Réflexions de vie (AST)

La vie de Freïr n'est plus désormais que machines.

Les fils reliés à ses bras tirent sur son âme à chacun de ses mouvements.

Le bruit du moteur remplace les battements de son cœur.

Le crissement des roues anime ce qui devrait le faire courir.

N'est pas humain celui qui dépend de l'artificiel pour survivre. Combien ont tenté de se convaincre du contraire. Certains auraient peut-être raison de penser ainsi, certains conserveraient peut-être entre les rouages de leur organisme une humanité qui lui manque tellement.

Lui sait qu'il n'est plus humain depuis trop longtemps.

Qu'est-ce qui fait de lui un humain ? Son cœur qui accélère lorsque son aimé se tient devant lui, des moments désormais si rares ? La chaleur de sa peau qui diminue à chaque jour qui passe, happée par les médicaments et la froideur des moniteurs ? La sensation de ses cheveux contre sa joue, toujours plus filasses et raides comme des câbles de transmission ?

Chaque gerbe de sang qu'il tousse éjecte un peu de l'humain.

Dans le miroir, il n'y a plus qu'une machine.

Peut-être même est-il déjà mort.

Après tout qu'est-ce que la mort, sinon la perte de son humanité ?

***

Alexis a toujours pensé que la vie se prenait à pleines mains, se croquait à pleines dents.

Rien de plus grisant que cette sensation de n'être stoppé par rien. La liberté de vivre, la liberté de toucher, la liberté de crier, la liberté d'aimer.

La liberté acquise au prix de la sécurité. Du confort des bras d'une mère, de celle qui protège de toutes les turbulences.

Combien de fois est-il retourné devant cette tombe, où y est maintenue prisonnière le cauchemar de son enfance, enfermée dans le corps de sa plus grande protectrice ? Combien de fois a-t-il craché sur sa prison de terre, son cercueil de barreaux, vantant à une femme qui ne peut plus l'entendre le vent dans ses cheveux et les doigts sur sa peau ?

Elle a toujours désapprouvé la liberté qu'il recherchait.

Dans un sens, elle n'était plus qu'un cadavre dans un corps de vivante. Enterrée parmi toutes ses règles et ses traditions l'enserrant comme un cocon.

Oui, il n'a jamais été aussi libre que maintenant qu'elle est enfermée.

Les larmes qui coulent sur ses joues ne sont qu'une prison supplémentaire.

Une prison dont il ne peut que s'échapper.

***

Reina n'aurait jamais pensé qu'elle trouverait le bonheur dans l'étreinte d'un cadavre.

Pourtant, elle, plus proche que jamais de la mort, en connaissait secrets comme terreurs. Elle l'avait regardée en face comme fuie, elle s'y était enfoncée comme elle l'avait affrontée, ne vivant pas une seule de ses journées sans sentir dans le creux de sa paume ses doigts squelettiques l'enserrer.

Reina était familière de la mort. L'odeur du sang, celle de la nécrose. La pâleur de la peau, les doigts qui verdissaient. Les réflexes post-mortem d'un corps qui se raccroche encore à un semblant d'existence, redevenant l'espace d'un instant humain s'échappant du tas de chair.

Elle avait tué et enterré l'enfant enfermée dans son corps.

Elle avait mis de côté les rêves et les espoirs qui peuplaient la vie de celle qu'elle avait été.

Pourtant, les sourires volés et les rires perdus en compagnie de personnes qui ne lui appartiendraient jamais ne se faisaient qu'à travers le corps d'une enfant qui refusait de trouver le repos.

***

Dans le miroir, une seule question habite ses yeux verts.

Les cernes en sont les points d'interrogation. La lumière qui s'y reflète, l'ouverture. Les veines qui les parcourent chacune marque un des mots qui le hante chaque jour.

« Quand est-ce que je suis mort ? »

Emerens a passé des années à se poser la question. Est-il mort ce jour de ses treize ans, sur le parquet d'une chambre qui n'était pas la sienne, la main serrée sur l'instrument de mort comme la seule attache à sa vie ?

Peut-être la mort est-elle venue le chercher le jour où il a vu sa sœur prostrée.

Ou simplement encore, devant ce lit d'hôpital, devant les moniteurs affolés et un goutte-à-goutte de morphine emballé.

Devant une tombe marquée d'un nom qui en même temps n'est pas le sien et en même temps fait trop écho à son cerveau pour qu'il puisse l'ignorer.

Je ne suis pas ta chose.

Je ne suis pas ta création.

Je suis ma propre personne.

Il n'y croit qu'à peine.

Parce que sa propre personne est morte. Ne lui fait place que ce vide qu'il n'a jamais réussi à pleinement contrôler.

Guéri. Dangereux. Un cas d'étude. Une volonté surprenante. Un espoir vacillant.

Aucun ne lui a dit qu'il était redevenu entier.

L'a-t-il un jour été ?


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