21. Le conseil du S

Victoria Olsson

Victor Hugo a écrit « même la nuit la plus sombre prendra fin et le soleil se lèvera ». Et j'avais envie de donner raison à ce bon vieux Victor. J'avais cogité une grande partie de nuit, recroquevillée sur le canapé du kabyle, et une chose était apparu en force dans mon esprit. Qui que ce soit, quoi que ce soit, la personne qui avait saccagé l'appartement ne réussirait pas à m'atteindre. Pas plus.

Je serai plus forte que ça, plus forte que lui, et je finirai par le battre à son propre jeu.

La compétitivité avait toujours été l'un de mes plus grands traits, parfois ma plus grande qualité, mais souvent mon plus gros défaut. Je lâchais rien, j'étais toujours la dernière debout, et je comptais bien être la dernière présente sur l'échiquier. Quoi que cela coûte.

Je lâcherai rien.

Idriss débarqua dans le salon, les yeux à moitié fermés. Je mis fin à mon appel téléphonique et le regarda avec un petit sourire. Il avait vraiment une tête de bébé.

Il fronça les yeux en remarquant un sachet posé sur le plan de travail.

- Je savais pas trop si t'étais plutôt croissant ou pain au chocolat, je t'ai pris les deux du coup.

Il me remercia en s'installant face à moi. Il attrapa un pain au chocolat et se servit un café.

- J'ai eu Deen au téléphone. Là il est dans le sud mais quand il rentrera je décalerai chez lui.

- Tu me déranges pas, restes le temps que t'as besoin ici, répondit-il.

- Je veux pas te gaver avec mes histoires.

- Tu me gaves pas, c'est bon les galères on a tous connu ça, et si les gars avaient pas été là pour moi j'serai sûrement entre quatre planches, alors te prends pas la tête avec ça. T'es chez toi.

Je finis par hocher la tête après plusieurs secondes à se fixer. Putain c'était vraiment notre truc ça. Se fixer dans le blanc des yeux à attendre que l'un de nous cède.

- Tu vas te péter le dos sur ce vieux canap par contre.

- J'ai connu pire, dis-je en me relevant. Mais bon si t'es chaud pour tourner un jour sur deux, ajoutais-je en lui faisait un clin d'œil.

J'entendis un vague « crève » alors que je m'enfermais dans la salle de bain. Charmant ce mec, ça fait plaisir.

Je ressortis quelques minutes plus tard, habillée et maquillée. Idriss était avachi sur le canap' sa manette dans les mains, et archi concentré. Je crois que je l'avais même jamais vu aussi concentré sur quelque chose. Alala les priorités c'était pas encore ça.

- Bah qu'est ce tu fous? On est dimanche me dis pas tu taf?

- Non j'vais voir Louna chez Ken. Tu viens avec moi? J'crois que Ken a parlé de réunion de crise avec le S ou j'sais pas quoi.

- Il veut faire venir le S mais il prévient pas ce guignol, grogna t-il. J'finis ma partie et on décolle.

Je roula des yeux avant de me laisser tomber sur le canapé. Ça me faisait rire de le voir aussi concentré. Un petit pli se formait entre ses yeux à chaque contrariété et c'était adorable.

Dans le métro totalement bondé, le brun passa son bras autour de mes épaules avant de me tirer vers lui. Je leva la tête pour savoir à quoi il jouait, mais il avait déjà les yeux posés autre part. Je ne bougea pourtant pas. J'étais mieux collé à lui qu'à un inconnu. La tête posée contre son épaule, je regardais silencieusement les gens présents. Merde pourquoi tout le monde avait l'air si triste?

J'avais toujours détesté le métro. Bien sûr le fait d'être collé à des énergumènes totalement inconnu n'était pas quelques chose de plaisant, mais les regards gênés qui s'évitaient étaient encore pire.

C'était une putain de blague, un amas d'hypocrisie.

Merde j'étais vraiment trop grincheuse en ce moment. Je souffla de soulagement quand on sortit enfin de la rame. Idriss qui avait son habituelle casquette sur la tête me poussa légèrement pour que j'avance plus vite.

- Le mec avec une tête de schlag te matait comme si t'étais un bout de viande. Putain j'suis bien contente de pas être une go, y'a q'des crevards en chien dans les transports.

Je le regarda en haussant un sourcil, amusé par sa réplique.

- Genre t'es pas un crevard en chien? demandais-je en marchant à ses côtés.

- C'est les meufs qui viennent me chercher, répondit-il.

- Comme si ça te déplaisait, pouffais-je.

Un petit sourire éclaira son visage alors qu'il poussait la porte de l'appart de Ken, après qu'on ait grimpé les deux étages. Toujours pas d'ascenseur non.

A peine j'eus passé le pas de la porte que Louna me sauta dans les bras. Elle me serra contre elle avant de reculer de quelques centimètres.

- Putain je suis tellement désolée que tu sois tombée sur ça, on y est passé avec Ken et j'te jure il me semble que j'ai fermé la porte en partant hier matin. Je comprend pas.

Elle avait l'air secoué, et le regard de son petit copain derrière ne fit que le confirmer.

- Ça va, je suis sûr que c'est rien de grave, juste un pauvre con qui avait besoin de se défouler.

Louna me regarda cherchant à jauger si je pensais réellement ce que je disais. La mine déconfite qu'elle tira me fit comprendre que je n'était pas des plus crédibles.

- Ça va aller, lui dis-je, promis.

Elle hocha la tête et alla se caler dans les bras de Ken qui embrassa le sommet de son crâne.

Théo et Hakim étaient assis, Idriss les avaient rejoint et les trois me fixaient silencieusement. Ok l'heure du conseil du S a sonné.

Lou me fit un signe de la tête et je m'installa a même le sol, le dos contre le mur.

- Raconte ce qui s'est passé, demanda Ken.

Je leur raconta alors mon retour à l'appart dans la soirée, la porte ouverte sans réelle forme d'effraction, l'état des meubles, mon coup de flippe, Hakim qui avait appelé les flics, et mon départ précipité chez le cadet des kabyles.

Mekra leur montra les photos avant de s'enfoncer dans le canapé. Louna frémit à la vue de son appartement ravagé.

- T'es sûr que t'as pas oublié de fermer la porte? demanda Théo à la blonde.

- Je fais toujours gaffe. Ça me semble tellement improbable.

- Ok bon, première chose à faire c'est de faire changer les serrures. Qui a un double des clés? demanda Hakim.

- Bah moi, Vic, et c'est tout. J'ai récupéré les autres exemplaires.

- Qui les avaient? demanda Ken.

- Mes parents et...

Le regard de Louna croisa le mien, et je vis qu'elle avait compris. Ça y est, elle aussi l'évidence venait de la frapper.

- Non c'est pas possible. Ça peut pas être lui. En plus on a changé les serrures.

- On devrait peut être faire attention.

- C'est pas possible, répondit-elle catégorique.

Elle dévia le sujet sous le regard perplexe des garçons. Je souffla en me relevant. Je le savais, elle nierai toute possibilité de cette éventualité. Elle était pas prête à faire face à cette réalité là. Celle où nos démons reviendraient nous hanter.

Je rejoignis la cuisine pour me servir un verre d'eau. Putain je savais pas si je devais lui mettre dans la gueule la réalité ou l'esquivait comme elle avait décidé de le faire.

- C'était quoi cette histoire?

Je sursauta en entendant la voix d'Idriss. Il se tenait derrière moi, appuyé contre le plan de travail.

- Rien, répondis-je. C'est rien.

- Arrête de mentir Victoria, souffla t-il. Arrête de jouer à la plus conne avec moi, tu sais très bien comment ça va finir.

Je souffla en inclinant ma tête sur le côté. Ce qu'il pouvait être agaçant.

- C'est probablement rien, mais au cas où j'ai quelques trucs à vérifier avant de lâcher la bombe, soufflais-je.

Il fronça les sourcils. Il fit un pas vers moi et instantanément je me pressa contre le mur derrière moi.

- S'il te plaît Idriss, me force pas à t'en parler maintenant, murmurais-je. C'est une histoire entre Lou et moi.

- J'veux juste t'aider.

- Et moi j'te dis que je me débrouille.

Son visage se referma instantanément. Et merde.

- Écoute, soufflais-je en faisait un pas vers lui. J'apprécie que les gars et toi soyez présent, mais c'est probablement rien, alors pas besoin d'en faire une montagne et se faire des noeuds au cerveau tant qu'on a aucune preuve de quoique ce soit.

Il me fixait, le visage toujours aussi impassible.

- Je jouerai pas à la super héroïne si c'est ça qui t'inquiètes, ajoutais-je avec un petit sourire.

- Justement c'est ça qui me fait chier. Je te vois Victoria, peut être que les autre se laissent berner par ton petit numéro mais moi je te vois. Et j'ai beau seulement te connaître depuis 4 mois, j'ai très bien capté que tu demanderais pas d'aide. Que tu laisserais les gens te descendre pour protéger ta reuss. Que tu prendrais pour elle. Mais scoop minus, tu peux pas vivre pour les autres. Et tu peux pas non plus tout endurer et tout contrôler seule. Alors ouais crois moi j'vais me faire des noeuds au cerveau tant que je saurai pas ce qui se passe là, lâcha t-il en pointant ma tempe.

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