18. Nos insomnies

Idriss Akrour

Assis au milieux de cette plage vide avec les gros, j'me remettais à peine du numéro que venait de nous faire Doums. Il avait absolument voulu qu'on se pose dans un coin paumé, on s'était tapé des kilomètres à grimper partout pour trouver le bon endroit, en se trainant les packs de bières, les grecs et Victoria.

Ouais elle aussi elle était là. Et je crois que c'est celle qui avait le plus miséréré. Mais bon vu l'état de ses genoux c'était compréhensible. C'était d'ailleurs étonnant qu'elle n'est pas râlé plus que ça.

Je lui aurai bien proposé de la porter, histoire de la faire chier et de lui foutre la honte devant les gars, mais Moh l'avait fait avant moi et il avait récolté un, je cite « ferme ta gueule et marches ». Pourtant je pense que lui était de bonne foi.

Je m'étais abstenu après ça.

On avait fini par se poser dans une petite crique, et j'l'avais pas avoué, mais Doums avait eu raison de casser les couilles. C'était un beau coin.

La rouquine avait directement décidé d'aller tremper ses pieds dans l'eau, accompagnée d'Ivan et Deen. On les entendait de là, et le rire de Victoria avait un truc de vibrant. Elle était casse couille, y'avait pas de doute sur ça, mais elle avait un beau rire, un rire qui vous donnez envie de sourire à votre tour. Putain merde j'étais en train de sourire là ?

Mais qu'est ce qu'elle était insupportable. Elle avait ce truc qui m'irritait, elle m'énervait avec ses cheveux roux et son aptitude à s'implanter dans le groupe. A croire que tous mes khos étaient tombés sous son charme.

Argumentation nul, je le concède. Mais cette fille m'irritait. Et j'arrivais pas réellement à l'expliquer.

- La fixe pas comme ça, grogna mon frère. On dirait que tu vas l'égorger.

Si il y en avait un qui n'étais pas tombé sous le charme de la rouquine et de ses grands airs c'était bien Hakim. Je crois que je l'avais même jamais vu lui adresser la parole. Il la calculait juste pas. Et ça n'avait rien d'étonnant.

C'était du Hakim.

Il n'avait pour autant jamais lâché une remarque cinglante ou un truc vicieux dont il avait le secret. Il tolérait sa présence.

- Elle rit trop fort.

Il haussa les épaules. Quoi? Sérieux? Il était ok avec le fait que la rouquine nous suive partout?

Mon frère n'eut pas le temps d'en placer une que l'insupportable rousse s'était installée à côté d'Alpha.

- L'eau est grave bonne! Ça m'donne trop envie de me baigner sérieux.

- Une vague et tu disparais vu ton gabarit, la charria Doums.

- T'es vraiment un enfoiré, râla t-elle en croisant les bras sur sa poitrine.

Les deux se lancèrent dans un duel de regard jusqu'à ce que Victoria explose de rire. Putain, ça lui arrivait d'arrêter de rire à cette go? Elle pouvait pas pleurer pour voir un peu?

Hakim m'éclata une côte en me donnant un coup de coude. Je le regarda en écarquillant les yeux.

- T'as l'air d'un psychopathe. Tu fais tiep.

Elle était insupportable aussi. Et elle riait beaucoup trop. Et ça me donnait envie de sourire comme un con. Et j'kiffais pas du tout cette idée.

Putain elle m'énervait.

Moh lui tendit une bière qu'elle regarda plusieurs secondes, semblant juger le pour et le contre, avant de la saisir et d'en boire une gorgée.

Putain fallait que j'arrête de la fixer comme ça.

Je détourna mon attention vers Doums et mon frère. Mais j'arrivais pas à rester concentré sur leur conversation, à chaque fois mon attention déviait vers la rouquine entrain de raconter à Sneazzy ce qu'elle avait fait les trois dernières semaines, pendant notre absence.

Ainsi j'appris qu'elle avait trouvé un job dans un resto, et qu'elle comptait mettre de côté pour trouver un appart, rapidement. Et aussi qu'elle avait loupé son année. Mais ça je l'avais déjà appris plus tôt, Louna s'était lamentée pendant des jours, répétant à peu près 20 fois par heures qu'elle comprenait pas comment ça avait pu arriver. Elle avait même envisagé d'aller faire la peau aux examinateurs. Et Moh ce canard s'était chauffé comme un abruti.

Putain fallait vraiment que j'arrête de la mater comme ça. J'allais finir à Sainte Anne à la fixer comme un psychopathe. Mais merde, même avec les cheveux humides, pas un brin de maquillage, et des cernes, elle avait une putain d'aura hypnotisante. Le genre de truc qui accrochait votre rétine et vous lâchait plus jamais.

- Elle s'endort la tipeu.

Deen venait de couper mes profondes réflexions. Victoria avait la tête sur son épaule et les eux mi clos, apparement entrain de lutter pour ne pas sombrer dans les bras de Morphée. J'me disais que c'était bien calme tient. Tout s'explique.

- Lève toi Vicky, on va rentrer à l'hôtel.

La rousse hocha la tête, un peu dans le coltar, avant de se relever légèrement chancelante en s'appuyant sur Deen.

Elle ne rouspéta même pas quand Deen lui fit prendre l'ascenseur, preuve suprême qu'elle était vraiment fatiguée. Par précaution j'avais quand même pris les escaliers. Pas question de rester coincer entre elle et Deen.

Le temps que je prenne une douche, mon frère s'était déjà endormi comme une grosse masse. Je m'installa sur mon lit, les bras repliés derrière la tête. J'avais aucune envie de dormir. J'avais mille trucs dans la tête, et la perspective de réussir à m'endormir me semblait plus que lointaine.

Après deux heures à cogiter sans fermer un œil,  j'm'étais levé. J'arriverai pas à dormir. Ça m'arrivait de plus en plus souvent, et ces putains d'insomnies me niquaient le moral. J'étais une larve toute là journée après ça.

Je chopa mon carnet, un crayon, et descendit à la piscine. Le panneau sur la devanture indiquait qu'elle fermait à 20h. Oh qu'ils aillent se faire foutre avec leurs horaires à la con. Je sauta le petit portail et m'installa les pieds dans l'eau.

Inspiré, je commença à gratter mes lignes. Et rapidement la page blanche se noircit de lettre et de rature. Je le savais, j'avais toujours été plus productif la nuit. A croire qu'elle m'inspirait des airs.

- Laisses moi deviner, Hakim ronfle.

Je sursauta en apercevant Victoria debout à la droite. Elle portait un long sweat qui devait sûrement cacher un short. Les cheveux posés sur son épaules, elle me regardait avec un petit sourire.

- Insomnie, répondis-je.

Elle hocha la tête en regardant autour d'elle.

- Ça craint pas d'être ici maintenant?

- Dis la meuf qui entre par effraction dans des parcs.

Elle haussa les épaules et s'installa à côté de moi, laissant ses jambes divaguer dans l'eau froide.

- Je te dérange?

Au point où j'en étais. Je secoua négativement la tête en posant mon cahier derrière moi.

- Je... Hum. Je voulais m'excuser. Tu sais pour ce que je t'ai balancé. Le soir du showcase.

Elle avait fait glisser sa capuche sur sa tête et jouait maladroitement avec ses doigts en se mordillant les lèvres.

Je ne l'interrompis pas, conscient que les excuses que j'attendais depuis plusieurs semaines étaient sur le point de m'être servie par la petite rouquine.

- J'aurai pas du réagir comme ça, et être aussi virulente. Je sais pas ce qu'il m'a prit. Et j'pourrai pas non plus te donner d'explication sur le pourquoi du comment, c'était peut être le joint que j'ai fumé à l'entrée, ou la chaleur, ou je ne sais qu'elle autre connerie. Mais je suis désolée, t'as été bienveillant et moi j't'ai envoyé boulet comme un clebs alors que ça faisait des années que personne n'avait prit soin de moi comme tu l'as fais.

Elle s'arrêta quelques secondes, tirant maladroitement sur ses doigts.

- Tu vois, j'ai toujours été celle qui prenait soin des autres. Je... Il y a quelques années, Louna a eu une galère, une vrai galère. Elle était avec un sale type. Un vrai sale type. Il lui arrivait de lui foutre sur la gueule. Elle en avait peur. Et putain je me suis battue becs et ongles pour qu'elle aille déposer plainte. Elle habitait avec lui à ce moment là. Et un jour, après l'avoir retrouvée avec un œil au beurre noire, j'l'ai forcé à faire ses affaires.

Ses doigts tremblaient légèrement, et j'entendais dans sa voix de sale trémolo qui me piquait la gorge. Putain, pourquoi j'avais voulu qu'elle pleure? C'était bien pire que de l'entendre rire a tue-tête.

- Le plan c'était qu'on se tire quelques temps, n'importe où hors de Paris, le temps que cet enculé se fasse choper par la justice. Je me souviens, j'avais déjà pris nos billets de train pour Marseille. Mais quand j'ai voulu sortir de l'appart, il était devant la porte.

Pourquoi j'avais carrément peur de ce qui allait suivre?

- J'ai poussé Louna à l'intérieur et j'ai fermé à clé la porte. Elle en avait déjà assez bavé, et j'm'étais promis que jamais ce sale type reposerait ses mains sur elle. Mais il était pas d'accord. Et il..

Elle souffla avant de relever le visage vers moi pour la première fois. Et je vis dans ses yeux, ce que je n'avais jamais encore aperçu. Un mélange de peur, de tristesse, et peut être même de haine. Merde, j'avais envie de lui choper la main, de lui dire que maintenant ça allait. Que j'étais là.

Mais ça rimait à quoi? On se détestait un jour sur deux.

- Je me souviens pas de ce qu'il s'est passé. Je me suis juste retrouvée dans un lit d'hosto. Louna m'a dit qu'elle avait appelé les flics, et que c'était un voisin qui avait retenu Jonathan. J'aurai sûrement pris beaucoup plus chère.

- Dis moi que ce chien de la casse est entrain de crever en taule, grognais-je.

Elle hocha positivement la tête. Ses yeux bleus ressortaient mille fois plus, maintenant qu'ils étaient gorgés de larmes. Et ses lèvres tremblotantes était un appel à la rescousse.

- Je veux pas de ta pitié, c'est pas moi qui ai vécu l'enfer dans cette histoire, c'est Louna. Mais je voulais que tu comprennes a quel point je te suis reconnaissante de m'avoir aidé ce soir là. J'aurai pu tomber sur n'importe qui, et j'ai assez vécu pour savoir qu'il y'a beaucoup de sombre con.

Jamais je n'aurai pensé que derrière son éternel sourire se trouverait de tels cicatrices. Et c'est à ce moment là que je me rendis compte qu'au final, elle et moi, on était pas si différent. On ferait tout pour les nôtres. Et petit à petit, elle devenait des miens.

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