Petits mots d'amour, partie 3 (AU sans Tuerie ?)
On se sent seule à l'infirmerie.
Pas que j'y sois seule. Difficile d'être seule dans ces conditions, dans la fameuse Hope's Peak. L'Ultime Gynécologue y passe tout son temps libre, j'ai l'impression, et l'Ultime Kinésithérapeute vient très souvent nous voir. Sans compter l'Ultime Psychiatre, ou l'Ultime Chirurgienne, ou... Ou tous les Ultimes ayant un lien avec la médecine. Sans compter Monowari, notre infirmière. Qui dirige ce petit monde d'une main de fer.
Non, on n'est pas seule à l'infirmerie. Mais c'est facile de se sentir seule quand on voit Reina parler main dans la main avec son écrivain narcoleptique, ou le mexicain aux yeux rieurs enlacer Theodosia entre deux cours, ou un son de trompette accompagner les rires de Sanae pendant que l'Ultime Soldat lui lit un livre, un sourire aux lèvres.
Oui, c'est facile de se sentir seule quant à côté de ça la personne que tu aimes ne te verra jamais comme autre chose qu'une petite sœur à protéger, tout en affichant son bonheur avec celles qui la rendent heureuse.
Mais au moins, l'infirmerie me permet d'oublier la douleur d'aimer sans retour. Alors seule ou pas je m'y plonge, essayant d'oublier les regards amoureux et les rires. Étrange de se dire que ce sont les blessés et les malades qui me le permettent.
La porte s'ouvre. Encore, j'imagine, un visiteur impromptu de quelqu'un qui s'attendait à ne pas rester seul.
Une chaise se tire à côté de moi.
Je relève la tête.
Un sourire rassurant m'accueille avec un livre.
« Bonsoir Ester. Navré si je te dérange, mais j'ai trouvé un livre de contes qui je pense pourrai grandement te plaire. »
Je ne sais pas quoi dire, mais ce n'est pas nécessaire. Ce n'est jamais nécessaire avec Houshang. Je n'ai même pas à sourire. Je n'ai même pas à rire. J'ai juste à écouter. Houshang aime être écouté. Mais il aime surtout quand je l'écoute.
Je ne le remercierai jamais assez d'avoir accepté de me parler, à moi l'étrangère qui ne savait pas communiquer. Même s'il ne comblera jamais les trop nombreux vides de mon esprit, il est bien suffisant pour me permettre de sentir l'étincelle que je croyais avoir perdue.
L'étincelle de la joie.
***
Quand Louna m'a dit qu'à la rentrée 2020 Ruben serait plus grand que moi je lui ai ri au nez.
Je sais que je suis petit, mais quand même, c'est un putain de gosse ce mec ! Je suis sûr qu'il dépassait pas le mètre cinquante quand je l'ai rencontré, pour un travail de groupe en gestion relationnelle, enfin, le bordel des matières à Hope's Peak quoi.
Pourquoi l'imparfait ?
Parce que je l'ai retrouvé à la rentrée vu qu'on commençait par l'heure de réseau et devinez qui a dû lever la tête ?!?
Un indice, pas Ruben.
Jamais j'aurais cru que les poussées de croissance pouvaient atteindre un seuil pareil.
Bon, j'exagère un peu. Il dépasse sûrement le mètre soixante, mais c'est pas comme s'il s'était transformé en Emerens pendant la nuit. Mais comme c'est Ruben, j'ai l'impression qu'il s'est transformé en géant et putain c'est perturbant.
En plus, maintenant qu'on est devant la porte au cœur d'une foule d'Ultimes, c'est moi le plus discret des deux. Enfin je dis ça mais ça l'empêche pas de me remarquer et de me faire un grand signe de la main. Y'a un nouveau bracelet sur son poignet, un truc en argent avec des émeraudes.
Il se dirige vers moi avec un grand sourire. Que je qualifierais presque de ravageur s'il était pas si innocent.
« Rebonjour Thibault ! Ça a été, ta journée ? »
Elle allait bien jusqu'à il y a cinq minutes et que je sache pas trop si mon pauvre cœur a envie de hurler sa haine de sa poussée de croissance ou juste de m'envoyer trop de sang aux joues devant son sourire. Mais bon, je peux pas trop lui dire ça, vu le nombre de fois où je lui ai fait comprendre mon désintérêt romantique... Alors je contente de hocher la tête, et son sourire s'élargit. Avec lui, la boule dans mon ventre. Il se passe quoi là exactement ?
« Cool ! Tu vis toujours à l'internat, dis ?
— Pas trop, pas trop, je marmonne. Je fais un peu ma petite vie entre l'appart d'Emerens et celui d'Ibrahim en attendant mieux, même si techniquement, j'ai toujours ma chambre... »
Est-ce que j'essaie de faire passer un message subliminal pour vérifier l'état de notre relation ? Peut-être, surtout parce qu'en soit, je ne vis pas vraiment chez eux. Emerens a pas vraiment de place pour moi à part sur son canap' ou dans son pieu, et Ibrahim, chambre d'amis ou pas, n'invite pas que moi. Je reste un invité. Un invité en attendant la fin de la construction de ce foutu manoir.
Mais Ruben ne réagit ni à la mention d'Emerens, ni celle d'Ibrahim, comme j'ai pu le voir à la fin de l'année précédente. Il se contente de sourire. Un sourire sans la moindre jalousie.
Merde, pourquoi c'est adorable, ça ?!?
« Je vois je vois. Dans ce cas, est-ce que ça te dirait, un café ? Tu as le temps ? »
... Oui, j'ai toujours le temps, mais je m'attendais pas à ce qu'il soit employé avec Ruben Andersen, qui me crush dessus non sans que ça me fasse pas mal chier depuis le début de l'année dernière ? Pourtant, je peux pas refuser. Je sais pas pourquoi, mais je peux pas refuser. Juste hocher la tête en me demandant ce que je suis en train de putain de faire.
Ruben a un large sourire à ma réponse, et il se dirige vers la porte en me faisant signe de le suivre. Il n'essaie même pas de me prendre la main, comme avant.
Est-ce que je suis en train de développer un crush sur le mec qui s'est remis de mon propre rejet je ne sais pas, mais bon, visiblement c'est la vie que j'ai choisi de mener.
Autant voir jusqu'où ça peut me faire aller.
***
Quand je me suis plainte en réseau de ne plus rencontrer personne et qu'Emerens m'a proposé de me faire rencontrer, selon ses dires, « sa légion de saphiques », j'ai d'abord cru à une blague.
Quand il m'a présentée à sa cousine, j'ai vu la blague s'épaissir encore un peu davantage.
Connaissant Emerens, on pourrait s'attendre à tout et n'importe quoi. De la gigantesque blague de match-maker au fait qu'il ait fait exprès de caser ses proches en passant par le fait qu'il ait complètement mal compris ce que j'entendais par « faire de nouvelles rencontres ». Cette dernière option étant bien plus probable au vu du fait que je suis asexuelle et lui incapable de penser autrement qu'avec ses organes génitaux.
Du coup, disons que je ne m'attendais pas à grand-chose pour ce premier rendez-vous.
Autant dire que je suis tombée des nues.
La réputation des Van Heel n'est pas usurpée. Mais si Emerens est un homme à scandales et fier de l'être, l'exubérance de Willelmien se manifeste d'une manière que je trouve beaucoup plus... Supportable n'est pas le bon terme, ils me font rire autant l'un que l'autre.
Solaire. Voilà le terme que je cherchais. Elle est tellement plus solaire.
Je ne m'attendais pas à grand-chose pour un premier rendez-vous. Mais on a parlé esthétique, jeux et cuisine, elle m'a parlé de sa vie, j'ai parlé de mon travail, et ainsi de suite, au point que je n'ai pas vu le temps passer.
Je n'ai même pas vu le soleil se coucher.
Ce n'est que quand elle est partie que j'ai remarqué qu'il faisait nuit.
C'est rare, quand je cherche par moi-même à donner une suite à mes relations.
Pourtant le lendemain, je lui ai donné mon numéro de téléphone.
Parfois je me dis que la réputation de docteur love d'Emerens Van Heel n'a absolument rien d'usurpée.
***
Elle était une enfant quand je suis partie.
Notre vie n'a jamais été ce que les gens qualifieraient de facile. Elle comme moi avons grandi dans la politique, nourries à la politique, façonnées par la politique. Notre destin était tout tracé. Je devais prendre la suite de mon père dès que j'en aurai la possibilité et elle, devenir députée à l'Union Européenne.
Personne ne s'est jamais demandé si c'était notre choix.
Encore moins quand ce destin fourni de l'idylle de la politique suédoise s'est brisé en mille éclats.
Tout s'est enchaîné très vite. Trop vite. Les coups d'État, les guerres, les enlèvements, les prises de décision, la fermeture de mes frontières, la centralisation. Et au milieu de ce maelstrom, moi, adolescent.e, et elle, encore enfant, qui ne nous attendions pas à grandir trop vite.
Quand j'ai eu mon titre, j'ai tout de suite compris que nous ne pourrions plus être des enfants.
Pour le bien de mon pays, j'ai dû briser son enfance. Je l'ai formée à la politique, je lui ai appris à ne dépendre que d'elle-même, à s'assumer, pour pouvoir assumer la charge d'un immense État qui deviendrait bien plus qu'un point de chute. Je lui ai appris à devenir une adulte.
Pourtant, elle n'était qu'une enfant quand je suis parti.e.
Elle ne le restera sans doute pas longtemps.
***
On dit que les plus belles histoires commencent avec des trahisons. Enfin, quelques littéraires un peu trop romantiques disent ça, bien évidemment. Je n'en fais pas vraiment partie. Moi, je trouve qu'elles se terminent avec des trahisons.
Après tout, qui serait capable de trouver le bon côté à un poignard enfoncé dans son dos ?
Pourtant, je peux leur accorder que parfois, il n'y a rien de plus beau, une beauté des plus tragiques, que le sourire satisfait de l'homme que vous pensiez aimez alors qu'il vous administre le coup de grâce, un coup de grâce qui transpire la satisfaction. Quelque chose dans cette situation qui vous donne envie de présenter l'autre joue juste pour ressentir ce doux-amer encore une fois.
Trahi je suis et dans ma trahison je savoure la souffrance. Pourtant, ma voix n'est teintée que de colère alors que je fixe le traître dans le blanc de ses yeux emplis de la cruauté de m'avoir jeté du haut de la falaise.
« Putain, Thibs ! T'as quand même pas osé me blue-shell, espèce de sale bâtard ?!? »
Thibault éclate de rire dans le fauteuil que nous partageons. Mais moi ça ne me fait pas rire du tout. Pour une fois, pour UNE fois que je finis premier devant la ligne d'arrivée à Mario Kart, et je n'ai même pas le temps de savourer ma victoire, non, il faut que je me fasse éjecter par ces carapaces du démon, que le deuxième en course conservait depuis je ne sais trop combien de mètres. Ouais, parce que je sais qu'il attendait que ça. Les deuxièmes positions ne peuvent pas avoir de carapaces bleues.
Et évidemment, comme je me suis bien fait assommer par cet objet de merde, non seulement il me double, mais en plus trois bots prennent sa suite juste devant la foutue ligne d'arrivée. Je passe de ma bien méritée première place à un minable cinq en l'espace de quelques secondes et quand j'arrive enfin à me réveiller, impossible de rattraper mon écart. Normal, la course est finie, nom de Dieu.
Thibault, en train de parader avec son grand chelem de Mario Kart, me jette un regard satisfait.
« Bah oui, chéri, je pouvais quand même pas te refiler un avantage sur toute la course, hein. Je veux bien être gentil avec les débutants mais quand même.
— Débutant ?!? Nan mais tu vas voir qui est débutant, espèce de traître sans-cœur, perfide scélérat, homme de peu de foi ! Attends un peu que je te chope et on va voir qui est débutant... »
Mon vocabulaire très développé et ma foi fort adapté à la situation ne semble pas le déstabiliser, mais il n'a pas compté sur quelque chose de capital, l'étendue presque extrême de mes fantastiques réflexes. Au moment même où dans ses rires il jette la manette de la Switch sur la table avoisinante, moi, c'est sur lui que je me jette. Et comme je suis quelqu'un de très compétent, il n'a pas le temps de réagir outre mesure avant de se prendre sa terrible punition.
Excellent.
Thibault, incapable de réagir comme à chaque fois que je lui fais des chatouilles, se tord entre mes doigts, mort de rire. Et j'avoue que c'est suffisamment drôle pour que je permette à mes mains de passer sous son T-shirt. Juste assez pour qu'il puisse sentir davantage les terribles chatouilles.
Évidemment, il se tord encore plus.
« Emerens ! Arrête tes- Arrête tes conneries, putain, tu peux pas juste... Accepter ta défaite comme tout un chacun ?!? »
Tu n'es pas très crédible quand tu es mort de rire, mon amour. Mais je te l'accorde, je ne t'en laisse pas vraiment l'occasion.
« Accepter ma quoi, Thibs, lumière de mes jours et homme de ma vie ? Parce que je ne vois pas de défaite, moi, je ricane en accentuant le mouvement, je ne vois que de la tricherie. Et la tricherie, mon amour, c'est puni par la loi.
— Aux dernières nouvelles, la loi ne punissait pas les carapaces bleues qui je tiens à le préciser sont tout à fait legit par des putains de chatouilles ! C'est disproportionné, ça, monsieur, il arrive à bougonner entre deux éclats de rire. Disproportionné !
— Ah boooon ? Moi, je trouve que c'est tout à fait approprié. »
Je crois que la réplique cinglante de Thibault vient d'être coupée par un énième passage de mes doigts sur ses côtes. Il est rouge tomate à force de rigoler, la tête enfoncée dans les coussins du canapé, c'est adorable. Enfin, en oubliant le fait que ce visage plein de taches de rousseur beaucoup trop mignon pour son propre bien n'était pas tordu par la satisfaction de m'avoir poussé sous le bus tout à l'heure. Et puis, je n'allais quand même pas ne pas profiter de l'occasion. Ce serait quand même le véritable crime de l'histoire.
En désespoir de cause, et sans doute parce que je suis trop fort pour lui, Thibs m'attrape le visage à pleines mains, et voilà-t-il pas que je me retrouve coincé entre ses cuisses pendant que ses lèvres se pressent sur les miennes. Ah, alors comme ça, ça essaye de me distraire ? Eh bien je dois dire que... ça fonctionne. Ça fonctionne même beaucoup.
Les chatouilles ne peuvent que cesser, mais mes mains ne bougent pas de dessous le tissu de son haut. À la place, je lui entoure le torse de mes bras profitant de l'occasion pour me laisser tomber en plein sur lui, et je sens ses poumons qui se vident dans le souffle qui passe entre mes lèvres. C'est satisfaisant, même si pour être honnête je n'ai jamais aimé les baisers avec bonus haleine de chewing-gum.
Comment on en est arrivés là à partir d'une simple partie de Mario Kart, je ne sais pas. Mais j'ai mon homme dans mes bras et ses mains sur mes joues, et dans ces moments-là, j'en oublie presque qu'il y a autre chose en dehors de cette bulle que l'affection mutuelle qui nous y a poussés, le contact de sa peau sous mes doigts, sur mes joues, sur ma bouche, ses doigts dans mes cheveux, ses jambes qui retiennent les miennes.
On doit former un sacré nœud, là, et Thibault doit bien rigoler intérieurement d'avoir encore pris le dessus sur moi, rien que parce qu'il sait à quel point je suis faible et qu'il en joue. Mais je m'en plaindrai plus tard. Pour l'instant, je profite de cette sensation d'unicité.
Du sentiment que tant qu'on sera liés de la sorte, personne ne pourra jamais me l'enlever.
Pas cette fois.
Pas cette fois...
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