Rétrospective, partie 1 (AU sans Tuerie)

Cette soirée n'en finit pas...

Quand j'ai demandé à ma maman combien de temps on en avait encore, elle m'a regardé avec pitié. La gentille pitié, certes, mais quand derrière on t'annonce que papa a encore beaucoup de travail avec les autres gens et qu'on ne peut pas rentrer sans lui car c'est lui qui n'a pas bu de l'alcool, bah la gentille pitié, elle devient méchante. Et moi je m'ennuie, au bout d'un moment.

Maman a au moins été gentille. Elle m'a dit qu'elle allait garder Ichiro. Il a cinq ans, alors il est insupportable quand on le surveille pas, et j'aime pas du tout le surveiller. En plus, j'ai du travail demain, alors j'ai pas envie de me fatiguer plus que nécessaire. Mais l'ennui, ça me fatigue aussi. Et je sais absolument pas quoi faire.

Maman m'a dit de parler avec les autres enfants. Mais je sais pas trop qui aborder. Les enfants aux cheveux bleus me font peur, surtout la fille. Au loin, là-bas, il y a Kichiro Tamura, je crois. C'est le fils adoptif de Susan et Jeffrey Laurens, que papa m'a décrit comme les ambassadeurs d'Amérique. Il a l'air un peu triste tout seul, à parler qu'avec des adultes, mais quand j'ai essayé de m'approcher, le garde du corps de monsieur Laurens m'a éloignée, en disant que les enfants n'étaient pas autorisés à s'approcher. C'est dommage.

Et puis après il y a eux. Qui traînent toujours ensemble dans un coin, ou alors ne se quittent pas quand les adultes essayent de leur parler d'une chose ou d'une autre. Raraka Son et Senri Kizoku. L'héritière du groupe Son, le plus gros groupe d'entreprises du Japon, et un autre héritier d'une famille de l'élite japonaise, comme moi, m'a dit papa. Papa il m'a aussi dit que si je devais parler avec des enfants, ce serait avec eux. Sans doute parce qu'ils sont bien placés dans cette espèce d'environnement dans lequel on est. Mais moi, je veux pas leur parler pour nouer des relations de commerce. Et de toute façon, j'arrive pas à les approcher. Visiblement, les Son surveillent de très près les Satou. Et Senri ne quitte pas Raraka.

Du coup j'en suis réduite à les regarder de loin, sans rien faire d'autre. De temps à autre, je les entends rire. Senri fait des blagues quand personne ne les regarde. Je l'ai vu renverser les flûtes à champagne une fois, avant d'emmener Raraka et lui sous la table. Je ne sais pas s'il a su que quand monsieur Son a cherché le coupable, je lui ai dit qu'ils étaient partis dans une autre direction. Mais ça m'est égal.

Ils ont un beau rire. Un beau sourire, aussi, même si Raraka ne sourit que peu. Et même dans ces vêtements qui imitent les grands qui ne vont pas du tout à des enfants, ils sont beaux. Au moins, je ne m'ennuie pas trop à les regarder de loin. Même si ça me fait toujours mal au cœur de ne pas pouvoir m'approcher.

« ELLE EST N'AMOUREUSE ! » Hurle Ichiro, qui a encore échappé à maman. Heureusement, personne ne fait attention aux cris d'un enfant de cinq ans, même si maintenant que j'ai commencé mes études, c'est lui qui héritera de l'entreprise et de la fortune familiale, proche du milliard de yens en termes de valeurs.

D'ailleurs, eux non plus n'y font pas attention.

Et même si ça me convient de regarder de loin, ça fait mal.

___

Je rentre crevée d'une journée de boulot épuisante. Quelle course, aujourd'hui... Le fait que ma cheffe de service, bientôt à la retraite, ait décidé que je serai sa remplaçante il y a un mois ou deux n'arrange rien, je dois me former à l'administratif et à la gestion d'un équipe en même temps que continuer mes activités. Parce que j'ai insisté pour continuer à exercer. Je ne peux pas abandonner mes patients.

Ce qui fait que je rentre encore plus tard que d'habitude, même si grâce aux esprits, je ne suis pas de garde. Heureusement. Parce que je crois qu'on a des invités, que c'est Emerens qui les ramène, et que quiconque ramène Emerens doit être surveillé avec soin avant que je ne détermine si c'est un plan cul ou juste un ami. Histoire de prévenir les autres de ne pas aller dans sa chambre au besoin. Louna s'en charge souvent, mais Louna m'a dit voir de ces trucs... j'imagine que je suis plus habituée qu'elle, quelque part, parce que ces trucs, j'en entends parler tous les jours.

Enfin... Je fais mon inspection, avec un peu de chance elle sera rapide, et puis je retrouve Sora. Il m'a promis qu'on regarderait un film ensemble ce soir, juste lui et moi, et j'avoue que j'ai hâte, très, très hâte, d'être enfin seule avec lui... Autrement dit, autant en finir vite avec l'inspection des invités. J'espère que c'est Humberto. Ou Aloïs. Quoique, Aloïs vit ici... Et Humberto aussi, merde. Mais au moins, avec ces deux-là, je suis fixée.

L'avantage de connaître le diable blond depuis longtemps, c'est que je connais très bien sa voix. Je peux donc la suivre sans souci jusqu'au salon qu'il s'est choisi... Bon, au moins c'est pas la chambre. Là, jamais j'aurais ouvert la porte. Mais comme ça, au moins, je peux vérifier plus tranquillement.

La porte du salon s'ouvre et... Ah, c'est Senri. Zut. Là, c'est jamais très, très sûr. Emerens lui fait du rentre-dedans depuis le début de la rentrée 2017, mais il est pas toujours réceptif. J'imagine que je comprends pourquoi. Mais toujours est-il que j'ai beaucoup de mal à situer leur relation, vu qu'entre toutes les fois ou Senri a l'air agacé par le flirt, répond au flirt ou juste les fois où ils discutent comme s'ils se connaissaient au berceau... On dirait que je vais devoir faire de la surveillance.

Je ne fais pas attention à leur discussion. L'expérience m'a appris que ce n'est pas mes affaires, et de toute façon Emerens se braque quand j'ai le malheur de les entendre en pleine discussion privée. Mais lorsque je vois ce dernier lui passer un doigt sous le menton, son habituel numéro en somme, et Senri qui a l'air de ne pas trop savoir comment réagir... J'en conclus qu'il est temps pour moi d'intervenir. De manière efficace.

Quelques pas me suffisent à arriver à leur hauteur, et le cri de douleur que j'entends lorsque mes doigts se referment sur l'oreille de dragouilleur le terrible est pour le moins satisfaisant. Son expression, loin du sourire en coin typique de cette foutue fratrie, s'est muée en un air larmoyant. Charmante tentative de me déstabiliser, mais fais pas genre, je sais très bien que tu es un excellent comédien.

Senri me jette un coup d'œil de remerciement. Je lui adresse un signe de tête, signe que ce n'est rien, tandis qu'Emerens, comme à son habitude, se met à râler.

« Rei-naaaaaaa ! C'est pas cool, ça !

— C'est ça, je soupire. Je crois plutôt que je suis en train de sauver le cul de Senri. Tu n'as pas une main, espèce de gros tas d'hormones ?

— Techniquement et tu devrais le savoir mieux que moi, nous sommes tous des gros tas d'hormones– AÏE !

— Tu sais très bien desquelles je parle, Van Heel, je grommelle en resserrant ma prise. Laisse Senri tranquille, tu vois bien qu'il n'est pas réceptif. »

Ça a le mérite de le calmer instantanément. Il hausse les épaules, me laisse libérer son pavillon auriculaire et se contente de remettre en place ses cheveux avant de faire un clin d'œil à Senri.

« Eh bien tant pis. Plus tard peut-être ?

— Tu es vraiment en chien en permanence, soupire ce dernier, néanmoins avec un léger sourire aux lèvres. Tu fais quoi quand tu trouves personne ?

— Dans ce genre de cas, qui n'arrive qu'une fois sur un million de cas bien évidemment, je me débrouille tout seul comme un grand garçon, pouffe Emerens. Sur ce je reviens, j'ai une soudaine envie de me faire un petit café.

— Hep hep hep, j'interviens. Quelle heure il est, mécréant ?

— Vingt-deux... Bon, okay, un chocolat chaud. Je te ramène un truc, Senri ? »

Je soupire. C'est mieux comme ça. Je suis très contente que Thibault se soit inspiré de Salimeh et tous ses partenaires pour établir quelques règles avec Emerens, mais c'est souvent à moi de les faire respecter, car ce saligaud ne fait point vraiment gaffe à son sommeil. J'vous jure, j'ai l'impression de l'élever.

Senri demande un café, et Emerens se lève, avant de m'ébouriffer les cheveux et... De m'adresser un clin d'œil ? Oh le saligaud, il l'a fait exprès. Je ne sais pas comment il a pu être au courant de cette vieille histoire, mais étant donné le renifleur de ragots, je ne suis même pas étonnée. Et heureusement pour ma coiffure qu'aujourd'hui, je porte une queue-de-cheval.

En attendant, il a bien atteint son but, ce petit vicieux. Me voilà seule dans la même pièce qu'une des personnes qui m'ont fait me rendre compte de mon polyamour pour la première fois depuis très, très longtemps. D'ailleurs, je crois que ce n'est quasiment jamais arrivé. En tout cas pas comme ça, alors que je sais très bien que probablement pas grand-monde passera dans ce salon et qu'à tous les coups, Emerens ne rentrera dans la pièce que quand il n'y aura plus rien à espionner.

Je soupire et je m'assois. Inutile de trop se prendre la tête. Une conversation normale, c'est sympa aussi.

« On dirait presque que tu le maternes, rigole Senri. Ça va, être la maman de tout ce manoir ?

— On s'habitue, je ris à mon tour. Les esprits merci, je ne suis pas la seule mom friend de ce manoir. Sour, Salimeh, Septima, Miruku, Baihya et Theodosia m'aident beaucoup, et je n'aurais jamais cru Tomyris si maternelle. Il faut bien ça, pour gérer notre lot d'imbéciles. »

Il pouffe, mais ne me répond pas. Il se contente de fixer la table basse. Et moi de le regarder.

Beaucoup de choses ont changé depuis mes onze ans. Et ses quatorze. Raraka est en couple avec ma propre petite amie, quelque chose dont la moi de onze ans aurait sans doute halluciné ; et lui, qui en était tellement amoureux, l'est d'ailleurs toujours sans doute, est celui qui se retrouve tout seul. Ce n'est même plus moi. J'ai cinq partenaires que j'aime de tout mon cœur, loin est le temps où je les regardais de loin, à me demander si je serais toujours mise en parallèle. Malgré tout, cette situation... Me fait quelque chose.

Si le silence se prolonge, il va devenir gênant. Je n'ai pas beaucoup d'autre choix que de me remettre à parler. Mais quoi ? Je n'ai pas envie d'avoir l'air embarrassée alors que c'est sans doute la seule conversation seule à seul que j'aurai avec lui pour un bon moment.

Je m'apprête à lui poser des questions sur sa vie de trésorier d'État, histoire de faire durer un peu la conversation, mais contre toute attente c'est lui qui prend la parole.

« Ça fait longtemps qu'on ne s'est pas croisés. Comme ça, je veux dire. »

Je hausse un sourcil. Il veut me parler de quoi ?

« Eh bien... Oui ? c'est vrai que maintenant que nous sommes tous partis d'Hope's Peak, les contacts ne se maintiennent pas...

— Je ne parlais pas de ça. »

Je me tais. Et Senri me fait un sourire, un sourire un peu triste.

« Ça me rappelle les interminables galas de charité de nos familles. J'imagine que tu t'en souviens ? Les adultes qui discutaient entre eux de sujets d'adultes, et les quelques enfants perdus dans la foule, quand on voulait bien les emmener...

— Tu n'avais pas l'air tant perdu que ça, si je puis me permettre. »

Il rigole.

« Pourtant je l'étais. Ce n'est pas parce que j'avais une amie et que tu étais seule que ce n'est pas le cas. Difficile d'être autre chose que perdu dans un monde qu'on ne comprend pas encore. Des fois, je me demande ce que ça a été pour Kichiro. Si c'est ce qui l'a rendu aussi froid.

— Possible, je soupire. Même après la mort du couple Laurens, Kichiro n'est jamais venu nous voir. Je crois qu'il ne savait nous parler que comme à des adultes. On l'a bien vu à Hope's Peak.

— Et toi ? Même lorsque les précédents PDG du groupe Son sont morts, je ne t'ai jamais vue t'approcher. Il y avait une raison particulière ? »

Je lève les yeux vers le plafond. Une raison particulière ? Oui, quelque part, il y en avait des tas. Mon travail sur le point de commencer. Ma petite amie de l'époque qui m'avait complètement fait oublier cet amour d'enfance. Un petit reste de regret, d'occasion manquée, qui m'avait empêchée de tenter de nouer un lien. Même lorsque je suis enfin rentrée à Hope's Peak, je n'ai pas tenté de leur parler, alors qu'ils étaient les personnes les plus familières de cet environnement inconnu. Peut-être à cause du deuil, peut-être à cause du regret. Même aujourd'hui, je ne sais pas comment expliquer mes raisons.

Je hausse les épaules.

« Les gens changent. J'imagine que je n'espérais pas pouvoir vous parler malgré tout, et que mon esprit était occupé à autre chose. »

Et qu'on fait vite une croix sur ses désirs d'enfant.

Enfin, sauf Thibault, peut-être.

J'ai un sourire à cette pensée, et je surprends du coin de l'œil le mouvement surpris de Senri.

« Quelque chose en tête ? »

Je me tourne vers lui, toujours avec ce même sourire.

« C'est rien. Je me disais juste que ça fait bizarre, une rétrospection. On a tellement évolué depuis.

— Pas tant que ça pour certains, rigole Senri. Je suis toujours un imbécile amoureux.

— Sauf que tu es un imbécile amoureux avec plein d'amis dont deux qui te draguent en quasi-permanence, je pouffe. Même si tu n'as pas eu la relation que tu voulais avec Raraka, reconnais que derrière, tu n'es pas tout seul. »

Senri hausse les épaules. Mais ne trouve rien à répondre. Tant mieux. J'espère bien qu'il ne peut pas nier.

On néglige souvent les amitiés au profit des déceptions amoureuses, et on en vient à considérer que l'amour est la source de tout bonheur. C'est peut-être le cas. Mais il y a tellement d'autres affections que l'amour romantique. Je le vois autour de moi tous les jours. Les amitiés, les fraternités, les relations de famille de cœur. Et même si Senri m'a tout l'air d'un énorme romantique, je crois que quelque part, il se rend bien compte que ça ne l'empêche pas d'être entouré.

Le silence n'a pas le temps de s'installer. Emerens vient de rentrer dans la pièce, avec un large sourire, une tasse de café et deux mugs plein de chocolat. C'est trop gentil d'avoir pensé à moi, mais je vais plus avoir d'appétit pour le casse-croute de film moi après... Enfin, je ne vais pas me plaindre. Je récupère ma tasse du plateau avec un grand sourire, et Emerens s'installe pile entre nous, affalé comme un gros chien. Son bras qui ne tient pas la tasse est passé autour des épaules de Senri, et sa tête est appuyée quelque part sur mon épaule. Il ne lui a pas fallu plus de cinq secondes pour se mettre autant à l'aise.

Je sirote mon chocolat, tandis que Senri pousse un petit cri de protestation. Emerens a encore essayé de boire dans sa tasse, j'imagine. Lui alors.

« Eh là ! Tu n'es pas censé être interdit de café, toi ?

— Pas drôle, bougonne Emerens, néanmoins souriant. Eh, Reina, je peux t'en piquer ?

— Tu as le tien, je soupire, amusée. Contente-toi de boire le tien.

— Mais euh ! »

Senri et moi ne pouvons nous empêcher de rire de concert devant sa tête boudeuse. Rire visiblement suffisamment communicatif pour qu'il ne la conserve pas très longtemps.

Sora peut attendre. Je l'aime de tout mon cœur, mais là, maintenant, je suis on ne peut mieux installée.

_____

Ouaip, c'est canon, Reina a eu un crush sur Senri ET Raraka, qui n'a jamais été rendu. 

Pas qu'elle se plaigne, notez :,)

Enfin bon ! Vous aurez remarqué le "partie un", c'est juste que j'ai encore deux nouvelles du genre planifiées. La première portera, évidemment, sur mes deux sujets à rétrospective favoris, ceux qui seront le plus facile à deviner... La deuxième, ce sera un peu plus tricky à trouver, puisque ce sera une relation d'adelphité-

Je vous laisse apprécier celle-ci en attendant-

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top