24. Cœur malade

Victoria Olsson

Assis sur le rebord du toit, Idriss regardait silencieusement le jeu des lumières sur les hauteurs de Paris.

Je l'avais amené sur le toit de l'immeuble dans lequel j'avais passé la majeure partie de ma vie. C'est ici que j'avais rencontré Louna, que j'avais fais mes premiers desseins, que j'avais embrassé mon premier copain. J'avais même mangé mon premier grec ici. C'était symbolique. J'avais un peu grandi perché sur ce toit.

Le parc et ce toit, c'était mes endroits. Et j'avais laissé Idriss y entrer tour à tour.

Je m'installa à ses côtés, les pieds dans le vide. La majeure partie des bons moments de ma vie s'étaient passés ici. Je n'étais pas revenue depuis New-York, et ça m'avait manqué.

C'était bizarre de se dire qu'un toit un peu pourri me manquait, mais il faisait parti de ces choses qui composaient mon histoire. Pleins de petit bouts de mon existence étaient reliés à cet endroit.

C'etait mon toit quoi.

Et pour ce soir, je voulais bien le partager avec Idriss. Si il avait besoin de se couper du monde pour quelques heures, je pouvais bien le lui prêter.

Il fixait le bâtiment face à nous, les doigts noués et le visage tendu. Sa barbe partait un peu dans tous les sens, et quelques boucles échappés de sa capuche. Ses yeux noirs reflétaient bien plus ses émotions, et en disait surement plus que des paroles.

Il semblait triste, peut être perdu. Abattu. Et ça me piquait la gorge de le voir comme ça.

J'avais jamais été quelqu'un de compatissante, je m'étais jamais non plus intéressée aux autres ou à ce qu'ils pouvaient ressentir, exceptée Louna, je m'étais toujours dit que le malheur c'était un truc qui se gardait en soi, qu'on ne devait pas exposer. Mais là, j'aurai accepté volontiers que le rappeur me parle, si ça pouvait lui permettre de retrouver un semblant de sourire. Même une esquisse.

Parce que merde, il était mille fois plus beau avec son satané sourire collé au visage.

Je laissa échapper un soupire, avant de maladroitement glisser ma main contre la sienne. Il n'eut aucune réaction, avant de finalement la resserrer quelques secondes plus tard.

- Ma grand-mère est malade, murmura t-il.

Jusque là j'avais fixé un point imaginaire au loin, mais les paroles du brun m'avait ramené sur terre. Et j'avais tourné la tête vers lui, le laissant continuer.

- Ça fait déjà un petit moment qu'ils ont détecté la maladie d'Alzheimer. Mais c'est la première fois qu'elle ne me reconnaît pas.

Mon coeur se serra, y'avait des putains de trémolo dans sa voix.

- Je suis allé la voir cet aprem. Elle m'a prise pour mon père. Mais il est mort quand j'étais gosse. Je sais pas, dit-il en regardant nos deux mains, ça m'a fait bizarre. Je lui ai fait croire que j'étais son fils, et elle était tellement heureuse. Elle me baratinait pour que je lui présente ma nouvelle copine. Ma daronne quoi.

Il posa à nouveau son regard sur l'immeuble face à nous.

- Tu penses qu'elle m'a oublié pour toujours?

J'avais les yeux qui piquaient. Putain de compassion.

- Pas dans son cœur Idriss. Elle t'oubliera jamais dans son cœur. Comme tu n'oubliera jamais l'amour que tu lui portes. Y'a que ça de vrai.

Il hocha la tête avant de resserrer son emprise sur ma main. On resta encore un moment sans bouger, à simplement écouter les bruits de notre ville.

- J'aimerai rester là pour toujours, soufflais-je. A l'écart de tout. Dans ma bulle.

- Et j'aurai une place dans ta bulle? demanda le kabyle.

- T'es là, répondis-je simplement.

- Mais pour combien de temps?

Je fronça les sourcils en le regardant.

- Combien de temps encore avant que tu me repousses Victoria?

Je me mordilla la joue, soudainement gênée. J'avais plus envie de le tenir éloigné, il me faisait du bien finalement. Je prenais même goût à nos échanges de regard silencieux. C'était une bonne personne. Et moi j'étais affreuse avec lui.

Affreuse parce que je pensais déjà a trouver un nouveau moyen de l'éloigner de la catastrophe que j'allais engendrer.

Et encore plus affreuse quand je me disais que je pouvais être égoïste, penser à moi, et rester avec lui. Ne pas le repousser, et le laisser rester avec moi. Quitte à ce que lui y perde des plumes.

J'étais horrible.

J'pouvais pas le sacrifier parce qu'il me faisait du bien. C'était pas un pansement que j'pouvais prendre et jeter à ma guise.

- Tu te vois ou dans 10 ans? demanda t-il soudainement.

Dans 10ans? Probablement morte ou entrain de doucement crever.

Mon mutisme fit réagir Idriss qui se décida à parler en premier.

- J'me vois bien avec des gosses, trois. Mais avant j'aurai fait le tour du monde. Et j'aurai donné tout ce que j'avais à donner au rap. Mes gars et moi on aurait fait toutes les salles de concert imaginable.

Jusqu'au bout avec ses frères.

- Tous nos marmots grandiraient ensemble. Comme dirait burb, mes gosses auraient une armée de tonton. Putain on les entraîneraient même dans mes mini rap contenders!

Je pouffa en l'entendant s'agiter sur son idée. C'était une belle perspective d'avenir. Et les connaissant, ce serait sûrement la réalité. Ils seraient tous souder jusqu'au bout.

- A ton tour, dit-il en tournant la tête vers moi.

- Je sais pas Idriss, j'y ai jamais pensé.

- Imagines. Fermes les yeux, et penses y. Ou est ce que tu aimerai être dans 10 ans?

Dans 10 ans? Au même endroit qu'en ce moment, avec la même personne, à imaginer nos futurs.

- Ici, répondis-je instantanément.

Merde. J'avais laissé sortir ça, comme ça. Sans y mettre une forme ou quoi que ce soit. Je l'avais juste laissé échapper.

Le regard soudainement plus vivant du rappeur me captiva. Ses putains de yeux étaient tellement expressif. Ils me disaient des milliers de choses, des milliers de choses auxquelles j'avais juste envie de répondre par une simple chose.

Une chose mauvaise. Un truc que je regretterai le lendemain. Un truc que j'assumerai pas.

J'avais cette sale impression que l'air s'était raréfié autour de nous, que le monde tanguait autour de nous. Mais pas négativement.

Non c'était pas une crise ou une connerie comme ça. C'était lui. C'était Idriss.

Il avait dans le regard un feu qui m'attirait. Un truc qui me donnait envie de me jeter dans le vide. De faire le saut de l'ange.

Nos visages s'étaient rapprochés, considérablement, sans même que je ne m'en rende compte. Je sentais son souffle contre moi et sa main contre ma taille. Et merde j'avais de plus en plus envie de le faire ce saut, les yeux fermés même. Parce que je savais qu'il serait là à la réception.

Il passa sa main libre dans mes cheveux, réduisant encore un peu la distance qui séparait nos lèvres.

Mes lèvres me piquaient, et j'avais juste envie de combler le petit espace qui me séparait de mon salut. Son souffle me chatouillait et ses yeux me brûlaient la rétine. C'était une douce torture, un truc qu'on pourrait prolonger éternellement, coincé entre la douleur et le bien-être.

- On devrait pas, soufflais-je le souffle court.

- Non on devrait pas, répondit-il en se rapprochant encore un peu.

- Je me mets jamais en couple, ajoutais-je.

- Moi non plus.

- Je sais pas ce qu'il me prend, gémis-je.

- Tant mieux, grogna t-il avant de réduire définitivement la distance.

Son baiser était quelque chose de doux et puissant. Un agréable mélange qui me faisait planer. Un truc hors du temps, qui nous emportait loin, très loin de tout, de Paris, de ma maladie, de sa tristesse, du ravagé qui en avait après Louna. Du monde entier.

Idriss se recula légèrement, avant de me faire passer sur lui, sans rompre le contact. Les mains posés contre sa nuque, je pressa un peu plus son visage contre le mien.

J'avais l'impression de respirer. De vraiment respirer. Un peu comme si j'avais passé tout ce temps en apnée sans le savoir.

Mes mains jouaient avec ses cheveux bouclés alors que les siennes étaient pressés contre ma taille. Le baiser s'était tellement intensifié que ma tête aurait pu en tourner.

C'était enivrant, revigorant. Déstabilisant.

J'avais jamais autant voulu être dans les bras de quelqu'un et en même temps en être aussi éloigné. Parce que je savais qu'en agissant comme ça, j'exposais le rappeur au débris de la bombe a retardement que j'étais.

Et rien que l'idée de risquer de le toucher me tiraillait le ventre.

J'avais envie de le presser contre moi, de l'embrasser jusqu'à en oublier ma propre existence.

A bout de souffle, il termina par s'éloigner de mes lèvres avant de poser son front contre le mien et d'afficher un petit sourire.

- Je t'avais dit qu'elles tombaient toutes.

Petit con.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top