Une belle certitude (AU sans Tuerie)
Rappelez-moi comment je me suis fourrée dans cette situation déjà.
On est dimanche. J'ai enfin du repos et c'est Haruko qui se charge de ma compta et de mon administration. Je pourrais basiquement l'employer à n'importe quoi. Dormir. Jouer à des jeux vidéo. Lire un peu. Profiter de la compagnie de Sora ou de Wen Xiang.
Et au lieu de ça je me retrouve avec quoi ? Un Romancier en mal d'amour qui sanglote sur mes genoux depuis deux heures parce qu'il s'est pris un méchant vent.
Bon. Je suis sans doute un peu méchante. Je n'aime pas imaginer ce que ça fait, la dépendance affective, et je sais qu'Emerens a du mal à l'encaisser. En plus, ce n'est pas le vent qui le met mal, si j'ai bien compris, mais ses implications. Ce que je peux comprendre.
On va se faire un rappel de la situation depuis le début, ce sera mieux. J'ai la monumentale malchance de connaître très bien à la fois Emerens van Heel et Senri Kizoku. Donc forcément, quand il y a des doutes entre ces deux-là, c'est moi qui dois faire thérapie. Jusqu'ici, j'en avais pas trop eu besoin, en tout cas pas depuis nos premières années de scolarité, ce qui m'avait plus ou moins réjouie.
Sauf que là, maintenant, y'a de l'eau dans le gaz, si je puis m'exprimer ainsi. Ou plutôt du gay dans l'amitié. Ce qui en soit n'est pas très surprenant de la part d'Emerens.
Et cette réaction chimique a provoqué un énorme malentendu pas forcément très agréable.
Pour résumer ? Emerens est très gay, ne sait pas à quel point, a tenté de se mettre les idées en place, s'y est pris comme un manche et maintenant vide mon paquet de mouchoirs parce que Senri a légitimement eu du mal à l'avaler. Et moi, puisque c'est à moi qu'il est venu demander conseil, je me retrouve à faire consolation express.
Très sincèrement, je ne sais pas ce que j'en pense. Peut-être qu'une relation queerplatonique ferait du bien à Senri, un peu, lui que j'ai toujours vu seul ou avec des relations qui ne tenaient jamais très longtemps, ou pour lesquelles il ne faisait jamais beaucoup d'effort. Mais je trouve que ce genre de situation est très confuse et peut-être pas ce qui lui ferait du bien.
Et derrière, Emerens a qu'à se satisfaire de ce qu'il a, nom des esprits.
Plutôt que de chialer sur mon épaule comme un abruti.
Fin quand je dis chialer, c'est limite. Certes, il s'est lâché pendant les dix premières minutes sous le coup du stress, mais maintenant il veut juste plus me lâcher. Avec force reniflements.
Je soupire et lui tapote la tête distraitement.
« Allons. C'est pas la fin du monde, quand même, si ? En plus, tu n'as aucune idée de comment ça va finir.
— Excuse moi de flipper, grommelle Emerens un peu larmoyant. C'est pas toi qui t'inquiète toujours de voir les gens te laisser derrière. »
Bah bien sûr. Je ne prétends pas comprendre ce que tu as vécu, mais quand même, moi aussi, j'ai perdu des gens, espèce d'idiot.
« Emerens, je réponds, le plus calmement possible. Il a juste dit qu'il avait besoin de temps pour en discuter. Certes, le ton de ses messages était un peu froid, mais c'est Senri, tu le connais. Et en plus, c'est par messages, c'est dur de vraiment identifier l'état d'esprit de quelqu'un par messages. »
Il marmonne un truc probablement en français, mais ne répond rien d'autre. J'en profite pour le caler un poil plus confortablement sur mes genoux. Eh, mine de rien, il est lourd, l'animal.
Mon téléphone vibre dans ma poche pile au moment où il se laisse aller contre mon cou. Je devrais sans doute pas le sortir, mais là j'ai comme qui dirait l'impression que ça va m'être utile. En plus, il a pas l'air de trop m'écouter, actuellement. Il est plus en train de profiter du câlin qu'autre chose, et moi, je ne sais pas comment le rassurer davantage.
J'allume l'écran. Et on dirait que mon intuition était bonne, comme par hasard, c'est Senri. Qui a pas l'air de juste vouloir me dire bonjour.
J'ai un léger sourire avant de cliquer sur la notification.
Salut, Reina. Désolé de te déranger, mais j'aurai peut-être besoin de ton avis sur quelque chose ?
Qu'est-ce que je disais, double thérapie. Celle-là, c'est Louna qui va pas en revenir. Elle leur colle aux basques depuis bien quelques temps maintenant, depuis notre dernière grosse soirée avec quelques profs et beaucoup d'élèves. Ça fait pas mal de temps qu'elle exige absolument tous les ragots possibles sur le potentiel squish de son petit ami. Ou fiancé, peut-être ? Je ne sais pas trop. C'est compliqué, les termes, en relations polyamoureuses dans un monde de monoA.
Je pianote une réponse du bout du pouce en essayant de ne pas me faire surprendre par Emerens. C'est pas très correct, ça.
Dis toujours ?
Assez compliqué. Tu connais bien Emerens, pas vrai ?
Je soupire. Mieux que ce que j'aurais voulu.
« Il se passe quoi là, râle justement l'Emerens en question en relevant la tête de mon cou. Tu te moques de moi ?
— Mais non, je réplique en levant les yeux au ciel. Je me disais juste que je ne vois pas comment t'aider davantage sans avoir la réponse de Senri. C'est compliqué, si tu es dans l'incertitude. »
Il bougonne, mais ne répond rien. Ce qui me laisse tout le loisir de répondre audit Senri.
Oui, pas mal. Tu as besoin de quelque chose le concernant ?
La réponse ne se fait pas attendre.
Plus ou moins. Je t'épargne toute l'histoire, mais disons qu'il s'est passé quelque chose hier qui me fait douter de pas mal de trucs sur notre relation, et je sais pas trop comment gérer ça. Alors si t'as des conseils pour moi, je prends.
Je hausse un sourcil. Il n'a pas pensé qu'Emerens aurait pu venir m'en parler pour la même raison que lui, tiens ? Enfin, j'imagine que ce n'est pas bien grave. Et le message en lui-même ne me dit rien de bon pour notre pauvre pleureuse professionnelle encore en train de renifler.
Je peux pas t'aider si tu n'es pas plus spécifique, Senri. Te conseiller comment ?
Je sais pas trop. C'est un truc qu'on doit réfléchir tous les deux, mais je sais pas quelle situation serait la plus adaptée pour en parler. Et pour y réfléchir correctement, aussi. Du coup je me demande ce qu'il prendrait le mieux, comme proposition.
Je grimace. C'est super vague, ça, ça ne m'aide pas, mais je vois quand même se dessiner une partie de la photo. Mais juste pour être sûre...
.... Une réflexion en termes de relation, une proposition, à réfléchir tous les deux ?
Senri Kizoku.
Tu n'es pas en train de me dire, j'espère, que tu es amoureux d'Emerens van Heel.
Parce que ça, ça risque de poser problème, tiens. Je veux dire, entre Raraka qui lui rendra jamais rien et maintenant le crush sur l'aro... Pauvre Senri, si c'est le cas, j'aimerais pas être à sa place.
La réponse ne se fait pas attendre, d'ailleurs.
Ouh, là, non.
Ouf. Les esprits merci.
Mais je peux pas nier qu'il y a quelque chose, même si je sais pas encore quoi exactement.
Justement, j'aimerais bien mettre les choses au clair dans ma tête avant que lui le fasse, si tu vois ce que je veux dire.
Hm. Ouais, je crois que je vois. Et ça me rassure un peu. Même si des sentiments quels qu'ils soient ne sont pas forcément plus faciles à gérer.
Donc, si je comprends bien, on a un écrivain paumé en pleine gay panic qui ne sait pas jusqu'à quel point il veut la pousser, et de l'autre un trésorier tout autant paumé qui se sort à peine d'un amour non rendu de plusieurs années tout ça pour potentiellement avoir un truc pour un de ses amis les plus proches. Et quand je dis « se sortir », c'est optimiste. On abandonne pas comme ça un amour aussi long.
Pas le temps d'écrire quoi que ce soit pour essayer de clarifier la situation. Les messages continuent à arriver, d'ailleurs.
Mais du coup, on doit en parler aujourd'hui, et je ne sais pas trop quoi conclure. Je dois réfléchir, ça c'est clair, mais comment lui présenter ça pour qu'il le prenne au mieux ? Tu crois que ce serait une bonne idée qu'on prenne de la distance le temps qu'on comprenne ce qu'il se passe ?
... Oh oh.
Bon, ça explique pourquoi il n'a toujours pas appelé Emerens alors qu'on est assez tard le soir. Il essaye au minimum de faire les choses bien, de réfléchir ses actions. Mais là en l'occurrence, que ce soit la première idée qui lui soit venue en tête m'affole un peu.
Je grimace, et resserre ma prise sur le dos d'Emerens. Ce dernier geint, mais je préfère ne pas répliquer.
... Je suis pas certaine que ce soit une bonne idée, la distance.
Pourquoi ? Vraie question. C'est souvent un conseil que tu donnes, pourtant.
Certes. C'est un conseil qui se vaut dans beaucoup de situations.
Mais considérant que j'ai sur les genoux un certain Romancier Ultime en train de pleurer toutes les larmes de son corps parce que l'idée de perdre un de ses meilleurs amis le fait mourir de stress, je ne pense pas que ce soit le plus adapté.
Désolé pour la dénonciation, Emerens, c'est pour ton bien, crois-moi. En plus, tu ne t'en es même pas rendu compte, vu que comme je l'ai si bien signalé, tu pleures toujours un peu.
Je le laisse caler son menton dans le creux de mon épaule avant de reprendre ma conversation téléphonique.
.... Ah.
N'est-ce pas. Pas très adapté, la distance.
Il va falloir que tu trouves autre chose, sinon tu t'exposes juste à ce qu'il accepte n'importe quoi juste pour pouvoir rester ton ami. Connaissant Emerens, ça risque de mal finir.
Je soupire. Pourquoi c'est si compliqué de gérer ça. Ça pourrait être juste, je ne sais pas, deux amis normaux qui se tournent autour dans une volonté sincère d'expérimenter, d'essayer d'aller plus loin.
Mais non, ces deux abrutis sont dépressifs, j'en ai un dépendant affectif et terriblement inquiet à l'idée qu'on l'abandonne et l'autre a déjà un énorme bagage émotionnel qui rend n'importe quelle relation un tant soit peu plus proche que la moyenne infiniment compliquée. Seigneurs esprits, le nombre de ses exs que j'ai vu passer...
Profond soupir. Depuis combien de temps je les connais, ces deux-là ? Depuis qu'un abruti blond est venu me faire du charme pendant une soirée où ma meilleure amie m'a traînée de force et n'a plus voulu me lâcher en sentant le bagage émotionnel ? Depuis que l'enfant que j'étais rêvait sans pouvoir l'atteindre d'un petit sourire triste et d'une chute de flûtes de champagne entre deux cours de biologie et soirées de gala où je n'avais pas ma place ?
Depuis que j'ai rassemblé mon courage pour enfin sortir de la carapace de mon deuil ?
En tout cas, j'en suis à un stade ou je ne compte plus les années.
Je resserre mon étreinte sur Emerens. Ce dernier grogne.
« Y'a quoi encore...
— Rien, rien. Je me disais juste que tu devrais peut-être essayer de te passer de l'eau sur le visage. Senri ne va pas tarder à t'appeler. Me dis pas que tu veux lui montrer ta sale gueule.
— Je te permets pas, il bougonne. Elle est très bien, ma gueule. En plus, il est plus de dix-huit heures, depuis le temps, il devrait déjà m'avoir appelé...
— Emerens, tu chiales comme une fontaine, je suis presque sûre que t'as les yeux gonflés. Va te calmer. Vraiment, ça aidera pas beaucoup ton cas s'il te FaceTime alors que tu pleures. Parce qu'il va te FaceTime dans les plus brefs délais, crois-moi, je vais m'en assurer. »
J'imagine parfaitement son petit roulement des yeux alors qu'il se détache de moi, mais il ne proteste pas. Je cache mon téléphone, loupant le message suivant de Senri, mais visiblement c'était une précaution de trop, vu qu'il ne le regarde même pas.
Et comme je le pensais, il a les yeux rouges et les paupières enflées, et ses joues sont tout irritées. Le pauvre, ça me fait vraiment de la peine de le voir dans cet état-là.
Je fais la moue.
« Allez, file, mécréant. Crois-moi, tu en as besoin.
— Hmm hmm. J'ai compris. Mais s'il m'appelle pas ce soir, tu vas entendre parler de moi. »
Je pouffe. Emerens ne sait pas faire des menaces très crédibles quand il ressort d'un câlin et d'une bonne séance de larmes, surtout quand son ton est aussi larmoyant. Et visiblement, mon expression amusée lui arrache un petit sourire.
« ... Merci, Reina. Vraiment.
— Va falloir plus qu'un merci pour mon après-midi sacrifiée, van Heel, je rigole, un peu railleuse. Mais je le prends, en attendant mieux... »
Il lève les yeux au ciel de nouveau avant de se carapater dans la salle de bain, sans doute, sans perdre de temps.
Et moi, je reprends mon téléphone.
J'imagine que je devrais voir ça avec lui. J'ai aussi peu envie que lui de perdre un ami.
Je souris.
Ça, au moins, c'est une belle certitude.
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