Petits mots d'amour (AU sans Tuerie)
Des fois, je me dis que j'abuse un peu.
Je suis à la sortie d'Hope's Peak. Louna m'accompagne, comme on a eu un cours ensemble avant le reste de notre après-midi, nous avons décidé d'attendre notre bande d'abrutis respectifs ensemble. Ça doit bien faire cinq ans que je suis dans cette école, maintenant, et nos routines n'ont toujours pas changé.
Je la regarde. On est loin de partager une relation très intime, tous les deux, mais je trouve qu'elle me comprend plutôt bien. Et puis vu qu'on vit ensemble, difficile d'avoir des secrets l'un pour l'autre. Pourquoi on vit ensemble ? On en revient à ce que je dis sur l'abus.
« Les tiens sortent à quelle heure ? » Me demande-t-elle. Il me faut un peu de temps pour fouiller dans ma mémoire.
« Je crois que Reina et Alannah sont les seules à être encore en cours. Ibrahim est de sortie toute la journée et Sachiko... Elle sèche, tu sais très bien qu'elle ne prend les classes de jeu que quand Stefan y est.
— A force, on s'habitue, pouffe-t-elle. Il est près de 17h, ils ne devraient pas tarder à finir... »
Ses mots semblent avoir attiré le karma sur nous puisque je sens des bras m'enlacer et un visage se fourrer dans mon cou, avant que le souffle de quelqu'un que je reconnais très bien ne me caresse la nuque. Et comme un bonheur n'arrive jamais seul, une tornade noire me saute au cou, et manque de nous déséquilibrer, tous les trois.
Des fois, je me dis que j'abuse un peu. C'est quand je n'ai pas les yeux posés sur Sachiko pour me rendre compte, pour la troisième fois de la journée sans doute, que j'aime énormément son sourire. C'est quand deux mèches blondes ne passent pas dans mon champ de vision alors que leur propriétaire me murmure à l'oreille que je lui ai manqué. C'est quand je ne me fais pas enlacer de partout par deux collants de service, dont je ne me passerais cependant pour rien au monde. Et sentir que cette proximité est réciproque me provoque des papillons dans le ventre. Bon sang, je vais encore avoir un sourire idiot.
Reina et Alannah les suivent, quoiqu'un peu plus mesurées. La première me salue avec un sourire amusé, sans doute devant la situation pour le moins épineuse dans laquelle je me retrouve, et la deuxième se précipite vers moi pour me montrer entre ses mains un robot tout neuf, en forme de chaton. Je vois ses yeux qui brillent alors qu'elle en détaille toutes les fonctionnalités à un public, mais je sens au fond de moi que c'est à moi qu'elle adresse ses explications.
Des fois, je me dis que j'abuse un peu. C'est avant que Ruben, bon dernier, ne finisse par arriver. En cinq ans, il a bien grandi, et même si je regrette parfois le gamin timide que j'ai connu, son assurance nouvelle n'enlève rien à l'innocence de son sourire. Ça me fait bizarre d'être le plus petit de nous deux, maintenant, mais il fallait s'y attendre. Il m'arrache aux bras des deux autres pour me prendre la main, provoquant chez Emerens un grognement que je sais joueur, et me montre les bagues sur lesquelles il travaille, passées à ses doigts. Un jour, il fera nos bagues de fiançailles, à tous. Il me l'a promis, et même si c'est le seul d'entre nous à n'être rattaché qu'à une seule personne, il sait très bien que je ne l'aime pas moins.
Des fois, je me dis que j'abuse un peu.
Ça ne dure jamais bien longtemps.
***
Et c'est reparti, on dirait.
Le désavantage d'être reliée de près ou de loin à Thibault Laangbroëk, c'est qu'il ne se passe pas une minute sans tenir la chandelle. Même avec mon propre partenaire, qui est d'ailleurs en train de le récupérer des mains de Ruben pour lui coller un bisou sur la joue. Je vais encore les voir se coller comme des sangsues, quelle horreur. Enfin, je dis ça en plaisantant, car leurs sourires à tous les deux me font chaud au cœur.
J'imagine qu'ils se rendent très bien compte qu'ils se comportent comme un couple. Je leur en ai parlé plusieurs fois, et même si la conception des relations qu'a Emerens m'échappe un peu, je ne me mêle pas trop de leur intimité. Et je cherche encore moins à savoir le fin mot de l'histoire. De toute façon, je m'en doute un peu. Si Thibault pouvait, il nous demanderait tous en mariage. Même Sharon et moi, quelque part, alors que nous ne sommes que ses amies et « colocataires ».
Je me demande ce qu'elle en pense, d'ailleurs. Elle est en cours, comme toujours, et je crois que ce sera bientôt l'heure de l'en tirer. Mais un rapide coup d'œil à ma montre me fait me rendre compte que niveau limites, Sharon n'est pas la plus urgente de mon répertoire. Il n'y a décidément que moi qui pense au plus important ici.
« Emerens, ton psy ! Bouge tes fesses, tu vas être en retard !
— Oooooooooups, très juste ! Mince alors, je dois vous abandonner !
— Pas que ça me dérange, ptit con, ricane Sachiko. Va donc te faire soigner de la tê-tête. »
Elle est violente, mais au bout de cinq ans, ses insultes ont pris un tour plus affectueux. Ils ont fini par se calmer après quelques années d'apprivoisement, ça me fait autant de bien qu'à Thibault. D'ailleurs, Emerens ne semble pas l'avoir mal pris, puisqu'il pouffe avant d'enfin se détacher de lui.
Un baiser claque sur mon front. C'est surprenant, mais je suis habituée à ce genre d'agressions d'amour. L'affection publique n'a jamais été une faiblesse de sa part. J'ai très vite posé mes limites mais j'apprécie énormément l'attention.
Je le regarde filer au loin, saluant Thal et Héloïse qui arrivent en sens inverse. Héloïse est avec Eleanor, et Thal tient la main de Sour. J'adore voir leurs sourires alors qu'ils parlent entre eux, même si iels ne m'ont toujours pas remarquée. Je crois que c'est le seul moment où je me sens heureuse à être de côté.
De toute façon, ça ne dure pas bien longtemps. Héloïse me remarque, et me fait un grand signe de la main. Je les rejoins avec plaisir. Je laisse Thibault à ses amours, moi, j'ai retrouvé mon espace de sécurité.
***
Eh bien l'autre con est parti, pas trop tôt ! Enfin, c'est pour son bien, le psy. Faut vraiment qu'il se calme sur ses triggers, même après sept ans il est toujours pas capable de mettre les pieds à l'internat. Ce qui est un peu con quand il y séduit des gens qui y vivent. Ouais parce qu'on a été assez clairs, avec Ruben, sur l'interdiction totale et formelle de faire venir des gens extérieurs au manoir. Il va baiser ailleurs que chez nous, point. C'est moi qui paye, c'est moi qui décide !
Alannah joue avec son chat, et Ruben est déjà en train de lui parler de le pimper avec ses joyaux. Fin c'est pas les termes qu'il emploie, mais ça revient au même. Ils s'entendent drôlement bien, tous les deux, j'aurais pas cru ; Enfin vivre dans la même maison a ses avantages, mais passons. De toute façon c'est pas eux qui m'intéressent.
Thibault cause avec Reina de je sais trop quoi. Ça m'ennuie. Je vais lui faire des câlins.
Aussitôt pensé, aussitôt fait : Mes bras se retrouvent autour de son cou. Il est tout petit, c'est trop rigolo de le tenir. J'ai l'impression que je l'englobe tout entier, surtout avec mes cheveux, et c'est pas pour me déplaire. C'est pas parce que j'ai d'autres amours que je suis pas possessive. Et puis c'est mon tour, là.
Il a l'air un peu agacé par mon intervention mais ça ne l'empêche pas de se coller à moi. En plus il peut dire ce qu'il veut, je le vois, son sourire. Ça me donne envie de lui tirer les joues pour l'éternité.
« Sachiko, soupire-t-il, on ne t'a jamais parlé des conduites à tenir lorsque les gens tiennent des conversations ?
— Nope ! Tu savais pas ? »
Si. Il sait très bien. C'est le seul qui sait vraiment à quel point ma vie a été un merdier. Même avec Ansgar, j'évite le sujet. Je ne voudrais pas qu'elle retrace mon village et y aille telle Punisher. Ce serait super classe de sa part, et je serais d'autant plus gay, mais... Il y a certaines choses que je dois faire moi-même.
De toute façon, ni lui ni Reina n'ont l'air de se faire de mon pseudo manque de politesse. Je crois qu'ils sont habitués. Après un regard d'excuse à l'adresse de son amie chère, ou autres je sais pas comment l'appeler vu qu'ils ne sont pas en couple, il se colle à moi et fourre sa tête dans mes cheveux.
Je l'embrasse. Son sourire dans le baiser me fait fondre. À chaque fois, j'ai l'impression que c'est la première fois, alors que ça fait cinq ans qu'on est ensemble, que je lui parle d'enfants sans qu'il bronche, qu'on a déjà commencé à chercher de quoi faire une fécondation in vitro. C'est déstabilisant, mais en même temps ça me grise.
Il me caresse les cheveux, toujours en train de me câliner, et je cède à la tentation de le soulever. Ça le fait rire. J'adore l'entendre rire. J'ai l'impression que ce bonheur est éternel.
Ce n'est pas dans les habitudes des dieux de prier. Mais je prie pour qu'il le soit.
***
Thibault a l'air d'être occupé pour longtemps, alors je préfère repartir. De toute façon, j'ai un rendez-vous, ils m'attendent. Eux ont quitté Hope's Peak aux alentours de 2020, je suis la seule à y être vraiment restée. Ça ne me dérange pas vraiment, puisque je suis en parallèle dans la vie active, mais devoir chaque année repasser un examen que je rate encore et toujours pèse lourd sur ma conscience. Je me sens nulle.
La psychiatre en cours avec moi me répète que ce n'est pas la peine. Que l'examen pour les médecins est paraît-il le plus dur de tout Hope's Peak. Mais ça n'empêche pas les pensées intrusives de me parasiter, encore et toujours. De moins en moins, cependant. J'ai appris à prendre de l'assurance. J'ai appris à surpasser mon deuil. Et dans les mauvais jours, ceux ou ma cicatrice me brûle la tempe, ils sont là pour apaiser la chaleur qui m'oppressent, éloigner les visions qui me hantent. Ils ont surpassé mes traumatismes pour m'aider à les vaincre et je ne leur en serai jamais assez reconnaissante.
Ils sont devant la grille, tous les quatre, avec des sourires plus ou moins larges aux lèvres. Je sens mon cœur se gonfler d'affection alors que mes pas m'amènent vers eux, à la plus grande vitesse dont je suis capable. Quatre paires de bras finissent pas m'enserrer, avec plus ou moins de force. Je suis prise dans un véritable cocon d'affection dont je ne veux jamais sortir.
Les jours passés à rejeter la part de moi qui n'aimait pas que les hommes me semblent bien loin désormais. Puisque je suis en ménage avec trois des plus merveilleuses femmes du monde. Je peux les voir écrire, alors que le stylo serré dans ses mains fines court sur le papier, créant des mondes et des âmes que je suis incapable d'appréhender. Je peux les voir se battre, dans le plus pur respect d'un code moral très strict, reproduisant des mouvements qui sont presque de l'art à mes yeux. De toute façon, la voir virevolter est toujours un art. Je peux les entendre me parler avec douceur, guider mes mots et recueillir les perles d'information de ma vie, presque interviewée mais pour son usage personnel, pour le simple plaisir de me connaître moi, simple gynécologue qui n'a de spécial que son jeune âge.
Et puis il y a le seul homme de notre polycule, qui n'est pas en reste puisque je passe en ce moment mes mains dans ses cheveux turquoise touffus. Il me parle de Taichi qui vient de le quitter pour rejoindre Ryo, ce à quoi les autres répliquent avec plus ou moins d'anecdotes, la conversation dérivant sur son dernier livre. Des étoiles brillent dans ses yeux alors qu'il s'aperçoit qu'il peut développer son univers en long, en large et en travers, car il est en compagnie d'un public qui adore l'écouter. Je ne suis pas grand-chose, mais pour beaucoup de raisons, je reste à l'écouter, un sourire aux lèvres, alors qu'il me réexplique sans vraiment le faire pourquoi il est mon auteur préféré.
Mes jours de solitude et de terreur sont loin derrière moi. Aujourd'hui, ces personnes merveilleuses forment ma barrière vers l'horreur de l'extérieur. Et même si je sais devoir l'affronter, je ne prendrai pas les armes seule.
***
J'ai laissé Sora sur la route, mais de toute façon je pense qu'il ne restera pas longtemps seul. Ce veinard se paye une collection de femmes adorables, si j'étais pas gay je le jalouserais presque.
Enfin, presque, parce que ces demoiselles aussi mignonnes soient-elles n'arrivent pas à la hauteur de mon grand dadais favori. Qui a encore ses baguettes à la main, je me demande ce que je vais faire de lui quand même. Si je ne veillais pas sur lui, il ne mangerait plus, ne boirait plus, et consacrerait le reste de sa vie à son instrument. Et vu que moi je lui consacre la mienne, ce serait un peu con qu'elle ne dure pas longtemps.
Quelques bonds me suffisent à lui tomber dans les bras, et je retrouve ce bougonnement que j'aime tant. Il a dû passer chez le coiffeur entre deux visites dans la salle de concert d'Hope's Peak puisque sa mèche est un peu raccourcie. Ça m'arrange, au moins je n'ai plus ses cheveux entre les dents quand je l'embrasse. Comme maintenant.
Son rire finit par prendre au quinzième bisou quelque part sur son visage, ce qui attise le mien plus encore. Je fixe son visage hilare avec un grand sourire qu'il ne se rate pas de qualifier d'idiot. Peu importe. Je n'ai jamais été aussi heureux.
Je suis polyamoureux mais en ce moment il me suffit largement.
***
Ils ont tous l'air si heureux.
La regarder au loin me serre le cœur, plus encore quand je la vois les serrer dans leurs bras, les enlacer, les embrasser. Elle en aime plusieurs, je le sais, et c'est plus douloureux encore de ne pas être inclus dedans. Mais je respecte. C'est le moins que je puisse faire.
Je ne lui dirai sans doute jamais. À la place, je savourerai son bonheur de loin, oubliant la sensation épineuse de ne pas y prendre part.
***
Elle est belle. Tellement belle.
De là où je viens, être lesbienne n'est pas forcément accepté de tous. Alors j'apprécie le leur mettre sous le nez. Je sors avec des femmes, j'embrasse des femmes, il m'est déjà arrivé de me faire surprendre avec des femmes. Je n'ai jamais eu de problèmes. De toute façon, en tant que flibustière, l'homosexualité pénalisée est bien le dernier de mes problèmes.
Mais avec elle, ce n'est pas l'envie de mettre un pied-de-nez au gouvernement qui me motive à lui réciter des poèmes sur sa beauté. Ce n'est pas la rébellion qui me fait partir dans des envolées lyriques dignes de Sappho elle-même.
Elle est largement suffisante pour mon cœur nager dans le bonheur. Et plus encore pour le crier sur tous les toits.
***
Notre sortie est assez gênante, je ne sais toujours pas pourquoi Hope's Peak tient à ce qu'on travaille ensemble. A choisir, j'aurais été bien mieux calé dans les bras de Thibault, à faire du « Netflix & chill » comme il dit. Enfin, je ne suis pas débile, je sais que ça peut avoir un sens bien plus sexuel. Emerens s'est fait un plaisir de me l'expliquer, la dernière fois. Ça m'est égal. Je me contente de la partie films et câlins sous les plaids, c'est tout ce qu'il me faut.
Mais le karma est le karma, et même si je me retrouve avec mon ex dans une sortie en milieu urbain, ça aurait pu être pire. Je crois que c'est son copain actuel qui nous a invités. Sans doute dans le but de nous rabibocher. J'avoue que je l'aime bien, son copain. Il est assez sarcastique et plutôt tranquille, il arrive à me faire penser à autre chose que le danger qui plane sans cesse autour de nous. Je crois que c'est ça qui lui plaît tant chez lui. Moi, je serai pour toujours rattaché à cette guerre que nous avons vécu. Et passer à autre chose ne peut me faire que du bien, après tout. Même si je regrettais la fin de notre relation, ce n'en serait que pour le mieux.
Nous nous fixons, alors que le rouquin graffe. La conversation ne se fait pas, mais les regards suffisent. Nous n'avons jamais été de grands bavards. Je lui en veux toujours. Il refuse toujours d'aborder le sujet avec moi. Mais au moins, je n'ai plus envie de l'étriper à chaque fois que je le vois. C'est un progrès.
C'est gênant. C'est compliqué. Mais je garde espoir qu'un jour, on finisse par enterrer pour de bon cette histoire.
***
Il me suit encore sans dire un mot. C'est agréable, les employés fiables, mais je crois que parfois, son silence et son professionnalisme me dérangent. Je sais que je suis en environnement sensible. Le gouvernement japonais me voit comme une menace, le gouvernement américain comme une épine dans son pied. Je suis perdu entre les deux camps au point de ne plus savoir pour qui j'accomplis mon travail. Je sais qu'un sniper peut m'abattre à tout moment, des sources me disent qu'on parle de donner un contrat sur ma tête à la Faucheuse. De la protection est l'idéal dans cette situation. Mais j'aimerais bien qu'on se comporte comme des jeunes adultes normaux, parfois.
Même dans mon ambassade, je ne me sens en sécurité qu'avec lui. C'est pénible que cette rigueur ne me rappelle à chaque fois que je le regarde que ma vie est menacée. Je crois que je commence à en avoir marre.
Ce salon n'a normalement ni fenêtres ni passages secrets. Je vais en profiter.
La porte s'ouvre et je le pousse dedans, non sans difficultés car il a une force considérable. J'aimerais faire croire que j n'ai eu aucune difficulté à le jeter sur le canapé, mais en fait je suis essoufflé rien qu'à le pousser assez dans la pièce pour pouvoir fermer la porte. C'en devient ridicule. Mais au moins, on est dans la pièce.
« Quelque chose ne va pas, monsieur ? »
Encore du monsieur. Oh joie. Je soupire pour toute réponse, ce qui le fait pouffer. Ah, enfin un peu de normalité.
« Vous savez, si vous vouliez me sauter dessus, monsieur, il suffisait de prévenir, je me serais laissé faire...
— Oh, au diable les « monsieur » ! Oublie les protocoles pour une fois ! »
Oui, je m'étonne moi-même à dire ça. Enfin, il n'a pas le temps de s'en étonner non plus, puisque je lui ai presque littéralement sauté dessus, comme il l'avait dit. Moi qui voulais une simple discussion... Sa présence me rend fou, c'est à n'y plus rien comprendre. Mais je préfère que ce soit lui qu'une autre. J'aime trop ses manières pour me séparer de lui aussi facilement.
J'ai l'impression d'être retombé en adolescence, et de redécouvrir ma sexualité et mes hormones de manière bien plus saine. Difficile de se penser comme autre chose qu'un imbécile heureux d'être dans les bras d'un homme lorsqu'il cède à la tentation et m'embrasse de plus belle. Mais pour une fois que je me sens comme autre chose que le grand ambassadeur d'Amérique basé au Japon, ex-Ultime, je ne vais pas cracher sur cette sensation.
***
Tiens, il est sorti du psy.
Les gens diront que je l'ai suivi. C'est faux. Je devais aller en consultation, moi aussi, pour un autre psy situé dans le même bâtiment. Mes tests cognitifs habituels après la visite d'une tombe. Comme j'ai déjà perdu la moitié de ma vue et de mon audition, je préfère ne pas prendre de risques.
Je ne m'attendais pas à le croiser. Mais de toute façon, je n'ai même pas le temps de le saluer, il ne me calcule pas du tout. Il a vu ses partenaires l'attendre devant la porte du bâtiment, et vient de se précipiter vers eux.
Ça fait bizarre de se dire qu'on vit dans le même pays, qu'on va à la même école et qu'on partage le même environnement que son idole. Ça n'aide pas à oublier le côté parasocial de notre relation. Mais en toute honnêteté, l'observer de loin me suffit. Je ne veux pas paraître comme une fan folle. Et je ne veux pas croire qu'on a une chance.
Je me contenterai d'être spectateur. Comme toujours.
***
Le psy ne m'a pas fait beaucoup de bien aujourd'hui. Je sais que c'est un passage obligé, puisque ma thérapie toute entière tourne autour de mes avant-bras ; mais lorsqu'il m'a demandé d'essayer d'enlever mes manchons, j'ai... J'ai fait une grosse crise d'angoisse pour la première fois depuis des années. Bon, je l'ai fait au bon endroit. Sadako est un homme adorable, il sait exactement comment me gérer. Mais c'est quand même pas hyper agréable.
Je sais déjà que je n'y arriverai pas de sitôt. Ça va faire onze ans, maintenant, que je les porte en permanence, que je refuse de fixer mes avant-bras nus du regard. Je crois que jamais je ne les ai enlevés plus d'une demi-minute, et ce n'était que pour en changer.
Heureusement, le karma a décidé de me calmer un peu après la séance. La présence de Louna m'évite de rentrer à pied en ruminant mon inutilité, et elle a réussi je ne sais trop comment à traîner Sharon et Thibault avec elle. Mes amours. Ils sont là tous les trois pour venir me chercher. Je crois que c'est une des plus belles preuves d'affection que j'ai jamais vues, et j'en ai besoin de beaucoup.
Évidemment, je me précipite sur eux. Ils ont tous droit à leur gros bisou sur le haut du front, je ne fais pas de discrimination et avec leur petite taille c'est l'endroit le plus simple à atteindre. Thibault râle, Louna pouffe, Sharon sourit. Et ils me laissent tout le loisir de leur faire un câlin à chacun, accompagné d'un bisou supplémentaire pour ceux qui veulent. Le bonheur.
Je sais que pour des yeux extérieurs, on a pas mal l'air d'un polycule. Et pour être honnête, je comprends cette impression. Pas mal de mes gestes peuvent être interprétés comme romantiques, et j'en connais un rayon, vu mon domaine d'expertise. Moi-même, ça m'arrive de me poser des questions ; et puis il me suffit d'écouter la manière dont Thibault parle de Sachiko, ou de Ruben, pour apaiser mes doutes. Relégués au panier, les questionnements sur l'attirance romantique ! Je vois très bien que ce n'est pas le même amour que j'éprouve pour eux.
Je ne sais pas si ça les gêne. Sans doute que non. Sharon est toujours un peu restreinte niveau gestes, mais c'est mieux qu'il y a sept ans où elle était gênée limite à chaque fois que je lui faisais un câlin. Je ne sais pas pourquoi et je ne vais pas lui poser la question, ses limites sont la seule chose que je me dois de savoir. Et puis évidemment, Louna n'accepte les bisous qu'avec parcimonie. Elle n'aime pas ça, le fait pour tester de temps à autre, ce que je comprends très bien.
Il n'y a que Thibault avec qui on a vraiment l'air d'un couple. En fait, on a exactement le comportement d'un couple alloromantique... Et allosexuel. « C'est une relation plato-NIQUE », dit parfois Louna en plaisantant. J'ai gardé le terme, à vrai dire, il est parfait, sans vouloir passer pour un satyre. Je lui ai demandé une fois si ça le gênait, ou s'il avait des sentiments à mon égard que je devais connaître. Il m'a répondu, et j'ai senti pouvoir le croire, qu'il en était resté à l'affection et que les câlins et les bisous, ça lui était égal. Et que je ferais mieux de ne pas arrêter. Ha. Comme s'il pouvait échapper à super câlinator, le pauvre fou.
Ils me parlent des plans du soir. Apparemment, on va au restaurant, se faire un quadruple dîner aux chandelles pour fêter les vacances qui approchent. C'est vrai qu'on est en cours, j'ai tendance à l'oublier. Ça va faire sept ans que je suis à Hope's Peak, alors je prépare quand même l'examen final, mais me voir en classe relève du miracle. La thérapie travaille sur ça, d'ailleurs. Et Sharon sur mes difficultés scolaires. C'est un véritable génie, et un professeur parfait, quand je ne suis pas d'humeur joueuse et ne tente pas de la distraire avec tout et n'importe quoi mais surtout des câlins.
Je ne suis certainement pas la meilleure personne pour eux. Je suis perclus de traumatismes, emmerdant et sans doute pas très bien dans ma tête. Mais si ça fait plusieurs années qu'ils s'accrochent, je vais finir par croire que je mérite ce bonheur.
De nouveau, ils ont droit à leur tournée de bisous. Leurs questionnements pleins de rires m'amusent. J'ai envie de fourrer mes mains dans les cheveux de Sharon, ma tête dans le cou de Thibault, de me coller à Louna.
Je les aime. Sans doute pas de la même manière qu'eux, ou de celle qu'il faut, mais ça me suffit.
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