3. Vieux réflexe
Victoria Olsson
Enfoncée dans le canapé un peu défoncé, une couverture sur les jambes et la télécommande dans les mains, je zappais les chaînes une à une, à la recherche d'un programme un tant soi peu intéressant. A la place je m'enquillais des vieux films à l'eau de rose et des émissions de télé-shopping. Même ma grand-mère ne regardait pas ce genre de daube.
Je soupira en me massant les tempes. Ça faisait une semaine que j'étais rentrée, et j'avais dormi la plus grande partie du temps, l'autre moitié je l'avais passé à chercher un job. Je comptais pas squatter ici éternellement, mais vu les prix des loyers, j'allais devoir me faire quelques salaires avant de pouvoir envisager louer un appartement.
Appuyée contre le plan de travail, Louna touillait son café sans grande motivation. Elle soupira.
- Je déteste le jeudi. Pire jour de la semaine.
Depuis qu'on était petite on se disputait sur le pire jour de la semaine. Pour moi c'était définitivement le lundi, mais la blonde rabâchait que le jeudi était terrible.
La blonde poussa de nouveau un long soupir avant de se redresser et d'attraper son téléphone derrière elle qui venait de sonner. En l'espace de quelques secondes sa tête passa de dépressive prête à se laissé manger par une armée de rat, à la Louna habituelle, tout sourire et excitée comme une puce.
- C'est Ken? demandais-je avec un petit rire moqueur.
Après une semaine de cohabitation, je m'étais vite rendue compte que c'était le rappeur qui faisait la pluie et le beau temps dans la vie de ma petite blonde. Apparement le beau temps en ce moment.
- Soirée chez Moh ce soir. Et t'es invitée, lança t-elle.
- Sérieux?
- Ouais ils t'aiment tous bien. Par contre Doums a un problème avec ton nom je crois, pouffa t-elle.
Je lui lança le regard fusil avant de me laisser tomber à la renverse dans le canapé en grognant.
Je n'avais pas eu de contact avec le groupe depuis la première soirée en boîte, à part quelques follow sur les réseaux.
J'avais cependant un peu plus parlé avec Deen chez qui j'avais eu l'honneur de tester le canapé. On était resté parler un petit moment, à moitié assis par terre, un paquet de chips et des bières pour nous accompagner. Et c'était un chouette mec. Bon délire et pas prise de tête, ça faisait du bien. On s'était endormi sur les coups des 6h du matin.
Au réveil le lendemain, j'étais allée lui chercher quelques viennoiseries histoire de ne pas passer pour une profiteuse et avais déguerpit avant qu'il n'émerge.
Vieux réflexe.
Sur le coup ça m'avait paru normal, mais à y repenser, il avait sûrement dû me prendre pour une meuf un peu chelou. Sérieux qui se casse sans rien dire mais en ayant préparée le petit dej? Louna avait rigolé quand je lui avais raconté, apparement c'était typiquement le truc qu'elle me voyait faire. Vicieuse.
Après avoir supplié Louna pour qu'elle me laisse la paire de Vans, j'avais filé à l'extérieur. Officiellement pour aller en cours. Officieusement pour trouver un job, ou simplement occuper ma journée.
La réalité, c'était que je vivais dans une forme de déni de ma propre existence depuis plusieurs mois. J'avais lâché les cours, j'avais lâché cette putain d'école de mode pour laquelle je m'étais battue bec et ongle, pour me tirer à New-York. J'avais fait passé ça pour un échange scolaire, un putain de stage dans une maison de créateur, alors que la vérité était toute autre.
J'avais complètement abandonnée mon rêve, et je m'étais tirée. Un peu comme une voleuse.
J'avais tellement maquillé la vérité qu'il m'arrivait de croire à mes propres mensonges. Ça aussi c'était du déni.
Et voilà où ça me conduisait, à arpenter les rues de Paris en long et en large, dans l'espoir de trouver une solution à mes problèmes. Mais il n'y avait pas d'issue. Et même si il y en avait une, ce n'était pas gravé sur un pavé que j'allais la trouver.
Je m'arrêta près du pont de la Concorde. Les yeux rivés sur mon Paris. Ce que cette ville m'avait manqué.
Ne sachant pas vraiment quoi ramener chez Moh, j'avais opté pour des crêpes, l'un des seuls trucs que j'étais plus ou moins sûr de ne pas louper. Alors c'est avec mon plat de crêpes dans les mains, mon jean troué et mon sweat shirt au couleurs des Knicks de New-York que je déambula dans le métro.
Louna m'avait envoyé l'adresse quelques heures plus tôt, me prévenant qu'elle passerait chez Ken avant de me rejoindre là-bas.
Les journées avaient commencé à se rallonger, le soleil déclinait doucement, mais étrangement, le seul truc qui me tardait, c'était la nuit totale. J'avais toujours été une meuf de la nuit. Je ne pouvais pas compter le nombre de nuit que j'avais passé en haut de cet immeuble miteux à Brooklyn.
Debout devant la porte d'entrée de l'appartement de Sneazzy, j'eus un moment d'hésitation. Merde qu'est ce que je faisais ici déjà?
- Tu comptes toquer ou on reste sur le palier?
Je me retourna instantanément, derrière moi se tenait Framal. Idriss. Et merde comment j'étais censé les appeler moi?
- T'as un problème avec les paliers? répliquais-je en me tournant vers lui, les bras croisés sur la poitrine.
- Non. Mais j'en ai un avec les go qui foutent le grappin sur mes reufs, répondit-il en me contournant pour entrer sans toquer.
Ah.
J'avoue que sur le coup, j'eu du mal à comprendre ce qu'il voulait dire. Le grappin? Je me suis tapée les plus grosses courbatures de ma vie à dormir sur ce putain de canapé, pour qu'au final on me dise que j'étais ce genre de meuf. Je pouffa. Quel bouffon.
J'entra à sa suite dans un petit appart qui se révélait plutôt sympa. Les murs étaient blancs, assez propre, un grand écran trônait contre le mur central, face à un canapé où la plupart des gars étaient entassés.
Quelques bouteilles jonchaient déjà le sol.
- Vic! C'est cool que tu sois venue, me lança Moh en me tchekant.
- Ça me fais plaisir, tiens, dis-je en lui tendant le plat de crêpe. J'savais pas trop quoi ramené.
Il souleva le papier aluminium avant de me faire l'un des plus grands sourire que je n'ai jamais vu.
- T'as tapé dans le mille petite! s'exclama t-il en posant le plat dans la cuisine.
Je rejoignis Louna qui était assise par terre, face à la table basse, un verre entre les mains. Elle me fit un sourire et on échangea quelques banalités, du genre comment s'était passée nos journées. Évidement j'avais omis le fait que j'avais passé ma journée à traîner dans Paris.
Théo fit passer un joint à Louna qui tira quelques taffes avant de me le tendre, je secoua négativement la tête.
- Je fume plus, répondis-je.
Elle haussa les sourcils avec une mine assez surprise.
- Résolution 2019, ajoutais-je.
La blonde pouffa en levant les yeux.
- Qui aurait cru qu'un jour Victoria Olsson ne serait plus la dépravée du duo, rigola t-elle.
Je lui donna un coup de coude, criant qu'elle avait toujours été la pire.
Gros mensonge, mais autant sauver un peu les apparences. Notre petite dispute avait attiré l'attention de Ken, Doums et Mekra, qui nous regardait avec de grands yeux, semblant attendre qu'on balance les dossiers.
- Quand on avait 16 ans, elle m'a amené dans un espèce de plan pourri, raconta Louna, nos parents pensaient qu'on dormaient l'une chez l'autre, au final on s'est retrouvée au fin fond du 19e, dans une espèce de vieille soirée. Jamais vu autant d'herbes de ma vie. Les flics ont débarqué, elle était totalement défoncée, on a du passer 6h au poste. Résultat des courses on s'est fait éclater par nos parents, termina la blonde.
Je passa mes mains sur mon visage en entendant les mecs nous charrier sur cette vieille histoire. J'avais eu ma période de connerie, ce moment là, où juste pour faire chier tes parents tu fais exprès de faire n'importe quoi. C'était bien joué.
Quelques minutes plus tard, je fus désignée pour je cite « allez chercher à graille parce qu'on crève la dalle ». J'avais protesté disant que je ne connaissais pas le coin, mais la règle du dernier arrivé s'était imposée. Injustice. Alors en soufflant je choppa le liquide que me tendait Moh et me releva.
J'allais sortir de l'appart en râlant, sous les rires de la bande, quand Deen me suivit.
- J'vais pas prendre le risque que tu te barres sans dire au revoir, expliqua t-il un air faussement moqueur dans la voix.
- Désolée, pouffais-je. Je voulais pas te déranger plus.
On marcha plusieurs minutes vers une pizzeria en se racontant nos histoires, en taillant quelques personnes chelou qu'on croisait, et surtout en débattant sur le fait que les pizzas à la sauce tomate étaient milles fois meilleure que celle à la crème fraîche.
Et après ça se dit trentenaire, mature et adulte.
On rentra dans l'appart une heure plus tard, une douzaine de pizza dans les bras. En l'espace d'à peine une heure, le salon s'était réellement transformée en aquarium. Un peu paniquée en voyant toute cette fumée, je posa les pizzas sur la table basse, en attrapa une part et je sortis sur le balcon.
Appuyée sur la rambarde, je regardais les lumières de ma ville danser avec l'obscurité. Je ne remarqua la présence d'Idriss que plusieurs minutes après son arrivée. Appuyée contre la rambarde, lui aussi avait les yeux dans le vide.
- Aucune go ne se mettra jamais en travers de notre bande, lâcha t-il.
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