Petits mots d'amour, partie 2 (AU sans Tuerie)

NdA : Y'a une pitite musique à un moment de la nouvelle ! Si vous pouviez l'écouter en lisant sivouplé-

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Je m'ennuie.

Assez violemment, même, puisque j'en suis au point de me demander si je ne ferais pas mieux de retourner en cours. Rendez-vous compte. Moi, ne pas sécher une journée entière, retourner sur mon bureau à bailler ?

Enfin, pas que ce que racontent les profs n'est pas intéressant. Sauf le prof d'arts plastiques, lui il me soûle. Bref. Les profs de ce lycée ont pas mal de trucs à m'enseigner, et le pire c'est que certains le font bien. Sauf que bon. Je me suis pas construit une réputation de malade en allant en cours. Bien au contraire, si je puis dire. Et en plus de ça, je n'ai jamais aimé m'asseoir derrière un bureau. C'est une conséquence de ton traumatisme, a dit le psy. Il faut essayer de l'outrepasser. Il est bien gentil, le psy, mais si je fais des attaques de panique devant le prof de droit pendant qu'il essaye de m'enseigner la loi auquel peut faire appel un auteur, ça va pas le faire, autant que j'étudie chez moi.

M'enfin. Là, je suis coincé à Hope's Peak parce que le pion psychopathe a menacé de foutre le feu à tous les resquilleurs, et comme il y a l'autre pion qui tourne dans les couloirs avec son lasso tel le pire des cow-boys près à me ligoter comme une vache sans défense, je peux pas accéder à beaucoup de salles. En général, on est autorisés à sécher autant qu'on veut, mais certains membres du staff prennent leur rôle professoral très au sérieux, du coup se planquer dans les couloirs est toute une aventure.

Mince, j'entends des pas. Vite, vite, se planquer derrière le mur... Ah quoique non, c'est le prof de sport et survie en milieu hostile ! Il a pas cours avec les Ultimes de la guerre ? Enfin, au moins, j'ai pas à me planquer, il est cool, Quechua. Il rigole même aux blagues qu'on fait sur le surnom qu'il s'est choisi ! J'me demande c'est quoi son vrai nom tiens, mais une des grandes bizarreries d'Hope's Peak, c'est que les profs n'ont pas de nom et se font appeler soit par leurs Ultimes soit par des petits noms, comme Quechua. Même Louna n'a pas découvert quoi que ce soit sur eux, et Louna est une fouineuse de niveau oméga.

Et en attendant, Quechua vient de me donner une bonne idée pour échapper au pion. Je dirais même une idée de génie.

Je sors de derrière mon mur comme si je ne venais pas de me cacher pendant plusieurs secondes, et fais un large sourire au prof.

« Monsieur Quechua ! Je ne m'attendais pas à vous voir ! Vous n'avez pas cours avec la classe d'Ibrahim et Daisuke à cette heure-ci ?

— Ah ben ça ! Van Heel en personne ! Ils m'attendent dehors, les loulous, on se fait une petite sortie sur le mont Fuji ! Il serait temps que tu te joignes à nous de temps en temps, un esprit sain dans un corps sain, pas vrai ?

— Monsieur, j'ai une jambe en moins, je souris, imperturbable. Je serais incapable de suivre le rythme des Ultimes Survivaliste, Soldat et Révolutionnaire avec ma prothèse. Vous en faites pas, je tiens la forme. Vous auriez pas vu monsieur Shérif par hasard ? »

Quechua se prend le menton entre les mains. Et zut, c'est pas aujourd'hui que je le prendrai au dépourvu en citant des noms "au hasard". Il est peut-être très gay pour son collègue mais il a la peau dure, Quechua, contrairement à certains de ma connaissance. Pas grave, mon plan n'a pas besoin de cet effet de surprise.

« Shérif ? Non, je ne l'ai pas vu. Pourquoi donc ?

— Ah bon ? Je fais en feignant l'innocence. Pourtant, je l'ai entendu dire hier qu'il pensait que ce serait super intéressant pour lui qu'il joigne votre groupe de randonnée ! Et puis, un prof supplémentaire pour les exercices de survie, ça vous permettra de ne pas perdre de nouveau face à Ibrahim à capture-l'étendard, non ? »

Comment virer de là un pion trop fouineur : Trouver le collègue pour qui il est très, très gay, paraitre amical et dénué de mauvaises intentions, mentionner à ce collègue une opportunité de voir son bro adoré sans faire d'insinuations sur leur future vie de couple pour éviter un rétropédalage, et appuyer sur son ego pile là ou ça fait mal. Merci à la compétitivité naturelle de Daisuke qui traîne son ex derrière lui comme un sac à patates. Grâce à ce petit concentré d'attaques, j'ai réussi à éveiller l'intérêt de Quechua.

« Intéressé par une sortie, tu dis... ? Hmmm, je devrais peut-être aller le chercher alors ! Le petit Nassaoui et son copain le Tigre ont besoin d'une bonne leçon d'humilité, ricane Quechua. Tu sais où est Shérif ?

— Ils ne sont plus ensemble, monsieur... Et puis peu importe, je souris. Shérif doit traîner du côté des salles de clubs.

— Merci bien ! Je file, ne fais pas de bêtises bien évidemment !

— Jamais, monsieur, » je souris, dissimulant du mieux que je peux mon rictus sardonique.

Et voilà c'est gagné. Vu à quel point Quechua est une boule d'énergie, Shérif sera au moins distrait suffisamment longtemps pour que je puisse atteindre une des salles de clubs. Et avec un peu de chance, il le traînera avec lui et je serai tranquille pour l'après-midi vu qu'Inquisiteur surveille l'entrée uniquement.

Je ferais mieux de le suivre pour profiter de la moindre seconde de répit. Mais pas de trop près, parce que si ça rate, je n'ai que moyennement envie de me retrouver face à l'un des deux. Surtout Shérif, il serait capable de me balancer en colle, et plus jamais je retourne en colle. L'horreur absolue.

Je suis planqué derrière la porte des toilettes lorsque j'entends un bruit de cavalcade, et vois passer juste sous mon nez Quechua et Shérif en coup de vent. Ils ont l'air bien pressés pour une simple sortie avec les élèves... Ah, là là, j'ai envie d'écrire un slowburn bien gay maintenant. Surtout que je suis sûr qu'obtus comme ils sont, tout le monde capterait de qui je parle, sauf eux. Tentant, en vrai. Je note l'idée pour plus tard.

En attendant, la voie est libre. Je sors de ma cachette, regarde à droite, puis à gauche : Personne. Et voilà le travail. Une nouvelle victoire pour Emerens Van Heel sur le staff de ce fichu lycée ! Comme quoi, les cours de manipulation sociale et de gestion de relations, ils rentrent, même si le prof est vraiment barge...

En attendant j'ai l'après-midi de libre, et une fois dans une des salles de clubs personne ne viendra m'emmerder. Alors voyons. Est-ce que je vais au conseil des étudiants ? J'ai encore des trucs à organiser pour l'évènement de mi-semestre... Ah quoique non, il me manque de la thune, et j'ai aucune réponse des sponsors qu'il reste, je vais être un peu coincé. Sinon je peux aller commencer ce nouveau projet... Surtout que j'en ai pas, en ce moment, mon éditeur est en train de faire corriger les trois derniers bébés. Hmm. Non, je vais attendre un peu.

Reste la salle de musique. Et ça tombe bien, parce que ça fait une éternité que je n'ai pas touché à une guitare !

Je rentre dans ladite salle, et souris en voyant qu'elle est complètement vide. Chouette, j'vais pouvoir me casser la gorge en paix. J'ai de la voix, mais quand j'attaque une nouvelle chanson, bah, il me faut du temps pour l'assimiler. Et j'ai une réputation à tenir, hein.

Bon par contre ça va être guitare traditionnelle, aujourd'hui. J'ai la flemme de brancher les électriques. Et j'ai même pas pris mon bébé, aujourd'hui, puisque j'étais censé avoir une journée entière, et le pion se serait posé des questions... Limite il connaît les emplois du temps par cœur, Inquisiteur. Ou alors juste le mien, parce que je suis connu pour être un sécheur de compétition.

Je chope une des guitares dans la salle et vais me poser tranquille sur un canapé, assis en tailleur et jambes ramenées sous moi. Quelques exercices vocaux plus tard, je me mets en position pour jouer. Go se faire une petite sérénade, hein ? Faut que je répète histoire d'aller emmerder Sharon ce soir. C'est rigolo de l'embêter. Pas très réglo de ma part, mais rigolo.

https://youtu.be/JJTBFH9doE4

Je sors la guitare et me mets à gratter. Mes doigts et le médiator retrouvent tout naturellement leur place, et c'est sans effort que je me mets à chanter, guidé par les notes de mon instrument.

« You could be my unintended, choice to live my life extended... You could be the one I always love..."

J'ai toujours beaucoup aimé cette musique. Elle me représente pas mal, dans un certain sens. Amour en moins, évidemment, même si bon, ça n'a pas énormément d'importance pour moi. L'avantage de cette chanson, en plus, c'est que la guitare prend une énorme place. Je peux jouer tranquille sans risquer de la dénaturer.

Ryo m'a déjà demandé si on pouvait la faire à un concert. Selon lui, ça rendrait les fans tarés. Il n'a pas tort. Mais cette chanson est trop personnelle pour ça. Trop chargée en souvenirs, et en émotions. Elle, et tout ce qu'elle représente, m'appartient à moi seul. Et aux personnes à qui je tiens. Je ne tiens pas à étaler mon cœur devant tout Hope's Peak. Il y a des limites.

« I'll be there as soon as I can, but I'm busy mending broken, pieces of the life I had before..."

Hmm. Faut vraiment que je m'entraîne. J'ai la voix éraillée. Bon, OK, c'est Muse, mais d'habitude, j'ai les capacités vocales pour. Sans me vanter, même si Matt est un chanteur d'exception. J'ai passé trop de temps sans chanter avec les deadlines de mes romans, autant que je fasse une pause maintenant que l'éditeur gère.

On toque à la porte. Par réflexe, je m'arrête immédiatement de chanter, prêt à m'enfuir au cas où c'est Shérif ; même si bon, je n'irai pas bien loin. Comme ce que j'ai dit à notre cher Quechua, j'ai la joie d'avoir une jambe en moins. Mais l'honneur veut que.

Je me tais quand même, et la porte s'ouvre. Par chance, ce n'est que Senri. Ce dernier se stoppe en voyant la guitare dans mes mains, et je lui fais un charmant sourire, en grande partie motivé par le soulagement de ne pas avoir été surpris par le pion.

« Désolé trésor, mais je suis arrivé le premier sur les guitares ! Pas de pot...

— Évite les surnoms, soupire Senri, j'ai pas spécialement confiance en toi. Qu'est-ce que tu fais là, au juste ? Encore en train de sécher ?

— Tu parles comme si c'était surprenant, je ricane. Pourtant, je te retourne la question, Senri. Tu n'étais pas censé être en cours de gestion des masses avec l'autre loli ?

— Non, j'ai une heure de trou. »

Et évidemment, il a choisi ce moment précis pour se ramener en salle de musique. Sacré Senri. Je l'aime bien, mais là, il tombe pas au bon moment. Je vais devoir remettre à plus tard l'entraînement au chant, on dirait.

Je me remets à gratter ma guitare, cette fois silencieux, et laisse Senri se poser sur le canapé à côté de moi. Je ne suis pas très regardant sur qui est dans la pièce quand je joue, mais j'aimerais bien qu'il cesse de me regarder avec insistance. J'ai l'impression qu'il veut me poser une question, et si j'étais pas aussi concentré sur mes accords, je lui dirai bien de se décoincer un peu le cul. Mais en attendant, faut que je termine sans me laisser déconcentrer. Je dois me rhabituer à la guitare, hein.

Le dernier accord joué, je me tourne vers Senri.

« Pas que je n'apprécie pas qu'on me mate, mais si t'as un truc à me dire...

— C'est rien, soupire le Trésorier. J'me demandais juste pourquoi tu avais cessé de chanter. Je t'entendais de dehors, c'est une jolie chanson. »

Eeeeeh, mais c'est qu'il a pas nié ? Oh c'est intéressant, ça. Ou alors c'est jusque qu'il est une personne mature qui n'a pas jugé utile de rebondir à ma petite provoc. C'est vrai qu'il a trois ans de plus que moi, j'ai tendance à l'oublier. J'en ai vingt-et-un, certes, et ça fait pas un écart monstre, mais quand même.

J'adorerais le teaser avec ça tel le grand enfant que je suis mais il m'a laissé beaucoup trop d'ouvertures à exploiter, et je préfère jouer sur la plus évidente. Un large sourire se dessine sur mes lèvres tandis que je passe sans la moindre gêne ma main sur sa joue, prêt à me rapprocher le cas échéant. Oui, bon, on est un flirt ou on ne l'est pas.

« Oh, je ne sais pas. Je me suis peut-être juste dit que tu n'aimerais pas que je te chante une chanson d'amour, je me suis trompé ?

— Bien vu, Van Heel. On va éviter oui. »

Il décale ma main. Aw. Pas aujourd'hui que je vais le coincer, on dirait. Enfin, comme si ça pouvait arriver. Le pauvre est toujours à fond sur Raraka, même après plus de cinq ans de poursuites infructueuses et le fait qu'elle partage une relation avec Wen Xiang depuis plusieurs années.

En vrai, je n'ai pas répondu à sa question. Et je crois qu'il sent que je ne lui ai pas tout dit, vu qu'il pousse un profond soupir.

« Et la vraie raison ? Parce que je te connais, hein, je sais que tu ne rechignes pas à flirter par lyrics. Je t'ai déjà vu faire, depuis le temps qu'on se connaît. C'est juste celle-là, pas vrai ? »

Eeeeet je suis mis en échec. Une partie de moi a envie de dire que c'est trop personnel pour lui, et il ne s'en porterait pas plus mal ; mais d'un autre côté, je l'aime bien, j'ai envie de parler, et de toute façon, un petit coup d'œil sur ses avant-bras dissimulés achève de me convaincre. Je soupire.

« Cette chanson a une signification assez différente pour pas mal de monde. Certains pensent qu'elle est dédiée à l'ancienne copine du chanteur, d'autres, à son actuelle. Moi, elle me parle parce que j'ai l'impression qu'elle raconte l'histoire de quelqu'un brisé par la vie, qui réapprend à chérir des personnes qui l'aident à s'en sortir. Tu te doutes bien que je vais pas chanter ça à n'importe qui, pas vrai. »

Mes doigts se referment sur mes manchons. Les enlever m'est toujours impossible, je me sens bloqué dès que j'essaie de tirer, mais j'imagine que Senri saisira le message. De toute façon, il est loin d'être con. On ne peut pas dire que je suis discret, et j'ai vu ses cicatrices, à mon humble avis il a plus de chance de comprendre que n'importe qui d'autre la nature des miennes.

Même s'il ne sait pas ce qui les a causées exactement.

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Je baille à qui mieux mieux sur ma fiche perso. Rien d'inquiétant, je vous rassure : Je suis juste fatiguée, un peu trop même, le fameux coup de barre de l'introverti. Il faut dire que ça fait plus de cinq heures qu'on joue, et Héloïse sait me faire oublier avec la magnificence de ses histoires les besoins de mon corps pas très coopératif envers les sorties sociales...

Enfin, du moment que je ne me fais pas remarquer. Je suis fatiguée, certes, mais la campagne arrive à son point culminant, on va enfin affronter mon boss final favori. Ah, Héloïse, toi et ta manie de mettre des méchants charismatiques dans tes campagnes... Évidemment que je n'allais pas louper cette occasion. Ce n'est pas pour rien que l'intégralité du Dungeons&Débilus me qualifie de villanosexuelle.

Peu importe. J'ai un coussin idéal à portée de tête, en la présence d'Emerens, qui est assis sur une chaise juste à côté de moi. Il ne vient pas à toutes les campagnes, c'est juste un invité dans l'équipe, comme Sour parfois, ou même Ichiko. D'ailleurs, il n'était même pas censé venir aujourd'hui, mais quand j'ai appris que Noëlle allait être de la partie, j'ai insisté. Il me faut quelqu'un à regarder en coin avec un sourire de shipper à chaque fois que ces deux useless lesbians sont en proie à leur quotidienne gay panic. Et encore, quotidienne, je suis gentille.

« Ça va, Louna ? Me chuchote mon chéri alors que je me laisse aller sur son épaule.

— Oui, oui... P'tit coup de barre, je lui réponds sur le même ton. Il traîne, le combat contre le boss final.

— ça, c'est à cause de Grisou qui séduit tous les henchmen, pouffe Emerens. On va arriver dans la salle du boss il se sera déjà fait une orgie. Dommage que les succubes de cet univers ne soient pas du genre à bouffer les âmes par relations sexuelles ?

— C'est toi qui parles de séduction d'henchmen, Emerens Van Heel ? Je m'exclame, oubliant la discrétion. Combien ton personnage s'en est tapé dans le fond, rappelle-moi ? »

Tout le monde semble avoir détourné son attention de la partie. Zut, je comptais pas parler si fort... C'est sa faute aussi là, à pointer du doigt la paille dans l'œil du voisin sans voir la poutre dans le sien. Heureusement, personne n'a l'air énervé. L'émotion la plus négative que je vois sur les visages, c'est la blasitude de Noëlle.

« Sept rien que dans le palais du boss, soupire Thal, l'air amusé. Je pensais pas qu'on pouvait trouver pire que Grisou pourtant.

— C'est un défi ? » ricane Grisou, après un clin d'œil à Emerens. Qu'il lui rend. Oh, pitié...

Heureusement qu'Héloïse est plus raisonnable. Et je sens bien qu'elle a envie de les bonk, ces deux-là. Mais elle se contente de taper des mains sur la table.

« Pendant que vous discutiez, les deux orcs se sont rapprochés. Ils sont à distance d'attaque rapprochée, maintenant. Faites un jet d'initative ! »

C'est un grognement général, mais par chance ça distrait les deux hornys, qui s'emparent de leur dé sans mot dire. Clic, clac. Bruit de chute et rencontre du plastique avec le bois. Je fixe mon dé. Dix-sept. Pas mal, pas mal.

« Rah bordeeeeeeel, grogne Emerens, j'ai encore fait un trois !

— Au moins t'as pas fait un, soupire Grisou en levant son propre dé, où s'affiche l'échec critique. Eh, Héloïse, je peux tenter de séduire l'orc pour qu'il ne m'attaque pas ?

— Lorsque ce sera ton tour, annonce mon imperturbable partenaire.

— Chier ! J'ai quasi plus de points de vie, en plus !

— T'en fais pas, chaton, pouffe Thal. J'ai fait un dix-huit, je peux bien te soigner.

— Eh ! Et moi ?!? Lance Emerens. Je joue un DPS et vous arrêtez pas de me mettre devant ! Je suis à sec aussi !

— Fallait y penser avant de t'approcher des ennemis pour les séduire, je ricane. Surtout vu que tu es censé être un NPC, à la base. Pas de heal pour les NPC. »

Ma drama queen de petit ami lève les bras au ciel avec un profond soupir, avant de se laisser choir sur la table comme une poupée de son. Je lève les yeux au ciel.

« Emerens, évite de bouger les pions !

— Nan mais je suis mort, a-t-il le culot de me répondre. Les morts s'en fichent pas mal des pions. »

J'échange un regard blasé avec Thal, Grisou et Héloïse. Oui, oui, je suis bien en ménage avec cet homme depuis plusieurs années. Le pire c'est que je l'aime bien, quoi.

Je les aime tous, d'ailleurs, tous autant qu'ils soient. Pourquoi sinon serais-je ravie de sacrifier mon énergie juste pour être avec eux ?

Enfin. En attendant, Thal vient de healer Grisou –sous les plaintes non sans drame d'Emerens– et vu que j'ai fait un dix-sept, c'est mon tour. Voyons. Je joue un personnage Chaotique Neutre, cette fois, j'ai réussi à négocier... Et d'après le plateau de jeu, deux personnages me bloquent la route pour lancer un eldritch blast, celui de Noëlle, et la NPC favorite d'Héloïse. C'est bête, je peux pas leur demander de se bouger, Héloïse est assez réglo sur les jets, surtout quand ça fait des situations rigolotes... Hmmm.... J'ai peut-être une idée.

« Alors ! Je lance. Je commence par pousser le healer qui me bloque la route dans les bras d'Owen, et puis je lance un eldritch blast sur l'orc le plus proche de moi !

—... Deux jets, soupire Héloïse. Un pour pousser ta pauvre camarade, l'autre pour l'eldrich blast. Noëlle, jet de force pour résister. »

Les dés roulent sur la table. Je ne m'inquiète pas trop, en faisant mon enchanteur j'ai mis un de mes meilleurs jets dans sa force, j'ai un modificateur de +2. Noëlle, elle, est clerc, donc moyen la force. Je regarde mon dé et.... Ooooooh. Oh le beau vingt naturel que voilà.

Et en plus de ça, un petit coup d'œil sur le jet de Noëlle m'apprend qu'elle a fait un trois. Oups ?

« J'imagine, je ricane en montrant mon résultat, que je pousse tellement fort Noëlle dans les bras d'Héloïse que nous nous retrouvons avec une superbe scène de câlin involontaire ? »

Emerens éclate de rire. Il a dû remarquer mon très intentionnel choix de mots. Ce qui n'est visiblement pas le cas de Shailey, d'El ou de Noëlle. Il n'y a que Grisou, Thal et bien évidemment Héloïse qui comprennent. Et cette dernière est rouge tomate. C'est bien, chérie, sois gay.

« C'est moi la MJ nan mais oh, bafouille Héloïse. Mais, euh, oui.

— Yes ! D'une pierre deux coups ! Allez, maintenant, je lance mon cantrip ! »

Je rate le jet, mais ça n'a pas beaucoup d'importance. J'ai réussi l'action la plus importante, Noëlle vient de comprendre ce qu'il vient de se passer et semble en pleine gay panic, et en plus maintenant le chemin est dégagé pour El, la suivante. Cette dernière me fait un clin d'œil avant de lancer à Héloïse :

« J'peux séduire l'orc ?

— Eh ! C'était mon tour ! S'exclame Emerens qui n'a décidément pas compris la leçon.

— Nan mais tu peux me séduire moi sinon, intervient Grisou. J'suis open.

— Pas pendant les combats, s'il vous plaît, pouffe Thal. Y'a des yeux innocents ici. »

Je suis bien d'accord avec luel. Surtout que ça commence à bien faire les deux horny là. Un jour j'vais les jeter dans une chambre, et vous allez voir que ça leur rendra service ! Ah, là, là, dire que je les aime.

Héloïse sourit bizarrement. Je crois qu'elle a eu une idée. Une fois qu'on aura neutralisé l'orc, ou même à mon prochain tour, je ferai un jet de perception. Juste pour voir si on est pas par hasard en plein devant la salle du boss final et qu'il ne se prépare pas à nous lancer un méga sort sans qu'on s'en doute. Elle en est bien capable, la vilaine.

Qu'est-ce que je ferais sans eux, quand même.

___

C'est l'heure de dodo ! Seigneur, je suis crevé. Héloïse m'a bien pompé avec sa campagne, même moi avec toute la force de mon extraversion j'étais KO à la fin. Bon, on a tous failli mourir donc c'était riche en émotions, mais je pense quand même que j'ai passé un bon moment.

Je laisse Louna avec ses chéri.e.s discuter encore un peu. Moi, je dois aller vérifier que Sharon dort. Ah parce que mademoiselle prépare un énième mémoire, mademoiselle pense que c'est une bonne excuse pour faire des nuits blanches ? Mais oui, mais oui, bien sûr que c'est une bonne excuse, et mon cul c'est du poulet. Quoique, vu comment certains le regardaient, j'imagine qu'il doit avoir le même attrait. Sans parler de cannibalisme, si vous voyez ce que je veux dire.

Je m'égare. J'ai quelques trucs à ranger avant d'aller faire le vigile. Je me suis encore entraîné à la guitare avant que Louna me traîne autour de la table de jeu, du coup elle traîne dans le salon dans son étui. Je la récupère, la passe sur mon épaule et vérifie que je n'ai pas encore égaré un médiator, ce qui n'est heureusement pas le cas, avant de me diriger vers les chambres. C'est l'heure de la tournée d'inspection, mes loulous, planquez-vous sous vos couettes, j'arrive !

Il y a de la lumière dans la chambre de Thibault. Pas surprenant, même s'il est près de minuit. Je toque, au cas où je l'emmerderais avec Alannah ou Ibrahim ; heureusement pour mes chastes yeux, c'est Ruben qui me répond. Je peux ouvrir sans risquer de tomber sur une scène intime. Tant mieux, hein. Je suis peut-être une boule de kinks sur pattes, mais le voyeurisme n'en fait absolument pas partie...

« Pas couchés, les enfants ? Je pouffe en ouvrant ma porte. Faut faire dodo dans la vie !

— Dixit Emerens, grogne Thibault. Nan, j'essayais de dormir, mais Ruben a fait un cauchemar. Tu comptais pas venir dans mon lit ? »

Un peu, mais c'est pas grave, je dois encore faire le vigile. Ruben tire sa tête de la couverture. Effectivement, il a l'air pas mal secoué. Je peux bien lui laisser la place, les miens me laissent tranquille ces temps-ci, comparé à d'autres trucs. Je hausse les épaules.

« Je passais juste pour vérifier. Éteins la lumière, c'est mieux pour dormir. Bonne nuit Thibs, bonne nuit, Ruben !

— Bonne nuit, » me répondent-ils de concert alors que je ferme la porte. La lumière disparaît peu après.

Parfait. Au suivant.

Évidemment, comme je m'y attendais, il y a de la lumière sous la porte de Sharon. Et ça m'étonnerait beaucoup que ce soit à cause de Salimeh. Elle comprend très bien qu'il faut dormir, Salimeh, enfin sauf quand c'est elle que ça concerne. Et là, vu qu'il est plus de minuit et qu'il y a toujours de la lumière, je pense qu'on peut dire sans s'avancer que notre Sharon travaille encore comme un mulet.

Je lève les yeux au ciel. Bon. Go la mettre au lit.

Je rentre dans sa chambre en faisant le moins de bruit possible. Évidemment, elle est à son bureau. Sa bouteille d'eau et ses casse-croûte sont à peine entamés, elle doit être crevée et pourtant je l'entends encore marmonner des formules complexes dont je n'ai pas le premier mot... Quelque chose avec des arccosinus, je crois. Ça va hein, j'ai arrêté l'école à treize ans pour quatre, et les maths pour toujours, je suis incapable de comprendre le jargon mathématique. Et j'en ai aucune envie.

Je m'approche sur la pointe des pieds, aussi délicatement que ma prothèse me le permette, avant de passer mes bras autour du coup de Sharon et de murmurer à son oreille :

« Je dois encore te mettre au lit, chérie ? »

Elle sursaute. Il semblerait que j'ai produit mon petit effet vu la couleur de son visage. C'est toujours plus facile de la faire rougir quand elle s'y attend pas, même maintenant qu'elle s'est affirmée. Mais ça va pas m'empêcher de me coller à elle. Fini le boulot pour ce soir, ma poulette, ce n'est pas en faisant deux mémoires en même temps que tu vas créer une occasion de m'échapper. Je resserre mon étreinte, et elle soupire.

« Tu peux me lâcher ? J'ai presque fini.

— Si « presque » ça veut dire « il ne me reste que trois heures de travail pour boucler ce mémoire » c'est non, chatchat. Tu pourras faire ces trois heures demain. Je sais que tu es l'Ultime Étudiante mais quand même, à te ruiner la santé tu vas être incapable de travailler correctement ! »

Je sais pas si j'ai sorti le bon argument, mais a moins elle ne se défend pas quand je l'attrape par en-dessous des genoux pour la porter jusque dans son lit. Sur le chemin, je pose ma guitare, et attrape la bouteille d'eau. Les barres de céréales resteront pour demain. C'est plein de sucres rapides, ça va l'empêcher de roupiller correctement !

Une fois installé à côté d'elle, je la lui tends, avec mon meilleur air de vigile de prison (ce qui est pas facile pour moi) signifiant très clairement « bois ou je t'y contrains ». Bon, je l'aurais peut-être pas contrainte, mais presque. Il faut qu'elle s'hydrate. Heureusement pour moi, elle s'exécute sans mot dire. Bien, je n'aurais peut-être pas trop de difficultés ce soir. Je soupire.

« J'adore faire le vigile pour toi, mon cœur, mais quand même, tu travailles trop. Et tu dors pas assez.

— Dit-il. Tu crois que je ne t'ai pas entendu hurler hier ? Je suis sûre que tu as réveillé tous nos voisins, marmonne-t-elle entre deux gorgées d'eau. »

Eeeeeeeeet c'est un coup au but. Effectivement, hier, j'ai eu une sale crise. Alors que j'étais en train d'écrire une nouvelle sympa, en plus. Je sais pas ce qui a déclenché ça. Je me souviens juste de l'horrible douleur dans mes bras, et de ma gorge sèche lorsque j'ai regagné mes esprits. Mais Thibault avait le sommeil trop lourd pour m'entendre. Quant à Louna, elle n'est arrivée qu'une heure après, sans doute occupée à autre chose. Je ne pensais pas que j'avais hurlé si fort.

Je pince les lèvres.

« Désolé.

— C'est rien. En soit, je suis fautive. J'aurais dû venir voir. Je pensais juste que tu étais avec Thibault, et que ça irait...

— T'as pas à te traîner ma pauvre vieille carcasse, hein, je soupire, avant de me caler plus confortablement dans le lit. Et puis je préfère que tu dormes.

— J'aurais pu dormir avec toi, idiot. »

Certes. Mais quand même.

Je chercherais bien quelque chose à répondre, mais elle m'entoure de ses bras avant que je ne puisse réagir, bloquant toute réplique cinglante que j'aurais pu avoir. La magie du câlin. Et puis, ce n'est pas souvent moi qui les reçois, quelque part, alors j'imagine que c'est le contentement, aussi.

Je me laisse bercer, tranquillement, ma tête finissant par se poser sur l'épaule de Sharon. Je suis fatigué d'un coup. Enfin pas totalement mais presque. Plutôt... Détendu. C'est cool d'être détendu. J'aimerais bien l'être plus souvent. Et pas que ça s'arrête quand elle passe ses doigts sur mes manchons.

Je me crispe d'un coup, et elle semble saisir le message puisque ses doigts reviennent dans mes cheveux. Mais ça ne l'empêche pas de fixer mes avant-bras du regard.

« Tu comptes en parler un jour ? »

Sans doute pas. Je ne veux pas guilt-trip. Surtout elle ou Thibault. Louna, c'est plus facile, et puis elle a compris tout de suite. Eux... Je ne sais pas exactement comment ils prendraient la nouvelle. J'ai déjà du mal à en parler à mon psy sans faire une attaque de panique alors à deux personnes en quelque sorte concernées...

« Peut-être, je soupire parce que je n'ai pas envie de ruiner le moment. Mais pas ce soir. »

Elle hausse les épaules, et pour changer de sujet j'attrape ma guitare, que j'ai eu la bonne idée de poser près de mon côté du lit.

« Je te joue un petit truc pour aider à dormir ?

— Depuis quand tu sais jouer des berceuses, toi ? » Pouffe Sharon pendant que je cale mon instrument. Je lui fais un petit sourire.

« Plus longtemps que tu ne le crois. »

Je ne vais pas lui dire que j'avais prévu de la lui jouer ce soir sous la fenêtre avant que Louna ne m'enrôle. De toute façon, le contexte est bien meilleur.

Les premières notes d'Uninitended résonnent dans la chambre. Sharon me fixe avec de grands yeux, mais ça ne dure pas longtemps. La chanson est suffisamment apaisante pour que ses paupières tombent d'elle-même, et elle ne tarde pas à s'endormir sur mon épaule, un léger sourire aux lèvres. Le même sourire s'étire sur mon visage quand j'entends sa respiration se régulariser. Là. Reprends des forces, mon cœur, tu pourras finir demain. Je suis là pour m'assurer que tout aille bien.

Toujours.

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