Petits mots d'amour, partie 7 (AT-AST)

(Gaffe, les pd, la deuxième et dernière pépite spoile salement The Art of Creating Hope, et par là j'entends spoilers de la fin. Donc attention où vous mettez vos papattes-)



Fiou, ça, c'est ce qu'on appelle une sacrée séance de répet.

Enfin vous me direz, j'espère bien, le concert est pour dans deux semaines. C'est le spectacle du Nouvel An chinois, puisqu'ils sont nombreux dans l'école à le célébrer, mais moi, je le considère surtout comme l'excuse de notre cher leader pour faire son show. Non pas que je ne veuille respecter les traditions, mais sérieusement, doit-on monter sur scène à chaque célébration ?

La réponse qu'il me fournirait est probablement oui, mais bon, je ne vais pas m'en plaindre, je m'éclate. Ça fait bien quelques années, maintenant, que je suis dans ce groupe, et on a plutôt bien développé notre répertoire, juste assez pour que mon talent en ingénierie du son ne devienne presque essentiel. Faut bien quelqu'un pour accorder la basse de Senri ou vérifier qu'on entend assez Ryo sur le bruit des autres instruments. Pour faire les sons qu'on ne maîtrise pas, aussi. Ou pour accuser en cas d'autotune.

Toujours est-il que je suis épuisée, et les autres ne sont pas en meilleur état. Emerens s'enfile encore trois bouteilles d'eau, une main sur sa gorge, Senri se masse les doigts et Ryo plaisante sur ses bras trop lourds. Non sans un ou deux commentaires acerbes.

« Sans déconner, les gars, le jour où vous fournirez autant de boulot que moi, j'suis sûr qu'on va voir une foule de mecs se plaindre que leur coup d'un soir favori a perdu tout son talent ! Ouais, ouais, j'te regarde, Emerens, il ricane alors que ce dernier pouffe. J'ai qu'une envie c'est de voir les bras te tomber juste pour voir la tronche de ton mec.

— Il me restera ma gorge, ça au moins j'ai de l'entraînement, réplique notre chanteur avec un rire plein la voix. Et en plus, franchement, Ryo, t'exagères, toi au moins t'as pas à porter ton instrument à bout de bras pendant des heures !

— Ew, je grommelle alors que Senri fixe les deux plaisantins avec son habituel regard blasé. Je veux pas de détails sur vos vies sexuelles, les mecs.

— De toute façon, avec le concert dans deux semaines, la mienne est tellement plate que j'ai une réclamation de Taichi à transmettre au leader, ricane Ryo. D'ailleurs, si tes fonds au BDE sont coupés, c'est normal. »

Ben voyons, et notre président préféré serait capable de faire ça alors qu'il aime autant les fêtes que nous ? De toute façon, je sais qu'Emerens a d'excellentes méthodes pour regagner des fonds, je veux juste pas savoir lesquelles. Non pas que ça me concerne, on a pas besoin de beaucoup de monnaie, dans le groupe. Mais bon, faut bien se préoccuper un peu des problèmes des membres...

Je roule vers Ryo avec un petit sourire, essuyant la sueur sur mon front. Ce dernier me fait un high five. Je l'aime bien, Ryo, en vrai. Il était très gamin quand je l'ai rencontré, et je ne croyais pas pouvoir m'entendre avec quelqu'un qui dit que tu mérites ta situation financière, mais au sein d'un groupe, ce n'est plus du tout la même personne. Et il a beaucoup évolué, ces dernières années.

« Pas trop fatiguée de porter le groupe sur tes épaules, Amelia ?

— Franchement, des fois, je me demande ce que vous feriez sans moi, je rigole sous le regard outré d'Emerens. Je fais l'ambiance sonore, je corrige vos erreurs, je vous paye des coups à boire... Et j'attire même le public féminin, franchement, c'est pas beau la vie ?

— Etant donné que j'ai déjà eu des lesbiennes venues me draguer, permets-moi de douter de cette dernière phrase, Amelia, réplique Emerens en me filant un coup de poing dans l'épaule. Avoue que tu veux pas admettre que c'est moi qui garde presque tout le capital de charme de cette équipe ! »

Je surjoue un cri de douleur, moi pauvre femme paraplégique attaquée par le terrible unijambiste, tandis que Senri lève les yeux au ciel.

« J'espère au moins que ce n'est pas le charme qui fait la célébrité du groupe, parce que je ne suis pas vraiment là pour qu'on retienne mon apparence plus que ma musique. »

Emerens ricane.

« Au risque de te décevoir, mon vieux, je crois que c'est mort pour faire le gars effacé. Tu sais combien de filles et de gars de la Réserve j'ai vu baver sur le si mystérieux bassiste du fond de la scène ? Mon dieu, le nombre de tickets que tu te payes avec eux...

— J'avais pas vraiment envie de savoir, merci.

— Eh, faut arrêter de nier l'évidence. Au bout d'un moment, quand on a un fan-club, il faut bien admettre qu'on attire tous les regards pour de multiples raisons. »

Et allez, ça recommence. Avec un clin d'œil, en plus, et un bras passé autour de ses épaules dont Senri, pourtant aussi hérissé qu'un porc-épic d'habitude, ne se dégage même pas. En plus, je ne suis pas la seule à en avoir marre. Ryo vient de ranger ses baguettes avec force bruits et raclements de gorge, avant de se tourner vers les deux insupportables imbéciles. Affectueusement.

« Bon, on se le prend, ce coup à boire, ou pas ? J'ai besoin d'un pinard pour oublier ce que je viens de vivre, là, les gars ! En plus, vu qu'Amelia propose si gentiment...

— Eh là, j'ai rien proposé du tout, » je m'exclame, parce que je veux bien servir de prétexte mais faut pas déconner non plus.

Sauf que Ryo ne s'en formalise même pas, et se contente de m'attraper par les épaules.

« C'est pas toi qui te plaignais de l'égalité homme-femme hier ? Allez, remets les pendules à l'heure et paye-nous un coup à boire, prouve-nous que c'est pas toujours les hommes qui payent ! »

Oh ! Ce goujat ! T'as de la chance d'être gay mon cochon, et aussi que je ne puisse soulever mes jambes, car cela mérite un bon coup dans les roubignolles spécial hommes cishet. Et t'as de la chance aussi que je me doute que c'est une blague, et que la blague a au moins le mérite d'arracher Senri à Emerens. J'vous jure.

« Ça me va. Besoin d'une bière, et ça ne me ferait pas de mal d'écouter de la musique de bar que je ne joue pas. On prend lequel ?

— N'importe, trouvez-en un qui fait encore l'happy hour, je soupire. En attendant, moi et le grand patron, on va finir de ranger. »

Le grand patron en question lève les yeux au ciel, mais laisse Senri et Ryo s'éloigner dans un coin pendant que je roule dans sa direction, une fois mon synthé et mon ordi rangés. Il ne lui reste, de toute façon, plus que sa guitare, qu'il remballe avec précaution, ne remarquant pas ma présence avant que je lui passe un bras autour de la taille.

« Bon, sérieusement, mec. Lui et toi, c'est pour quand ?

— Je vois pas de quoi tu parles. »

A d'autres, et ton regard en coin est sur l'araignée que Ryo a au plafond. Mon cul, oui.

« Fais pas genre, je soupire. Ça fait des années maintenant que t'es sur lui en permanence, et j'vais être honnête le fait qu'il t'envoie pas chier est déjà pas mal une marque d'intérêt. Pourquoi tu lui dis pas juste que tu veux te le faire et plus si affinités et en finir avec cette insupportable tension sexuelle ?

— Sérieux, on est si chiants que ça ?

— Sincèrement ? Je regrette presque les temps ou Raraka était dans le groupe et où je flairais son vieux crush à des kilomètres. Je sais pas si c'est les super-sens de l'aromantique ou juste que t'es aussi peu discret que d'habitude, monsieur le prince des scandales, mais franchement j'en peux plus. »

Et puis franchement, si on m'avait dit que je finirais à faire du conseil relationnel à un de mes camarades arospec... Moi, ça m'intéresse si peu, d'avoir une relation, sans déconner, des fois j'ai du mal à le suivre. Mais bon, si c'est comme ça qu'il est heureux, tant mieux pour lui, il vit ses attractions comme il veut, pas pour ça que je vais soudainement me mettre à le traiter d'allo.

C'est juste que j'aimerais bien, dans ce cas PRECIS, qu'il porte ses couilles et qu'on en finisse, et même si j'ai les détails de leur nuit de folie. Quoique, surtout ça, j'ai toujours aimé les ragots de ce genre, ils sont tellement rares. Et Emerens est bien le seul mec que je connais à n'avoir aucune pudeur et assez de partenaires sexuels pour qu'au moins un s'en batte les couilles.

Ledit Emerens se contente de lever les yeux au ciel.

« T'as vu le tas d'épines, Amelia ? J'ai passé des années à apprivoiser le hérisson, j'ai pas envie de tout claquer maintenant pour une histoire de cul. Que je veuille me le faire ne vaut rien comparé au fait que c'est, genre, mon meilleur pote ?

— Pi-tiééé, depuis quand tu t'en préoccupes ? Je te concède que Senri est difficilement approchable, mais quand même, si t'en fais tout un plat, ça va juste rendre ça encore plus chelou. Et t'es pas le mieux placé pour dire que le meilleur pote est sur une no-fuck-list, monsieur je me suis tapé Thibault après le concert de la Pride 2019 alors qu'on était encore au stade « besties ».

— Sympa la balle perdue.

— Ose me dire que c'est pas vrai ! »

Il gonfle les joues, mais ne réplique rien. Preuve s'il en est que j'ai raison.

Ravie de ma victoire, je lui pince la peau de la hanche. Eh, j'arrive pas à atteindre grand-chose d'autre sans me tirer sur le bras bien assez crevé, on fait ce qu'on peut.

« Allez, quoi, un petit effort. Et puis, ça va peut-être nous le décoincer un peu.

— Tu parles. Le risque est trop grand, il ricane. Je risque plutôt de finir plein de piquants. Nan, j'vais attendre de voir s'il prend les devants, c'est très bien comme ça.

— Tu vas finir avec les boules bleues, je le sens venir à trois kilomètres.

— Pour ça, j'ai un mec, des plans culs, une collection de bouquins et un traitement de texte, chérie, c'est ménageable~

— Bon, vous venez ou vous papotez comme des grands-mères ? Je crève de soif, hurle Ryo depuis son coin de la salle. Et j'aimerais bien éviter de rentrer à pas d'heure pour me faire allumer par Taichi ! »

Outrée de me faire accuser de grand-mère, Ryo, et t'as de la chance qu'Emerens n'ait pas de canne parce qu'au vu de sa tête, il a envie de t'éclater la gueule à la Ansgar. Mais bon, d'un autre côté, on a fini de ranger, et moi aussi, j'ai méga soif.

Et puis avec un peu de chance, une pinte de bière détendra Senri, et j'aurais peut-être l'occasion de voir le véritable soi de tout mon groupe, ce soir.

C'est vrai, quoi, à quoi ça sert d'avoir des potes si on ne peut pas se moquer d'eux sans la moindre pitié.

***

Dois-je être maudit au point qu'on ne me laisse pas respirer pour le reste de ma putain de vie ?

Franchement, je ne sais pas si j'ai vraiment envie d'une réponse à cette question.

Soyons honnêtes, je crois que personne ne l'a.

Replaçons un peu le contexte. Je suis arrivé il y a peu de temps au Gotoland, avec à la clé le fait que beaucoup trop de gens là-bas ont regardé un fantastique direct qui m'a fait me prendre beaucoup de regards en coin, de jugement, de pitié, qu'en sais-je ? Je ne regarde plus les yeux de personne. J'ai trop peur d'y voir leur reflet.

Et ajoutons à ça que je ne sais pas si Seo-jun et Moanaura n'ont pas supporté la pression ou si simplement ils en avaient marre de ma sale gueule, mais aucun des deux n'ont pris le temps de s'installer. Moanaura a réintégré son équipage de Tahiti, ou je suis presque sûr qu'elle a essayé d'intégrer Willy, et Seo-jun m'a sorti l'excuse du voyage initiatique pour pouvoir se barrer de là et ne plus jamais avoir à regarder la tronche de Louna.

Louna qui est en putain de résidence surveillée. Evidemment qu'il ne voulait pas la côtoyer.

Sauf que moi, évidemment, je n'ai pas cette chance. Parce que soi-disant je suis le cerveau le plus gros du coin et j'ai donc plus de chance de me bouffer un Désespoir, je n'ai plus nulle part où aller parce que ma mère n'est plus en état de nous accueillir et ne parlons même pas de l'état de ma famille et de toute façon Kagari Goto premier roi de mon cul ne veut pas que je mette le moindre orteil en dehors du palais tant qu'il n'est pas absolument certain que je vais bien.

Ah ah.

Aller bien.

Donc qu'est-ce que vous vouliez que je fasse, moi ? Je reste dans ma chambre. Parce qu'il est hors de question que je fasse quoi que ce soit pour le Gotoland, peu importe à quel point Môssieur Goto insiste pour que je reprenne les maths. Et sortir, très peu pour moi, merci. Je suis très bien dans ma solitude, avec ma console et mes peluches et l'incertitude de savoir si le monde s'est oui ou non effondré autour de moi.

Sauf que ce n'était évidemment pas du goût de notre cher roi.

Et qu'est-ce qu'il m'a foutu comme idée de génie, après les séances de thérapie collectives et individuelles et le ô combien important rituel de rencontre des autres survivants qui n'ont de toute façon rien de mieux à faire que de me juger ? Me fourrer dans la même chambre que l'ex-Ultime Théologue, Pandora Mylonas, et attendre que ça se passe.

Ben voyons.

Soyons honnêtes, Pandora n'est pas la dernière des idiotes. En d'autres temps, ses théories sur l'existence du divin m'auraient probablement fasciné. Je suis presque sûr qu'Amell les aurait adorées. Quel dommage que cela s'incarne dans le regard mort d'une femme qui me fixe en chien de faïence depuis le début de notre... cohabitation.

Je n'ai aucune idée de quand elle va ouvrir la bouche. Et je crois que je n'en ai plus rien à foutre.

Pourtant, je n'arrive pas à l'ignorer.

Sa présence m'enferme d'autant plus.

Le premier jour, je n'ai réussi qu'à dormir. Pour m'échapper un peu. Quel dommage que mon échappée m'ait fait atterrir dans les bras de quelqu'un que je ne reverrai jamais.

Le deuxième jour, incapable de dormir, j'ai repris ma Switch et ait essayé d'éteindre mon cerveau quelques minutes. Sans succès. Le moindre rayon de soleil renvoyait des reflets blonds à mes yeux, et elle, elle écrivait sur son tableau je ne sais trop quoi, aussi insensible à ma présence que je le suis à la sienne.

Le troisième jour, un reste de curiosité m'a poussé à aller voir ce qu'elle était diable en train de faire. Il y a une faute dans son raisonnement logique. La soulever m'a donné envie de vomir. Je n'ai rien dit.

Jour quatre, j'ai tenté de parler, quelque chose que je n'avais plus fait depuis cette maudite lettre. Rien de bien compliqué, juste trois mots, juste un « je m'ennuie » qui pourtant m'a brûlé la langue. Elle s'est contentée de me regarder avant de grommeler.

« Tiens, tu sais parler, toi. Depuis tout ce temps, je croyais qu'on t'avait arraché la langue. »

J'aurais bien aimé, ma grande. Au moins, comme ça, ça me filerait une excuse pour ne pas répondre à mes psys. Mais si tu le prends comme ça, autant que je ferme ma gueule. De toute façon, tu sais très bien que je peux encore parler. Tu m'entends hurler toutes les nuits.

Le cinquième jour, elle essaie de me faire la conversation, presque trop poliment, et je réponds, puisque je n'ai que ça à faire. Tant qu'elle ne pose pas de questions trop personnelles.

Sixième jour, elle tourne dans la chambre comme un lion en cage. Sors donc, si je t'emmerde, ça ne me fera jamais que quelques instants de répit...

Sauf qu'elle ne sort pas.

Elle est prisonnière.

Autant que moi je le suis.

Ce n'est pas Kagari Goto qui nous enferme, lui qui de temps à autres insiste pour faire rentrer l'air frais dans nos chambres, nous parle sans cesse du beau temps lors de ces pseudo-séances de thérapie collectives. C'est nous-mêmes. Je suis encore assez loin d'être con pour comprendre ça.

Sauf que je ne peux rien y faire.

Cet endroit est encore le seul où je peux me cacher de toutes ces épines qui m'enserrent le cœur. Et peu importe si les épines finissent par grandir autour de moi.

Septième jour, les volets sont grands ouverts. Le soleil brille. Le soleil m'agresse. Je vois des reflets blonds partout. J'ai envie de hurler. Je ne peux pas hurler. Elle est là. Elle n'a pas à entrer encore davantage dans mon intimité. Est-ce qu'elle a vu le live ? Est-ce qu'elle sait ? Est-ce que je passerai le restant de mes jours à me poser la question, alors que la blondeur du soleil me consume le cerveau ?

Je me lève dans un dernier sursaut de force. Vais fermer les volets. Elle proteste.

« Laisse-les ouverts.

— J'ai mal aux yeux. »

Et à l'âme. Et au cœur.

« C'est pas en empêchant la lumière de rentrer que ça va aller mieux. On étouffe, là-dedans, merde ! »

Son ton est agressif, sec. Il invite presque à la bagarre.

Je me serais bien énervé.

J'aurais dû m'énerver.

Mais de toute façon, je ne vois plus le soleil.

Ma seule étoile est morte après m'avoir consumé.

Alors, quelle importance si elle continue de voir la lumière ?

Je laisse tomber les volets, retourne me coucher, dos au soleil. Je n'y vois rien. A mon doigt, ma bague me brûle, comme toujours depuis des semaines maintenant. Mais je n'arrive pas à l'enlever. Si j'essaye, c'est le froid qui la remplace.

Alors je me contente de la fixer, en silence, dernier vestige d'une promesse qui ne tient plus. Pourquoi est-ce que je m'accroche encore aux derniers mots d'un mort alors même qu'il m'a condamné ?

Pourquoi est-ce que je ne me sers pas du couteau de cuisine sur la table pour m'arracher les entrailles et enfin cesser de souffrir ?

Suis-je donc lâche à ce point où est-ce parce que toutes leurs dernières paroles me hantent à chaque fois que je songe à plonger une lame dans ma poitrine ?

« Je te le promets. »

« Vis bien. »

« Promets-le-moi. »

« Merci pour tout. »

« Je t'aime. »

« Je t'aime. »

« Je t'aime. »

« Je t'aime. »

.... Est-ce vraiment juste de sacrifier la vie qu'ils voulaient sauver ou suis-je justifié devant ce qui a été fait pour la préserver ?

J'en ai assez de me poser la question. Mais c'est la seule chose qui compte, désormais.

Les jours défilent. Pandora semble mal supporter son propre enfermement. Ou peut-être est-ce ma présence qu'on lui impose. Dans tous les cas, elle finit par hurler, craquer, jeter des trucs dans tous les sens, un oreiller au sol, le tableau blanc dans le mur, ma console par la fenêtre.

J'aurais dû m'énerver.

Je voulais m'énerver.

Mais rien ne vient alimenter le brasier.

Je n'ai plus rien à brûler.

Et la seule pensée qui me vient, c'est « j'espère que tu es content de toi ».

Alors que je sais très bien qu'il ne le serait pas.

C'est un sommeil sans rêves qui me prend ce soir-là. Juste habité par le vide et le froid.

Le onzième jour arrive. Pandora a cessé de hurler. Maintenant, elle pleure. Recroquevillée au sol, les yeux cachés par ses mains. Ça fait un bruit de fond. Mais le bruit de fond finit par percer ma carapace d'épines.

C'est triste, quand même. Qu'on en arrive là, nous, les Ultimes. Des années à nous garder du Désespoir, et aucun n'en réchappe, pas même les protagonistes, pas même moi, pas même lui. Et ça finit avec des survivants en larmes et des émotions qui nous échappent parce que personne ne sait traiter cette merde correctement.

Et j'ai assez vu de gens pleurer comme ça.

Je ne sais pas ce qui me pousse à me lever, m'agenouiller à côté d'elle, lui tendre la main. Cette main, si j'avais été à la place de la Théologue, je l'aurais frappée, mordue, peut-être, eussé-je été capable de m'énerver. Ou alors je n'aurais pas bougé, et attendu la mort qui je le sais me guette. Mais je crois qu'on a assez d'un cercueil.

« C'est bon, arrête de pleurer. Tu veux qu'on fasse un truc ? »

Elle me regarde avec de grands yeux ébahis de derrière ses lunettes et ses larmes.

« ... Qui... Qui es-tu ? »

.... Trop aimable.

Je lève les yeux au ciel. Le mouvement me paraît si étranger, toutefois, que j'ai l'impression que mes paupières ripent sur mes globes oculaires.

« Toujours le même. Mais si tu le prends comme ça...

— Non ! Non. Attends. »

Elle se relève. S'essuie les yeux. Renifle de manière très peu élégante. Mais de toute façon, le Désespoir, ça n'a jamais rien d'élégant. C'est des rires hurlant de douleur et des cicatrices sur deux bras. C'est des pleurs devant quelques mots écrits et un hurlement de souffrance.

C'est quelque chose que je ne voulais jamais voir s'enraciner en qui que ce soit. Plus jamais.

C'est tout le contraire de ce que je vois briller dans les yeux de Pandora alors qu'elle lève la tête vers moi.

« On pourrait... On pourrait chercher des trucs ensemble ? Tu fais des maths, non ? »

Plus maintenant.

« Je faisais.

— S'il te plaît. »

Une supplication. Mes dents qui se plantent dans ma lèvre, mes paupières qui tremblent. Mes maths m'ont valu de perdre tous ceux que j'aimais. C'est une malédiction que je ne souhaite à personne.

Mais elle a l'air tellement vulnérable, comme ça, allongée au sol, guettant la moindre bouée de sauvetage.

Elle me rappelle presque Alannah.

Je tends la main de nouveau. Elle la prend. Se relève.

Je ne suis pas une bouée de sauvetage.

Mais je ne veux pas être encore responsable du Désespoir de quelqu'un.



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