Pour l'histoire de ma fierté (2) (AST)
« Le mois des fiertés... c'est un peu douloureux, pour moi, tu sais. »
Alexis relève la tête de son lit. On vient de passer une excellente soirée, lui à me montrer son meilleur angle, et moi à faire des photos dudit meilleur angle.
Il est inutile de préciser, j'imagine, qu'il est en caleçon. Avec un superbe harnais autour de sa taille.
Son expression vient de passer de tentatrice à inquiète. Il n'a jamais compris pourquoi je disais ça, même en sachant tout ce qui m'est arrivé. J'imagine qu'on ne peut pas réellement l'en blâmer. L'industrie nous a changés, tous les deux, de différentes manières.
« Douloureux ? J'comprends que tu veuilles pas le fêter, Lili, mais quand même, douloureux ? »
Il n'y a aucun reproche dans sa voix. Juste de l'inquiétude. Il n'y a que moi qui le vois. Depuis le début de notre amitié, notre relation de travail, je suis la seule à voir ses tourments.
Je hoche la tête avec un sourire triste.
« Oui... Bien sûr, je sais qu'il faut le fêter, j'en saisis l'importance, je te le promets. Mais moi... Je suis devenue ce que je suis parce qu'on m'y a poussée. Je ne peux pas être fière de mon asexualité parce que c'est la désensibilisation au sexe et les abus qui l'ont provoquée en moi. J'ignore même si j'aime les femmes parce que c'est moi, ou parce que je suis dégoûtée de tout ce qui s'apparente de près ou de loin à un homme... »
Il se redresse, s'assied en tailleur, passe sa chemise. Il est beau, je dois le reconnaître, et pas seulement parce que c'est un de mes meilleurs amis, et l'homme qui m'a tirée de mon enfer personnel en me laissant l'accès à la carrière que je voulais. Mais sa beauté est objective. Le toucher me donne envie de vomir. Et je ne sais pas si c'est ce qui me bloque de tomber amoureuse de lui, ou simplement le fait que mon homosexualité est bien une part de moi.
Un petit sourire déforme son visage.
« Layla, ma puce, personne t'en veut d'avoir honte. Je veux dire, c'est normal, après tout ce que t'as vécu, de pas être sûre. Mais justement, le mois des fiertés, c'est l'occasion aussi de parler, de dire « je suis cette lesbienne qui en a été traumatisée et je reste valide », tu comprends ?
— Je comprends, je soupire. Mais dire que je suis lesbienne a provoqué tellement de questions, de remarques de la part des hommes, de... « C'est parce que tu ne connais pas de vrai mec », et j'envie les femmes qui peuvent y répondre, parce que moi je ne peux pas. C'est facile, pour toi, d'être fier, j'ajoute, amèrement. Tu n'as jamais eu de doutes, tu es tellement heureux dans ta sexualité que c'est ton métier. »
Alexis soupire. Me fait signe de m'asseoir. Ce que je fais, le laissant se caler à côté de moi. Il ne me touche pas. J'apprécie ce geste de sa part.
« Ouais, c'est vrai, j'ai toujours été sûr de moi, il commence, d'un ton un peu triste. C'est pour ça que je voulais aider d'autres gens à être sûrs d'eux. Genre toi. Ou... Ou lui. Mais être sûr de soi, c'est aussi trop avoir la confiance. On dit des trucs qu'on regrette. On s'enferme dans sa dignité blessée. On en devient presque homophobe. »
Ses yeux sont perdus dans le vide.
« J'ai toujours su que j'étais moi, et que j'aimais un poil trop le cul à partir du moment où je l'ai découvert. Je suis un stéréotype sur pattes, pas de trauma, rien, juste moi et mon amour de la sexualité. Pour ça que j'en ai fait mon job. Pour ça aussi que j'ai essayé de t'aider, du seul moyen que j'connais. »
Il hausse les épaules, me laisse placer une main, hésitante, sur son omoplate. Le contact est plus léger qu'un papillon, mais sa peau me brûle malgré tout. Pourtant, je ne retire pas ma main. Nous avons tous deux besoin de ce réconfort.
« Puis regarde où ça m'a mené, il ricane, amèrement. J'ai laissé filer le mec que j'aime parce que j'ai fait une connerie monumentale, et maintenant il a trouvé mille fois mieux que moi. Heureux au cul, malheureux en amour, hein ? quelle poisse.
— Est-ce que c'est vraiment mieux ?! je me récrie, outrée. Alexis... Tu m'as sauvé la vie. Et tu l'as aidé, aussi, bon sang, il serait idiot de ne pas l'admettre ! Comparé à ça, il a fait quoi, son stupide rouquin ?
— Lili, je sais que tu veux m'aider, mais j'ai fait une connerie, point. Et le rouquin, apparemment, il lui sort pas des conneries blessantes. »
Je serre les dents. Je ne veux pas le voir dans un tel état. Une simple phrase ne devrait pas suffire à provoquer une telle haine, quelques mots aussi blessants soient-ils ne devaient pas posséder le pouvoir de ruiner une relation, de faire passer mon meilleur ami, l'homme qui m'a sauvé la vie, le corps et le mental, à un statut de « connard sans honte ». Certes, il est vantard, dragueur, rude, emmerdant par moments et pas très respectueux de l'espace vital de ceux qui ne lui disent pas qu'il ne faut pas... Mais il reste mon meilleur ami.
Je soupire.
« C'est compliqué, tout ça, hein ? Gay, hétéro, on a tous les mêmes problèmes d'amour.
— Ouais, et nan. Parce que les hétéros, au moins, ils craignent pas le viol correctif, les abus, les agressions, les remarques, la décrédibilisation de ce qu'ils ressentent. C'est pour ça qu'on a la Pride, Lili. Pas pour célébrer notre amour, mais pour revendiquer notre droit à le vivre en paix. »
Je serre les dents.
« ... Tu as peut-être raison. »
Mais ça fait toujours mal de se sentir exclue des deux côtés de la marche des fiertés.
***
« Allez, Reva ! On va au club d'Aloïs ce soir, steuplait steuplait steuplait ??? »
Je pousse un profond soupir.
« Non, Elvira. J'ai du boulot, et ce n'est pas parce que tu as enfin l'occasion d'aller dans un club de strip-tease tout le temps sans surveillance ou obligation de prendre Annika comme excuse que je vais te suivre tous les soirs. »
Ma sœur aînée me fait sa moue d'enfant triste. Sérieusement ? Un, tu as neuf ans de plus que moi, Elvira, deux, ce n'est pas un enfant avec cette bouille qui va dans un club de strip-tease. Bon, je sais que tu as plus bouffé de culs à ton heure, mais quand même, ce n'est pas comme ça que tu me convaincras.
« Allez, quoi... ça fait une chouette activité entre sœurs ?
— J'aime pas beaucoup ta définition de « chouette activité », Vivi, je réplique avec une pointe d'humour. Tout le monde n'est pas aussi accro qu'Emerens.
— Ramène pas Emerens là-dedans, s'il te plaît. C'est pas le sujet. Je veux y aller, et seule c'est pas drôle...
— Donc tu partages ça avec ta petite sœur adorée ? Remarque, on partage bien le même crush. Ça avance, avec Lan Yue, au fait ? »
Elvira fait la moue. Ah, apparemment, sujet sensible.
« ... Je sais pas, c'est compliqué. Je sais même pas ce que je veux, ça pète les couilles. Je veux dire, il ne m'est pas indifférent, c'est clair, je crois qu'Emerens l'a capté avant moi. Mais je... Je comprends pas ce que je ressens. »
Elle soupire.
« C'est pas un coup pour le fun, c'est pas un ami non plus, c'est plus. Et c'est pas un crush au sens où... C'est plus fort.
— Et tu penses qu'aller dans un club de strip-tease pour baver sur les superbes abdos d'Aloïs Sakai et de ses collègues va te dépatouiller le bordel que t'as dans la tête ? »
C'est presque risible, tiens. Elvira se comporte vraiment comme une enfant, une enfant qui vient de découvrir que faire joujou avec son clitoris était quelque chose de normal.
Je ne peux vraiment pas l'en blâmer. Passer des années sous l'influence de la matrone fait ça à des femmes van Heel.
En tout cas, je ne réussirai pas à travailler avec ma grande sœur qui fait l'enfant. Je referme donc mon ordinateur portable avant de m'affaler dans mon lit avec un profond soupir. Ce qu'Elvira semble prendre pour une invitation à s'installer à côté de moi.
« T'sais c'est pas facile, elle dit, les yeux fixés sur le plafond. Jusqu'ici, j'ai vécu ma sexualité dans la clandestinité. Je pensais que j'avais à cacher ça parce que... Mère voulait que je me concentre sur mon travail, que c'était accessoire. Mais c'était quand même un réconfort de me faire mes camarades de classe. Une échappatoire. Du coup, j'ai pas eu à me poser trop de questions avant de rencontrer Lan Yue.
— Tu te plaignais pas d'ex dingus, petite maligne ? » Je rigole, lui appuyant mon doigt sur la joue.
Elle pouffe. Pas longtemps.
« A bien y réfléchir, je crois que pour la plupart d'entre eux, c'est juste qu'ils pensaient que c'était du sérieux tandis que moi, je faisais que m'échapper. Même si bon, j'ai eu ma dose de ceux qui voulaient pécho la riche héritière.
— Ouais, tout le monde, ma grande. »
Un sourire se dessine sur son visage.
« Du coup maintenant... Être aimée pour moi, et pas simplement pour mes fesses ou ma thune, et avoir l'opportunité d'aimer à mon tour de la même manière, c'est grisant, tu piges ? Et en même temps c'est perturbant. Faut que je me distraie. Le temps de process.
— Ou le temps de fuir. Mais je comprends ce que tu veux dire. »
Je pense la même chose. J'ai enfin dix-huit ans, je suis enfin loin de ces crevards de parents, et maintenant, je suis libre de faire ce que je veux. Rien ne m'empêche d'aller dans des bars à strip-tease, rien ne m'empêche de désirer l'homme que j'aime, les deux personnes qui m'attirent. Absolument aucune barrière ne m'est mise. Et si je ne m'en mets pas moi-même, je vais m'y perdre, comme Emerens a failli s'y perdre.
Je ne veux pas finir comme ça.
Et pourtant... L'idée d'aimer en public est tellement euphorisante.
***
Deux femmes sur mes genoux, leurs baisers qui me font rire, les chatouilles sur ma graisse, entre mes seins, autour de mon cou. Je suis bien heureuse de constituer le meilleur coussin de nous trois, cela me permet des privilèges éhontés, comme celui de les étreindre entre deux cours, une sur chaque genou, et d'être à l'extrémité réceptrice de leurs baisers.
Un rire plus fort que les autres m'échappe, et Moanaura retire sa tête de mon cou pour me pincer la joue.
« Dis-le tout de suite si je te chatouille, vilaine !
— Ah ça, je pouffe, autant que je le dise, puisque c'est tout ce que tu obtiendras de moi, vile garnemente. »
Willy pouffe de son côté, et cale sa tête sur mon autre épaule. Je suis décidément un bien agréable coussin pour mes bien-aimées, et je ne peux réellement en prendre ombrage. Le gras doit servir à quelque chose, mesdames, je vous en prie, installez-vous !
« On se l'entend répéter depuis des années et pourtant, tu nous permets bien des choses, Nako, elle rit. Je vais finir par te comparer au fruit défendu. »
J'aime beaucoup la comparaison, honnêtement, et elle ne me paraît en rien offensive, c'est une blague entre Willy et moi depuis que je lui ai expliqué mon asexualité. Du moment qu'elle ne prend pas mal que je ne veuille pas d'affection plus charnelle, une blague de temps à autres ne m'a jamais gênée plus que ça.
Pourtant aujourd'hui, c'est différent. Sans doute à cause de la journée de visibilité lesbienne, qui a entraîné beaucoup de commentaires sur ma page Twitter, commentaires acephobes.
Je n'aime pas le mois de la Pride pour beaucoup de raisons, C'en est une. Je ne suis pas blanche, je ne suis pas « une vraie lesbienne », je ne suis pas conventionnellement attractive, et mes propres camarades de galère cherchent à me le faire payer.
Willy, sans doute voyant que cette fois, ça ne me fait pas rire, se stoppe.
« Désolée. C'était trop ?
— Non, non, t'inquiète. C'est juste... Beaucoup d'accumulations. Plein de lesbiennes venues me dire que je n'en étais pas vraiment une, puisque je n'avais aucun désir charnel pour les femmes. D'autres qui se plaignent encore que je les mène par le bout du nez...
— C'est stupide, se récrie Moanaura. Si tu n'es pas lesbienne je suis quoi, moi, un homme ? Berk les hommes.
— Comme tu dis, renchéris Willy. Puis je vois pas de quoi elles se plaignent, ces meufs, je veux dire, on est là, nous, pour les besoins de ces dames ! »
J'ai un léger rire.
« Certes, certes... Enfin, ça m'a juste rappelé que dans ce monde, le sexe compte tout particulièrement, et on ne le détache pas de la romance. Un moment, j'étais redevenue la petite moi, qui ne comprenait pas ce qu'elle ressentait, et ne savait pas si elle aimait les femmes parce qu'aucun homme ne voulait d'elle... »
Willy fait la moue dans le creux de mon cou.
« Les hommes sont stupides.
— Les hommes n'aiment pas les grosses, je soupire. On me l'a bien fait comprendre.
— C'est bien ce que je dis. »
Elle m'embrasse dans le cou, et je me laisse aller contre elle, suivie par Moanaura qui n'est pas en reste.
« C'est con, mais les écoute pas, Nako, j'irai modérer plus tard. Maintenant, t'es sûre de toi et on peut célébrer ensemble, c'est tout ce qui compte. Et puis, on te forcera à rien, quoi. Le but, c'est que tu sois heureuse, non ? »
Je l'entoure de mon bras, la rapproche de moi, les laisse toutes deux m'entourer de leur amour, de leur chaleur.
« Oui. C'est le plus important. »
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