Rétrospective, partie 2 (AU sans Tuerie)
« Rappelez-moi ce que je fous là déjà ? »
La question est intéressante et mérite d'être répondue. Parce que moi, je me souviens pas avoir exprimé le plus profond désir de me retrouver dans une petite chambre avec six camarades d'internat. Même pour les vacances de février, alors qu'on a tous passé nos partiels. On est serrés, y'a pas assez de lits pour tout le monde, et en plus on va faire quoi ? S'ennuyer en attendant que nos trains partent ? En plus, ils ne partent que demain, pour la plupart...
Emerens me fait encore sa moue. Ah ça y est, je sais ce que je fais là.
« Fais pas la tête, Thibault, s'te plaît ! C'est pour fêter les vacances ; En plus, Elijah veut pas venir, alors me laisse pas tout seul...
— Elijah, il bosse, pouffe Sven, un de nos camarades de galère. Je comprends pas comment il fait, ce mec. On a même pas eu les devoirs à faire pendant les vacances !
— Un de ces quatre, il va faire un gros burn-out, renchérit Elaina. Et nous, on aimerait bien éviter ça. Alors on fait quoi comme jeu ? Un pouilleux ? Un président ? Un action-ou-vérité ? »
Je lève les yeux au ciel. Pas un action-ou-vérité, s'il vous plaît. J'ai pas envie. Et puis même si on se connaît tous un peu de la même classe ou de l'internat, ça reste des gens à qui je parle que de cours et de projets à rendre, donc, euh, passer direct sur les secrets...
« On a qu'à faire un pouilleux, intervient Sven. Et puis après, on fera un jeu de la bouteille ! »
... J'ai rien dit, ça c'est pire. J'ai rien contre les bisous, mais si on se met à se bisouiller sur la bouche... Et Emerens il est content en plus, je le vois à son sourire. Meh. J'me demande qui il veut embrasser. Elaina ? C'est vrai qu'elle est jolie, même si St-Cyr et la transition doivent pas aider à ce qu'elle s'en rende compte... Ou alors c'est Viviane. La seule fille de l'internat des filles à avoir eu assez de courage pour se pointer clandestinement chez les garçons, même le soir des vacances de février.
Je vois pas qui ça pourrait être d'autre. Maman m'a dit qu'être hétéro c'était pas tout le monde, mais franchement je sais pas pour lui. Il a tellement pas l'air... Je sais pas. Je sais même pas à quoi je pense, tiens.
« Va pour le pouilleux, je grogne. Et le jeu de la bouteille, on en reparlera plus tard.
— Peur de rouler des pelles aux filles ? » Ricane Viviane.
Je lui tire la langue. C'est pas parce qu'elle a douze ans qu'elle peut se croire tout permis d'abord !
« Eh là, du calme, intervient Sven. Il a le droit de pas avoir envie, et pis on a que onze et douze ans, du calme Vivi ! De toute façon, j'ai pas envie de faire des gros bisous direct non plus. On s'inventera des règles. »
Je préfère ça. Emerens attrape un paquet de cartes, et le mélange avec soin avant d'en retirer une, et tendre le paquet à Jordan, qui distribue. Nous ne tardons pas à nous constituer des paires. J'en ai pas beaucoup, mais pour un pouilleux à sept, c'est déjà pas mal. Je crois que le max pour l'instant, c'est Lucius avec ses deux paires.
Le jeu continue sans trop de problèmes, même si je ne peux pas m'empêcher de jeter des regards en coin à Emerens pendant qu'il prend des cartes à Viviane. Viviane qui lui fait les yeux doux, d'ailleurs. Je l'aime bien, d'habitude, mais là elle m'agace. Et lui aussi, il m'agace, d'abord. C'est pas compliqué de me dire s'il voulait embrasser quelqu'un ? Je pensais qu'on s'entendait bien ?
J'crois je suis de mauvaise humeur, maintenant. D'ailleurs, Elaina me le fait très vite remarquer d'un haussement de sourcils. Je me contente de lever les yeux au ciel. Pas ses affaires.
« Enfin ! S'exclame Sven en balançant ses dernières cartes au milieu. J'ai gagné ! »
Je grogne. C'est pas pour ça que la partie s'arrête, mais il me restait plus qu'une carte à refiler, si Sven n'avait pas eu sa paire et l'occasion de refiler son pouilleux, c'aurait été moi, c'est sûr... Elaina, de qui il a récupéré la carte gagnante, lève les yeux au ciel, avant de prendre ma dernière. Elle jette à son tour une paire au sol. Il ne lui en reste plus qu'une, elle aussi. Je m'éloigne du jeu pour choper ma bouteille d'eau, soudain pris d'une certaine soif.
Emerens finit par déposer, à son tour, une dernière paire sur la pile, avant de me rejoindre sur le lit, laissant Lucius et Viviane en pleine bataille de pouilleux. Sven, Elaina, Jordan et moi sommes déjà assis sur les lits. Je crois qu'on est dans la chambre de Sven et d'Elaina ? Pas fait gaffe. Je sais juste qu'on est pas dans la nôtre, vu qu'Elijah y est. Logique.
'Fin bref. Du coup on est à côté, et moi j'aimerais bien en profiter un peu. D'ailleurs, il a appuyé sa tête sur mon épaule. C'est tout mimi comme il est câlin, mais j'crois qu'à Saint-Cyr on l'est tous un peu, ou alors on a horreur de ça, y'a pas de juste milieu... Surtout quand les câlins, c'est clandestin. Se faire choper par les profs, ça peut te valoir une retenue pour « affection publique mal placée ».
Le jeu finit par se terminer sur une défaite de Lucius. Ce dernier pousse un cri de colère avant de jeter son pouilleux, le trois de trèfle, sur le tas de cartes. C'est le moment que choisit Sven pour me montrer du doigt.
« Eh, regardez ! Thibault vient de finir sa bouteille ! Donc on peut s'en servir ? On joue, allez !
— Sven, j'vais finir par croire que t'as un crush sur un des mecs, pouffe Jordan. C'est vrai quoi, on t'a jamais vu montrer de l'intérêt pour Elaina et Viviane, mais t'insistes vachement !
— C'est ça, ricane Sven, j'ai un énorme crush sur Emerens. Qui ne crushe pas sur Emerens ? Regardez, même Viviane elle lui fait de l'œil, et Viviane est vachement refermée là-dessus ! »
Le concerné sursaute, tandis que Viviane se contente de hausser les épaules.
« Bosser ici ça permet pas vraiment de développer des relations, tu sais Svenou. »
Emerens rigole.
« Eh, elle a pas tort. Bon, on joue ? Faut décider des règles ! »
Je déglutis, de manière le plus discrètement possible. Je préfère prévenir, du moins mentalement parce que je suis un constipé de la bouche qui arrive pas trop à parler, que si c'est direct le bisou sur la bouche moi je joue pas. Heureusement, Emerens se prend aussi peu de remarques en disant ça que Sven en plaisantant sur sa potentielle homosexualité. Les gens ont l'air même plutôt soulagés d'entendre qu'il y aura des règles.
« Comme règles, intervient Elaina, je propose qu'au premier arrêt de la bouteille sur nous ce soit le bisou sur la main, au troisième c'est le bisou sur le front, le cinquième c'est le bisou sur la joue, et le septième c'est celui sur la bouche ! Dès qu'on arrive au septième, refuser donne plus aucun malus, mais avant c'est obligé, parce que c'est un jeu quand même hein... Et si tu prends un malus ton arrêt il est pas compté ! Le but c'est d'avoir le moins de malus possible quand tout le monde arrive à sept, et...
— Oh là, doucement, Elaina, pouffe Jordan. Tu vas trop vite, je comprends pas ton anglais. Et puis va falloir qu'on note tout ça, hein, si tu veux faire un système à points !
— On a qu'à prendre une feuille de brouillon de nos cours, propose Emerens. Quitte à faire des maths, autant le faire avec les maths. »
Motion approuvée à l'unanimité. Les règles d'Elaina suivent, même si je suis bien rassuré qu'elle s'arrête au bisou sur la bouche. J'ai pas spécialement envie de le faire avec tout le monde. Enfin y'en a je refuserais pas, comme Elaina, elle est gentille, ou Sven, je suis sûr qu'il s'en servira pas pour me faire chier après, ou...
Je secoue la tête. Ne pas rougir, ne pas rougir, ne pas rougir. Pas le moment. Mais j'ai chaud d'un coup. Ils ont coupé la clim ou quoi ?
Enfin. Comme c'est moi qui aie la bouteille, je la fais tourner en premier, et elle tombe sur Viviane. Cette dernière me fait un clin d'œil, avant de tendre sa main. Je lève les yeux au ciel.
« Je remercie Madame de bien vouloir se donner cette peine...
— Fais pas le pète-sec, Thibs, rigole Sven. Je sais qu'on est à Saint-Cyr, mais quand même. »
Je fais le pète-sec si je veux d'abord. Je fais claquer un bisou rapide sur la main de Viviane, qui glousse et prend la bouteille. Elle tourne et tombe sur Sven. S'ensuivent une incroyable pièce de théâtre digne du Bourgeois gentilhomme que je n'ai aucune envie de décrire plus en détail. C'est juste chiant. Et rigolo pour les autres, apparemment. Fin j'vais pas me plaindre, on entend rarement les gens rire, à Saint-Cyr.
Les points s'enchaînent, et se notent au fur et à mesure. Sven s'est déjà pris un bisou sur la bouche d'Elaina et de Lucius. J'trouve qu'il est resté longtemps, d'ailleurs, Lucius... Enfin bref. Viviane rage un peu parce que la bouteille ne tombe jamais sur elle et qu'elle a eu que ses deux baisemain et un sur le front, respectivement de moi, Elaina et Jordan. Les autres sont plus ou moins à leur six ou septième. Celui qui a le plus de malus, c'est Lucius, mais je crois surtout qu'il s'en fiche pas mal de perdre parce que tous ses bisous, il les a eux de Sven ou de Jordan. À part un bisou sur le front d'Emerens...
Moi, j'ai eu un baisemain d'Elaina et un de Sven, deux bisous sur le front de Viviane, et un bisou sur la joue d'Emerens et un de Sven. J'ai pas à me plaindre, pour l'instant, je trouve. Enfin, sauf que Lucius me regarde avec un air un peu jaloux. Tu sais Lucy, j'ai deux mamans gays, je sais très bien que t'es pas hétéro...
Elaina, qui en est à son cinquième tour, fait tourner la bouteille, et cette dernière atterrit sur Emerens. Ce dernier rigole.
« Ah bah enfin ! Depuis le temps que c'est pas tombé sur moi...
— T'exagères, Emerens, rétorque Elaina, ça fait à peine trois tours, et en plus t'en es à ton sixième. Viens un peu ici que je te fasse la bise ! »
Il rigole, et tend la joue, sur laquelle Elaina fait claquer un énorme bisou baveux. Propre à provoquer les grognements dégoûtés.
« Sérieux, Elaina ? S'exclame-t-il en s'essuyant la joue. T'es pire encore que ma mère !
— Berk, j'ai le temps avant d'être maman, elle réplique en se rasseyant. Allez, allez, à ton tour, fais tourner cette bouteille ! J'ai hâte de voir sur qui ça va tomber ! Surtout qu'il y en a deux qui en sont à leur septième... »
Traduction, moi, et Jordan. Super, je stresse maintenant.
« Tu forces un peu, rigole Emerens avant de choper la bouteille. Ça tombera sur qui ça tombera. Avec un peu de chance, ça sera même toi ? j'suis sûr t'attends que ça !
— Ouaip, mais j'en suis qu'à mon cinquième, donc pour forcer ma chance j'vais attendre un peu, fait-elle avec un clin d'œil. Je te laisse aux autres en attendant ! »
Emerens pouffe, et pose la bouteille au sol. Avant d'imprimer un joli mouvement de poignet sur le goulot. Elle tourne. Et s'arrête.
Et je crois que je décède.
Sven éclate de rire.
« Eeeeeet c'est pour Thibs ! Je crois c'est le deuxième à atteindre sept ! Alors, Thibs, tu passes ou tu prends ? »
........ Puuuuuuuuuuuuuuuutaaaaaaaaaiiiiiiiiin de meeeeeeeeeeeerde......
Ma mère me tirerait les oreilles si elle savait le nombre de profanités qui traversent mon esprit à cet instant précis. Mais je m'en fous pas mal, parce que je suis en ce moment en proie à une panique totale. Pas que j'aie envie de me débiner, hein. Enfin, je l'aurais fait normalement, surtout que maintenant je peux limite me retirer du jeu, j'ai fini mon tour ! mais, euh, voilà, j'ai pas envie de me débiner. Bordel de merde.
Le pire c'est qu'Emerens est en train de me regarder avec ces putains d'yeux ! J'crois il se demande pourquoi j'hésite, alors que jusqu'à présent je me suis pris aucun malus... Merde. Ça m'aide pas à me décider ! J'suis sûr personne dirait quoi que ce soit si je me défile, alors pourquoi je le fais pas ?!?
Parce qu'une occasion pareille ça se représentera pas deux fois ?
Je sais pas.
Tout comme je sais pas pourquoi je hoche la tête, ni quel calme j'ai trouvé pour annoncer mon assentiment.
« Vas-y, fais ton truc, ça peut pas être si terrible...
— Sûr ? Demande Emerens. T'as l'air vachement gêné...
— Mais fais-le, bordel de merde, je m'exclame, les nerfs pas mal en pelote, puisque je te le dis ! »
Je peux même pas argumenter que je fais ça pour les points vu qu'il y en a plus, de points. Merde, quoi, qu'il se décide et qu'on en finisse...
J'entends quelques rires que j'ai envie de faire ravaler à leurs propriétaires, puis Emerens hausse les épaules et se lève. Du calme, c'est moi qui ai demandé, je résiste, je résiste. Il s'agenouille devant moi et prend mon visage entre ses mains. J'espère qu'il sent pas que je suis rouge tomate... Ma peau doit être brûlante, putain.
« Sûr ? » Il me redemande une dernière fois. Je crois que même Elaina n'a pas été aussi cool avec Sven. Je suis si dégueulasse à embrasser que ça ? C'est un peu vexant...
Je grogne et hoche la tête, et il sourit.
« Toi qui vois. »
Et il s'avance.
Ça ne dure pas plus d'une seconde. Il se contente d'appuyer sur mes lèvres tout doucement, avant de dégager fissa et de retourner à sa place. Mais je crois que c'était la seconde la plus longue de ma vie. Je suis tellement choqué que je réalise à peine qu'il m'a pris mon premier baiser.
J'entends un sifflement. J'imagine que c'est soit Sven, soit Elaina... Ah non, c'est Viviane. Cette dernière rigole.
« On va te surnommer « le feu rouge », vu ta tête, Thibs ! Franchement, je savais pour Lucius, c'était un peu évident, mais pas pour toi... Tu serais pas un peu gay sur les bords ?
— Je suis pas gay, je grogne. J'aime aussi les filles. »
Je crois que ma formulation est un aveu énorme, mais on va dire que même moi, je peux plus être dense au bout d'un moment. Je suis devenu une tomate juste pour une seconde de bisou, vous voulez que je vous dise quoi d'autre au bout d'un moment ?
En attendant, c'est mon tour. J'attrape la bouteille, essayant d'ignorer les regards de tout le monde, et me prépare à la faire tourner, lorsque la porte s'ouvre en claquant, et un troisième année déboule dans la chambre.
« Planquez-vous, les mecs ! Et Viviane, aussi, les pions viennent faire une tournée d'inspection !
— Shit, siffle cette dernière. À tous les coups, ces fils de chien ont commencé par les filles. Je vais être dans la grosse merde, c'est prétexte à me coller toutes les vacances...
— Ouais bah on a pas envie d'encaisser avec toi, rétorque Sven, blême. Allez, tous ceux qui sont pas de cette chambre dégagent en vitesse ! »
Lucius blêmit, avant de se casser, suivi par Jordan. Viviane ne perd pas de temps pour les suivre, même si elle en profite pour tirer la langue de manière fort peu aimable à Sven. Et de notre côté, Emerens me prend la main, avant de la tirer.
« Grouille, Thibs ! Si on est pas rentrés à temps dans notre chambre, on va aussi attirer des ennuis à Elijah... »
C'est sûr que vu sous cet angle, c'est plus motivant. Je me lève aussitôt et me précipite à sa suite vers notre chambre, qui heureusement n'est qu'à deux portes. Juste à temps ; au moment où Emerens ouvre la porte, j'entends des bruits de pas dans le couloir.
La porte se ferme sur nos visages soulagés.
« Fiou... Souffle Emerens. Un peu plus et on était collés toutes les vacances. Comme Viviane...
— Tu crois vraiment qu'elle y coupera pas ?
— Ouais, je crois, soupire-t-il. Soit ils sont allés vérifier les filles avant, soit ils y sont allés en même temps. Ça va être méga compliqué pour elle de rejoindre sa chambre sans se faire griller. J'espère que ça en valait la peine.
— Même pas, j'imagine, je grommelle. Vu sa tête et son manque de participation au jeu, elle a pas eu ce qu'elle voulait. »
Emerens hausse les épaules.
« Tant pis pour elle... C'est les pions aussi là, à faire une inspection à vingt heures trente.
— Vous avez joué à quoi ? » Demande Elijah, qui redresse la tête de ses cours. Effectivement, il est encore en train de bosser, cette espèce de fou...
« Des jeux de cartes et le jeu de la bouteille ! Rigole Emerens. C'était rigolo, et j'ai appris quelques trucs, d'ailleurs... »
Oh, cet insupportable enculé ne vient pas de me faire un clin d'œil, si ? Si. Connard. J'ai envie de le taper, mais après l'avoir embrassé, c'est un peu con de ma part, je crois. Je me contente de grommeler.
« Ouais, ouais, y'a des gays plein Saint-Cyr, on sait, on sait. Bon, on va se coucher ? Le train vers la Belgique part tôt demain et faut qu'on y soit tous les deux... On est d'accord tu viens bien avec moi ?
— Bien sûr ! Je t'ai déjà dit un million de fois, pouffe Emerens, que j'étais ravi d'aller en vacances avec toi et tes mamans. Allez, zou, au lit ! Et j'ai le droit à un câlin de bonne nuit, dis ? Thibs ? Elijah ?
— Je passe, rigole Elijah, un peu gêné. Moi et les câlins...
— Pas grave ! Thibs, tu te dévoues alors ?
— Pas vraiment le choix, je suppose, je grommelle en m'avançant.
— Mais si, mais si. Je laisse toujours le choix, pouffe Emerens, tu l'as bien vu. »
Ah connard. Je suis encore rouge du bisou, pourquoi il en rajoute ? Elijah hausse un sourcil, mais je lui fais signe de laisser tomber le sujet en allant droit au câlin rituel. C'est vrai, quoi, c'est pas un stupide bisou qui va m'en empêcher...
___
La photo de classe est vieille, presque délavée maintenant, pourtant, j'ai l'impression qu'elle n'a rien perdu de ses couleurs. C'est sans doute parce que l'uniforme de Saint-Cyr est aussi gris que le vieux papier sur lequel elle est imprimée, allez savoir. C'est en tout cas toujours aussi déprimant.
Je l'ai retrouvée dans mes affaires alors que je préparais un énième déménagement, rassemblant mes affaires chez ma mère pour me préparer à les amener dans le manoir. Maman est toujours aussi réticente à me voir ramener mes vieux trucs, elle veut garder des souvenirs de moi maintenant que Floflo et moi sommes tous les deux au Japon... Mais j'aimerais bien avoir mes photos de famille aussi, quoi. Enfin. Le deal, c'est que je fasse tout moi-même, et s'il manque le moindre truc, tant pis pour moi, du coup. Je trouve que c'est raisonnable. Surtout que je ne fais pas attention, vu que Jane a dû quitter la maison avec quelques photos de nous. Du moins si j'en crois ses messages Facebook désespérés auxquels je ne réponds jamais.
Mais du coup, fouiller dans ma maison à la recherche de souvenirs donne des scènes comme ça. Avec moi qui retrouve mes vieilles photos de classe, de la maternelle à la dernière année de lycée. Dont celle de cette année à Saint-Cyr.
Je passe mes doigts sur la photo, pris d'un semblant de nostalgie. La vache, j'avais moins d'acné à cette époque. Et Emerens, qui se tient à quelques mètres de moi, avait les cheveux tellement plus courts. Et puis il y avait les autres aussi... Sven, le finlandais brun, qui je crois s'est cassé en mai avant les derniers partiels parce que ses parents pouvaient plus payer... Elaina, aussi, qui en a tellement eu marre de se faire deadnamer que je l'ai entendue dire à la cérémonie de fin d'année que plus jamais elle ne retournerait là-bas. Viviane et son année de plus que nous, qui j'imagine n'a jamais fini sa deuxième année, puisque d'après ce que j'entendais d'Emerens, ses résultats plongeaient dans le zéro absolu... Lucius, et Jordan, dont je n'ai aucune idée du devenir. Et tous les autres, pas forcément des amis mais des camarades de galère.
Je souris. Un peu. Ça fait bizarre, quelque part, de retrouver ça. Je me demande ce qu'une réunion d'anciens élèves donnerait... S'ils prendraient même la peine de s'y rendre.
Je sens une présence derrière moi, et des bras entourent ma taille pendant qu'un menton se colle dans ma nuque. C'est Emerens, évidemment. Lui et Sachiko m'aident à déménager cette fois, même si la définition d'aide de cette dernière, c'est regarder avec ma mère mes vieilles photos de bébé. Je n'ose même plus la stopper. Et puis là, dans la situation dans laquelle je suis, je serais bien en peine de le faire.
Je me laisse aller contre Emerens, la photo toujours entre mes mains, et je le sens pouffer contre mon cou.
« Les vieux souvenirs ?
— Hmmmouaip. Je me demande toujours ce que sont devenus les autres...
— Je peux malheureusement te le dire, soupire Emerens. J'imagine. Tu sais ce qu'il s'est passé avec Sven et Elaina, et je t'ai raconté pour Viviane, qui a fini par se barrer en cours d'année. Pour Jordan, ça a été dramatique. Il est tombé malade à cause du surplus de travail pendant la deuxième année, et a dû être évacué chez lui. Et je crois que Lucius n'a pas supporté d'être tout seul, parce qu'il est parti à la fin de la deuxième année... Je suis le seul à être resté jusqu'à la troisième, et... Tu sais comment ça a fini. »
Ouais. Je sais. Pas jojo. Le fameux évènement traumatique de Saint-Cyr. Les meilleurs termes qu'il ait trouvé pour m'en parler.
Je me contente de hausser les épaules, pas trop pour éviter de le cogner.
« Bah... J'imagine que c'est comme ça. Pas grand-monde arrive au bout de ces études, à part Sharon la warrior. Au moins on aura eu nos moments de rigolade avec eux.
— Tu veux parler de notre partie de jeu de la bouteille ? Ou le plus grand moment de gay de Thibault Laangbroëk ? »
Je lève les yeux au ciel, ignorant son rire.
« T'es vraiment qu'un enculé.
— J'étais con, surtout. Ne pas remarquer que tu crushais à ce point sur moi à l'époque, faut vraiment être oblivious.
— T'as pas beaucoup changé, je ricane, ravi de l'occasion de lui en mettre une figurativement. N'est-ce pas, monsieur je ne remarque même pas que mon amie que je viens de retrouver est complètement à fond sur moi ? »
Il éclate de rire, incapable, et avec raison, de répondre autre chose. Heureusement parce que j'aurais pas su répondre à la moindre remarque sur ledit crush. Petit moi était vraiment débile pour tout juste sentir le gay awakening et ne pas remarquer que j'étais gay pour lui.
Je le suis toujours, mine de rien. Pas de la même manière, j'imagine. Je suis sûr maintenant qu'il n'y a pas de crush impliqué. Juste une sacrée proximité physique et mentale, le genre de trucs que t'as avec ton âme sœur. Sans vouloir être lyrique. Mais bon, ça n'empêche pas qu'on est quand même sacrément pd, tous les deux. Et c'est pas sa prise sur ma taille ou son menton dans mon cou qui me dira le contraire.
En attendant j'ai envie de le faire taire, gentiment, parce que se moquer de moi ça va bien cinq minutes. Du coup, je fais ce que tout bon gay fait à son petit ami ; je me tourne et je l'embrasse. D'abord sur la joue, puis, sans doute ressentant mon envie, monsieur se retourne et me laisse le bisouiller sur la bouche. Pile ce qu'il me fallait pour me détendre.
Il se laisse aller contre moi, alors que la photo de classe me glisse des mains et que je passe un bras autour de son cou. C'est agréable, quand même, les câlins et les bisous. Surtout quand ils sont tous doux comme ça, l'un presque en train de bercer l'autre.
J'entends presque Sven se moquer de moi en me disant que c'est tellement gay, ce que je fais là. D'ailleurs, je suis presque sûre que Sachiko le fait aussi. Mais je m'en fous.
C'est quand même bien d'être gay.
____
Je crois que je me suis un pitit peu emballée-
Mais je m'en fous, je les nem.
Et du coup, la troisième rétrospective, elle sera probablement pour demain-
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