades de promo. Plus mytho du meurs.
C'était souvent en me rendant au travail, dans les transports en commun, que je me rendais compte d'à quel point ma petite vie d'étudiante en école de mode me manquait. Du plus loin que je me souvienne, j'avais toujours rêvé de travailler dans ce secteur. J'avais toujours été passionné par les défilés des maisons de hautes coutures, alors quand j'avais réellement obtenu ma place dans l'une des meilleures écoles françaises, je m'y étais jeté à corps perdu. Pendant plus de 4 ans, cela avait été ma plus grande source de motivation. Je ne pouvais même pas compter le nombre de nuit blanche que j'avais passé à travailler sur des projets à rendre.
Puis tout s'était un peu cassé la gueule l'été dernier.
Et me voilà, à 1h du mat', dans cette vieille rame de métro, collé au fond du wagon à éviter tout contact visuel avec les mecs un peu trop défoncés à quelques mètres de moi. Quelle galère.
Les écouteurs enfoncés dans les oreilles, la capuche rabattu sur la tête, je ne pouvais pas m'empêcher de maudire la terre entière. Je kiffais bien me promener la nuit, mais avec les énergumènes qu'on pouvait trouver ça me faisait un peu flipper.
Finalement quelques minutes plus tard je descendis enfin de cette rame qui empesté l'alcool et l'herbe.
Mon lit m'appelait clairement. Je me voyais déjà sous la couette, à dormir au moins 3 jours pour oublier à quel point ma vie n'avait plus de sens. Mais c'est en arrivant devant l'appartement que je compris que mon repos était encore loin, très loin.
La musique et les rires résonnaient sur le palier. Pitié, pas à moi Louna.
Je poussa la porte pour retrouver l'appartement emplit d'un peu plus d'une dizaine de personnes. Le S-Crew, et quelques mecs de l'entourage dont Alpha, Moh et Deen. Puis il y avait aussi Jasmine, la petite copine de Théo. Et Doums, entrain de faire des mélanges chelou d'alcool dans la cuisine.
Quand ils me remarquèrent, plantée dans l'entrée avec mon sac, quelques uns se levèrent pour me prendre dans leurs bras tendit que les autres me lancèrent quelques vannes. Ok ils s'étaient fait plaisir sur l'alcool et la fumette.
Louna qui était en pleine discussion avec Jasmine me lança un petit sourire désolée.
Note à moi même, rapidement me trouver un appartement.
Je fis la bise à ceux qui n'avait pas daigner bougé leurs culs avant de me servir un verre d'eau, les yeux rivés sur Alpha et Ken, assis dans un coin de l'appart, un tas de feuille dans les mains. Ils arrivaient à écrire dans ce bordel total?
- Wesh Vichy! s'exclama Doums. T'en veux? demanda t-il en me tendant le mélange d'alcool sur lequel il était concentré depuis un moment.
- Non c'est bon Doups, répondis-je avec une mine un peu dégoûtée.
- C'est pas Doups moi.
- Et moi c'est pas Vichy, rétorquais-je avec un clin d'œil.
Le rappeur pouffa avant de boire une gorgée de sa boisson et la recracher aussi tôt. Je pouffa à mon tour en voyant sa tête dégoûtée.
J'abandonna la cuisine pour la seule chambre que je partageais avec Louna. J'enleva ma paire de bottine et attacha mes cheveux. Sincèrement, là tout de suite, j'avais juste envie de me prendre la plus grosse douche du monde et dormir. Dormir jusqu'à l'année prochaine.
Les dernières semaines j'avais traîné de temps en temps avec les gars, quelques soirées par ci par là. Et si je pouvais en retenir une chose, c'était que Deen était sans aucun doute mon coup de cœur. On avait passé pas mal de soirée à parler et putain ce mec était exceptionnel. Sans rire, toute sa vision de la vie, son parcours, ses galères, j'étais totalement tombé en amitié pour ce gars.
Alors, après avoir enfilé un gros sweat, je le rejoignis. Il était assis sur le canapé, en pleine discussion avec Mekra et Alpha. Je me cala à côté de lui, en équilibre sur le rebord.
- Ma rouquine préférée! s'exclama t-il en me pinçant la joue.
Je lui donna un coup de coude pour qu'il me lâche, il rigola avant de m'attraper par les épaules et me faire tomber à moitié sur lui.
Je pouffa en me retrouvant le dos contre ses cuisses, sa vieille tête penchée vers moi.
- T'es vraiment moche, dis-je en riant.
- Tu cherches trop la merde Vic, pouffa t-il en me pinçant les côtes.
- Stop, stop, stop, zone sensible, éloigne toi, m'exclamais-je de peurs de subir un attaque de chatouille.
Il se mit a rire et je me redressa sur la place que j'occupais quelques minutes plus tôt.
J'aperçus, sur le balcon, Idriss, une clope au bec. Je le rejoignis. Les bras posés sur la rambarde, il avait son habituel casquette vissée sur la tête.
- Salut, soufflais-je en m'accoudant à côté de lui.
Il était l'un des rares que je n'avais pas eu l'occasion de revoir durant les trois dernières semaines.
- Salut.
- Ça fait longtemps que je t'ai pas vu, lançais-je.
- Ouais. Pas mal de taff ces derniers temps, répondit-il. Mais j'suis là maintenant.
J'hocha la tête. La clope qu'il avait entre les doigts se consumait doucement. Putain cette merde me manquait.
- T'es arrivé tard, lança t-il.
- J'taffais. Fin un projet pour l'école tu vois.
- Tu fais quoi, genre, des desseins de fringues?
- C'est plus complexe, rigolais-je, mais c'est l'idée.
- Tu me montres? demanda t-il en tournant la tête vers moi.
Alerte rouge, alerte rouge. Trouver un mytho crédible.
- J'aime pas les montrer. C'est encore trop personnel, soufflais-je avec l'air le plus convainquant que je puisse faire.
- Un jour, alors? demanda t-il.
- Un jour, répondis-je simplement.
Ce n'était pas réellement un mensonge. Des prototypes, des brouillons, j'en avais des milliers que je gardais précieusement. Et comme je lui avait dit, je trouvais ça encore trop personnel pour en faire part à quiconque. C'était mon jardin secret, un petit truc rien qu'à moi, que personne ne m'enlèverait jamais.
Je me retourna vers l'intérieur de l'appartement, les choses semblaient un peu avoir dégénéré puisque Doums étaient debout sur la table basse entrain de danser alors que Louna et Jasmine étaient entrain de briser des tympans de toute la bande. Les gars se faisaient tourner un joint.
J'avais juste envie de dormir, mais avec le bruit que ces sauvages faisaient, c'était cause perdue.
Je me tourna vers Idriss qui lui aussi fixait ses potes avec un petit sourire.
- Ça te dis d'aller faire un tour? proposais-je.
Il hocha la tête en écrasant son mégot. J'entra dans le salon déjà bien enfumée. Je ne pris pas le temps de prévenir les autres que je sortais, ils le capteraient même pas. J'enfila ma paire de vans et attendit Idriss devant la porte d'entrée.
Il me rejoignit quelques minutes plus tard. A plus de deux heures du matin, il ne restait pas un chat dans les rues. C'était ça que j'aimais. J'étais ce genre de meuf, pas spécialement solitaire, mais avec le besoin irrépressible de me retrouver seule de temps en temps. C'est pour ça que j'avais commencé à me promener la nuit. Pas de touriste, pas de gens rivés sur leurs téléphones, pas de conducteurs trop pressés, ni de mec relou. Fin en principe.
On marcha silencieusement pendant plusieurs minutes jusqu'à ce qu'on arrive devant un petit parc. Il me regarda en fronçant les sourcils quand il me vit poser un pied sur la grille pour l'escalader.
- Qu'est ce que t'attends? lançais-je.
- J'pensais pas que t'étais le genre de meuf à enfreindre les règles, répondit-il en me suivant.
- T'as l'air de penser beaucoup de choses fausse de moi, rétorquais-je en posant les pieds au sol.
- J'arrive pas à te cerner. T'es une go trop complexe la vie d'ma mère. Des fois j'ai l'impression t'es le genre de meuf ultra extravagante, puis des fois, t'es genre normale, presque calme, puis après tu deviens le genre de grosse casse couille, pire que Louna. Et là tu m'entraîne au milieu de la nuit dans un vieux parc. T'es un peu comme une boule multifacette.
Je le regarda avec un petit sourire.
- J'suis pas si compliquée que ça, riais-je. On dirait que t'essaie de résoudre un puzzle.
- J'essaie juste de comprendre comment tu fonctionnes.
Je ne me comprend pas moi même.
On avança silencieusement vers un banc assez reculé dans le parc. Il était placé juste devant une petite mare où habituellement se prélassait une petite famille de canard.
Je m'installa sur le rebord du banc, les pieds posés sur l'assise. Le kabyle m'imita, sa casquette et la capuche vissé sur la tête.
- J'venais ici quand j'étais ado, lâchais-je. Mes vieux habitaient à une vingtaine de minutes d'ici. Alors quand j'en avais marre, j'passais la nuit assise sur ce banc.
- Habitaient? demanda t-il.
- Ouais, ils ont déménagés y'a quelques temps dans le sud, à Toulouse. J'ai pas vraiment de contact avec eux.
Il ne répondit rien, ne posa aucune question. C'était pas plus mal. Je ne me sentais pas d'attaque à un gros déballage à cœur ouvert.
- Et là, dis-je en me faisant glisser contre le banc, c'est notre banc avec Louna.
Je pointa une petite inscription faites au marqueur, un L et un V.
- J'pense qu'on devait avoir 12 ans quand on a fait ça. C'était une époque plutôt cool.
- Louna à plusieurs fois dit que t'étais partie à New York, ça te manque pas?
- Pas tellement, c'est une ville démente tu vois, mais ma maison est ici. J'ai toujours vécu à Paris, et au final c'est le seul endroit au monde où j'ai envie d'être.
- Ouais j'comprend. C'est là où sont les nôtres, termina t-il.
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