Miroir (12 janvier 2017/AU sans Tuerie)
Pourquoi ces deux dates, me demandez-vous ?
Parce que cette nouvelle, pas bien longue, sert un effet miroir bien particulier, ehe.
La première partie a lieu dans l'AU Tuerie, la seconde dans l'AU sans Tuerie. Je préfère prévenir, c'est pas mal angst, mais vous en faites pas, ça s'arrange à la fin...
Dans un cas sur les deux qwq
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Je suis assise sur mon lit, jambes croisées, les yeux fixés sur le mur de ma chambre.
Il est tard. Je devrais dormir. Ce serait sûrement mieux pour ma santé, surtout que je commence à travailler demain à mon nouveau poste, mon premier poste depuis mon retour d'Afrique.
Mais je n'y arrive pas.
Je n'y arrive pas, parce qu'à chaque fois je revois son sourire teinté de sang.
Du sang. Du sang tout ça parce qu'elle avait voulu me suivre, tout ça parce que je l'ai mise en danger. Mon amour, mon premier vrai amour, morte devant mes yeux pour ma stupidité, pour mon imprudence.
Et chaque fois que je ferme les yeux, je vois son visage. Chaque fois que je ferme les yeux, j'entends son rire.
Alors non, je n'arrive pas à dormir. Et je ne sais pas si j'y arriverai un jour totalement.
Quand je suis rentrée d'Afrique, papa et maman m'ont parlé d'un évènement qui apparemment, a refait les médias pendant un bon bout de temps. Un massacre organisé d'adolescents, tirés tout droit de cette nouvelle école qui vient d'ouvrir. Hope's Peak, l'école pour les Ultimes, pour les nouveaux talents. Apparemment, quarante-huit d'entre eux avaient disparu à la rentrée, mais on a découvert où étaient passés les seize premiers.
Je me demande si Kichiro va bien. Il avait eu un Ultime, lui, je me rappelle. Il en était très fier. D'ailleurs, ce n'est pas le seul que je connais avec un Ultime. Il y avait les Imaï, Mayu et Sakutaro. Je me rappelle aussi... de l'annonce faite par ce ministre chinois au dernier gala, par rapport au titre de son fils, l'Ultime Huissier.
Et puis il y a... Senri et Raraka.
Pour qui je ne peux pas m'empêcher de m'inquiéter.
C'est loin, tout ça. C'est derrière moi. Elle a réussi à me faire oublier ce détail de mon histoire, la douce douleur qu'est celle de regarder de loin. Pour la remplacer par l'amère, l'acide. La souffrance à l'état pur.
Parce que je l'ai aimée, et que je ne la reverrai plus jamais. Et d'une certaine manière, je regrette l'époque ou je ne pouvais que regarder de loin. Là, au moins, je sais qu'ils sont en sécurité.
Ou est-ce qu'ils le sont ?
Je n'arriverai pas à me rendormir, c'est certain. Alors, je me lève. Ichiro est sûrement dans sa chambre, du coup, je marche à petits pas dans la propriété pour ne pas le réveiller. Les domestiques que je croise me saluent amicalement, mais sans plus.
Une lumière est allumée dans le salon de mes parents. J'entends leurs voix en émaner, graves, lourdes. Ils discutent de sujets importants, j'imagine, j'ai appris depuis longtemps à ne pas m'en mêler, depuis que papa m'a sévèrement réprimandée pour avoir mentionné ce truc, le Projet Renaissance, à table.
Mais quelque chose dans la voix de papa m'incite à m'arrêter.
« ... Pauvres gosses, il soupire. Disparus pour une connerie.
— Tu as vu le livre de Monogatari ? lance maman. Il y a des horreurs là-dedans, au point que je me demande si tout cela est vrai. »
Silence. Je me raidis. Wen Xiang Monogatari, c'est le nom de la femme qui est sortie de cette Tuerie, comme elle l'a appelée. De ce massacre sans nom. Je ne pensais pas que papa et maman en parleraient encore. Ça fait longtemps, non ? Apparemment, ils sont sortis, elle et l'autre survivant, quand j'étais encore en Afrique. Je ne pensais pas qu'elle sortirait un livre... Mais on parle de l'Ultime Scénariste.
Je n'arrive pas à faire quoi que ce soit d'autre qu'écouter. Écouter, pour éviter de céder, pour éviter de trembler, devant ce que savent mes parents que moi je ne sais pas.
Papa pousse un profond soupir.
« Tu sais, ma chérie, c'est dur d'y croire. Mais j'ai vu le regard de Monogatari lorsqu'elle est venue m'expliquer ce qu'il s'était passé, pour Reina. Il n'y avait clairement pas le moindre mensonge dans ce regard. »
... Pour Reina ?
Pour moi ?
Qu'est-ce qu'il se passe ?
Qu'est-ce qu'il se passe ?
J'ai tellement peur.
Pourquoi ai-je aussi peur ?
Maman a un petit bruit. Pour un peu, j'en jurerais qu'elle retient ses sanglots.
« ... Reina... Comment on va lui dire ? Avec tout ce qu'il s'est passé, et même si elle n'était pas très proche d'eux, d'une certaine manière...
— On ne pourra pas continuer à le lui cacher, Jelilah, soupire papa. Ce sont de ses amis dont on parle. Si on peut vraiment avoir des amis dans ce monde. »
Je me raidis.
Qu'est-ce qu'il se passe ?
Pourquoi papa et maman disent ça, qu'est-ce qu'ils me cachent, qu'est-ce qu'il y a de si dur à m'annoncer ?
J'ai le sentiment que je ne veux pas le savoir. J'ai le sentiment que je ne veux pas le savoir, et pourtant, je reste là, planquée derrière cette porte, à attendre, à attendre figée dans la glace.
J'entends maman pousser un profond soupir.
« ... Je sais, Satoru. Mais rien que de penser à leur destinée à tous les deux...
— Senri et Raraka ont tenu jusqu'au bout, ma chérie, dit mon père, d'un ton rassurant. Ce sera peut-être un réconfort. »
...
...
Senri...
Et Raraka ?
...
Non.
Non...
Non.
Je retiens de justesse une exclamation horrifiée. Mais malheureusement, il semblerait que papa et maman m'aient entendue. La porte du salon s'ouvre à la volée, et le cri de surprise de mon père le précède dehors. Il est en costume, toujours, mais un peu débraillé, et derrière lui, les yeux de maman, pourtant si impeccable d'habitude, sont rougis par des traces de larmes. C'est elle qui m'interpelle en premier, les yeux écarquillés.
« ... Reina ? Tu étais là, ma puce ?
— ... Qu'est-ce que tu as entendu, ma chérie, demande papa d'un ton anxieux. Dis-moi. »
Je suis tremblante, appuyée au mur, incapable de comprendre, et pourtant, la vérité fait son chemin dans mon cerveau, immuable et pourtant si dure à accepter. Si dure à envisager.
Non. Non. Je ne peux pas l'envisager. Ce n'est pas possible. Ce n'est pas possible. Pas comme ça. Pas comme ça.
« ... Qu'est-ce qu'il se passe ? Je lance, d'une voix tremblante. Pourquoi vous parliez de Monogatari tout à l'heure ? Pourquoi vous parliez de la Tuerie ? Qu'est-ce qu'il s'est passé... Qu'est-ce qu'il s'est passé avec Raraka et Senri ? »
Papa se mord la lèvre.
« ... Reina, ma chérie, tu devrais peut-être venir t'asseoir avec nous... »
...
Non.
Non.
Non.
Non.
Non.
« Non, je balbutie, la voix de plus en plus rauque, alors que les sanglots en débordent au fur et à mesure que la vérité avance. Non. »
Pas ça, pitié.
Tout sauf ça.
Tout sauf ça, et pourtant l'inévitable est devant moi, dans les bras de papa qui m'enlace doucement, dans les mots doux de maman qui rejoint l'étreinte, dans ce livre à la couverture bleutée que je reconnais sur la table, dans le noir du deuil d'un ruban posé sur un cadre dans un coin de la pièce.
L'inévitable est devant moi, et je ne peux que le reconnaître, le reconnaître alors que je ne voulais pas, que je refusais de perdre quelqu'un de nouveau.
Ils sont morts.
Senri Kizoku et Raraka Son. Les premières personnes que j'ai jamais aimées dans ma vie. Les seuls que je regrettais de ne jamais avoir vraiment pu leur parler. Des personnes qui dans une autre vie, auraient pu être mes amis, plus, peut-être.
Dans une autre vie.
Je m'effondre, en larmes, dans les bras de mes parents. Ces derniers m'étreignent, de toutes leurs forces, toute leur affection, me disent des mots doux, des consolations.
Mais rien. Rien. Ne parvient à bloquer mon hurlement.
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C'est étrange, la rentrée à Hope's Peak. Je ne m'attendais pas à intégrer une grande école après avoir fini mes études, mais pour maman, c'était l'occasion de vraiment pouvoir parler à des jeunes de mon âge, alors je dois dire que je n'ai pas beaucoup protesté.
Cette école est entourée d'un voile de mystère. Sans doute parce qu'elle vient d'ouvrir, que sa construction a été exceptionnellement rapide, qu'on la soupçonne d'être au-dessus des lois. Ce genre de choses. Mais j'avoue que ce n'est pas le mystère qui m'intéresse.
C'est la rentrée, alors on s'attend de moi à ce que j'aille voir des gens. Parler à des gens. Qu'en sais-je. Mais je n'arrive pas à faire quoi que ce soit. Le foulard noir enroulé autour de mon cou... Est d'une certaine manière, une preuve suffisante. De pourquoi je ne veux pas m'approcher des gens.
Je ne sais même pas si j'arriverai à parler à qui que ce soit.
Je suis devant l'estrade, pour le discours de rentrée. Le directeur a terminé son propre petit mot, du coup, apparemment, c'est au tour des élèves. Une petite dizaine d'entre eux montent sur l'estrade, menés par l'une d'entre elles, le micro à la main.
Et j'ai un coup au cœur lorsque je la reconnais.
C'est elle, pas de doute. Raraka Son. Mon... Mon amour de jeunesse, on pourrait dire, ou du moins l'un d'entre eux. Sa main tient le micro, qu'elle lève devant elle. L'autre serre la main d'une femme que je n'ai jamais vue, mais dont je reconnais le nom tout de suite.
Wen Xiang Monogatari. L'Ultime Scénariste, si je me souviens bien. J'ai vu quelques-uns de ses films, à une époque où je n'avais pas encore trop de travail. Elle a l'air plus timide comme ça que sur les photos. Surtout lorsqu'elle se colle à une Raraka qui semble ravie de la présenter.
J'ai un petit pincement dans la poitrine rien que de les voir. Elles sont ensemble, c'est évident dans la manière qu'elles ont de se serrer l'une contre l'autre, dans la main de Wen Xiang serrée sur les doigts de Raraka, le regard de Raraka qui à chaque fois que son discours le lui permet la dévore des yeux comme s'il n'y avait qu'elle.
C'est étrange, de voir ses premiers amours heureux avec quelqu'un d'autre. Je me demande, parfois, combien d'opportunités j'ai loupé. L'une d'entre elles est sous mes yeux, dans le regard de cette femme que j'ai aimée d'un amour enfantin, qui n'a aujourd'hui d'yeux que pour une autre.
Mais cette autre... Enfin, cet autre... Je m'attendais à ce que ce soit...
Je me tourne vers un autre coin de l'estrade.
Il est là, lui aussi.
Senri Kizoku, l'autre que j'ai aimé sans retour. Avec sans doute bien plus de douleur, puisqu'il était le seul, concrètement, à m'avoir remarquée. Le seul des deux avec qui j'ai échangé plus de quelques mots en sachant très bien que mes souhaits étaient voués à l'échec.
Parce que lui, la personne qu'il regardait, qu'il regarde toujours, avec ces mêmes yeux, c'est Raraka elle-même. Raraka qui ne remarque pas, ou ignore, sans doute, ces grands yeux tristes.
Ni l'un ni l'autre n'a vraiment changé, depuis la dernière fois que je les ai vus, quand j'avais douze, treize ans. Raraka a toujours cette même prestance dans la posture, Senri cette tristesse dans les yeux. Ils ont grandi, on a grandi tous les trois, mais d'une certaine manière, rien n'a changé.
Et en même temps, tout a changé.
Tout a changé, parce que j'en ai aimé une autre, et que cette autre est morte. Tout a changé, parce que j'ai eu un travail, qui m'a éloigné de ce monde, le monde de la haute finance où eux sont restés.
Tout a changé, et je suis face à mes regrets d'enfant alors que je n'ai plus rien d'une gamine.
Le regard de Senri glisse sur notre assemblée, à nous, la seconde promo, alors que Raraka finit son discours. De temps à autres, je le vois hausser un sourcil, mais sans plus. Il n'a jamais été le genre expressif, d'un autre côté. Et puis, il croise mon regard.
Quelque chose crispe son visage.
Il m'a reconnue ?
... ça ne devrait pas me faire autant plaisir que ça.
Pas maintenant.
... Pas maintenant ?
***
C'est étrange, la rentrée. Cela fait plusieurs semaines qu'on y est, pourtant, je n'ai pas pu parler à grand-monde, vraiment. Je n'arrive pas à parler. Évidemment, il y a ma marraine, qui fait de son mieux pour m'aider, et il y a mes camarades de promotion, qui sont pour la plupart agréables. Je me suis fait des amies, ce qui est inespéré, même si j'ai encore du mal à m'ouvrir devant elles. Il y a un homme, dans la promo du dessus, qui m'attire plus que je le devrais vraiment, que je devrais vraiment faire confiance à un homme inconnu. Et les gens me parlent.
Les gens me parlent, pourtant, je me sens un peu triste. Et ce n'est sans doute parce que je n'ai pu parler ni à Senri, ni à Raraka. Le poids d'un passé commun qui pèse de plus en plus lourd entre nous. Un passé qui rendrait tant de choses gênantes.
Je n'ai aucune envie d'essayer.
Même si certains de mes camarades de promotion sont insistants et effroyablement pénibles, ce n'est rien à côté d'affronter cette conversation.
J'essaie d'en parler. De comprendre pourquoi. De comprendre comment. Mais parler... Des mots en impliquent d'autres. Et ainsi de suite. Jusqu'à atteindre ceux qui fâchent.
Pourtant, quand je les vois passer dans les couloirs, elle, souriante, heureuse, amoureuse, lui triste, fatigué, calme, je ne peux m'empêcher de me dire...
Que cette fois, j'ai le temps d'apprendre à les connaître.
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